Analyse
30 ans de dépistage du cancer du sein par mammographie aux E-U : au mieux un faible impact sur la mortalité par cancer du sein chez les femmes de plus de 40 ans
28 03 2013
Professions de santé
Texte sous la responsabilité de la rédaction francophone
Nous avons publié et commenté dans Minerva début 2012 les résultats de l’étude Swedish two-county trial et la conclusion était la suivante : « Les résultats de cette RCT montrent qu’une mammographie de dépistage apporte à long terme une diminution de la mortalité par cancer du sein chez des femmes âgées de 40 à 75 ans. Il n’est cependant pas possible, sur base de ces résultats, de préciser pour quelle(s) tranche(s) d’âge ce dépistage est le plus intéressant. De plus le bénéfice net de la mammographie de dépistage est difficile à isoler en raison du rôle joué dans cette diminution de mortalité par d’autres éléments comme le traitement et le post-traitement » (1,2).
Une nouvelle étude étatsunienne parue récemment décrit les effets du dépistage du cancer du sein par mammographie observés sur une durée de 30 ans (1978-2008) chez les femmes de 40 ans et plus (3). Cette étude est de bonne qualité méthodologique. Les données ne sont cependant solides que pour 10% de la population américaine. Les définitions des différents diagnostics recherchés sont claires. Les auteurs montrent correctement la difficulté qu’ils ont eu à définir la population de référence avant l’introduction de la mammographie. Ils ont choisi la période comprise entre 1976 et 1978 et argumenté leur choix correctement. Ils discutent également de l’impact négatif sur la survenue des cancers du sein des thérapies de substitution hormonale fortement prescrites entre 1990 et 2005. En accord avec d’autres auteurs, ils considèrent que l’augmentation d’effet négatif dû à ces thérapeutiques cesse d’avoir un impact significatif dès la fin 2006, tout en acceptant que cette décision puisse être discutée. Les résultats montrent un doublement des diagnostics de cancer du sein à un stade précoce : de 112 à 234 cas par 100 000 femmes. Concomitamment, le nombre de cancer du sein à un stade avancé a diminué de 8 cas par 100 000 femmes. Après ajustement et extrapolation des résultats observés, les auteurs estiment que durant ces 30 ans de dépistage par mammographie, 1,3 millions de femmes américaines ont été surdiagnostiquées (= tumeur détectée par mammographie qui n’aurait jamais eu le moindre symptôme clinique) et que pour la seule année 2008, près de 70 000 femmes ont été surdiagnostiquées, représentant près de 31% de tous les cancers du sein diagnostiqués cette année-là. Ils montrent également que la diminution observée des cancers du sein à un stade avancé n’est sans doute pas due à la mammographie car cette diminution est observée plus fortement encore chez les femmes de moins de 40 ans (28% vs. 42%). Cette diminution serait donc plutôt due à de meilleurs tests de diagnostics (c’est-à-dire chez des femmes symptomatiques) et à de meilleurs traitements. Ils font à ce propos une remarque pertinente par un parallèle osé : depuis que (comme) la pneumonie est traitée avec succès, personne ne pense à la dépister.
Leur conclusion est que bien que l’augmentation du nombre de cancers du sein à un stade précoce ait augmenté de manière substantielle depuis l’introduction de la mammographie, le nombre de cancers du sein à un stade avancé n’a que marginalement diminué.
Bien qu’il soit incertain de savoir quelles femmes ont été réellement affectées, le déséquilibre observé suggère qu’il y ait un nombre substantiel de surdiagnostics représentant près d’un tiers de tous les cancers diagnostiqués et que la mammographie n’a, au mieux, qu’un faible impact sur la mortalité due au cancer du sein.
Enfin, il nous tenir compte des effets néfastes potentiels de l‘irradiation liée aux mammographies chez les femmes de 40 à 49 ans : « Un risque important de ce dépistage est que l’irradiation liée aux mammographies pourrait provoquer jusqu’à 40 cas de cancers et 16 décès supplémentaires » (4).
Conclusion de Minerva
En Belgique, le dépistage systématique tous les 2 ans du cancer du sein par mammographie chez les femmes de 50 à 69 ans est recommandé. Cette étude de Bleyer précise que le bénéfice net de la mammographie de dépistage a, au mieux, un impact limité sur la mortalité par cancer du sein et n’a sans doute eu aucun impact sur les cancers du sein à un stade avancé. Et cela au prix de surdiagnostics de l’ordre de 30% de tous les cancers diagnostiqués par mammographie et de cancers induits par des mammographies répétées.
Références
- Tabár L, Vitak B, Chen TH, et al. Swedish two-county trial: impact of mammographic screening on breast cancer mortality during 3 decades. Radiology 2011;260:658-63.
- Garmyn B. Quelle est l’efficacité d’un dépistage du cancer du sein à long terme (29 ans) ? MinervaF 2012;11(3);30-1.
- Bleyer A, Welch HG. Effect of three decades of screening mammography on breast-cancer incidence. N Engl J Med 2012;367:1998-2005.
- Mambourg F, Robays J, Camberlin C, et al. Dépistage du cancer du sein entre 40 et 49 ans. Good Clinical Practice (GCP). Bruxelles: Centre fédéral d’expertise des Soins de Santé (KCE). 2010. KCE Reports vol 176B. D2010/10.273/29.
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