Revue d'Evidence-Based Medicine
Anévrysme de l'aorte abdominale: opérer ou attendre
Minerva 2003 Volume 2 Numéro 6 Page 96 - 98
Professions de santé
Minerva « en bref » vous propose de brefs commentaires sur des publications sélectionnées par le comité de rédaction de Minerva. Des études intéressantes et pertinentes pour les médecins généralistes qui ne doivent pas ou ne peuvent pas être discutées dans un cadre plus large trouvent leur place dans cette rubrique. Chaque sélection est brièvement résumée et accompagnée de quelques commentaires faits par un référent. La rédaction de Minerva vous en souhaite une agréable lecture.
Résumé
Ces deux études randomisées contrôlées, l’une américaine (Lederle et coll), l’autre anglaise (UKSATP) examinent l’amélioration de la survie obtenue du fait d’une chirurgie réparatrice immédiate d’anévrysmes de l’aorte abdominale (AAA) de petits diamètres (4 à 5,5 cm). Les populations incluses dans les études sont de 1 135 (Lederle et coll) et 1 090 (UKSATP) personnes. Dans chacun de ces groupes, environ la moitié des sujets a été opérée dans les 6 semaines (groupe intervention) et les autres ont été suivis à l’aide d’un contrôle échographique du diamètre de l’AAA tous les 6 mois (groupe contrôle). Une intervention était pratiquée si le diamètre de l’AAA dépassait 5,5 cm, s’il augmentait d’1 cm en une année (ou de 0,7 cm en 6 mois) ou si des plaintes attribuées à l’AAA se manifestaient.
Le critère de jugement primaire est la mortalité totale. La mortalité attribuée à l’AAA lui-même est un critère de jugement secondaire.
Dans l’étude américaine, d’un suivi moyen de 4,9 ans, 143 (25,1 %) des sujets du groupe intervention et 122 (21,5 %) des sujets du groupe contrôle sont décédés. Cette différence de mortalité totale n’est pas significative (risque relatif est le quotient de deux risques (absolus), le risque dans le groupe exposé ou intervention et le risque dans le groupe contrôle. Dans une étude d’intervention, le risque relatif est une estimation de la probabilité que le résultat (par exemple survenue d’un décès) dans le groupe intervention soit autant de fois supérieur (RR > 1) ou inférieur (RR < 1) à celui observé dans le groupe contrôle. Le risque relatif n’a pas d’unité de mesure.">RR: 1,21 ; IC à 95%: 0,95 à 1,40). Cette différence n’est pas davantage significative avec une stratification selon le diamètre ou l’âge du patient. Il n’y a également pas de différence de mortalité attribuée à l’AAA entre le groupe intervention (17 décès, soit 3 %) et le groupe contrôle (15 décès, soit 2,6 %). Le risque de rupture était plus élevé dans le groupe contrôle (1,9 % pour 0,4 % dans le groupe intervention).
Le risque de rupture est de 0,6 % par an dans le groupe contrôle. La mortalité opératoire (à 30 jours) est de 2,7 % dans le groupe intervention et de 2,1 % dans le groupe contrôle. Le nombre d’hospitalisations est de 39 % inférieur dans le groupe contrôle.
Dans l’étude anglaise, d’un suivi moyen de 8 ans, 7,1 % des sujets du groupe intervention et 8,3 % de ceux du groupe contrôle sont décédés pour 100 cohorte avec une période de suivi de longue durée, il est possible que toutes les personnes ne soient pas observées aussi longtemps dans l’étude. Pour tenir compte des périodes d’observation variables, on fait usage d’années-patient ou d’années-personne pour le calcul des chiffres d’incidence. Le nombre d’années-patients ou d’années-personne est la somme des durées d’observation (participation à l’étude) de toutes les participations individuelles.">années-patients. Cette différence n’est pas significative (rapport de hasards désigne le risque relatif de survenue d’un résultat dans une analyse réalisée à l’aide du modèle de régression de Cox. Il s’agit d’un risque relatif « instantané » tenant compte de la durée de présence dans l’étude.">HR: 0,83 ; IC à 95 %: 0,69 à 1,00 ; p = 0,05) même après stratification selon l’âge, le sexe ou le diamètre initial de l’AAA. Au début de l’étude, une mortalité plus élevée est observée dans le groupe intervention. Après 3 ans, les courbes de survie se croisent. À 8 ans, la mortalité dans le groupe intervention est de 7,2 % inférieure à celle du groupe contrôle (p = 0,03). La mortalité opératoire (à 30 jours) est de 5,5 % dans le groupe intervention et de 7,2 % dans le groupe contrôle (p = 0,30).
Une rupture de l’AAA est la cause du décès de 5 % des hommes et de 14 % des femmes (p = 0,001). Le pourcentage d’arrêt du tabagisme est plus élevé dans le groupe intervention comparé au groupe contrôle (cote (Eng : odds) représente un rapport de risque, le rapport entre la probabilité de survenue d’une maladie ou d’un évènement et la probabilité de non survenue de cette maladie ou de cet évènement. Un rapport de cotes est un rapport entre 2 cotes.">OR: 12,8 %; IC à 95 %: 4,20 à 38,90 ; p < 0,001).
