Revue d'Evidence-Based Medicine
Prévention primaire de la morbi-mortalité cardio-vasculaire avec les statines
Minerva 2007 Volume 6 Numéro 5 Page 76 - 78
Professions de santé
Résumé
Contexte
Différents guides de pratique recommandent les statines chez les patients sans anamnèse cardio-vasculaire sur base du profil de risque cardio-vasculaire estimé suivant la présence (ou non) de facteurs de risque identifiés (selon le sexe, l’âge, la pression artérielle, un diabète sucré, le cholestérol total, le rapport HDL-c/LDL-c et un tabagisme). Les facteurs de risque diffèrent cependant selon les recommandations, tout comme les seuils déterminant une initiation thérapeutique. Les résultats des études évaluant les statines et sur lesquels ces recommandations s’appuient sont, en outre, non concordants.
Méthodologie
Synthèse méthodique et méta-analyse
Sources consultées
Publications en langue anglaise reprises dans MEDLINE (1966-juin 2005), EMBASE (1980-juin 2005), la Cochrane Collaboration, l’ACP Journal Club et les listes de références des études trouvées.
Etudes sélectionnées
Etudes randomisées, comparant statines versus placebo, comparateur actif ou soins habituels, avec un suivi de plus d’un an et au moins 100 événements cardio-vasculaires rapportés. Un minimum de 80% des participants doivent n’avoir présenté aucune pathologie cardio-vasculaire et les résultats pour au moins un des critères de jugement initialement décrits doivent être mentionnés pour ce sous-groupe. Sont exclues, les études : avec critères de jugement intermédiaires, comparaison de doses de statines élevées ou basses, incluant des patients recevant des statines pour des affections sans rapport avec les facteurs de risque cardio-vasculaire classiques (par exemple, en dialyse, post transplantation) et celles ne mentionnant pas la proportion de patients en prévention primaire. Finalement, ce sont sept études avec un suivi moyen de 3,2 à 5,2 ans qui sont incluses.
Population étudiée
Dans le groupe statines figurent 21 409 patients pour 21 439 dans le groupe contrôle. L’âge moyen des patients est de 55,1 à 75,4 ans et la proportion d’hommes varie entre 42 et 100%. Nonante pour cent des sujets inclus n’ont pas d’anamnèse de pathologie cardio-vasculaire. La LDL-cholestérolémie moyenne avant traitement est de 147 (117 à 192) mg/dl.
Mesure des résultats
Les critères de jugement primaires sont : événement coronarien important (infarctus myocardique fatal et non fatal) et événement cérébro-vasculaire important (AVC fatal et non fatal). Les critères secondaires sont : mortalité totale, infarctus du myocarde fatal, infarctus du myocarde non fatal, revascularisation et effets indésirables (élévation des transaminases, des enzymes musculaires, incidence de cancer). La méta-analyse est faite en modèle d’effet fixe et en modèle d’effet aléatoire.
Résultats
Dans le groupe statines, l’incidence d’infarctus fatal ou non fatal est diminuée de 29,2% (RRR 29,2% ; IC à 95% de 16,7 à 39,8; p<0,01). Pour le critère AVC fatal ou non, RRR 14,4% (IC à 95% de 2,8 à 24,6%; p=0,02).
Pour les critères secondaires, il n’y a pas de diminution significative de la mortalité globale et coronarienne, mais un avantage pour les statines pour la prévention de l’infarctus non fatal (RRR 31,7% ; IC à 95% de 16,9 à 43,9%; p<0,01) et pour le nombre de revascularisations (RRR 33,8% ; IC à 95% de 19,6 à 45,5%, p<0,001). Il n’y a pas de mention d’augmentation significative des enzymes hépatiques ou musculaires ni d’effets indésirables avec les statines. Sur base d’une analyse en régressions multiples, la réduction relative de risque d’infarctus fatal ou non est significativement associée avec un risque coronarien initial accru (p=0,001), avec une proportion plus faible d’hommes dans la population étudiée (p=0,003) et avec une diminution plus grande de la LDL-cholestérolémie en chiffres absolus un an après l’inclusion (p=0,001).
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que, chez des patients sans maladie cardio-vasculaire, un traitement par statines réduit l’incidence d’événements coronariens majeurs et cérébro-vasculaires, mais non la mortalité globale ni celle liée à une ischémie coronarienne.
Financement
Non mentionné.
Conflits d’intérêt
Non mentionnés.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
La méthodologie de cette méta-analyse est robuste. Les critères d’inclusion et d’exclusion sont bien précisés et en n’incluant que les « études avec des critères de jugement forts », les auteurs se sont limités automatiquement aux principales études sur les statines, discutées précédemment, entre autres dans Minerva 1-4. L’extraction des données se sert parfois de publications complémentaires, livrant des informations spécifiques sur les populations considérées. L’hétérogénéité des populations est soigneusement contrôlée, mais sans résultats détaillés dans cette publication. Les auteurs calculent pour les données sommées des modifications absolues de risque (<MAR) et, en cas de résultat significatif, un NST, toutefois sans intervalle de confiance. De larges intervalles de confiance pourraient relativiser la pertinence clinique des résultats.
