Revue d'Evidence-Based Medicine
La place des beta2 mimétiques de longue durée d'action dans l'asthme chronique persistant
Minerva 2003 Volume 2 Numéro 1 Page 4 - 6
Professions de santé
Contexte
Les directives actuelles concernant l’asthme recommandent d’ajouter les ß2 mimétiques de longue durée d’action au traitement en cas de non contrôle des symptômes par des doses modérées à moyennes de corticostéroïdes inhalés. Cette méthode serait plus efficace que l’augmentation des doses de stéroïdes inhalés. L’utilisation, en monothérapie, de ß2 mimétiques à longue durée d’action dans l’asthme insuffisamment contrôlé par l’administration de 2 à 3 doses hebdomadaires de ß2 mimétiques à courte durée d’action, n’est cependant pas reconnue efficace avec des preuves suffisantes. Il persiste également des incertitudes sur la possibilité de réduction des doses ou d’arrêt des corticoïdes inhalés, sans augmentation du risque d’échec thérapeutique, lors de l’adjonction de ß2 mimétiques à longue durée d’action. Contrairement aux ß2 mimétiques de longue durée d’action, les corticoïdes inhalés limiteraient les phénomènes inflammatoires. Cette différence de mécanisme d’action a-t-elle un retentissement sur une différence d’activité à long terme ?
Population étudiée
422 personnes ont été sélectionnées parmi les patients consultant 6 polycliniques. Les critères d’inclusion étaient : âge entre 12 et 65 ans, VEMS est mesuré à l’aide d’un spiromètre.">VEMS inférieur à 80 % lors de l’utilisation de corticosté-roïdes inhalés (CSI) et de plus de 40 % sans utilisation de ces CSI, augmentation du VEMS de 12 % après inhalation d’albutérol, pas de tabagisme, absence d’autres pathologies chroniques. Après une phase initiale de 6 semaines durant laquelle les 361 patients recevaient 400 µg de triamcinolone deux fois par jour, ceux-ci furent répartis en deux études distinctes.
164 personnes, d’un âge moyen de 31 ans, dont 57 hommes, furent inclus dans l’étude Salmeterol or Corticosteroids (SOCS). Durant les deux dernières semaines, ils présentent une VEMS > 80 % avec un débit expiratoire de pointe est le débit expiratoire maximal atteint lors d’une expiration forcée maximale, après une ins-piration également maximale. Ce test permet d’apprécier globalement la fonction respiratoire et peut être facilement réa-lisé en dehors d’un laboratoire d’épreuves respiratoires fonctionnelles. Ce test est peu spécifique. Sa valeur moyenne chez l’adulte est de 10 l/seconde (600 l/min). La dispersion autour de la valeur de référence est de 15-20 %. La variabilité du DEP (en %) est la différence entre la valeur la plus haute (en soirée) et la valeur la plus basse (le matin) de la journée divi-sée par la moyenne de ces valeurs, multipliée par cent.">Débit Expiratoire de Pointe (DEP) inférieur à 20 %. 175 personnes, d’un âge moyen de 35 ans, dont 82 hommes, répondant aux critères mentionnés plus haut, ont été inclus dans l’étude Salmeterol ± Inhaled Corticosteroids (SLIC). Dans les deux études, les variables étaient équilibrées dans les différents groupes (tableau 1). Les patients étaient stratifiés en fonction des centres cliniques, de la réactivité bronchique (PC20), de l’ethnie, du sexe et de l’âge.
Tableau 1 : Description des populations étudiées dans les recherches SOCS et SLIC (valeurs moyennes)
Etude SOCS |
Etude SLIC |
|
VEMS (% de la valeur prévue) |
94% (DS 9%) |
73% (DS 11%) |
DEP matinal (l/ min) |
450 l/min (DS 107 l/min) |
423 l/min (DS 120 l/min) |
DEP vespéral (l/ min) |
460 l/min (DS 106,5 l/min) |
431 l/min (DS 110 l/min) |
PC20 (IQR)* |
0,872 (0,277-2,050) |
1,266 (-1,136 tot 1,400) |
Eosinophilie dans les crachats (IQR) |
0,63 (0,0-2,0) |
? |
NO expiré (IQR) |
14,7 (8,8-29,7) |
20,23 (14,4-25,6) |
* réactivité bronchique ou dose médiane (IQR) de métacholine nécessaire pour faire chuter le VEMS de 20%
Protocole d’étude
Les deux études sont randomisées, en double aveugle et contrôlée versus placebo. Dans l’étude SOCS, un groupe (n = 54) reçoit 400 µg de triamcinolone deux fois par jour, un deuxième groupe (n = 54) reçoit 2 doses quotidiennes de 42 µg de salmétérol et un dernier groupe (n = 56) reçoit un placebo. Après 16 semaines, les patients reçoivent uniquement un placebo pendant 6 semaines. Dans l’étude SLIC, 154 patients reçoivent en plus des 400 µg biquotidiens de triamcinolone, 42 µg de salmétérol 2 fois par jour pendant une phase initiale de 2 semaines. Les 21 autres patients reçoivent de la triamcinolone et un placebo. Durant une phase de 8 semaines de réduction de la triamcinolone, la dose de triamcinolone est réduite de 50 % dans le groupe placebo et dans la moitié du groupe salmétérol. Dans la phase suivante d’élimination de la triamcinolone, qui dure également 8 semaines, la triamcinolone est totalement arrêtée (respectivement groupes « placebo-minus» et « salmétérol-minus»). Dans l’autre moitié du groupe salmétérol la dose de triamcinolone demeure inchangée (groupe «salmétérol-plus »). Les participants notent 2 fois par jour la survenue de symptômes (toux, expectorations, dyspnée, sifflements, oppression thoracique) et attribuent un score à ceux-ci (de 0 = pas de symptôme à 3 = symptômes sévères). Simultanément, ils notent le nombre de bouffées de ß2 mimétiques à courte durée d’action utilisées ainsi que la survenue de pathologies intercurrentes et d’hospitalisations. Le débit expiratoire de pointe est mesuré deux fois par jour (le matin et le soir). Les patients étaient évalués à intervalles réguliers par les chercheurs. À cette occasion, un questionnaire concernant la qualité de vie est complété, le VEMS et le PC20 mesurés et une analyse des crachats réalisée.
