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Minerva étant une revue d'Evidence-Based Medicine promeut la diffusion d'une information scientifique indépendante et apporte une analyse critique des publications pertinentes dans la littérature internationale.
Sommaire mars 2025
Aborder les tendances suicidaires en première ligne de soins.
Page 25 - page 29
Stas P.
Cette analyse secondaire d’une étude contrôlée randomisée en grappes avec permutation séquentielle, qui a été correctement menée sur le plan méthodologique dans des cabinets de première ligne, montre qu’une intervention axée sur le dépistage et sur la prise en charge des tendances suicidaires et de l’abus de substances a été bien mise en œuvre et a également entraîné une diminution des comportements suicidaires. Cependant, l’intervention elle-même ne visait pas spécifiquement la prévention du suicide, et, comme le dépistage a été effectué à l’aide de questionnaires standardisés, il est possible que les personnes ayant des idées suicidaires n’aient pas toutes été identifiées et aidées.
Abaisser la pression artérielle systolique cible à 120 mmHg chez les patients hypertendus et présentant un risque cardiovasculaire accru, avec ou sans antécédents de diabète ou d'accident vasculaire cérébral ?
Page 30 - page 34
De Cort P.
Cette RCT correctement menée en ouvert auprès d’une large population chinoise montre que l’intensification du traitement de l’hypertension artérielle jusqu’à une valeur cible de pression artérielle systolique < 120 mmHg chez les personnes hypertendues à risque cardiovasculaire élevé permet d’obtenir des gains statistiquement significatifs en termes de prévention d’un critère d’évaluation composite combinant infarctus du myocarde, AVC, revascularisation coronaire ou non coronaire, mortalité cardiovasculaire, hospitalisation et soins d’urgence pour insuffisance cardiaque. La diminution est toutefois moins importante que prévu, et, en raison d’un manque de puissance, il n’est pas possible de se prononcer à propos de l’effet sur les composantes individuelles du critère de jugement principal, ni de se prononcer à propos de l’incidence des effets indésirables (graves) à long terme. Des recherches supplémentaires sont donc certainement nécessaires pour peser plus précisément les avantages et les inconvénients d’une valeur cible abaissée.
Efficacité des interventions de pleine conscience en ligne chez les anciens combattants souffrant de douleur chronique.
Page 35 - page 39
Raemdock E.
Cette RCT pragmatique montre qu’une formation en ligne à la pleine conscience, que ce soit en groupe ou supervisée individuellement (à son propre rythme), peut améliorer la fonction liée à la douleur et les symptômes comorbides (tels que la dépression) chez les vétérans souffrant de douleur chronique. L’étude repose sur une méthodologie solide. L’extrapolation des résultats à d’autres populations (par exemple, les vétérans n’ayant pas accès à Internet et à un GSM) n’est pas évidente. Par conséquent, et en raison de résultats contradictoires dans la littérature scientifique, il est nécessaire de poursuivre les recherches sur l’efficacité de la pleine conscience sur la douleur et les symptômes comorbides.
La thérapie par l’exercice dans l’arthrose de la main ?
Page 40 - page 43
Geysen K.
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse, de bonne qualité méthodologique, montre, avec une faible certitude des données probantes, que la thérapie par l’exercice en cas d’arthrose de la main réduit modérément la douleur à court terme et améliore légèrement la raideur, les capacités fonctionnelles et la force de préhension. Aucune amélioration à court terme de la force de pincement et de la qualité de vie n’a été constatée. Les critères de jugement principaux et secondaires n’ont pas montré d’effet à long terme, mais ce résultat repose sur une méta-analyse de trois études seulement. Le faible degré de certitude des données probantes est principalement dû à des lacunes méthodologiques des RCTs incluses, ainsi qu’à l’incohérence des résultats. Pour ces raisons, mais également en raison de l’importante hétérogénéité clinique entre les études, les résultats sont difficilement extrapolables à la pratique clinique. L’inclusion de la thérapie par l’exercice dans un programme de revalidation devra donc surtout tenir compte des préférences personnelles du patient ainsi que de l’expérience du thérapeute.
Le diurétique est-il encore le premier choix lors de l’instauration d’un traitement de l’hypertension artérielle ?
Page 44 - page 48
De Cort P.
