Revue d'Evidence-Based Medicine



Plus-value d'une intervention d'auto-assistance informatisée pour traiter la dépression chez l'adolescent



Minerva 2012 Volume 11 Numéro 10 Page 121 - 122

Professions de santé


Analyse de
Merry SN, Stasiak K, Shepherd M, et al. The effectiveness of SPARX, a computerised self help intervention for adolescents seeking help for depression: randomised controlled non-inferiority trial. BMJ 2012;344;e2598.


Question clinique
Chez les adolescents dépressifs en demande de soins, une intervention d'auto-assistance, sous la forme d’une thérapie cognitivo-comportementale informatisée, permet-elle d’atteindre au moins le même niveau d’amélioration des symptômes de dépression que les soins habituels ?


Conclusion
Cette étude de non infériorité conclut qu’une intervention d’auto-assistance au moyen d’une thérapie cognitivo-comportementale informatisée n’est pas moins efficace que la prise en charge classique pour traiter les symptômes de dépression des adolescents en demande de soins pour sortir de leur état dépressif. L’effet clinique de cette thérapie prometteuse doit cependant faire l’objet d’une recherche plus approfondie au moyen d’études bien menées avec groupe témoin fiable.


 

 

(Texte et traduction sous la responsabilité de la rédaction néerlandophone)


 

Contexte

Près d'un quart des jeunes sont victimes d’un épisode dépressif avant l’âge de 20 ans (1,2). Il existe plusieurs traitements efficaces de ces troubles dépressifs légers à modérés, la thérapie cognitivo-comportementale étant celui qui a la préférence (3). En raison de la pénurie d’intervenants (4) et aussi d’une certaine réticence à rechercher de l’aide (5), moins de 20% de ces jeunes suivent un traitement (6). Dans cette situation, une thérapie informatisée peut apporter une solution. Non seulement elle accroche plus les jeunes (7), mais elle est probablement aussi beaucoup moins onéreuse qu’une prise en charge classique. Ce genre d’interventions permettrait également d’abaisser le seuil pour la demande d’un traitement (8).

 

Résumé

Population étudiée

  • 187 jeunes âgés de 12 à 19 ans (âge moyen : 15,5 ans), dont plus de 60% sont des filles, et qui, en raison de symptômes de dépression (score de 10 à 19 au PHQ-9 ou suffisamment sévères pour nécessiter un traitement), ont recherché de l’aide auprès d’une clinique pour jeunes, d’un centre d’encadrement des élèves ou d’un médecin généraliste dans 7 régions de Nouvelle-Zélande 
  • critères d’inclusion supplémentaires : avoir suivi au moins 1 an d’anglais, avoir accès à un ordinateur 
  • critères d’exclusion : dépression trop sévère pour une intervention d'auto-assistance, risque d’acte autodestructeur ou de suicide, score trop faible (<30) sur l’échelle CDRS-R (Children Depression Rating Scale - Revised), incapacité intellectuelle ou physique à utiliser un ordinateur, comorbidité psychique, thérapie cognitivo-comportementale au cours des 3 derniers mois, thérapie interpersonnelle ou antidépresseurs.

 

Protocole d’étude

  • RCT avec évaluation de l’effet en aveugle 
  • randomisation séquentielle, stratification en fonction du lieu où l’étude se déroule 
  • intervention (n=94) : SPARX (Smart, Positive, Active, Realistic, X-factor thoughts), qui est un jeu vidéo interactif en 3D informatisé, où le joueur crée un avatar à son effigie et doit remplir des missions dans 7 univers qui représentent symboliquement les pensées sombres ; un guide met le jeu en contexte, offre une éducation, sonde l’état d’âme et confie des missions à réaliser dans la vie de tous les jours ; si aucune amélioration n’apparaît, le jeune est encouragé à rechercher de l’aide auprès d’un médecin 
  • groupe témoin (n=93) : soins habituels, à savoir thérapie individuelle conduite par un conseiller ou un psychologue dans une clinique pour jeunes ou dans un centre d’encadrement des élèves ou traitement par le médecin généraliste, complété au besoin par un traitement psychologique si celui-ci est disponible 
  • suivi après 2 mois (fin de l’intervention) et après 5 mois.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : modification du score CDRS-R 
  • critères de jugement secondaires : échelle RADS-2 (Reynolds Adolescent Depression Scale – 2ième édition), MFQ (Mood and Feelings Questionnaire), PQ-LES-Q (Paediatric Quality of Life Enjoyment and Satisfaction Questionnaire), SCAS (Spence Children Anxiety Scale), HPLS (Kazdin Hopelessness Scale for Children) et l’item ‘évolution’ de l’échelle CGI (Clinical Global Impression) ; enquête de satisfaction vis-à-vis du traitement 
  • analyse par protocole et analyse en intention de traiter.

