Revue d'Evidence-Based Medicine
Une étude dite à long terme sur la prise d’atorvastatine sans apport réel nouveau.
Minerva 2025 Volume 24 Numéro 9 Page 212 - 216
Professions de santé
Infirmier, Médecin généraliste, PharmacienContexte
En 2007, Minerva a commenté une méta-analyse (1) montrant que, chez des patients sans pathologie cardiovasculaire connue, un traitement par statines peut contribuer à réduire le risque cardiovasculaire et cérébrovasculaire, mais non la mortalité (2). En 2012, dans une autre méta-analyse, un autre synopsis de Minerva (3) décrit qu’un traitement par statines diminue, chez des patients à risque cardiovasculaire faible, le risque d’évènements coronariens et d’AVC ainsi que la mortalité globale, sans diminuer la mortalité liée à un infarctus du myocarde ou par AVC (4). L’Anglo-Scandinavian Cardiac Outcomes Trial (ASCOT) (5) est un essai prospectif randomisé contrôlé qui a évalué deux stratégies différentes de réduction de la pression artérielle chez 19 342 sujets hypertendus présentant trois facteurs de risque supplémentaires de maladie cardiovasculaire. Selon un plan factoriel, un sous-groupe de participants (n = 10 305) présentant un taux de cholestérol total inférieur à 6,5 mmol/l a été randomisé en double aveugle pour recevoir soit 10 mg d'atorvastatine (groupe « hypolipidémiant » ou LLA), soit un placebo. Dans le groupe ASCOT « LLA », l'atorvastatine, comparée au placebo, a significativement réduit l'incidence de plusieurs paramètres cardiovasculaires majeurs, notamment l'infarctus du myocarde (IDM) et l'accident vasculaire cérébral (AVC), sur une période de suivi moyenne de 3,3 ans. De nouvelles analyses de la partie britannique de l’essai ont été menées environ 20 ans après la randomisation initiale et 17 ans après la clôture de l'étude LLA, en intégrant des données sur les évènements non mortels et la mortalité provenant du NHS England et de Public Health Scotland (6).
Résumé
Population étudiée
- critères d’inclusion : cholestérolémie < 6,5 mmol/l (< 251,35 mg/d), hypertension artérielle ; âge de 40 à 79 ans au moment de la randomisation ; au moins trois facteurs de risque supplémentaires de maladie cardiovasculaire
- critères d’exclusion : aucun antécédent de maladie coronarienne (MC), d'angine traitée, d'accident vasculaire cérébral (AVC) ou d'accident ischémique transitoire (AIT) dans les 3 mois précédant la randomisation
- au total, 4605 patients du contingent britannique de l’étude ASCOT qui avaient été randomisés entre février 1998 et mai 2000 ; âge moyen de 28 ans (écart type 8) ; BMI moyen de 33,4 kg/m² (5,0) ; 88% de sexe masculin ; taux moyen de cholestérol total au départ 5,5 mmol/l (écart-type 0,8 ; antécédents de diabète (27%) (212,7 mg/dl (ET 30,94), d'accident vasculaire cérébral (AVC) ou d'AIT (10%) ou d'autres maladies vasculaires (22%).
Protocole d’étude
- essai de phase 3 randomisé, en double aveugle, multicentrique, contrôlé par placebo, avec randomisation 1/1 entre :
- administration d’atorvastatine 10 mg/j per os
- placebo
- à la fin de l'essai, tous les participants se sont vu proposer 10 mg d'atorvastatine. Environ deux tiers des participants de chaque groupe de l'essai ont pris de l'atorvastatine pendant les deux années suivantes, après quoi les profils lipidiques étaient identiques dans les deux groupes.
Critères de jugement
- critère de jugement primaire : comparer le délai de survenue des évènements cardiovasculaires suivants entre les patients recevant de l'atorvastatine et ceux recevant un placebo : infarctus du myocarde non mortel et cardiopathie congénitale mortelle, évènements coronariens totaux (définis comme infarctus du myocarde (IDM) non mortel, cardiopathie congénitale mortelle, insuffisance cardiaque (IC) non mortelle et mortelle et développement d'une angine de poitrine), accident vasculaire cérébral mortel et non mortel, IC mortelle et non mortelle, évènements cardiovasculaires totaux, mortalité cardiovasculaire et toutes causes confondues
- critères de jugement secondaires : évaluer les taux de cholestérol pendant l’essai pour identifier les facteurs prédictifs de l’effet de la statine.
