Revue d'Evidence-Based Medicine



Quand peut-on arrêter un médicament antihypertenseur



Minerva 2003 Volume 2 Numéro 10 Page 162 - 163

Professions de santé


Analyse de
Nelson MR, Reidi CM, Krum H, et al. Predictors of normotension on withdrawal of antihypertensive drugs in elderly patients : prospective study in second Australian national blood pressure study cohort. BMJ 2002;325:815-9.


Question clinique
Existe-t-il des facteurs pronostiques du maintien d’une tension normale après l’arrêt d’un traitement médicamenteux antihypertenseur ?


Conclusion
Sur base des résultats de cette étude, il semble opportun d’essayer d’arrêter un traitement médicamenteux antihypertenseur, certainement chez les patients plus jeunes que 75 ans, dont la pression artérielle est bien contrôlée sous traitement. Un suivi correct reste cependant nécessaire, la majorité des patients devant reprendre sa médication.


 

Résumé

Contexte

Une précédente synthèse méthodique concluait que 42 % des sujets inclus restaient normotendus 1 an après l’arrêt de la médication antihypertensive. Les patients présentaient une hypertension légère à modérée contrôlée, durant une période prolongée, par une monothérapie. Les études incluses étaient principalement effectuées en milieu spécialisé.

Population étudiée

Au départ de 167 pratiques de médecine générale australiennes, 503 patients âgés de 65 à 84 ans (âge moyen de 70 à 72 ans) ont été inclus, dont 57% de femmes. Ces patients ont une anamnèse d’hypertension artérielle traitée. La pression artérielle moyenne sous traitement antihypertenseur varie de 135,3/76 (rapport à la moyenne de l’ensemble des observations. Dans une distribution normale, 95% de toutes les valeurs sont comprises entre + 1,96 écart-type (à droite) et - 1,96 écart-type (à gauche) de la moyenne, 90% des valeurs se trouvent entre + 1,65 écart-type et - 1,65 écart-type et 99% des valeurs entre + 2,58 écart-type (à droite) et - 2,58 écart-type (à gauche) de la moyenne. Un grand écart-type signifie que la dispersion autour de la moyenne est grande. Un petit écart-type implique que la dispersion autour de la moyenne est petite.">ET: 13,4/8,9) mm Hg à 143,5/77,5 (ET: 13,4/7,9) mm Hg.

Cette pression artérielle était contrôlée avec un seul anti-hypertenseur chez 67% des sujets. À l’anamnèse, 19% des participants présentaient une maladie cardiovasculaire (angor, claudication, AVC, infarctus du myocarde).

Protocole d’étude

Cette étude de cohorte recrute ses sujets dans la deuxième « Australian national blood pressure study », une étude randomisée comparant les IEC et les diurétiques dans la prévention de la morbi-mortalité cardio-vasculaire en cas d’hypertension. Les patients restant normotendus (PA < 160/90 mm Hg) durant la phase initiale d’arrêt du médicament ne sont pas inclus dans la RCT mais suivis ultérieurement par leur médecin de famille. Celui-ci mesure la pression artérielle à 4 ou 5 reprises durant le suivi. La dernière mesure est effectuée par une infirmière participant à la recherche.

Mesures des résultats

Après 12 mois, le maintien d’une pression artérielle normale ou la récidive d’une hypertension est déterminé suivant la dernière mesure. En cas de rechute, mention est faite d’une récidive précoce (< 70 jours) ou tardive (> 70 jours) ayant nécessité la reprise d’un traitement antihypertenseur durant le suivi. La relation entre le maintien d’une tension normale et un ensemble de facteurs prédictifs, choisis sur base d’études préalables, est calculée selon le modèle de risques proportionnels de Cox.

Résultats

Après 12 mois, 181 patients (36 %) restent normotendus et 273 patients (54 %) présentent à nouveau une hypertension. Les 49 autres sujets (10 %) ne peuvent être répartis entre ces 2 groupes soit par qu’ils ont été perdus de vue durant le suivi (y compris les décès) soit parce qu’ils consomment des antihypertenseurs pour d’autres indications (principalement oedème des chevilles et insuffisance cardiaque). La part de patients qui rechutent est semblable dans les 70 premiers jours et les 330 jours suivants. La probabilité de rester normotendu semble augmenter en fonction d’un chiffre de pression artérielle systolique plus bas sous traitement. Les autres facteurs prédictifs du maintien d’une pression normale sont : jeune âge, ratio taille-hanches plus élevé et monothérapie (voir tableau 1).

 

Tableau 1 : Caractéristiques de base prédisant la probabilité (risque) de rester normotendu versus probabilité de présenter à nouveau une hypertension

Caractéristiques de base

Risque Relatif (IC à 95 %)

Valeur p

Pression artérielle systolique sans traitement (palier de 10 mm Hg)

0,85 (0,81 – 0,89)

p < 0,001

Âge entre 65 et 74 ans

1,57 (1,13 – 2,17)

p = 0,007

Âge entre 75 et 84 ans

1,00

 

Ratio taille – hanches (palier de 0,1)

1,22 (1,12 – 1,32)

p = 0,02

Un seul antihypertenseur

2,38 (1,50 – 3,76)

p < 0,001

Au moins deux antihypertenseurs

1,00

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que l’âge, la pression artérielle en cours de traitement et le nombre d’antihypertenseurs nécessaires pour contrôler la pression artérielle sont des facteurs importants pour décider ou non d’arrêter un traitement médicamenteux antihypertenseur. Ils font cependant remarquer qu’un suivi continu est nécessaire en cas d’arrêt du (des) médicament(s).