Cette synthèse méthodique Cochrane avec méta-analyse, de bonne qualité méthodologique, a comparé l’effet d’une faible dose de thiazide ou de diurétique de type thiazidique comme traitement de premier choix de l’hypertension artérielle à celui d’autres classes de médicaments antihypertenseurs comme traitement de première intention. Aucune différence n’a pu être montrée en termes de mortalité globale. Une faible dose de thiazide ou de diurétique de type thiazidique était cependant associée à moins d’événements cardiovasculaires et nécessitait moins souvent l’arrêt du traitement à cause d’effets indésirables. Cette étude ne permet pas de savoir si ces résultats peuvent être généralisés aux patients atteints de comorbidité. La plupart des études incluses présentaient un risque élevé de biais dans un ou plusieurs domaines, notamment en raison du fait que le promoteur était une entreprise pharmaceutique.
Effet des verres de lunettes avec filtre anti-lumière bleue sur la performance visuelle, le sommeil et la santé maculaire chez l’adulte.
19 03 2025
Hanselaer L.
Cette synthèse méthodique Cochrane sur l’effet des filtres anti-lumière bleue a inclus des RCTs comportant de nombreuses sources de biais. Elles étaient en outre souvent très petites et hétérogènes en ce qui concerne la population étudiée, la durée de l’intervention et le suivi. Par conséquent, sur la base des résultats de cette revue, nous ne pouvons rien conclure quant à l’effet des filtres anti-lumière bleue sur la fatigue visuelle, la qualité du sommeil et la santé maculaire. Il convient de mener des études solides, de qualité élevée, contrôlées par placebo, avec un suivi suffisamment long.
Thérapie d’acceptation et d’engagement pour les personnes atteintes de maladie neuromusculaire ?
19 03 2025
Stukken L.
Cette étude randomisée contrôlée, qui a été correctement menée d’un point de vue méthodologique, montre un effet statistiquement significatif de la thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT), par comparaison avec la prise en charge habituelle, sur la qualité de vie des patients atteints de maladie neuromusculaire. La pertinence clinique de cet effet est cependant encore incertaine. Avant de pouvoir recommander l’intervention, des études supplémentaires sont donc nécessaires.
Efficacité de la kinésithérapie centrée sur la personne chez les personnes âgées ayant des problèmes de mobilité.
19 03 2025
Boers A.
Cette étude contrôlée avec randomisation par grappes, avec protocole avec permutation séquentielle (« stepped wedge protocol »), montre que l’intervention de kinésithérapie centrée sur la personne, comparée à la kinésithérapie classique, a un effet statistiquement significatif sur l’activité physique, la mobilité, le degré de fragilité et la qualité de vie des personnes âgées fragiles vivant à domicile. La conception pragmatique garantit que les résultats correspondent bien à la pratique clinique. Cependant, les symptômes des patients ayant participé à cette étude ne sont pas clairement précisés, et l’on ne peut donc pas savoir pour quels groupes ce traitement est plus ou moins utile. Le taux élevé d’abandons dans le groupe intervention rend également le résultat moins robuste.
Y a-t-il une association entre la consommation d’aliments ultratransformés et la mortalité ?
19 03 2025
Van Den Broecke N.
Cette étude de cohorte prospective à grande échelle, menée aux États-Unis, principalement auprès de professionnels de la santé, en prenant en compte de très nombreux facteurs de confusion, montre, après un suivi d’une durée médiane de 34 ans, une faible association entre la consommation la plus élevée (quantité médiane de 7,4 portions/jour) d’aliments ultratransformés et la mortalité par rapport à ceux dont la consommation était la plus faible (quantité médiane de 3 portions/jour). L’association s’est estompée lorsque la qualité nutritionnelle globale a été prise en compte. L’association était la plus forte avec les produits ultratransformés à base de viande, de poisson et de volaille, ainsi qu’avec les boissons rafraîchissantes additionnées d’édulcorants. Aucune association avec la mortalité cardiovasculaire ou par cancer n’a pu être montrée.
L’amitriptyline pour le syndrome de l’intestin irritable ?
19 03 2025
Samyn J., Lemmens O., Poelman T.