Les auteurs des deux études concluent que la chirurgie réparatrice pour un AAA d’un diamètre inférieur à 5,5 cm n’améliore pas la survie. À cette première observation, les auteurs de l’étude anglaise ajoutent que, après 8 ans, la mortalité totale est significativement moindre dans le groupe intervention. Ce fait pourrait être lié à un arrêt du tabagisme plus important dans le groupe intervention.
Discussion
Le danger de l’anévrysme de l’aorte abdominale (AAA) est sa rupture, avec un taux de mortalité très élevé lié au saignement massif avec choc hypovolémique subséquent et hypoxie vasculaire. Une chirurgie réparatrice sélective d’un AAA n’est cependant pas sans risque, la mortalité opératoire étant de 2,7 à 5,5 %.
En tant que médecin généraliste, nous nous interrogeons sur le seuil de décision d’une chirurgie réparatrice sélective. La réponse à cette question n’est pas univoque selon l’opinion des auteurs de ces articles, particulièrement pour un AAA entre 4 et 6 cm de diamètre. Dans ces études, le seuil est placé à 5,5 cm ou déterminé par l’augmentation de 7 mm en 6 mois ou 1 cm sur un an, ou par la survenue de plaintes attribuées à l’AAA. Les raisons du choix de ce seuil ne sont pas précisées dans l’article. L’étude apporte cependant une réponse partielle : les patients présentant une croissance lente de l’AAA ne tirent aucun bénéfice d’une chirurgie réparatrice sélective précoce.
L’observation porte sur des groupes importants et un suivi de 4,9 et 8 ans. N’oublions pas que les patients sont âgés en moyenne de 68 à 69 ans lors de l’inclusion, et qu’une co-morbidité conséquente est présente. Cette co-morbidité élevée est la raison principale de la mortalité élevée, particulièrement dans l’étude américaine : 25,1 % dans le groupe intervention et 21,5 % dans le groupe contrôle après 4,9 ans. Cette mortalité n’est que partiellement provoquée par l’AAA: 17 (12 %) des 143 décès survenus chez des sujets ayant subit l’intervention et 15 (12 %) des 122 décès survenus dans le groupe contrôle sont attribués à l’AAA, autrement dit 88 % des décès ont une autre cause.
Le risque (relativement) bas de rupture de l’AAA, de 0,6 % par an, a une faible influence sur la mortalité totale. Une diminution de la mortalité opératoire à également un effet minime sur la survie.
L’étude américaine analyse une population d’anciens combattants, ce qui représente un avantage du point de vue de la qualité du suivi de ce groupe, mais, comme désavantage, une sous-représentation des femmes. Ceci ne permet pas de généraliser d’office les conclusions, d’autant que les femmes ont un risque plus élevé que les hommes de rupture de l’AAA. Ceci est confirmé dans l’étude anglaise : rupture chez 5 % des hommes et chez 14 % des femmes. Il est important de noter que l’attitude d’attente diminue les hospitalisations de 39 % et permet donc une réduction des coûts.
Soulignons aussi que le bénéfice, à la limite de la non signification, observé dans le groupe intervention de l’étude anglaise est attribué à l’arrêt du tabagisme. Depuis 1998, dans l’étude anglaise, une partie des interventions chirurgicales est faite par voie laparoscopique. Aucune modification des résultats ne s’ensuit. L’évolution d’une modification de la survie liée à ce mode d’intervention ne peut être actuellement démontrée par la présente recherche.
De ces études, nous pouvons conclure que le seuil de décision d’une réparation rapide est de 5,5 cm au moins, mais sans autre précision possible. Il semble logique de penser que le risque de rupture augmente avec le diamètre. Dans un groupe de patients avec AAA de 6,0 à 6,9 cm qui ne pouvaient être opérés au vu de contre-indications médicales (principalement de pathologies cardiaques et pulmonaires), l’incidence annuelle de rupture était de 10,2 % et même de 32 % au delà de 7,0 cm 1 . Une co-morbidité très élevée était enregistrée dans ce groupe. Une recherche complémentaire avec un seuil de 6 cm est nécessaire… si l’on trouve encore des patients pour la réaliser et si les comités d’éthique l’autorisent.
Conflit d’intérêt/financement
L’étude américaine de Lederle et coll a été financée par le “department of Veterans Affairs Office of Research and Development” (U.S.). Aucun conflit d’intérêt n’est mentionné. L’étude anglaise a été financée par le “Medical Research Council”, la “British Heart Foundation” et la “BUPA Foundation”. Aucun conflit d’intérêt n’est mentionné.
Conclusion
Chez les hommes présentant un AAA avec une croissance inférieure à 7 mm en 6 mois ou 1 cm sur un an, sans plaintes liées, une attitude de surveillance échographique tous les 6 mois est justifiée. Une chirurgie réparatrice immédiate n’entraîne pas de réduction de la mortalité. Ces conclusions ne sont pas automatiquement transposables aux femmes dont le risque de rupture est plus élevé.
Références
- Lederle FA, Johnsons GR,Wilson SE, et al. Rupture rate of large abdominal aortic aneurysms in patients refusing or unfit for elective repair. JAMA 2002;287:2968-72.
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