Financement

Cette étude est financée par la « Victorian Health Promotion Foundation » australienne.

Conflits d’intérêt

Aucun n’est mentionné dans l’article.

Discussion

Les études d’arrêt des médicaments sont rares mais essentielles. Si elles concernent l’arrêt d’un traitement antihypertenseur, leur impact peut être d’autant plus important. Les quelques études publiées, à ce jour, sur ce sujet, donnent des pourcentages de réussite élevés 4, 5. Il s’agit cependant de très petites études (9 et 66 patients) qui demandent donc confirmation. Cette étude est particulièrement intéressante parce qu’elle concerne « notre » patientèle : des personnes âgées de 65 à 84 ans, en médecine générale et présentant une hypertension légère à modérée. Le protocole prospectif et le suivi très étroit (1 % de perdus de vue seulement), rendent cette étude fort intéressante du point de vue méthodologique. D’un point de vue pratique, la question de recherche est : « si j’arrête le traitement de mes patients hypertendus, un certain nombre garderont une pression artérielle normale sans médication ; si cet arrêt est maintenu, que se passe-t-il ensuite ? ». Bilan : après un an, 36% gardent une tension normale. Enthousiaste ? Quelques remarques s’imposent cependant. Tout d’abord, nous pouvons nous interroger sur le nombre de patients, compris dans l’étude, initialement trop vite traités par antihypertenseurs. Combien de patients n’ont effectivement jamais présenté d’hypertension ? D’autre part, un certain nombre de sujets peuvent avoir maigri de façon significative en cours de traitement ou avoir vu leur tension se normaliser en fonction de modifications des conditions de vie. Ils n’étaient plus réellement hypertendus lors de l’arrêt du traitement antihypertenseur.

Quelles personnes demeurent normotendues ? Principalement celles qui présentaient un bon contrôle de leurs chiffres tensionnels avant l’arrêt et qui ne prenaient qu’un seul antihypertenseur. La moitié la plus jeune du groupe et les « obèses de type pomme» présentent de meilleurs résultats. Nous ne devrions pas trop tenir compte de ce type d’obésité, selon les auteurs. Son impact ne semble pas important. Les médecins devraient sans doute attendre avant de represcrire des antihypertenseurs à des personnes obèses, pour leur permettre de mieux contrôler leurs chiffres tensionnels grâce à une perte de poids. Pour connaître la pertinence clinique des observations, ré-analysons les résultats de l’étude de manière critique. Qui est inclus dans l’étude ? Des patients qui 14 jours après un arrêt thérapeutique (lentement progressif ) présentent encore une tension normale. Ceci ne représente qu’un groupe restreint : 503 personnes sur les 3 800 environ qui étaient sous traitement médicamenteux à l’inclusion dans l’étude ANBP2. Si ces patients sont représentatifs de notre type de population, cela signifie que 13 %, soit un peu plus d’1/8 de celle-ci pourraient entrer en ligne de compte pour un essai d’arrêt d’un traitement médicamenteux antihypertenseur. Comment évoluent les personnes normotensives après 14 jours ? Après environ 2 mois, 37% reprennent un médicament en raison d’une tension trop haute. Les 63 % restants évoluent lentement vers une remontée des chiffres. C’est la constatation la plus décevante : après un an, de nombreuses personnes doivent reprendre un traitement antihypertenseur. Après 400 jours, seuls 80 sont encore sans traitement et après ces 400 jours, la courbe des patients restant normotendus semble encore descendre. Sans doute, au bout d’un certain temps, tous les sujets doivent-ils reprendre un médicament antihypertenseur !

 

Recommandations pour la pratique

Sur base des résultats de cette étude, il semble opportun d’essayer d’arrêter un traitement médicamenteux antihypertenseur, certainement chez les patients plus jeunes que 75 ans, dont la pression artérielle est bien contrôlée sous traitement. Un suivi correct reste cependant nécessaire, la majorité des patients devant reprendre sa médication.

La rédaction

 

Références

  1. Nelson M, Reid C, Krum H, McNeil J. A systematic review of predictors opf maintenance of normotension after withdrawal of antihypertensive drugs. Am J Hypertens 2001;14:98-105.
  2. Wing LMH, Reid CM, Ryan P, et al, for the Second Australian National Blood Pressure Study Group. A comparison of outcomes with angiotensin-converting-enzyme inhibitors and diuretics for hypertension in the elderly. N Engl J Med 2003;348:583-92.
  3. Is blijvende normotensie na staken van antihypertensieve behandeling voorspelbaar ? Geneesmiddelenbulletin 2003; (37):30.
  4. Alderman MH, Davis TK, Gerber LM, Robb M. Anthypertensive drug therapy withdrawal in a general population. Arch Intern Med 1986;146:1309-11.
  5. Aylett M, Ketchin S. Stopping treatment in patients with hypertension. BMJ 1991;303:345.
Quand peut-on arrêter un médicament antihypertenseur

Auteurs

Christiaens T.
Klinische Farmacologie, Vakgroep Farmacologie, UGentVakgroep Fundamentele en Toegepaste Medische Wetenschappen, UGent
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