Cette étude de phase 3, randomisée, contrôlée, en double aveugle, qui a été menée correctement dans une population de soins de première ligne, montre qu’une faible dose d’amitriptyline, par comparaison avec un placebo, a un effet limité sur les symptômes chez des adultes qui présentent des symptômes persistants du syndrome de l’intestin irritable malgré l’instauration initiale d’un traitement symptomatique. On ignore toutefois si cet effet est cliniquement pertinent, et, de plus, il faut tenir compte d’un effet placebo important. Cette étude ne permet pas de savoir quels sous-groupes répondent le mieux au traitement. En outre, l’amitriptyline est associée à de nombreux effets indésirables. Des recherches supplémentaires avec des analyses de sous-groupes et des analyses coût-efficacité sont nécessaires avant de mettre en œuvre ce traitement en médecine générale.
Aborder les tendances suicidaires en première ligne de soins.
Contexte
En 2021, 1640 personnes sont décédées par suicide en Belgique, ce qui équivaut à environ 4,5 suicides par jour (1). C’est moins qu’en 2012, mais cela reste un nombre élevé. Il est donc important de s’engager dans la prévention du suicide.
Les prestataires en première ligne de soins ont un grand rôle à jouer dans la prévention du suicide car ils représentent souvent un point de contact qui est facile d’accès. Par exemple, plus de 75% des personnes décédées par suicide avaient consulté un prestataire de la première ligne de soins au cours de l’année précédant leur décès (2-6). Bien que ces contacts ne soient pas toujours liés à des idées suicidaires, ils donnent aux prestataires de soins l’occasion de reconnaître les signes qui peuvent être liés à des idées suicidaires. Ils auraient ainsi l’occasion d’entamer une conversation et pourraient proposer au patient des ressources appropriées. Des efforts internationaux se multiplient donc pour fournir aux prestataires de soins des guide de pratique clinique afin qu’ils reconnaissent les tendances suicidaires et en discutent rapidement et qu’ils suivent ces patients et les orientent de manière appropriée. Un des outils utilisés comme intervention en première ligne en cas de tendances suicidaires est le « plan d’urgence personnel en cas de crise suicidaire » (Safety Plan) (7) (disponible à la page https://www.preventionsuicide.be/sites/default/files/publication/CPS-PlanPersonnelCriseSuicidaire.pdf) C’est un questionnaire que la personne qui a des idées suicidaires peut compléter pour mettre en place des balises qui l’aideront à se guider en cas de crise suicidaire. Une série de questions permet d’identifier les signaux d’alarme, les mesures que la personne peut prendre, seule ou avec d’autres, et les personnes à contacter en cas de crise suicidaire. Une précédente revue systématique avec méta-analyse a montré que le plan d’urgence personnel en cas de crise suicidaire pouvait réduire de 43% le risque de comportement suicidaire (8). Lors de l’élaboration de guides de pratique clinique pour la prévention du suicide en première ligne de soins, il est important de vérifier l’efficacité et la mise en œuvre de cet outil (9).
Résumé
Population étudiée
- recrutement par le biais de 22 cabinets de la première ligne de soins dans l’État de Washington
- critères d’inclusion : adultes (≥ 18 ans) s’étant présentés en première ligne de soins entre le 1er janvier 2015 et le 31 juillet 2018
- critères d’exclusion : consultation dans l’un des trois cabinets de première ligne ayant déjà participé à une étude pilote portant sur cette intervention
- finalement, inclusion de 33 3593 patients (avec un total de 1 568 913 consultations dans des cabinets de première ligne), âge moyen de 49,7 ans, et proportion un peu plus importante de femmes (58,9%) que d’hommes.
