Revue d'Evidence-Based Medicine



L'efficacité de la warfarine en prévention d'une récidive de thrombose veineuse profonde



Minerva 2005 Volume 4 Numéro 4 Page 61 - 63

Professions de santé


Analyse de
1. Ridker PM, Goldhaber SZ, Danielson E et al, for the PREVENT Investigators. Long-term, low-intensity warfarin therapy for the prevention of recurrent venous thromboembolism. N Engl J Med 2003;348:1425-34. 2. Kearon C, Ginsberg JS, Kovacs MJ et al, for the ELATE Investigators. Comparison of low-intensity warfarin therapy with conventional warfarin therapy for long-term prevention of recurrent venous thromboembolism. N Engl J Med 2003;349:631-9.


Question clinique
Un traitement prolongé à la warfarine en intensité faible (INR 1,5 à 2) constitue-t-il une méthode sûre et efficace pour réduire le risque de récidive chez des patients ayant présenté une thrombo-embolie veineuse idiopathique?


Conclusion
L’étude PREVENT montre qu’un traitement avec de la warfarine à faible intensité d’anticoagulation (INR cible entre 1,5 et 2,0),durant deux ans, est efficace dans la prévention d’une récidive thrombo-embolique chez des patients traités depuis au moins trois mois pour une thrombose veineuse profonde idiopathique. L’étude ELATE conclut que pour une population semblable (présentant probablement un risque a priori plus élevé) un traitement conventionnel (INR cible entre 2,0 et 3,0) est plus efficace que l’administration de warfarine à faible intensité. Une thérapie à faible intensité de warfarine ne réduit pas les risques d’hémorragies majeures. Ces études ne donnent pas de réponse quant à la durée idéale du traitement préventif après une thrombose veineuse profonde idiopathique, mais un traitement préventif d’un (minimum) de deux ans semble judicieux.


 

Résumé

Contexte

Le traitement de référence de la thrombo-embolie veineuse (TEV) consiste en l’administration de warfarine durant trois à douze mois, à une dose titrée permettant d’atteindre un INR situé entre 2 et 3. La prolongation de cette thérapie permet de réduire le nombre de récidives, au prix cependant d’un accroissement important du risque de saignements majeurs.L’efficacité clinique et la sécurité d’un traitement prolongé avec une faible dose de warfarine (INR cible entre 1,5 et 2) sont étudiées dans l’étude PREVENT en comparaison avec un placebo et dans l’étude ELATE en comparaison avec un traitement conventionnel à la warfarine (INR cible entre 2 et 3).

Population étudiée

Les études ont inclus des patients qui reçoivent déjà un traitement conventionnel de warfarine depuis trois mois, pour une thrombo-embolie veineuse idiopatique documentée et sans facteur de risque de TEV. Les autres critères d’exclusion étaient: saignements gastro-intestinaux, AVC hémorragique, espérance de vie limitée, traitement avec des antiagrégants ou des anticoagulants, anticorps anticoagulants lupiques et antiphospholipides. Le tableau 1 mentionne les principales caractéristiques de base des études PREVENT et ELATE.

Tableau 1: Caractéristiques de base des populations étudiées dans l’étude PREVENT et ELATE.

 

PREVENT (n=508)

ELATE (n=738)

âge

53 (46-65)* ans

57±16 ans# (35% >65 ans)

pourcentage de femmes

47%

45%

BMI

30 (26,5-34)*

 

>2 épisodes de TEV

37 à 40%

69%

durée de traitement à la warfarine (INR 2 à 3) avant inclusion

6,4 (5,7-9,0)* et 6,7

(5,9 - 10,8)* mois

12,2 mois

 *: médiane (valeurs interquartiles); #: moyenne (déviation standard);TEV: thrombo-embolie veineuse

 

Protocole d’étude

Les patients de l’étude PREVENT sont répartis en un groupe intervention (n=255) qui reçoit la warfarine à une intensité faible d’anticoagulation (INR cible de 1,5 à 2,0) et un groupe placebo (n=235). Les patients de l’étude ELATE sont répartis en un groupe (n=369) qui reçoit de la warfarine à une intensité faible d’anticoagulation et un autre groupe (n=369) qui reçoit un traitement conventionnel de warfarine (INR cible entre 2 et 3).Les valeurs d’INR sont suivies en double aveugle et les doses adaptées pour obtenir une faible intensité ou une intensité conventionnelle d’anticoagulation.

Mesure des résultats

Le critère de jugement primaire, pour chacune des études, est la récidive de thrombose veineuse profonde ou une embolie pulmonaire, confirmée(s) par un examen diagnostic objectif.Le nombre de saignements majeurs, définis comme saignement ayant nécessité une hospitalisation ou une transfusion sanguine, le nombre de saignements mineurs et la mortalité totale sont également évalués. L’analyse est faite en intention de traiter.