Mesures des résultats
Dans l’étude SOCS, le critère de jugement primaire est la modification du DEP matinal entre la dernière semaine de la phase initiale et la dernière semaine de la période de traitement, ainsi qu’entre la dernière semaine de la période initiale et la dernière semaine de la phase finale.
Dans l’étude SLIC, le critère de jugement primaire est l’espace de temps compris entre la randomisation et l’échec thérapeutique défini comme une diminution du VEMS ou du DEP matinal de plus de 20 % en comparaison avec les valeurs observées à la fin de la phase initiale et/ou le recours à plus de 16 bouffées quotidiennes d’albutérol et/ou une hospitalisation d’urgence et/ou l’utilisation de corticostéroïdes par voie parentérale.
Pour les 2 études, les critères de jugement secondaires sont : les modifications de VEMS, de DEP matinaux et vespéraux, de réponse à la métacholine, des scores de symptômes, d’utilisation de ß2 mimétiques à courte durée d’action et de score de qualité de vie. Pour l’étude SOCS, on évalue également la modification de la composition des crachats (nombre d’éosinophiles, mesure de la protéine cationique éosinophi lique (ECP), mesure de la tryptase) et du NO expiré, comme indicateurs de l’inflammation. L’analyse des résultats est faite dans les 2 études suivant les principes de l’intention de traiter doit être complétée par une imputation de ces résultats manquants dans les différents bras d’étude.">intention de traiter (ITT) et du last-observation- carried-forward (LOCF).
Résultats
Dans l’étude SOCS, l’analyse des résultats en intention de traiter ne montre aucune différence significative du débit expiratoire de pointe entre les 3 groupes. Le groupe triamcinolone, en comparaison avec les groupes placebo et salmétérol, montre moins d’échecs de traitement (respectivement 7 % versus 29 % avec p = 0,003 et 7% versus 20 % avec p = 0,04). En comparant le groupe salmétérol au groupe triamcinolone dans l’analyse LOCF, seule une augmentation significative des paramètres inflammatoires est observée. Les autres résultats ne sont pas significativement différents dans les 2 groupes. Dans le groupe salmétérol, en comparaison avec le groupe placebo, une augmentation significative du débit expiratoire de pointe et du score de qualité de vie est observée, en parallèle avec une diminution significative de l’utilisation de ß2 mimétiques à courte durée d’action et du score des symptômes. Pour les autres résultats, il n’y a pas de différence significative.
Une comparaison des débits expiratoires de pointe matinaux entre la fin de la période initiale et la fin de la période finale ne montre, en analyse en intention de traiter, aucune différence significative entre les 3 groupes. Le nombre d’échecs thérapeutiques durant la période finale est, uniquement dans le groupe placebo, plus importante comparée au groupe triamcinolone (p = 0,004). Dans l’étude SOCS, les auteurs concluent que la conversion vers une monothérapie au salmétérol chez des patients bien contrôlés par des doses minimes de triamcinolone s’accompagne d’une dégradation clinique significative du contrôle de l’asthme.
