Revue d'Evidence-Based Medicine
Les D-dimères pour déterminer le risque de récidive d'une thrombo-embolie veineuse
Minerva 2005 Volume 4 Numéro 4 Page 56 - 58
Professions de santé
Résumé
Contexte
La durée optimale d’administration d’un anticoagulant chez un patient ayant présenté un premier épisode de thromboembolie veineuse n’est pas bien définie. Il convient d’évaluer la différence de risque entre une hémorragie sous anticoagulant et une récidive de thrombo-embolie veineuse (TEV) en cas d’arrêt du traitement. Les D-dimères sont un indicateur global d’une activation de la coagulation et de la fibrinolyse. Il paraît donc logique de vouloir les utiliser comme élément objectivable du risque de récidive d’une TEV.
Population étudiée
Cette étude inclut 610 patients, âgés de plus de 18 ans, traités par anticoagulants oraux pendant au moins 3 mois suite à un premier épisode de TEV. Les critères d’exclusion sont: antécédent de plus d’un épisode de TEV, chirurgie, traumatisme, grossesse endéans les 3 mois précédant la TEV, déficience en un anticoagulant naturel (protéine C ou S), présence de l’anticoagulant lupique, cancer et traitement anticoagulant de longue durée.
Protocole d’étude
Etude de cohorte prospective dans un hôpital de Vienne entre juillet 1992 et octobre 2002. Les patients sont inclus dans l’étude dès l’arrêt de l’anticoagulation orale. Leur taux de D-dimères est mesuré 3 semaines après l’arrêt de la médication par un test ELISA. Les patients sont suivis tous les 3 mois durant la première année puis tous les 6 mois les années suivantes.
Mesure des résultats
Le critère de jugement primaire est la récurrence d’une thrombo-embolie veineuse profonde symptomatique ou d’une embolie pulmonaire symptomatique, confirmée par phlébographie, écho Doppler, scintigraphie de ventilationperfusion et/ou CT-Scan spiralé.
Résultats
Des 610 patients enrôlés, 175 patients sont exclus pendant l’étude en raison d’un diagnostic d’un cancer, d’une grossesse, d’une nécessité de prise d’anticoagulant pour un épisode autre qu’une TEV ou simplement parce que perdus de vue (n=37). La durée moyenne de suivi des sujets restant inclus est de 38 mois. Durant le suivi, 54 patients ont présenté une thrombose veineuse profonde et 25 une embolie pulmonaire. Au début de la période de suivi, ces 79 patients (13% de la population étudiée) présentaient un taux de D-dimères significativement supérieur à celui des autres patients (553 vs 447 ng/ml, p = 0,01). Les résultats sont analysés par sous-groupes définis de façon arbitraire en fonction du taux de D-dimères (voir tableau). La probabilité cumulée du risque de récidive à 2 ans est de 3,7% (IC à 95% de 0,9 à 6,5) pour les patients présentant un taux de D-dimères <250 ng/ml comparée à 11,5% (IC à 95% de 8,0 à 15,0%) pour les patients présentant un taux de D-dimères >250 ng/ml (p = 0,001).
Tableau: Risque relatif de récidive d’une thrombo-embolie suivant les différentes valeurs de D-dimères à l’inclusion dans l’étude.
D-dimères |
<249 ng/ml |
250 – 499 ng/ml |
500 – 749 ng/ml |
>750 ng/ml |
Nombre de patients |
209 |
254 |
77 |
70 |
Nombre de récidives |
16 |
39 |
11 |
13 |
RR (IC à 95%) |
0,3 (0,1 – 0,6) |
0,6 (0,3 – 1,2) |
0,6 (0,3 – 1,4) |
1,0 |
Conclusion des auteurs
Les patients de plus de 18 ans présentant un premier épisode spontané de thrombo-embolie veineuse (TEV: thrombose veineuse profonde ou embolie pulmonaire) et un taux de D-dimères <250 ng/ml à l’arrêt d’un traitement anticoagulant d’une durée d’au moins 3 mois, ont un risque faible de récidive de TEV.
Financement
Jubiläumsfonds de l’Oesterreichische Nationalbank.
