Revue d'Evidence-Based Medicine



Syndrome du côlon irritable : fibres, antispasmodique ou antidépresseur ?



Minerva 2012 Volume 11 Numéro 2 Page 15 - 16

Professions de santé


Analyse de
Ruepert L, Quartero AO, de Wit NJ, et al. Bulking agents, antispasmodics and antidepressants for the treatment of irritable bowel syndrome. Cochrane Database Syst Rev 2011, Issue 8.


Question clinique
Quelle est l’efficacité de laxatifs de lest, d’antispasmodiques et d’antidépresseurs dans le traitement symptomatique du syndrome du côlon irritable chez les personnes âgées de plus de 12 ans ?


Conclusion
Cette méta-analyse de bonne qualité mais à actualiser montre, chez des patients âgés de plus de 12 ans souffrant d’un syndrome du côlon irritable, l’efficacité sur les symptômes de ce syndrome d’un traitement antispasmodique ou antidépresseur, sans preuve pour les laxatifs de lest.


 

 

Contexte

La physiopathologie du syndrome du côlon irritable (SCI) n’est toujours pas élucidée (1). Son traitement reste basé sur la réassurance explicative et un contrôle des symptômes. Parmi les interventions pharmacothérapeutiques, les régimes et laxatifs de lest sont proposés pour leur effet favorable sur le transit, les antispasmodiques pour leur effet sur la motilité intestinale et les antidépresseurs souvent utilisés dans les douleurs chroniques. Au vu de l’abondante littérature (en mars 2009, 1 118 études avec les agents riches en fibres, 444 avec les antispasmodiques, 419 avec les antidépresseurs) une nouvelle synthèse méthodique était la bienvenue.

 

Résumé

Methodologie

Synthèse méthodique et méta-analyses

 

Sources consultées

  • MEDLINE, EMBASE, the Cochrane Library, CINAHL, PsychInfo (de 1966 à mars 2009).

 

Etudes sélectionnées

  • critères d’inclusion : RCTs comparant agents riches en fibres, antispasmodiques ou antidépresseurs versus placebo chez des patients de plus de 12 ans
  • critères d’exclusion : groupe de patients inappropriés, troubles intestinaux fonctionnels non spécifiés SCI, autre critère de jugement que les 3 choisis, résultats ne pouvant être extraits, publications doubles
  • inclusion de 56 études : 12 avec des laxatifs de lest (n=621), 29 avec des antispasmodiques (n=2 333), 15 avec des antidépresseurs (n=922).

 

Population étudiée

  • 3 725 patients âgés de plus de 12 ans, avec un syndrome du côlon irritable diagnostiqué sur des critères prédéfinis (Manning ou Rome par ex.) ou sur base clinique 
  • inclusion d’études concernant des patients se plaignant de troubles intestinaux fonctionnels sans données séparées pour les patients avec SCI si au moins 75% des patients inclus ont un SCI.

 

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires : amélioration des symptômes de douleur abdominale ; amélioration du jugement global du patient, amélioration du score symptomatique SCI
  • résultats dichotomiques donnés en Rapport de Risque (RRi) du nombre de patients avec résultat positif (par exemple soulagés) traitement actif versus placebo, et variables continues en Différence Moyenne Standardisée (DMS).

 

Résultats

  • résultats pour les 3 types de traitement pour les 3 critères primaires : voir tableau
  • analyses en sous-groupes :
    • fibres insolubles ou solubles : pas de bénéfice statistiquement significatif pour les 2 types de fibres
    • antispasmodiques : bénéfice significatif pour le cimétropium/dicyclomine, la menthe poivrée, la pinavérine et la trimébutine
    • antidépresseurs : amélioration significative de l’évaluation globale sous ISRS et de la douleur abdominale et du score symptomatique sous tricyclique
  • pas de mention des effets indésirables comme critère de jugement dans cette synthèse.

 

 

Tableau. Versus placebo, efficacité des laxatifs de lest, des antispasmodiques et des antidépresseurs pour les douleurs abdominales, l’évaluation globale et le score symptomatique SCI ; résultats en Rapport de Risque RRi (avec IC à 95%), valeur p et NST.