Interprétation des résultats
Les sept études incluses évaluent quatre statines différentes. Pour chacune d’entre elles, l’efficacité sur la LDL-cholestérolémie est différente, pour chaque dose également, mais les doses utilisées peuvent être considérées comme équivalentes 5. Trois études incluent un groupe limité (10%) de patients ayant présenté un incident cardio-vasculaire (prévention secondaire). Une analyse en régression multiple montre cependant que l’efficacité montrée ne peut être attribuée à la présence de ces patients à passé cardiaque. Les patients inclus dans les différentes études n’ont pas été stratifiés selon leur profil de risque. Il n’est donc pas possible d’estimer dans quelle mesure la présence de patients à haut risque (par exemple diabétiques) influence les résultats. Les auteurs n’ont pu, avec les données disponibles, faire cette étude. Une autre méta-analyse, réalisée par la Cholesterol Trialist Collaboration (CTC), somme les résultats de 15 études avec les statines (90 056 patients) 6. Elle montre une RR de 0,81 (IC à 95% de 0,76 à 0,85 ; p<0,0001) pour les décès cardio-vasculaires, tandis que la méta-analyse ici analysée montre un RR de 0,77. La différence observée au niveau de la signification réside probablement dans le nombre de sujets inclus dans l’analyse. La méta-analyse du CDC inclut davantage de patients, ce qui contribue à rétrécir l’intervalle de confiance.
Importance du risque initial
L’ampleur de la réduction absolue de risque grâce à l’intervention est déterminée par le risque cardio-vasculaire initial : plus le risque est élevé, au plus l’effet clinique de l’intervention est important. La CTC inclut toutes les études évaluant les statines importantes ; le poids des études incluant des patients à haut risque amplifie l’effet de l’intervention. Cette méta-analyse-ci illustre aussi cette observation. Les auteurs entreprennent même de tenter de stratifier leur matériel d’étude selon le score de risque de Framingham. Ils proposent une réduction absolue de risque pour les groupes avec risque faible, intermédiaire et élevé de respectivement 0,75%, 1,63% et 2,51% pour une durée moyenne de traitement de 4,3 ans. Ceci correspond à des NST respectivement de 133, 61 et 40, relativement élevés donc. La largeur des intervalles de confiance devrait encore relativiser la portée clinique des résultats, mais ils ne sont malheureusement pas donnés. La conclusion est donc évidente, déjà précédemment formulée dans Minerva : l’efficacité clinique des statines est déterminée par le risque cardio-vasculaire initial du patient. Des patients avec anamnèse de lésions des artères coronaires ou périphériques bénéficient le plus d’un traitement. Des patients présentant une hypercholestérolémie isolée n’en tirent pas grand avantage. Cette efficacité, montrée dans des études cliniques, est enregistrée au niveau d’une population et ne peut être directement traduite à un niveau individuel. Les guides de pratique doivent élaborer un modèle permettant de déterminer le risque cardio-vasculaire et proposer des recommandations en fonction de ce risque, aussi bien pour les interventions médicamenteuses que non médicamenteuses.
Conclusion
Cette méta-analyse montre, chez des patients sans pathologie cardio-vasculaire connue, qu’un traitement par statines peut contribuer à réduire le risque cardio-vasculaire et cérébro-vasculaire, mais non la mortalité. L’efficacité des statines dépend du risque cardio-vasculaire initial et tout traitement doit être initié en fonction de celui-ci.
Références
- Thomas S. Primaire preventie met statines: heeft het zin? Huisarts Nu (Minerva) 1999;28(9):379-82.
- Numéro à thème « Cholestérol et risque cardio-vasculaire ». MinervaF 2004;3(4):53.
- Sunaert P, Christiaens T, Feyen L. Des statines pour tous les patients diabétiques ? MinervaF 2005;4(7):100-2.
- Shepherd J, Cobbe SM, Ford I, et al. Prevention of coronary heart disease with pravastatin in men with hypercholesterolemia. West of Scotland Coronary Prevention Study Group. N Engl J Med 1995;333:1301-7.
- Grundy SM, Cleeman JI, Merz CN, et al; National Heart, Lung, and Blood Institute; American College of Cardiology Foundation; American Heart Association. Implications of recent clinical trials for the National Cholesterol Education Program Adult Treatment Panel III guidelines. Circulation 2004;110:227-39.
- Baigent C, Keech A, Kearney PM, et al; Cholesterol Treatment Trialists' (CTT) Collaborators. Efficacy and safety of cholesterol-lowering treatment: prospective meta-analysis of data from 90 056 participants in 14 randomised trials of statins. Lancet 2005;366:1267-78.
- Lemiengre M. Traitement hypocholestérolémiant en 2004. MinervaF 2004;3(4):58-68.
Auteurs
Lemiengre M.
Huisartsenpraktijk De Wijngaard Roeselare; Vakgroep Huisartsgeneeskunde en Eerstelijnsgezondheidszorg, UGent
COI :
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