Analyse
Arrêt du tabagisme : effet positif sur l’humeur ?
15 10 2014
Professions de santé
Minerva a récemment commenté une étude d’observation qui montre encore une fois le bénéfice de l’arrêt du tabagisme pour le système cardiovasculaire (1). Au niveau du système nerveux central, fumer provoque la libération de neurotransmetteurs responsables d’un sentiment subjectif (modéré) de bien-être (plaisir, régulation de l’humeur, réduction de l’anxiété et de la tension) (2). Arrêter de fumer peut entraîner des symptômes (aigus) de sevrage, comme de l’irritabilité, de l’anxiété, de l’énervement, de la morosité, de la dépression, des « fringales »… (3). Les prestataires de soins peuvent cependant passer ces modifications de l’humeur sous silence lorsqu’ils conseillent à quelqu’un d’arrêter de fumer, surtout face à une personne psychiquement vulnérable. La survie moyenne des patients psychiatriques est 15 à 20 ans plus courte que celle du reste de la population (4). Ceci s’explique par des facteurs modifiables, dont le tabagisme (5). La motivation des patients psychiatriques pour arrêter de fumer est pourtant forte (6,7).
Une récente synthèse méthodique (8) a tenté d’évaluer si l’arrêt du tabagisme, versus la poursuite du tabagisme, entraînait des changements au niveau de la santé mentale (dépression, anxiété, stress, humeur et qualité de vie). 26 études ont été incluses (11 études de cohorte, 14 analyses secondaires d’interventions pour l’arrêt du tabagisme, 1 étude randomisée) avec suivi moyen de 7 semaines à 9 ans et dont le critère de jugement primaire était l’effet de l’arrêt du tabagisme sur la santé mentale versus la poursuite du tabagisme. Les populations des études incluses étaient variées : population générale (14 études), patients atteints d’une affection physique chronique (3 études), des femmes enceintes (2 études), patients en postopératoire (1 étude), patients atteints d’une affection physique et/ou psychiatrique chronique (2 études) et patients psychiatriques (4 études). Versus la poursuite du tabagisme, l’arrêt du tabagisme a été associé à une diminution significative de l’anxiété (DMS de -0,37 avec IC à 95% de -0,70 à -0,03 ; N = 4 ; I² = 71%), de la dépression (DMS de -0,25 avec IC à 95% de -0,37 à -0,12 ; N = 10 ; I² = 30%), à la fois de l’anxiété et de la dépression (DMS de -0,31 avec IC à 95% de -0,47 à -0,14 ; N = 5 ; I² = 0%) et du stress (SMD de -0,27 avec IC à 95% de -0,40 à -0,13 ; N = 3 ; I² = 0%) entre le début et la fin de l’étude. L’arrêt du tabagisme s’accompagnait même d’une amélioration significative de la qualité de vie psychologique (DMS de 0,22 avec IC à 95% de 0,09 à 0,36 ; N = 8 ; I² = 63%) et d’un comportement positif (DMS de 0,40 avec IC à 95% de 0,09 à 0,71 ; N = 3; I² = 49%). Une analyse de sensibilité avec exclusion des études plus faibles sur le plan méthodologique n’a pas modifié les résultats de l’étude. Il ressort des analyses de sous-groupes que les résultats ne dépendent pas non plus de la population d’étude incluse. Des résultats identiques ont également été observés dans le sous-groupe des patients psychiatriques.
Même si l’on peut discuter de l’existence d’un lien de cause à effet (9), il est néanmoins certain qu’arrêter de fumer ne s’accompagne pas d’une détérioration de la santé mentale, et qu’on peut même affirmer que l’anxiété, la dépression, le stress, l’affect positif et la qualité de vie psychologique paraissent s’améliorer chez les personnes qui arrêtent de fumer, y compris pour les patients psychiatriques. Ceci vient confirmer de précédentes observations. Banham avait déjà fait remarquer en 2010 que l’arrêt du tabagisme chez les patients psychiatriques stabilisés peut être débuté sans aggravation de leur état psychiatrique (10). Ce résultat est rassurant pour le médecin généraliste, qui se voit encouragé de conseiller d’arrêter de fumer même aux patients ayant des antécédents psychiatriques de vulnérabilité (11).
Conclusion
Cette synthèse méthodique montre que, versus la poursuite du tabagisme, l’arrêt du tabagisme s’accompagne d’une amélioration de la dépression, de l’anxiété, du stress, de la qualité de vie psychologique et du comportement positif. Cette amélioration s’observe tant pour la population générale que pour les patients psychiatriques stabilisés.
Références
- La Rédaction Minerva. Arrêt du tabac : bénéfice cardiovasculaire même si prise de poids. Minerva online 15/02/2014.
- Benowitz NL. Clinical pharmacology of nicotine: implications for understanding, preventing, and treating tobacco addiction. Clin Pharmacol Ther 2008;83:531-41.
- Hughes JR. Effects of abstinence from tobacco: valid symptoms and time course. Nicotine Tob Res 2007;9:315-27.
- Thornicroft G. Premature death among people with mental illness. BMJ 2013;346:f2969.
- Colton CW, Manderscheid RW. Congruencies in increased mortality rates, years of potential life lost, and causes of death among public mental health clients in eight states. Prev Chronic Dis 2006;3:A42.
- Prochaska JJ. Smoking and mental illness – breaking the link. N Engl J Med 2011;3:196-8.
- Smith PH, Mazure CM, McKee SA. Smoking and mental illness in the US population. Tob Control 2014 Apr 17. doi: 10.1136/tobaccocontrol-2013-051466. [Epub ahead of print].
- Taylor G, McNeill A, Girling A, et al. Change in mental health after smoking cessation: systematic review and meta-analysis. BMJ 2014;348:g1151.
- Sanderson SC, Taylor A, Munafò M. Article does not prove that smoking cessation has an ‘effect’ on mental health. BMJ 2014;348:g2018.
- Banham L, Gilbody S. Smoking cessation in severe mental illness: what works? Addiction 2010;105:1176-89.
- Cerimele JM, Halperin AC, Saxon AJ. Tobacco use treatment in primary care patients with psychiatric illness. J Am Board Fam Med 2014;27:399-410.
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