Analyse


Personnes âgées avec multimorbidité: diminuer les médicaments


15 04 2015

Professions de santé

Analyse de
van der Cammen TJ, Rajkumar C, Onder G et al. Drug cessation in complex older adults: time for action. Age Ageing 2014;43:20-5.


Conclusion
Cette revue de la littérature, présentée sous forme narrative, relève sur la base des conclusions des études sélectionnées, que, chez les personnes âgées, l’arrêt des médicaments avec effet anticholinergique et des psychotropes diminue le risque de chute et est favorable pour les capacités cognitives. L’intérêt de la diminution ou de l’arrêt de médicaments en fin de vie a été peu évalué et une conclusion fondée est difficile à émettre.


Personnes âgées avec multimorbidité: diminuer les médicaments

Nous avons déjà mentionné dans la revue Minerva (1) l’intérêt de différentes interventions multidimensionnelles, incluant entre autres la suppression de médicaments psychotropes pour la prévention des chutes chez les personnes âgées. Cette réflexion peut être élargie. Les avis sont en effet de plus en plus nombreux concernant la nécessité d’arrêter certains médicaments chez les personnes âgées présentant plusieurs affections (multimorbidité) et recevant donc plusieurs traitements médicamenteux.

Une recherche dans la littérature dans ce domaine a été publiée en 2013 (2). Les critères de sélection ne sont pas décrits clairement et si 2 auteurs ont participé à la sélection, il n’est pas mentionné qu’ils ont travaillé de manière indépendante. Les auteurs ont rassemblé sous une forme narrative les différentes conclusions des 5 articles sélectionnés, RCT ou méta-analyses. Ils relèvent ainsi que certaines situations imposent un principe d’arrêt de médicaments chez les personnes âgées : les chutes, la survenue d’un délire ou de troubles cognitifs et la fin de vie.

Les chutes chez les personnes âgées sont fréquentes : environ 30% des personnes âgées de plus de 65 ans non institutionnalisées chutent au moins une fois par an. Pour les personnes âgées institutionnalisées, ce chiffre atteint presque les 50% (3). La cause de ces chutes est généralement multifactorielle, l’usage de médicaments (une polypharmacie très fréquemment) étant le facteur de risque responsable ou aggravant. Une méta-analyse publiée déjà en 2009 (3) montrait que les psychotropes (sédatifs, antipsychotiques, antidépresseurs et benzodiazépines) augmentaient le risque de chutes chez les personnes âgées de manière significative. Une autre étude publiée en 2011 (4) concernant des personnes âgées résidant en maison de repos et de soins, a utilisé le Drug Burden Index (DBI) (5), test validé pour évaluer le recours à des médicaments anticholinergiques et sédatifs ; elle montrait un lien indépendant entre ce DBI et le risque de chutes chez des personnes âgées. Une synthèse de la Cochrane Collaboration publiée en 2012 (6) montrait que l’arrêt de psychotropes réduisait le risque de chutes exprimé en fréquence de chutes par personne par année, mais sans réduire le nombre de personnes chutant une ou plusieurs fois.

La polypharmacie en elle-même, mais aussi des modifications en pharmacocinétique et pharmacodynamique et également les comorbités ajoutées, pourraient avoir un rôle favorisant et synergique dans la survenue d’un délire chez les personnes âgées. Les médicaments avec un effet anticholinergique ont par exemple une responsabilité importante dans ce domaine déjà connue depuis 1998 (7). L’échelle de risque anticholinergique (dénommée ARS) publiée en 2008 classe les médicaments suivant leur pouvoir dans ce domaine et peut être utilisée pour établir un risque lors d’une prescription chez une personne âgée (8). Une synthèse méthodique de la littérature publiée en 2012 (9) montrait que le recours à des antihistaminiques de la première génération, à des antidépresseurs tricycliques et à des benzodiazépines pouvait provoquer une altération cognitive. Probablement en raison de l’origine multifactorielle d’un délire, aucune étude n’existe concernant l’efficacité d’un arrêt médicamenteux en cas de délire. Une autre synthèse méthodique également publiée en 2008 (10) montrait, entre autres, que l’arrêt de l’administration de psychotropes améliorait les fonctions cognitives. Dans une étude de cohorte prospective publiée en 2010 (11) les auteurs évaluaient, à l’aide d’un algorithme, la faisabilité d’une approche systématique d’arrêt médicamenteux sans intérêt vital immédiat chez la personne âgée non institutionnalisée. 311 médications chez 64 patients ont été définies comme pouvant être stoppées. Seules 2% des médications auront dû être réintroduites, alors que 81% ont pu réellement être arrêtées, voire modifiées (posologie diminuée ou changement de molécule), les patients exprimant un mieux-être global de la santé pour 88% d’entre eux. Les preuves dans ce domaine restent cependant fort faibles.