Résultats
- analyse globale à long terme de la population britannique (après un suivi médian de 17 ans (IQR 9-19), avec un suivi maximal de 21 ans) : réduction significative dans le bras atorvastatine des IDM non mortels et des évènements coronariens mortels (HR de 0,81 avec IC à 95% de 0,69 à 0,94 ; p = 0,006), du nombre total d'évènements coronariens (HR de 0,88 avec IC à 95% de 0,80 à 0,98 ; p = 0,017) et de la mortalité CV (HR de 0,86 avec IC à 95% de 0,74 à 0,99 ; p = 0,048) ; pas de réduction significative observée pour l'IC, les AVC, le nombre total d'évènements cardiovasculaires et la mortalité toutes causes confondues
- analyse de l'inclusion à la fin de la période de LLA (3,3 ans) au sein de la population britannique : diminution significative des IDM non mortels et des évènements coronariens mortels (HR de 0,62 avec IC à 95% de 0,41 à 0,93 ; p = 0,021), du nombre total d'évènements coronariens (HR de 0,73 avec IC à 95% de 0,56 à 0,97 ; p = 0,029) et du nombre total d'évènements et d'interventions cardiovasculaires (HR de 0,73 avec IC à 95% de 0,60 à 0,90 ; p = 0,003) ; il n’y a pas de différence en termes d’AVC, de mortalité CV et de mortalité globale
- analyse des résultats post-essai (15 ans) parmi la population britannique ayant survécu à l'essai ASCOT : aucune réduction significative du nombre total d'évènements coronariens (HR de 0,89 avec IC à 95% de 0,80 à 1,00 ; p = 0,053) et de la mortalité CV (HR de 0,86 avec IC à 95% de 0,73 à 1,02 ; p = 0,075)
- analyse entre la diminution du taux moyen de cholestérol LDL sur 6 mois à partir du moment de l’attribution jusqu’à la fin de l’étude ASCOT LLA et les résultats cardiovasculaires à long terme chez les participants ayant reçu de l’atorvastatine dans l’essai : chaque unité de diminution du LDL était associée à des HR ajustés pour les IDM non mortels et les évènements coronariens mortels (0,69 avec IC à 95% de 0,57 à 0,85 ; p < 0,001), le nombre total d'évènements coronariens (0,70 avec IC à 95% de 0,61 à 0,79 ; p < 0,001), l'IC non mortelle et mortelle (0,68 avec IC à 95% de 0,57 à 0,81 ; p < 0,001), l'AVC non mortel et mortel (0,74 avec IC à 95% de 0,59 à 0,92 ; p = 0,006), le nombre total d'évènements et d'interventions cardiovasculaires (0,74 avec IC à 95% de 0,66 à 0,81 ; p < 0,001), la mortalité cardiovasculaire (0,66 avec IC à 95% de 0,55 à 0,81 ; p < 0,001) et mortalité toutes causes confondues (0,81 avec IC à 95% de 0,71 à 0,90 ; p < 0,001).
Conclusion des auteurs
Ces observations apportent des preuves supplémentaires des effets à long terme des statines et ont des implications pour l'introduction précoce des statines afin de prévenir les évènements cardiovasculaires et la mortalité.
Financement de l’étude
Par la firme pharmaceutique Pfizer et l’Imperial College London.
Conflit d’intérêts des auteurs
Aucun conflit d’intérêts déclaré pour le présent travail mais de très nombreux avec l’industrie dont le sponsor dans la publication initiale.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
Il s’agit d’une étude observationnelle réalisée sur une partie de la population d’une étude randomisée. Cette analyse n’a pas été planifiée dans le protocole initial. Les auteurs ont mis à jour les données des patients non par un suivi clinique mais par la consultation des banques de données électroniques du NHS England and Public Health Scotland. La partie scandinave de l’étude n’a pas pu être mise à jour faute d’accès à un système électronique équivalent. Le recours aux données électroniques par le peu de données pertinentes disponibles pose problème. Par exemple, lors de l'essai initial, tous les évènements non mortels ont été évalués par un comité indépendant. Cependant, les données issues des dossiers hospitaliers électroniques des évènements post-essai n'étaient pas disponibles pour l'évaluation. Les issues non mortelles identifiées à l'aide des codes de la Classification internationale des maladies, dixième révision, présentent des limites ; si, pour les auteurs, les données de mortalité évaluées corroborent les résultats de l'évaluation combinée des issues mortelles et non mortelles, cela reste un biais potentiel.