Résultats

La durée du suivi est de 2,1 ans dans l’étude PREVENT et de 2,4 ans dans l’étude ELATE. Dans l’étude PREVENT, l’INR médian est de 1,0 (valeurs interquartiles 1,0-1,1) pour le groupe placebo et de 1,7 (valeurs interquartiles 1,4-2,0) pour le groupe intervention. Dans l’étude ELATE, l’INR moyen varie de 1,8 pour le bras à intensité faible de warfarine à 2,4 pour le bras à dose conventionnelle de warfarine.

Dans l’étude PREVENT, 56 patients quittent prématurément le groupe placebo et 64 patients le groupe d’intervention. Dans l’étude ELATE,84 patients quittent prématurément le bras à intensité faible de warfarine et 56 patients le bras à dose conventionnelle de warfarine. Le tableau 2 montre les résultats principaux de l’étude PREVENT et le tableau 3 ceux de l’étude ELATE.

 

Tableau 2: Résultats de l’étude PREVENT.

 

bras placebo*

bras warfarine*

rapport de hasard (IC à 95%)

Valeur p

récidive TEV

7,2

2,6

0,36 (0,19 - 0,67)

<0,001

saignement majeur

0,4

0,9

2,53 (0,49 - 13,03)

0,25

saignement mineur

6,7

12,8

1,92 (1,26 - 2,93)

0,002

décès

1,4

0,7

0,50 (0,15 - 1,68)

0,26

 *nombre de cas pour 100 années patients

 

Tableau 3: Résultats de l’étude ELATE.

 

bras à faible intensité

de warfarine*

bras à intensité

conventionnelle de

warfarine*

rapport de hasard

(IC à 95%)

valeur p

récidive TEV

1,9

0,7

2,8 (1,1 - 7,0)

0,03

saignements majeurs

1,1

0,9

1,2 (0,4 - 3,0)

0,76

tous saignements

4,9

3,7

1,3 (0,8 - 2,1)

0,26

décès

1,9

0,9

2,1 (0,9 - 4,8)

0,09

*nombre de cas pour 100 années patients

 

Conclusions des auteurs

Les auteurs de l’étude PREVENT concluent qu’un traitement de longue durée avec une intensité faible de warfarine (INR entre 1,5 et 2) est efficace en prévention d’une récidive de thrombo-embolie veineuse. Les auteurs de l’étude ELATE concluent qu’un traitement conventionnel à la warfarine (INR entre 2 et 3) est plus efficace qu’une thérapie à faible intensité de warfarine (INR entre 1,5 et 2) pour la prévention à long terme d’une récidive de thrombo-embolie veineuse et que le traitement à faible dose de warfarine ne réduit pas le nombre de saignements majeurs.

Financement

L’étude PREVENT a été financée par le National Heart, Lung and Blood Institute (E.U.).La médication pour l’étude et les placebo ont été mis à disposition gratuitement par la firme Bristol-Myers Squibb. L’étude ELATE a été financée par le Canadian Institutes of Health Research. Les auteurs ont reçu des fonds de la Heart and Stroke Foundation of Canada and Ontario, de l’Université de Western Ontario, de la Dalhousie University et du Fonds de la Recherche en Santé du Québec.

Conflits d’intérêt

Le premier auteur de l’étude PREVENT a reçu des bourses de Bristol-Myers Squibb, AstraZeneca et Roche Diagnostics.Les autres auteurs ont reçu un soutien financier d’Aventis, Pharmacia, AstraZeneca et/ou Bristol-Myers Squibb. Des conflits d’intérêt ne sont pas mentionnés dans l’étude ELATE.

 

Discussion

Etudes comparables, populations comparables?

Ces deux RCTs traitent d’un même sujet, ont des méthodologies et des populations comparables, et incluent chacune un grand groupe de patients (508 et 738) suivis durant deux ans. Les critères d’inclusion et d’exclusion sont bien décrits dans les deux groupes et parallèles, de sorte qu’une comparaison est possible entre les deux études. Elles tentent de fournir une réponse à une question pertinente pour le généraliste quant à l’efficacité et l’intensité des traitements anticoagulants après une thrombo-embolie veineuse.

Les populations étudiées diffèrent néanmoins quelque peu. Dans l’étude ELATE, davantage de patients avaient présenté deux ou plus de TEV (environ 70% versus 40% dans l’étude PREVENT). La durée du traitement aux anticoagulants avant l’inclusion dans l’étude était également plus longue dans la première étude (médiane de 12,5 mois pour 6,5 mois dans l’étude PREVENT). Le risque de récidive, à l’inclusion, est donc probablement différent dans l’étude ELATE. Nous ne pouvons cependant pas le vérifier en raison de l’absence d’un groupe placebo dans cette étude. Un traitement anticoagulant conventionnel aurait davantage d’effet sur une population à risque a priori élevé. Un traitement à faible intensité (INR de 1,5 à 2) serait alors plus intéressant pour des patients à plus faible risque a priori de récidive de TEV. Dans l’étude ELATE, les TEV sont plus fréquentes dans le groupe traité avec une faible intensité de warfarine, pour les personnes qui ont déjà présenté deux TEV ou plus. Ceci n’était pas le cas dans le groupe traité par traitement anticoagulant conventionnel.