Dans l’étude SLIC, un échec thérapeutique est observé chez 50 des 167 (29,9 %) patients qui ont été inclus dans la phase initiale du traitement au salmétérol. Un échec est observé dans le groupe « placebo-minus » chez 47,4 % (IC à 95 % de 24,5 à 70,3), dans le groupe « salmétérol-minus » chez 43,2 % (IC à 95 % de 31,7 à 54,7), dans le groupe « salmétérol-plus » chez 12,2 % (IC à 95 % de 4,6 à 19,8) des patients. Pendant la phase de réduction, cet échec est de 2,8 % (IC à 95 % de 0 à 7) dans le groupe « salmétérol-plus », de 8,3 % (IC à 95 % de 2 à 15) dans le groupe « salmétérol-minus » avec un RR de 2,2 (IC à 95 % de 0,5 à 9,2). À la fin de la période d’arrêt de la triamcinolone, le taux d’échec est de 13,7 % (IC à 95 % de 5 à 22) dans le groupe « salmétérol-plus », et de 46,3 % (IC à 95 % de 34 à 59) dans le groupe « salmétérol-minus » avec un RR de 4,3 (IC à 95 % de 2,0 à 9,2 avec p < 0,001). Durant la phase d’introduction du salmétérol et de réduction de la triamcinolone, aucune différence significative pour les critères de jugement secondaires n’est observée dans les groupes « salmétérol-minus » et « salmétérol-plus ». Une détérioration significative des scores de symptômes, une augmentation d’utilisation d’albutérol et une dégradation de la qualité de vie sont notées dans le groupe « salmétérol-minus » par rapport au groupe « salmété-rol- plus » durant la période d’élimination de la triamcinolone. Les auteurs concluent de l’étude SLIC que pour les patients avec des symptômes bien contrôlés sous triamcinolone et salmétérol, les doses de corticoïdes inhalés peuvent être réduites jusqu’à leur moi tié sans perte significative du contrôle de l’asthme. L’arrêt total des corticoïdes inhalés provoque cependant une aggravation significative de l’asthme.
Conflits d’intérêt/financement
Ces 2 études sont sponsorisées par le « National Heart, Lung and Blood Institute » (E.U.). Plusieurs firmes pharmaceutiques ont fourni les médicaments étudiés. Tous les auteurs sont liés à l’industrie pharmaceutique..
Discussion
Les buts thérapeutiques se modifient parallèlement aux considérations scientifiques concernant l’asthme. Un soulagement des symptômes fut d’abord primordial, puis la lutte contre la réaction inflammatoire des voies respiratoires est apparue essentielle, et plus récemment encore, la prévention du « remodeling ». Pour répondre à la question clinique posée au départ dans ces études, le choix des outils de mesure des résultats est d’importance primordiale. En faveur des auteurs, leur choix d’un large éventail de critères de jugement alors que le critère de jugement primaire est suffisamment bien circonscrit.
Par ailleurs, les 2 RCTs ici présentées sont d’un design attirant et méthodologiquement rigoureux. Dans la formulation de leurs conclusions, les auteurs ne se permettent pas des généralisations indues. Leurs conclusions concernent donc, au sens strict, des résultats à court terme (en termes de semaines) chez des patients atteints d’un asthme modéré persistant (niveau 3 du standard « Asthme chez l’adulte » du NHG) 1 .
L’étude SOCS montre clairement qu’une monothérapie avec des ß2 mimétiques à longue durée d’action, dans cette indication, ne représente pas une bonne alternative par rapport à un traitement d’entretien associé à des doses modérées de corticoïdes inhalés. D’autre part, l’étude SLIC montre qu’un renforcement du traitement avec des ß2 mimétiques de longue durée d’action permet de diminuer de manière importante les doses de corticoïdes inhalés sans perte de l’effet thérapeutique. D’autres études sont nécessaires pour démontrer que ces observations persistent à long terme. Il n’est pas démontré qu’une association de ß2 mimétiques à longue durée d’action avec une faible dose de corticoïdes inhalés soit aussi efficace que des corticoïdes inhalés à hautes doses dans des circonstances déstabilisantes comme l’effort physique, des infections virales ou l’exposition à des allergènes. La dose optimale de corticoïdes inhalés n’est également pas définitivement établie. La plupart des synthèses sur ce sujet rapportent une absence de base solide de comparaison des différentes molécules utilisées 2. Les raisons en sont des propriétés fort différentes de biodisponibilité et de bio-équivalence et de fortes variations selon les méthodes d’inhalation employées. Le risque d’effets indésirables en fonction des doses utilisées reste insuffisamment documenté pour permettre des conclusions pratiques.
Recommandations pour la pratique
Pour adapter le traitement des patients atteints d’asthme modéré persistant, le choix peut se faire entre l’augmentation des doses de corticoïdes inhalés ou l’adjonction d’un ß2-mimétique à longue durée d’action. Les RCTs analysées ici apportent des arguments en faveur de l’adjonction de ß2-mimétiques à longue durée d’action 1. Dans ce cas, les doses de corticoïdes inhalés peuvent, sous contrôle régulier, être diminuées sans perte de l’effet thérapeutique. L’arrêt des corticoïdes inhalés est déconseillé dans cette indication. L’utilisation d’une association fixe de corticoïdes inhalés et de ß2-mimétiques à longue durée d’action n’est pas validée par ces études. Pour juger de l’effet à long terme, d’autres études avec critères de jugement cliniques (recours à des corticoïdes parentéraux, hospitalisations, etc.) sont indispensables.
La rédaction
Références
- GEIJER RMM, VAN HENSBERGEN W, BOTTEMA BJAM, et al. NHG-Standaard Astma bij volwassenen: Behandeling. Huisarts Wet 2001;44:153-64.
- ADAMS N, BESTALL JM, JONES PW. Inhaled beclomethasone versus budesonide for chronic asthma (Cochrane Review). In: The Cochrane Library, Issue 2, 2002. Oxford: Update Software.
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