Dans la présente étude, un nombre important et une variété de résultats ont été analysés. Il n’y a pas eu d'ajustement pour la multiplicité ; une certaine inflation de l'erreur globale de type 1 a pu se produire. Cette multiplicité de tests pourrait expliquer la différence « significative » en termes de mortalité CV (p = 0,048) pour l’analyse globale alors qu’elle ne l’est pas pour la période de l’essai (p = 0,45), ni pour celle après l’essai (p = 0,075). Cette approche biaise très fort toute conclusion pragmatique.
Évaluation des résultats
Pour interpréter correctement les résultats de cette étude, le lecteur doit garder à l'esprit que l'étude ASCOT-LLA a été publiée en 2003 et ouverte à la randomisation en 1998 ; les recommandations actuelles concernant les statines réduction du LDL-C n'étaient pas d'application à l'époque. L’analyse à long terme de la partie britannique de l’étude ASCOT-LLA n’apporte guère de renseignements nouveaux utiles à la pratique quotidienne, la question de l’effet à long terme de la statine étant biaisée par la prise d’hypolipémiants des participants du bras placebo. En effet, après la clôture de l’étude, tous les patients ont été autorisés à prendre de l’atorvastatine. Deux ans après la clôture de l'essai (2004), période durant laquelle environ deux tiers des participants de chaque groupe prenaient de l'atorvastatine, les taux de lipides étaient identiques dans les deux groupes (cholestérol LDL : 2,4 mmol/l) (92,8 mg/dl). Une enquête menée 9 ans plus tard (2011-2012) a montré que 72,6% des personnes précédemment traitées par l’atorvastatine prenaient une statine, contre 70,2% des personnes précédemment traitées par le placebo. Les taux de cholestérol LDL avaient alors atteint 3,4 mmol/l (131,5 mg/dl), mais restaient similaires entre les patients précédemment traités par atorvastatine et ceux recevant un placebo. Les auteurs disposaient toutefois de données limitées sur les mesures du cholestérol et le traitement des lipides provenant des échantillons à ce moment-là.
À cause de la méthodologie utilisée, à savoir la consultation de données électroniques du NHS, on n’a pas d’information sur des données importantes pour le risque cardio-vasculaire à long terme comme la consommation de tabac, les habitudes alimentaires (consommation d’huile d’olive notamment), les traitements hypotenseurs administrés et leur effet, l’évolution du poids, etc. Le seul renseignement important apporté par l’étude est le maintien de la différence en faveur de la statine entre les deux bras randomisés, du moins pour certains objectifs (dont l’IDM et la mortalité cardiovasculaire) et pas d’autres (dont l’AVC et la mortalité globale). Les auteurs ne rapportent pas le bénéfice à long terme en nombre de sujets à traiter (NST) comme souhaité particulièrement pour les études préventives (7). La conférence de consensus de l’INAMI (8) avait fait les calculs pour la publication de 2003 : il fallait traiter 294 patients pour éviter par an un IDM non mortel ou un maladie cardiovasculaire mortelle (critère principal) et 500 pour éviter par an un AVC mortel et non mortel.
Il est dommage de n’avoir aucune donnée concernant les effets indésirables à long terme de l’atorvastatine et les arrêts de traitement qu’ils ont induits. C’est une donnée importante pour que le praticien puisse guider son patient. Avec un suivi très long, c’est une occasion manquée due très vraisemblablement à la méthodologie utilisée avec le recours aux données électroniques qui sont trop superficielles pour traiter de telles questions.
À noter qu’une autre analyse de la partie britannique de l’étude (9) avait été réalisée, comme rapportée dans la conférence de consensus de l’INAMI (8) « après une période médiane de 11 ans après la randomisation initiale et de 8 ans après la fin de la phase LLA, pendant laquelle la plupart des patients des deux groupes de traitement prenaient des statines, la mortalité toutes causes confondues (n = 520 sous placebo et n = 460 sous atorvastatine) est restée significativement inférieure chez les patients qui avaient initialement été versés dans le groupe atorvastatine (HR de 0,86 avec IC à 95% de 0,76 à 0,98 ; p = 0,02). La mortalité cardiovasculaire était inférieure, mais la différence n’était pas significative (HR de 0,89 avec IC à 95% de 0,72 à 1,11 ; p = 0,32), et la mortalité non cardiovasculaire était significativement moins élevée (HR de 0,85 avec IC à 95% de 0,73 à 0,99 ; p = 0,03) chez les patients qui avaient initialement été versés dans le groupe atorvastatine. Cette diminution a été attribuée à une réduction des décès dus à une infection ou à une maladie respiratoire », ce qui peut poser question sur le mécanisme d’action de la statine.