Protocole d’étude
Analyse secondaire d’une étude d’implémentation contrôlée randomisée en grappes avec permutation séquentielle (« stepped wedge ») suivant
- l’intervention :
- l’intervention de l’étude originale était axée sur la prise en charge de la dépression, des tendances suicidaires et de l’abus de substances dans la population générale ; elle consistait en l’administration annuelle d’un questionnaire de dépistage comportant sept items : deux questions sur la dépression tirées du questionnaire PHQ-9 et cinq questions sur la consommation de substances (alcool, cannabis et substances illicites)
- en cas de score augmenté aux deux questions tirées du questionnaire PHQ-9 : passage aux
- sept autres questions du PHQ-9
- en cas d’idées suicidaires : dépistage des tendances suicidaires à l’aide du questionnaire C-SSRS et, en cas d’intention de suicide ou de planification du suicide au cours du mois écoulé, compléter le « plan d’urgence personnel en cas de crise suicidaire » avec le patient
- éventuellement, prévoir à court terme un suivi et un accompagnement par des assistants sociaux qualifiés
- la mise en œuvre de cette intervention a été soutenue de trois manières : par l’envoi de facilitateurs dans les cabinets (ils ont pour mission de former les équipes de soins avec précision et de les suivre étroitement de manière à ce que l’intervention soit appliquée de manière appropriée), l’aide aux décisions cliniques dans les dossiers médicaux informatisés (par exemple, en fonction des résultats du dépistage) et le suivi de la mise en place de l’intervention (commentaires aux équipes de soins)
- comparateur : prise en charge habituelle.
Mesure des résultats
- critères de jugement primaires :
- dans quelle mesure le plan d’urgence personnel en cas de crise suicidaire est mis en place dans les 14 jours qui suivent le dépistage
- tentatives de suicide ou décès par suicide dans les 90 jours suivant la consultation au cabinet de première ligne
- critères de jugement secondaires :
- mesures de résultats collectées pendant l’intervention, telles que les scores PHQ-9, C-SSRS
- psychothérapie commencée dans les 30, 60 ou 90 jours
- collecte de données à partir des dossiers médicaux informatisés et des demandes d’indemnisation
- analyse à l’aide d’un modèle de régression logistique à effets mixtes, tenant compte de la stratification, du moment de l’intervention dans le cadre du protocole avec permutation séquentielle (« stepped wedge »).
Résultats
- résultats des critères de jugement primaires :
- le nombre de mises en place du « plan d’urgence personnel en cas de crise suicidaire » est plus élevé, et ce de manière statistiquement significative, dans le groupe intervention que dans le groupe témoin : 38,3 contre 32,8 sur 10 000 consultations, soit une différence de 5,5 sur 10 000 consultations (avec IC à 95% de 2,3 à 8,7)
- le nombre de tentatives de suicide est plus faible, et ce de manière statistiquement significative, dans le groupe intervention que dans le groupe témoin : 4,5 contre 6,0 sur 10 000 consultations, soit une différence de -1,5 sur 10 000 consultations (avec IC à 95% de -2,6 à -0,4)
- résultats des critères de jugement secondaires :
- pour tous les critères de jugement secondaires, les résultats étaient meilleurs, et ce de manière statistiquement significative, dans le groupe intervention que dans le groupe témoin, à l’exception du démarrage d’une psychothérapie, qui était moins fréquent dans le groupe intervention à 90 jours (non significatif après 30 et 60 jours) (voir tableau).
Tableau. Critères de jugement secondaires dans le groupe témoin et dans le groupe intervention avec différence pour 10000 consultations (avec IC à 95%).
Critère de jugement |
Témoin |
Intervention |
Différence pour 10 000 consultations |
IC à 95% |
Dépistage d’une dépression |
2923,7 |
8278,8 |
5355,1 |
5306,4 à 5403,8 |
Dépistage avec PHQ-9 |
2594,7 |
3763,8 |
1169 |
1124,5 à 1213,5 |
Idées suicidaires fréquentes |
199,9 |
224,9 |
25 |
16,9 à 33,2 |
Dépistage des tendances suicidaires (avec C-SSRS) |
146,2 |
189,6 |
43,4 |
35,9 à 50,8 |
Intention ou planification de suicide au cours du mois écoulé |
59,6 |
70,5 |
10,9 |
6,5 à 15,3 |
Démarrage d’une psychothérapie dans les 30 jours |
111,4 |
106,9 |
-4,5 |
-9,9 à 0,9 |
Démarrage d’une psychothérapie dans les 60 jours |
168,6 |
163,3 |
-5,3 |
-12,5 à 0,9 |
Démarrage d’une psychothérapie dans les 90 jours |
216,0 |
207,5 |
-8,5 |
-16,6 à -0,4 |
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que la mise en œuvre d’une prise en charge du suicide basée sur la population et d’un programme concomitant de lutte contre la toxicomanie a permis de réduire de 25% les tentatives de suicide dans les 90 jours suivant une consultation en première ligne de soins.