Conflits d’intérêt
Non mentionnés.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
Le risque de récidive d’une TEV est estimé à 5 à 10% 1,2. Identifier les patients à risque plus élevé au moyen d’un marqueur biologique objectivable permettant d’orienter le médecin est pertinent pour la pratique. L’étude, conduite uniquement en hôpital, est bien construite: critères d’inclusion et d’exclusion bien définis, intervention réaliste, critère de jugement primaire correctement défini.Un manque de précision dans la présentation des résultats peut cependant être reproché aux auteurs: la probabilité cumulée du risque de récidive dans le temps est présentée sous forme de graphique relativement illisible et les résultats audelà de 2 ans de suivi ne sont pas explicitement décrits. Par ailleurs, les sous-groupes ne sont pas comparables: les patients présentant un taux de D-dimères < 250 ng/ml sont significativement plus jeunes et ils ont significativement moins de facteurs de risque thrombotique, à savoir un taux élevé du facteur V de Leiden ou du facteur VIII. Les auteurs ont cependant pris ces facteurs en compte dans leur analyse.
Quelques manques d’informations sont à relever: nous ne retrouvons aucune mention des autres médications ou de la mobilité des patients. Enfin, les auteurs auraient pu présenter leurs résultats sous la forme d’un nombre de sujets à observer (Number Needed to Observe, NNO) 3. Contrairement à l’attente suscitée par l’introduction de la publication, cette étude n’évalue pas la durée optimale d’un traitement anticoagulant après un premier épisode de thrombo-embolie veineuse spontanée. Nous ne pouvons donc pas, sur base de cette étude, déterminer le poids relatif d’un risque d’une récidive de thrombo-embolie veineuse après un arrêt du traitement anticoagulant et de celui d’un saignement consécutif à ce traitement 4.
Comparaison avec d’autres études
Plusieurs études ont tenté d’analyser la pertinence d’un dépistage systématique des facteurs de coagulation parmi les patients présentant un premier épisode de thrombose veineuse profonde ou d’embolie pulmonaire, dans le but de déterminer le risque de récidive de TEV dans les deux ans après l’arrêt du traitement anticoagulant. Toutes arrivent à la même conclusion: il n’y a pas de raison objective de recourir à un dépistage systématique dans cette population 1. Cependant, aucune de ces études ne recourait aux valeurs de D-dimères, ce qui peut paraître étonnant dans la mesure où ceux-ci sont un indicateur global d’une activation de la coagulation et de la fibrinolyse.
Une autre étude 2 a montré, dans une population comparable à l’étude de Eichinger, que le risque de récidive de TEV est nettement supérieur pour les hommes que pour les femmes (RR: 3,6; IC à 95% de 2,3 à 5,5; p<0,001). A 5 ans, la probabilité cumulée du risque est de 30,7% pour les hommes contre 8,5% pour les femmes (p<0.001). Toutefois, les groupes n’étaient pas comparables, les hommes étant significativement plus âgés que les femmes (p<0,001). De plus, cette étude n’a pas dosé les D-dimères.
Conclusion
Cette étude montre que, chez des patients âgés de plus de 18 ans, qui présentent un premier épisode de thrombo-embolie veineuse spontanée et traités pour cette raison par anticoagulant durant trois mois, des valeurs de D-dimères < 250 ng/ml (mesurées par test ELISA trois semaines après l’arrêt du traitement anticoagulant) permettent de prédire un risque faible de récidive. Avant de pouvoir recommander le dosage systématique des D-dimères chez ce type de patients, il reste à évaluer l’efficacité clinique d’une telle stratégie.
Références
- Baglin T, Luddington R, Brown K, et al. Incidence of recurrent venous thromboembolism in relation to clinical and thrombophilic risk factors: prospective cohort study. Lancet 2003;362:523-6.
- Kyrle P A, Minar E, Bialonczyk C, et al. The risk of recurrent thromboembolism in men and women. N Engl J Med 2004;350:2558-63.
- Monaco J, Newton W. Elevated D-dimer level predicts recurrent VTE. J Fam Pract 2004;53:20-3.
- Lannoy J. L'efficacité de la warfarine en prévention d'une récidive de thrombose veineuse profonde. MinervaF 2005;4(4):61-3.
Auteurs
De Jonghe M.
médecin généraliste, Centre Académique de Médecine Générale, UCLouvain
COI :
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