Que disent les guides de pratique clinique ?
La conférence de consensus de l’INAMI en 2014 (8) recommande un traitement par statine pour tous les patients avec antécédents cardiovasculaire (excepté un AVC hémorragique). Une statine est également recommandée pour les patients sans antécédents, mais à risque élevé. Il est important que le médecin traitant détermine un risque individuel et l’explique à son patient en termes de nombre de sujets à traiter pour éviter un évènement. Dans tous les cas, les mesures hygiéno-diététiques doivent être mises en place et évaluées régulièrement avec le patient. Ces modifications de style de vie nécessaires ne sont en aucun cas remplacées par une statine. Pour l’ESC (Société européenne de cardiologie) (10), il est recommandé en cas d’hypercholestérolémie de prescrire une statine à haute intensité jusqu'à la dose maximale tolérée pour atteindre les objectifs fixés pour le niveau de risque spécifique. En prévention primaire, chez les patients à très haut risque, mais sans hypercholestérolémie familiale, si l'objectif de LDL-C n'est pas atteint à la dose maximale tolérée d'une statine et d'ézétimibe, une association avec un inhibiteur de la PCSK9 peut être envisagée. L’US Preventive Services Task Force (11) recommande aux cliniciens de prescrire une statine en prévention primaire des maladies cardiovasculaires chez les adultes âgés de 40 à 75 ans présentant un ou plusieurs facteurs de risque de maladies cardiovasculaires (c.-à-d. dyslipidémie, diabète, hypertension ou tabagisme) et un risque de maladie cardiovasculaire estimé à 10 ans à 10% ou plus.
Conclusion de Minerva
Ces observations apportent des preuves supplémentaires des effets à long terme des statines et ont des implications pour l'introduction précoce des statines afin de prévenir les évènements cardiovasculaires et la mortalité dans une population de patients britanniques hypertendus et avec une cholestérolémie < 6,5 mmol/l (< 251,35 mg/dl). Ces données ne changent pas les recommandations de la conférence de consensus de l’INAMI qui avaient inclus dans ces travaux les résultats de l’étude ASCOT.
- Lemiengre M. Prévention primaire de la morbi-mortalité cardio-vasculaire avec les statines. MinervaF 2007;6(5):76‑8.
- Thavendiranatham P, Bagai A, Brookhart MA, Choudry NK. Primary prevention of cardiovascular diseases with statin therapy: a meta-analysis of randomized controlled trials. Arch Intern Med 2006;166:2307-13. DOI: 10.1001/archinte.166.21.2307
- De Weirdt S, Lemiengre M. Utilité des statines chez des sujets à risque cardiovasculaire peu élevé. MinervaF 2012;11(4):43‑4.
- Tonelli M, Lloyd A, Clement F, et al; Alberta Kidney Disease Network. Efficacy of statins for primary prevention in people at low cardiovascular risk: a meta-analysis. CMAJ 2011;183:E1189-202. DOI: 10.1503/cmaj.101280
- Sever PS, Dahlöf B, Poulter NR, et al. Prevention of coronary and stroke events with atorvastatin in hypertensive patients who have average or lower-than-average cholesterol concentrations, in the Anglo-Scandinavian Cardiac Outcomes Trial--Lipid Lowering Arm (ASCOT-LLA): a multicentre randomised controlled trial. Lancet 2003;361:1149‑58. DOI: 10.1016/S0140-6736(03)12948-0
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- Chevalier P. Nombre de sujets à traiter. MinervaF 2009;8(2):24.
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- US Preventive Services Task Force, Mangione CM, Barry MJ, Nicholson WK, et al. Statin use for the primary prevention of cardiovascular disease in adults: US Preventive Services Task Force Recommendation Statement. JAMA 2022;328:746-53. DOI: 10.1001/jama.2022.13044
Auteurs
Sculier J.P.
Institut Jules Bordet; LabMeF, Université Libre de Bruxelles
COI :
Glossaire
étude en phase 3Code
I10, I51
K84, K86
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