Financement de l’étude
Financement par le National Institute of Mental Health (NIMH).
Conflits d’intérêt des auteurs
Financement par le NIMH, et un auteur mentionne avoir prodigué des conseils pendant six mois à une petite organisation non lucrative axée sur la prévention du suicide.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
Il s’agit d’une analyse secondaire d’une étude contrôlée randomisée en grappes avec permutation séquentielle (« stepped wedge »). Cette conception particulière, qui a précédemment fait l’objet d’une discussion dans un article méthodologique de Minerva (10), convient pour étudier les effets de la mise en œuvre d’une intervention dans la pratique. Cela permet à tous les cabinets impliqués de mettre en œuvre l’intervention pour la prise en charge de la toxicomanie et de former leur propre groupe témoin. Les analyses statistiques des données ont tenu compte des effets temporels de la conception de l’étude. Les chercheurs ont utilisé un vaste ensemble de dossiers médicaux informatisés et de demandes d’indemnisation, ce qui a contribué à la fiabilité et à l’exhaustivité des données. Des échelles validées ont été utilisées comme outils de mesure. Les tentatives de suicide et les décès par suicide ont été considérés ensemble pour le principal critère d’évaluation (comportement suicidaire). En développant les critères décrits pour les tentatives de suicide, il semble que l’automutilation ait été incluse dans les tentatives de suicide. Il est pourtant essentiel de distinguer l’automutilation non suicidaire et le comportement suicidaire, car ils diffèrent en termes de prévalence, d’évolution et de mécanismes sous-jacents. Il y a donc lieu de s’interroger sur l’exactitude des résultats concernant le comportement suicidaire.
Tous les adultes fréquentant des cabinets de première ligne ont été inclus, à l’exception de ceux qui se rendaient dans un cabinet qui avait participé à l’étude pilote. Le risque de biais de sélection est ainsi réduit à un minimum. Les assistants sociaux n’étaient pas en aveugle, car ce n’est pas vraiment possible lors de la mise en œuvre d’un nouveau programme. Il s’ensuit un risque de biais de performance, même dans le groupe témoin, car les prestataires de soins, du fait de leur participation à l’étude, peuvent avoir été plus attentifs aux signes de dépression et de tendances suicidaires.
Évaluation des résultats
Les résultats montrent que l’intervention a été bien mise en œuvre, ce qui s’est traduit par un plus grand nombre de dépistages de la dépression et des tendances suicidaires et par un plus grand nombre de plans d’urgence personnels en cas de crise suicidaire. Le groupe intervention a montré une réduction de 1,5 tentative de suicide pour 10 000 consultations (diminution de 25%) 90 jours après la première consultation, alors qu’au préalable, une différence de 2,18 était considérée comme cliniquement pertinente. On ne sait toutefois pas clairement sur quoi repose cette différence prédéterminée. De plus, pour interpréter correctement cette différence, il faut tenir compte de la prévalence des tentatives de suicide dans cette population spécifique, mais les auteurs ne la rapportent pas. Mais comme le groupe témoin n’a enregistré que 6 tentatives de suicide pour 10 000 consultations, on peut supposer que même une seule tentative de moins fera déjà une différence significative. Pour la mise en place du « plan d’urgence personnel en cas de crise suicidaire », la différence de 4,77 pour 10 000 consultations, préalablement déterminée comme étant cliniquement pertinente, a été atteinte. Il aurait été utile d’effectuer des analyses de sous-groupes pour vérifier si le nombre de tentatives avait diminué dans le groupe ayant préparé un « plan d’urgence personnel en cas de crise suicidaire ». Cela nous aurait permis d’examiner spécifiquement dans quelle mesure le « plan d’urgence personnel en cas de crise suicidaire » était un élément utile de l’intervention. On peut néanmoins le supposer à partir des résultats d’une précédente étude (8). En outre, une comparaison des coûts et des avantages de la mise en œuvre de l’intervention pourrait aider à déterminer si les différences constatées justifient les coûts. Mais les auteurs n’indiquent pas le coût de l’intervention.