 

Résultats

  • critère de jugement primaire : aucune différence statistiquement significative n’a été observée dans la diminution du score CDRS-R entre le groupe SPARX et le groupe témoin, que ce soit après 2 mois ou après 5 mois ; la différence moyenne dans la diminution était respectivement de 2,73 (IC à 95% de -0,31 à 5,77) et de -1,28 (IC à 95% de -4,35 à 1,79) selon l’analyse par protocole (voir tableau) et respectivement de 1,60 (IC à 95% de -1,21 à 4,41) et de -0,75 (IC à 95% de -3,61 à 2,12) selon l’analyse en intention de traiter 
  • critères de jugement secondaires : l’efficacité dans le groupe SPARX n’a pas été significativement moindre que dans le groupe témoin, après 2 mois comme après cinq mois.

 

Tableau. Score CDRS-R dans le groupe SPARX et dans le groupe recevant les soins habituels après 0, 2 et 5 mois selon l’analyse par protocole.

 

SPARX

Soins habituels

0 mois          

  44,28 (ET 11,13)  

  43,78 (ET 9,67)  

2 mois           

  34,14 (ET 11,93)  

  36,71 (ET 11,05)  

5 mois          

  29,47 (ET 9,70)  

  30,75 (ET 8,73)  

 

Conclusion des auteurs

La conclusion des auteurs est que SPARX représente une alternative potentielle à la prise en charge classique des adolescents qui se présentent chez le médecin généraliste avec des symptômes de dépression. SPARX pourrait être utilisé pour répondre à des besoins non satisfaits en matière de traitement.

Financement

Ministère de la Santé Publique (Nouvelle-Zélande), lequel n’est pas intervenu dans la conception et le déroulement de l’étude, ni dans l’analyse et le rapport des données.

 

Conflits d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêt.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Dans l’ensemble, la qualité méthodologique de cette RCT est bonne. L’attribution des patients aux 2 groupes d’étude s’est faite en aveugle. Au départ, le groupe SPARX et le groupe témoin ne présentaient pas de différences quant à leurs caractéristiques cliniques ou sociodémographiques. Les collaborateurs de cette étude effectuant les évaluations ne savaient pas à quel groupe les patients étaient attribués.

Les auteurs sont partis de l’hypothèse que SPARX n’est pas moins efficace que les soins habituels pour la prise en charge des symptômes de dépression chez les adolescents. À cet égard, ils répondent en grande partie aux conditions strictes auxquelles une étude de non infériorité doit satisfaire (9). Le nombre de participants à inclure a été tout juste atteint pour que la puissance de l’étude soit suffisante pour démontrer la non infériorité. En raison de difficultés de recrutement, la taille de l’échantillon a d’ailleurs été adaptée au cours de l’étude au vu des résultats intermédiaires. Pour leur analyse, les auteurs ont utilisé en premier lieu les données par protocole. Ils ont considéré l’analyse en intention de traiter comme une analyse de sensibilité. Une limitation importante de l’étude est cependant le fait qu’il n’est pas possible de connaître l’efficacité éventuelle dans le groupe témoin (prise en charge classique). Il n’est en effet pas certain que tous les participants du groupe témoin aient bénéficié d’une thérapie individuelle en face à face conduite par un intervenant formé. De plus, aucune information n’est donnée sur l’observance au traitement dans le groupe témoin. Une fois les analyses effectuées, il est même apparu inopinément que 13% des participants du groupe témoin s’étaient retrouvés sur une liste d’attente et n’avaient donc bénéficié d’aucun type de traitement. Les auteurs se sont donc vu obligés de réaliser une analyse de sensibilité complémentaire, laquelle a bien confirmé les résultats de l’analyse initiale. Les auteurs eux-mêmes reconnaissent cette limitation, mais insistent sur le fait que le protocole de l’étude visait surtout à savoir si SPARX constituait une alternative acceptable dans le cadre des soins de première ligne, principalement dans les contextes de pénurie de moyens ne permettant pas d’opter pour une prise en charge classique.

 

Interprétation des résultats

Après 2 mois, les symptômes de dépression avaient diminué dans les 2 groupes. Il n’y avait pas de différence statistiquement significative entre la diminution observée chez les patients du groupe SPARX et celle observée dans le groupe témoin. Comme il n’est pas possible de connaître l’effet dans le groupe témoin (voir plus haut), une guérison spontanée dans les deux groupes ne peut être exclue. Il s’ensuit que cette étude ne permet en fait pas de prouver que SPARX est efficace dans la prise en charge des symptômes de dépression chez les adolescents. Une étude menée à petite échelle (n=32) a néanmoins permis de montrer que les adolescents dépressifs jouant le jeu vidéo SPARX obtiennent un meilleur score à l’échelle CDRS-R que ceux qui se trouvaient sur une liste d’attente (10). Toutefois, ces résultats positifs doivent encore faire l’objet d’autres études (11). Le fait que, pour certains critères de jugement secondaires, les participants du groupe SPARX ont mieux performé, et ce de manière statistiquement significative, invite aussi à poursuivre la recherche. Des études complémentaires se justifient d’autant plus que le traitement pourrait présenter des avantages potentiels (les auteurs soulignent qu’il s’agit d’une intervention d’auto-assistance à part entière, puisque les jeunes ont parcouru SPARX de manière complètement indépendante et que le taux d’abandon est particulièrement bas).