 

 

Douleur abdominale

Evaluation globale

Score symptomatique SCI

laxatifs de lest 

NS

NS

NS

antispasmodiques

RRi 1,32 (1,12 à 1,55)

p < 0,001

NST 7

RRi 1,49 (1,25 à 1,77)

p < 0,0001

NST 5

RRi 1,86 (1,26 à 2,76)

p < 0,01

NST 3

antidépresseurs

RRi 1,49 (1,05 à 2,12)

p = 0,03

NST 5

RRi 1,57 (1,23 à 2,00)

p < 0,001

NST 4

RRi 1,99 (1,32 à 2,99)

p = 0,001

NST 4

 

 

 

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent à l’absence de preuve d’efficacité des agents riches en fibres, à des preuves d’efficacité des antispasmodiques pour traiter le syndrome du côlon irritable (SCI). Les sous-groupes montrant individuellement une efficacité sont : cimétropium/dicyclomine, menthe poivrée, pinavérine et trimébutine. Il existe de bonnes preuves d’efficacité pour les antidépresseurs. L’analyse en sous-groupes pour les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) et les antidépresseurs tricycliques (ATC) ne montre pas des résultats univoques et l’efficacité pratique peut varier individuellement. Les futures recherches devront reposer sur une méthodologie rigoureuse et sur des mesures valides des critères.

 

Financement 

Du IBD/FBD Review Group par the Canadian Institutes of Health Research (CIHR) Knowledge Translation Branch (CON - 105529) and the CIHR Institutes of Nutrition, Metabolism and Diabetes (INMD), and Infection and Immunity ert Olive Stewart Fund.

 

Conflits d'intérêt

1 des auteurs déclare des conflits d’intérêt avec la firme Glaxo Smith Kline (actions, consultance) et d’autres firmes (consultance) ; les autres déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette synthèse méthodique avec méta-analyses est de bonne qualité. Les auteurs ont effectué leurs recherches dans plusieurs bases de données, inclus et exclu sur base de critères précis préalablement déterminés. Les données ont été extraites par deux chercheurs indépendamment l’un de l’autre. Ils ont analysé la qualité des publications originales pour la séquence de randomisation, le secret d’attribution, l’insu des patients et des évaluateurs, la mention incomplète ou sélective des résultats et des sorties d’étude. Les analyses sont faites en modèle d’effets aléatoires ou fixes selon la présence ou non d’une hétérogénéité déterminée par un test Chi². Ils signalent que plusieurs études ne mentionnent pas leur méthode de randomisation ni de respect du secret d’attribution.

La définition d’amélioration prise en considération dans les études originales n’est pas précisée ; une différence entre les études est possible. Pour plusieurs médicaments utilisés, le nombre d’études est insuffisant pour réaliser une méta-analyse. A noter que les auteurs mentionnent avoir identifié 10 nouvelles études en avril 2011, dont les résultats devraient être intégrés dans une prochaine mise à jour de cette méta-analyse… ce qui est frustrant.

 

Mise en perspective des résultats

Dans leur discussion, les auteurs passent en revue les très nombreuses autres synthèses et méta-analyses faites pour ces 3 types de traitement dans le syndrome du côlon irritable. Ils reconnaissent que leurs résultats sont parfois (fort) différents de ceux mentionnés dans d’autres publications. Ceci est très probablement lié aux inclusions différentes ; par exemple, pour les études en permutation, Ruepert n’a inclus que les résultats de la 1ère phase de l’étude.

Les laxatifs de lest (études souvent courtes, 4 à 6 semaines, parfois 16) ne montrent pas d’efficacité significative dans cette méta-analyse-ci. Nous avions déjà analysé dans Minerva une étude (2) réalisée en première ligne de soins, de qualité méthodologique moyenne, de durée limitée pour une pathologie chronique, qui montrait une possible efficacité des fibres solubles tel le psyllium pour les douleurs abdominales de patients souffrant du SCI (3). Cette étude devra être examinée dans la mise à jour.

Pour les antispasmodiques, une efficacité est montrée, avec des NST intéressants de 3 à 7 suivant le critère de jugement. Les auteurs ont réalisé des analyses en sous-groupes pour déterminer l’efficacité de médicaments précis. Le problème le plus embarrassant est qu’aucun des médicaments qu’ils jugent d’efficacité prouvée (cimétropium/ dicyclomine, menthe poivrée, pinavérine et trimébutine) n’est disponible en spécialité sur le marché belge actuellement (la pinavérine (Dicétel®) a été retirée). La mébévérine fait partie des médicaments non suffisamment correctement évalués.