Il y a tout de même quelques remarques importantes à faire concernant l’intervention utilisée. L’étude initiale, dont les données ont été secondairement analysées dans cette publication, portaient sur la prise en charge de la consommation de substances. La prévention du suicide n’était donc pas le principal objectif de l’étude ou de l’intervention. Par conséquent, il est impossible de déterminer les effets des guides de pratique clinique spécifiques pour la prévention du suicide en première ligne de soins. Une étude récente a cependant montré que la consommation de substances est un important facteur de risque de tendances suicidaires (11,12). Là encore, des analyses supplémentaires effectuées par les auteurs ont montré que la proportion de personnes présentant un risque de suicide qui ont également bénéficié d’une prise en charge (accompagnement) concernant la consommation d’alcool était plus importante dans le groupe intervention (0,51%) que dans le groupe témoin (0,14%). Ainsi, en raison de la forte association entre la consommation de substances et le risque de suicide, la prise en charge de la consommation d’alcool peut être un facteur de confusion affectant la réduction des tentatives de suicide dans le groupe intervention. Comme l’étude initiale portait principalement sur la prise en charge de la consommation de substances, le risque de biais de sélection peut également être plus élevé, car les personnes sélectionnées sont principalement des personnes ayant des idées suicidaires et présentant en outre une plus forte consommation de substances. Cet élément limite la possibilité de généraliser les résultats. Pour le dépistage des tendances suicidaires, le C-SSRS a été utilisé après un score élevé aux deux items du PHQ-9. Une précédente étude montre cependant que les échelles standardisées de risque de suicide ne sont pas de bons prédicteurs du risque de suicide et peuvent donner un faux sentiment de sécurité (13). Dans cette étude, le « plan d’urgence personnel en cas de crise suicidaire » n’a été mis en place qu’en cas de résultats élevés aux questionnaires, ce qui a très probablement eu pour conséquence que des personnes ayant besoin d’une prise en charge ont été exclues. En outre, la prise en charge habituelle n’est pas clairement décrite. Il est donc également possible que certains cabinets appliquaient déjà le dépistage et la mise en place du « plan d’urgence personnel en cas de crise suicidaire », et l’impact de la mise en œuvre serait donc sous-estimé.
Il est frappant de constater que le nombre de psychothérapies commencées était plus faible dans le groupe intervention que dans le groupe témoin malgré un dépistage accru des tendances suicidaires et un plus grand nombre de personnes présentant un risque suicidaire accru. Le « plan d’urgence personnel en cas de crise suicidaire » peut aider à surmonter les crises, mais il ne remplace pas la psychothérapie. Il aurait été intéressant d’utiliser une analyse de sous-groupe pour déterminer si les personnes qui disposent d’un « plan d’urgence personnel en cas de crise suicidaire » étaient moins souvent orientées vers une psychothérapie.
Que disent les guides de pratique clinique ?
Le Centre d’expertise flamand pour la prévention du suicide (Vlaams Expertisecentrum Suïcidepreventie, VLESP) dispose de guides de pratique clinique fondés sur des preuves détaillés et de modules d’apprentissage en ligne sur la détection et le traitement multidisciplinaires des tendances suicidaires (14). Les principes de base mentionnés comme étant les plus importants sont d’établir le contact, de maintenir le contact, de promouvoir la sécurité (y compris par le biais d’un « plan d’urgence personnel en cas de crise suicidaire »), d’impliquer les proches, de veiller à la continuité des soins. Le guide de pratique clinique insiste également sur le fait qu’il ne faut pas utiliser d’instruments de dépistage pour estimer le risque aigu de suicide, mais plutôt travailler avec une formulation du risque dans laquelle les facteurs de risque et de protection sont identifiés de manière exhaustive. Le Centre de Prévention du Suicide est LA référence en matière de prévention du suicide en Belgique francophone (15).
Le site néerlandais des normes pour les soins de santé mentale (GGZ Standaarden) en cas de comportement suicidaire met en avant les principes de base suivants : le contact et la collaboration avec les proches (16). Ces normes indiquent en outre qu’il est préférable de détecter et traiter les comportements suicidaires le plus tôt possible. Elles non plus ne parlent pas de questionnaires de dépistage, mais plutôt de l’identification des facteurs de stress et des facteurs de vulnérabilité, ainsi que de l’estimation des tendances suicidaires aiguës.