 

Autres études

Les études portant sur l’efficacité des interventions informatisées chez les jeunes et les adolescents sont rares. Une méta-analyse (2010) auprès d’adultes (22 RCTs) a comparé l’efficacité des interventions informatisées et celle d’un autre traitement (n=5) ou d’une liste d’attente (n=17) (12). Les 5 études qui ont comparé des interventions informatisées et la thérapie en face à face sont arrivées à des résultats semblables.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude de non infériorité conclut qu’une intervention d’auto-assistance au moyen d’une thérapie cognitivo-comportementale informatisée n’est pas moins efficace que la prise en charge classique pour traiter les symptômes de dépression des adolescents en demande de soins pour sortir de leur état dépressif. L’effet clinique de cette thérapie prometteuse doit cependant faire l’objet d’une recherche plus approfondie au moyen d’études bien menées avec groupe témoin fiable.

 

Pour la pratique

Selon les guidelines du NICE, chez les enfants et les adolescents présentant une dépression modérée à sévère, la psychothérapie (approche cognitivo-comportementale en thérapie individuelle, thérapie interpersonnelle, thérapie familiale) est appliquée en première intention pendant au moins trois mois (13). Il ressort de l’étude discutée ici qu’une intervention informatisée, telle que SPARX, s’avère ne pas être moins efficace que les soins habituels. Il convient de poursuivre la recherche sur l’effet d’une telle intervention d’auto-assistance informatisée. En effet, cette approche peut être utile en Belgique également, par exemple dans un contexte de soins par paliers (14). Bien que les patients réalisent l’intervention de manière autonome, les intervenants peuvent jouer un rôle important dans le suivi systématique à distance de l’évolution des symptômes, et intervenir s’il y a lieu. La pénurie d’intervenants pourrait ainsi être compensée, et la psychothérapie être plus accessible aux jeunes réticents à l’égard des thérapies plus conventionnelles.

 

 

Références

  1. Lewinsohn PM, Rohde P, Seeley JR. Major depressive disorder in older adolescents: prevalence, risk factors and clinical implications. Clin Psychol Rev 1998;18:765-94.
  2. World Health Organization. Global health risks: mortality and burden of disease attributable to selected major risks. WHO, 2009.
  3. National Collaborating Centre for Mental Health. Depression in children and young people. Identification and management in primary, community and secondary care. NICE Clinical Guideline 28, September 2005.
  4. Layard R, Bell SB, Clarke D. The depression report. A new deal for depression and anxiety disorders. London School of Economics, 2006.
  5. Le Surf A, Lynch G. Exploring young people’s perception relevant to counselling: a qualitative study. Br J Guid Counc 1999;27:231-43.
  6. Kataoka SH, Zhang L, Wells KB. Unmet need for mental health care among U.S. children: variations by ethnicity and insurance status. Am J Psychiatry 2002;159:1548-55.
  7. Prensky M. Digital natives, digital immigrants. Part 1. On the Horizon 2001;9:1-6.
  8. McCrone P, Knapp M, Proudfoot J, et al. Cost-effectiveness of computerised cognitive-behavioural therapy for anxiety and depression in primary care: randomised controlled trial. Br J Psychiatry 2004;185:55-62.
  9. Chevalier P. Etude de non infériorité : intérêt, limites et pièges. MinervaF 2009;8(7):100.
  10. Fleming T, Dixon R, Frampton C, Merry S. A pragmatic randomized controlled trial of computerized CBT (SPARX) for symptoms of depression among adolescents excluded from mainstream education. Behav Cogn Psychoth 2012;40:529-41.
  11. Griffiths KM. SPARX computerised CBT is as effective as usual care for mild-to-moderate depression in help seeking adolescents. Evid Based Ment Health 2012;15:90.
  12. Andrews G, Cuijpers P, Craske MG, et al. Computer therapy for the anxiety and depressive disorders is effective, acceptable and practical health care: a meta-analysis. PLoS One 2010;5:e13196.
  13. Everaert S, Scheerder G, De Coster I, Van Audenhove C. Getrapte zorg voor personen met depressie in de centrale geestelijke gezondheidszorg. Analyse, evaluatie en optimalisering van het zorgaanbod. Leuven: LUCAS, 2007.
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