L’efficacité des antidépresseurs est également montrée dans cette méta-analyse, avec des NST de 4 à 5 pour les différents critères et des avantages spécifiques tant pour les ISRS que pour les tricycliques. Nous avions déjà analysé dans la revue Minerva (4), une méta-analyse (5) apportant quelques arguments en faveur de l’efficacité des antidépresseurs tricycliques et ISRS dans la prise en charge des symptômes du syndrome du côlon irritable. Cette méta-analyse montrait aussi, mais avec un niveau de preuve beaucoup plus faible, une efficacité des psychothérapies ; la pertinence clinique du bénéfice observé était discutable, faute d’études de bonne qualité dans cette indication (4).

 

Effets indésirables

Une des limites importantes de cette méta-analyse est qu’elle ne mentionne pas les effets indésirables. La pinavérine était connue pour provoquer des ulcères œsophagiens en cas d’ingestion incomplète. La mébévérine peut provoquer, outre des effets indésirables peu graves et rares, des réactions d’hypersensibilité, rash érythémateux, urticaire, angioedème. Elle est contre-indiquée en cas d’iléus paralytique et doit être utilisée prudemment en cas d’insuffisance hépatique ou rénale, en cas de bloc auriculo-ventriculaire (6). Les effets indésirables des antidépresseurs ont déjà été abordés dans Minerva.

 

Conclusion de Minerva

Cette méta-analyse de bonne qualité mais à actualiser montre, chez des patients âgés de plus de 12 ans souffrant d’un syndrome du côlon irritable, l’efficacité sur les symptômes de ce syndrome d’un traitement antispasmodique ou antidépresseur, sans preuve pour les laxatifs de lest.

 

Pour la pratique

Le guide de pratique de NICE (7) recommande les laxatifs, le lopéramide et les antispasmodiques en premier lieu, suivant les symptômes. Les antidépresseurs tricycliques doivent être pris en considération en deuxième intention, en cas d’échec du traitement de première ligne, pour leur effet analgésique dans cette indication. Ils doivent être prescrits initialement à faible dose (5–10 mg équivalent de l’amitriptyline), en prise vespérale, pouvant être augmentés à 30 mg maximum et l’utilité du traitement doit être régulièrement revue. Les ISRS ne sont à prendre en considération qu’en cas d’échec des antidépresseurs tricycliques. Le consensus multidisciplinaire du NHG (8) fait des recommandations semblables, en insistant sur le peu d’efficacité prouvée pour ces traitements.

Cette nouvelle méta-analyse montre l’absence de preuve de l’intérêt des laxatifs de lest, n’évalue pas l’utilité du lopéramide, ne peut préciser quel antispasmodique commercialisé en Belgique est d’efficacité prouvée et confirme l’utilité des antidépresseurs ; elle ne modifie pas les recommandations.

 

Références

  1. Jones R. IBS: prime problem in primary care. Gut 2000;46:7-8.
  2. Bijkerk CJ, de Wit NJ, Muris JW, et al. Soluble or insoluble fibre in irritable bowel syndrome in primary care? Randomised placebo controlled trial. BMJ 2009;339:b3154.
  3. De Jonghe M. Psyllium ou son de blé pour le côlon irritable ? MinervaF 2010;9(7):84-5.
  4. Bouüaert C. Côlon irritable : antidépresseurs ou psychothérapie ? MinervaF 2010;9(2):22-3.
  5. Ford AC, Talley NJ, Schoenfeld PS, et al. Efficacy of antidepressants and psychological therapies in irritable bowel syndrome: systematic review and meta-analysis. Gut 2009;58:367-78.
  6. Mebeverine Hydrochloride. Martindale. The Complete Drug Reference (Book with CD-ROM), 35th Edition by Sean C. Sweetman.
  7. Irritable bowel syndrome in adults: diagnosis and management of irritable bowel syndrome in primary care. NICE clinical guideline 61, February 2008.
  8. Multidisciplinaire richtlijn. Diagnostiek en behandeling van het prikkelbaredarmsyndroom (PDS) 2011, Nederlands Huisartsen Genootschap.

 

Noms de marque

Mébévérine : Duspatalin®, Mebeverine EG®

Pinavérine : Dicétel® (n’est plus commercialisé en Belgique).

Syndrome du côlon irritable : fibres, antispasmodique ou antidépresseur ?

Auteurs

Chevalier P.
médecin généraliste
COI :

Vanwelde C.
Centre Académique de Médecine Générale, Université Catholique de Louvain
COI :

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