La collaboration avec les proches est par conséquent mentionnée par plusieurs guides de pratique clinique comme étant un élément important, mais elle ne fait pas partie de l’intervention dans l’étude discutée ici.
Le guide de pratique clinique de la Fédération des médecins spécialistes (Federatie Medisch Specialisten) aux Pays-Bas (17) est analogue aux deux guides de pratique clinique susmentionnés.
Conclusion de Minerva
Cette analyse secondaire d’une étude contrôlée randomisée en grappes avec permutation séquentielle, qui a été correctement menée sur le plan méthodologique dans des cabinets de première ligne, montre qu’une intervention axée sur le dépistage et sur la prise en charge des tendances suicidaires et de l’abus de substances a été bien mise en œuvre et a également entraîné une diminution des comportements suicidaires. Cependant, l’intervention elle-même ne visait pas spécifiquement la prévention du suicide, et, comme le dépistage a été effectué à l’aide de questionnaires standardisés, il est possible que les personnes ayant des idées suicidaires n’aient pas toutes été identifiées et aidées.
- Eurostat. Causes of death – standardized death rate by NUTS 2 region of residence. Dernière revision le 25/04/2024. Site web consulté le 19/12/2025. Disponible sur: https://ec.europa.eu/eurostat/databrowser/view/hlth_cd_asdr2__custom_11505974/default/table?lang=en
- Ahmedani BK, Simon GE, Stewart C, et al. Health care contacts in the year before suicide death. J Gen Intern Med 2014;29:870877. DOI: 10.1007/s11606-014-2767-3
- Ahmedani BK, Westphal J, Autio K, et al. Variation in patterns of health care before suicide: a population case-control study. Prev Med 2019;127:105796. DOI: 10.1016/j.ypmed.2019.105796
- Ahmedani BK, Stewart C, Simon GE, et al. Racial/ethnic differences in health care visits made before suicide attempt across the United States. Med Care 2015;53:430-5. DOI: 10.1097/MLR.0000000000000335
- Luoma JB, Martin CE, Pearson JL. Contact with mental health and primary care providers before suicide: a review of the evidence. Am J Psychiatry 2002;159:909-16. DOI: 10.1176/appi.ajp.159.6.909
- Stene-Larsen K, Reneflot A. Contact with primary and mental health care prior to suicide: a systematic review of the literature from 2000 to 2017. Scand J Public Health 2019;47:9-17. DOI: 10.1177/1403494817746274
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- Nuij C, van Ballegooijen W, de Beurs D, et al. Safety planning-type interventions for suicide prevention: meta-analysis. Br J Psychiatry 2021;219:2:419-26. DOI: 10.1192/bjp.2021.50
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- Henrard G. Les études randomisées en grappes avec permutation séquentielle : considérations méthodologiques. MinervaF 2015;14(7):89.
- Richards JE, Shortreed SM, Simon GE, et al. Association between patterns of alcohol use and short-term risk of suicide attempt among patients with and without reported suicidal ideation. J Addict Med 2020;14:e160-e169. DOI: 10.1097/ADM.0000000000000637
- Richards JE, Shortreed SM, Simon GE, et al. Short-term risk of suicide attempt associated with patterns of patient-reported alcohol use determined by routine AUDIT-C among adults receiving mentalhealthcare. Gen Hosp Psychiatry 2020;62:79-86. DOI: 10.1016/j.genhosppsych.2019.12.002
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- Centre de Prévention du Suicide. 2025. URL:
https://www.preventionsuicide.be/sites/default/files/publication/CPS-PlanPersonnelCriseSuicidaire.pdf - GGZ Standaarden. Zorgstandaard Suïcidaal gedrag: Diagnostiek en behandeling van suïcidaal gedrag. 2018. Disponible sur: https://www.ggzstandaarden.nl/zorgstandaarden/diagnostiek-en-behandeling-van-suicidaal-gedrag/introductie
- Federatie Medisch Specialisten. Suïcidaal gedrag. 2012. Disponible sur: https://richtlijnendatabase.nl/richtlijn/suicidaal_gedrag/su_cidaal_gedrag_-_startpagina.html