La durée optimale d’un traitement anticoagulant chez les patients ayant présenté une thrombose idiopathique reste controversée. Ce type de patient présente, après trois mois de traitement, un risque de récidive de 10 à 27% dans l’année qui suit l’arrêt du traitement. Après six mois de traitement, ce risque de récidive chute à 10 % par an 1.

Risque hémorragique

Il est étonnant, dans l’étude ELATE, que le nombre de saignements majeurs dans le bras à faible intensité d’anticoagulants ne soit pas plus faible que celui du groupe traitement conventionnel (intensité élevée). Dans cette étude, le groupe faible intensité atteint l’objectif d’INR (1,5 à 1,9) durant 63% de la période d’étude, avec des valeurs inférieures durant 18% et supérieures durant 19% du temps.

Le groupe de traitement conventionnel obtient un INR entre 2,0 et 3,0 durant 69% du temps avec des valeurs supérieures durant 11% de la période d’étude. Il est étonnant que sur 17 cas de saignements majeurs, 9 surviennent dans le groupe faible intensité. Pour ces patients, dans les 7 valeurs d’INR connues lors de l’incident, seules deux sont inférieures à 2, les autres valeurs INR étant bien plus élevées. Ceci suggère une relation entre le la hauteur des valeurs d’INR et la survenue des saignements majeurs. Une première conclusion s’impose: la sécurité de ce traitement préventif est dépendante des valeurs d’INR et donc d’un monitoring strict de celles-ci. Dans ces deux études, la valeur d’INR est déterminée tous les 60 jours (étude PREVENT) et tous les 24 à 26 jours (étude ELATE). Il est cependant habituellement recommandé de déterminer l’INR deux fois par semaine durant les deux premières semaines et ceci jusqu’à l’obtention de la valeur cible, ainsi qu’à l’occasion des modifications de doses.Un contrôle hebdomadaire est ensuite conseillé jusqu’à l’obtention de valeurs stables, puis tous les quatorze jours 1.

Une deuxième donnée importante fournie par l’étude ELATE est l’augmentation des saignements majeurs avec l’âge (HR=2,6 au-dessus de 65 ans). Ce risque s’accroît avec le nombre de facteurs de risque à l’anamnèse (AVC, ulcère peptique, hémorragie gastro-intestinale, insuffisance rénale, anémie, thrombocytopénie, maladie du foie, diabète). La poursuite d’un traitement continuera à abaisser le risque de récidive, mais au prix d’un risque hémorragique.

Un traitement anticoagulant de longue durée peut être envisagé chez des patients présentant un risque hémorragique inférieur à 5 % 1.

Warfarine versus autres anticoagulants?

De précédentes études ont montré que l’usage prolongé d’héparines à bas poids moléculaire (HBPM) est aussi efficace en prévention de récidive de TEV avec, cependant, un risque d’hémorragie sévère plus faible 2,3. Compte tenu des complications lors de l’utilisation de la warfarine et des coûts qui en découlent, le recours aux HBPM semble constituer un rapport coût/bénéfice plus avantageux. Ceci à condition que le patient s’administre lui-même le traitement. Il nous semble opportun, en tant que généralistes, de nous interroger sur la disposition de nos patients à supporter le désagrément de l’injection sous-cutanée et des hématomes qu’elle engendre et à poursuivre ce traitement durant de longues périodes (voire à vie).Le choix entre un traitement de longue durée à la warfarine (per os et sous contrôle des valeurs d’INR) versus sous-cutané par HBPM se fera après concertation avec un patient disposant de toutes les informations requises.

 

Conclusions

L’étude PREVENT montre qu’un traitement avec de la warfarine à faible intensité d’anticoagulation (INR cible entre 1,5 et 2,0),durant deux ans, est efficace dans la prévention d’une récidive thrombo-embolique chez des patients traités depuis au moins trois mois pour une thrombose veineuse profonde idiopathique. L’étude ELATE conclut que pour une population semblable (présentant probablement un risque a priori plus élevé) un traitement conventionnel (INR cible entre 2,0 et 3,0) est plus efficace que l’administration de warfarine à faible intensité. Une thérapie à faible intensité de warfarine ne réduit pas les risques d’hémorragies majeures. Ces études ne donnent pas de réponse quant à la durée idéale du traitement préventif après une thrombose veineuse profonde idiopathique, mais un traitement préventif d’un (minimum) de deux ans semble judicieux.

 

Références

  1. Bates SM, Ginsber JS. Clinical Practice. Treatment of deepvein thrombosis. N Engl J Med 2004;351:268-77.
  2. Lannoy J. Tromboprofylaxe bij niet-chirurgische patiënten. Huisarts Nu (Minerva) 2001;30(5):222-6.
  3. van der Heijden JF, Hutten BA, Buller HR, Prins MH. Vitamin K antagonists or low-molecular-weight heparin for the long term treatment of symptomatic venous thromboembolism. (Cochrane Review) In: The Cochrane Library Issue 4, 2004.
 
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