Chez des personnes âgées présentant une espérance de vie limitée, l’intérêt de médicaments prolongeant la vie sans améliorer la qualité de vie ou à visée préventive est probablement à considérer comme négligeable. L’arrêt de tels médicaments en fin de vie n’est cependant pas une pratique courante. Nous ne disposons pas de recommandations concernant les médicaments pour soigner des affections aiguës ou chroniques chez de tels patients. Le principe d’une « oligopharmacie » plutôt que d’une « polypharmacie » en fin de vie a été suggéré (12) afin de prévenir les effets indésirables sévères liés aux médicaments. En tenant compte de principes éthiques et, pour autant que possible, sur base de preuves, une synthèse de la littérature publiée en 2012 (13) s’était penchée sur la problématique du recours médicamenteux chez les personnes âgées en général et en particulier en fin de vie, à la recherche de dispositions pratiques possibles. Elle avait conclu à la quasi inexistence d’étude de bonne qualité concernant la diminution ou l’arrêt d’un traitement pharmacologique en fin de vie.

Conclusion

Cette revue de la littérature, présentée sous forme narrative, relève sur la base des conclusions des études sélectionnées, que, chez les personnes âgées, l’arrêt des médicaments avec effet anticholinergique et des psychotropes diminue le risque de chute et est favorable pour les capacités cognitives. L’intérêt de la diminution ou de l’arrêt de médicaments en fin de vie a été peu évalué et une conclusion fondée est difficile à émettre.

 

Références

  1. Chevalier P. Préhabilitation et prévention des chutes pour les personnes âgées vulnérables. MinervaF 2003;2(5);77-80.
  2. van der Cammen TJ, Rajkumar C, Onder G et al. Drug cessation in complex older adults: time for action. Age Ageing 2014;43:20-5
  3. Woolcott JC, Richardson KJ, Wiens MO, et al. Meta-analysis of the impact of 9 medication classes on falls in elderly persons. Arch Intern Med 2009;169:1952-60.
  4. Wilson NM, Hilmer SN, March LM, et al. Associations between drug burden index and falls in older people in residential aged care. J Am Geriatr Soc 2011;59:875-80.
  5. Hilmer SN, Mager DE, Simonsick EM, et al. A drug burden index to define the functional burden of medications in older people. Arch Intern Med 2007;167:781-7.
  6. Gillespie LD, Robertson MC, Gillespie WJ, et al. Interventions for preventing falls in older people in the community. Cochrane Database Syst Rev 2012; Issue 9.
  7. Flacker JM, Cummings V, Mach JR Jr, et al. The association of serum anticholinergic activity with delirium in elderly medical patients. Am J GeriatrPsychiatry1998;6:31-41.
  8. Rudolph JL, Skalow MJ, Angelini MC, et al. The anticholinergic risk scale and anticholinergic effects in older persons. Arch Intern Med 2008;168:508-13.
  9. Tannenbaum C, Paquette A, Hilmer S, et al. A systematic review of amnesic and non-amnesic mild cognitive impairment induced by anticholinergic, anthistamine, GABAergic and opioid drugs. Drugs Ageing 2012;29:639-58.
  10. Iyer S, Naganathan V, Mc Lachlan AJ, Le Couteur DG. Medication withdrawal trials in people aged 65 years and older: a systematic review. Drugs Aging 2008;25:1021-31.
  11. Garfinkel D, Mangin D. Feasibility study of a systematic approach for discontinuation of multiple medications in older adults: addressing polypharmacy. Arch Intern Med 2010;170:1648-54.
  12. O’Mahony D, O’Connor MN. Pharmacotherapy at the end-of-life. Age Ageing 2011;40:419-22.
  13. Hilmer SN, Gnjidic D, Le Couteur DG. Thinking through the medication list – appropriate prescibing and deprescribing in robust and frail older patients. Aust Fam Physician 2012;41:924-8.

 

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