Analyse
Une intervention minime du pharmacien peut-elle réduire l’utilisation des benzodiazépines chez les personnes âgées ?
15 12 2014
Professions de santé
En 2012, Minerva a analysé une synthèse méthodique qui montre qu’un petit effort du médecin généraliste sous la forme d’un conseil donné une seule fois, par lettre ou au cours d’une consultation, peut être efficace pour diminuer progressivement la prise des benzodiazépines (BZD) (1,2). Le rapport bénéfice/risque des benzodiazépines étant défavorable, ces médicaments n’ont qu’une place très restreinte dans la prise en charge de l’insomnie chez la personne âgée, et ils sont même tout à fait déconseillés en cas d’insomnie de longue durée (3). Pourtant, il ressort d’une étude de population menée en Belgique que l’utilisation des somnifères augmente fortement avec l’âge et que dans la tranche d’âge la plus élevée, le nombre de personnes qui prennent des BZD peut atteindre 36% (4).
Une récente étude clinique pragmatique (5) avec randomisation par grappes, menée au Canada, a examiné l’effet d’une intervention minime du pharmacien sur la prescription inappropriée de benzodiazépines chez la personne âgée. Dans 30 pharmacies, 303 personnes de plus de 65 ans habitant à domicile (âge moyen de 75 ans) chez qui étaient prescrits au moins 5 médicaments, parmi lesquels une ou plusieurs benzodiazépines, et ce pendant minimum 3 mois consécutifs, ont été recrutées. Les participants prenaient déjà des benzodiazépines depuis une dizaine d’années en moyenne, la dose quotidienne étant en moyenne équivalente à 1,3 mg de lorazépam. Les patients atteints de démence ou d’un trouble psychique grave n’ont pas été inclus. Les personnes âgées du groupe intervention ont reçu par la poste un livret expliquant les désavantages des benzodiazépines et donnant des informations sur les autres traitements possibles en cas de troubles du sommeil et de troubles de l’anxiété. Un schéma de diminution progressive des benzodiazépines en usage chronique a été proposé avec le conseil d’en parler avec le médecin généraliste ou avec le pharmacien. Le groupe témoin a bénéficié de la prise en charge habituelle. Le secret d’attribution a été préservé et l’évaluation des résultats a été effectuée en aveugle tant pour les patients que pour les médecins et pour les pharmaciens. Après 6 mois et après analyse en intention de traiter, la prescription de benzodiazépines en utilisation chronique n’a pas été renouvelée et n’a pas été remplacée par une prescription pour une autre benzodiazépine pendant au moins 3 mois chez 27% des personnes âgées du groupe intervention versus seulement 5% du groupe témoin. Cela équivaut à une différence moyenne de 23% (avec IC à 95% de 14% à 32%) et un NNT d’environ 4. Ce résultat est prometteur car une étude de cohorte a montré que les patients ayant arrêté après une intervention minime poursuivaient encore l’arrêt des benzodiazépines dix ans plus tard (1). Cependant, chez 13% des personnes âgées qui avaient arrêté la prise de benzodiazépines, la prescription de BZD a été remplacée par une prescription d’antidépresseurs, ce qui n’est pas recommandé (2).
Il ressort d’entretiens téléphoniques post étude que pratiquement toutes les personnes âgées qui avaient reçu le livret d’information étaient satisfaites de son contenu. Parmi les personnes qui avaient arrêté, 2 patients sur 3 avaient suivi le schéma de diminution progressive proposé dans le livret et un bon tiers des patients en avaient discuté avec le médecin généraliste. D’autre part, parmi les personnes âgées qui avaient arrêté leur médicament, près d’1 sur 4 n’avait consulté ni son médecin ni son pharmacien. Aucun symptôme de sevrage grave n’a été signalé, ce qui pourrait s’expliquer par le fait que la sélection des personnes âgées incluses a soigneusement évalué leurs fonctions mentales et cognitives avant l’envoi du livret d’information. Or, diminuer progressivement la prise de benzodiazépines de sa propre initiative, sans l’aide d’un prestataire de soins, n’est pas sans risque, et l’arrêt brutal peut s’accompagner de symptômes de sevrage tels que symptômes d’anxiété, insomnie, confusion, hallucinations et cauchemars (6). Dans 1 cas sur 3, l’avis défavorable du médecin ou du pharmacien est cité comme motif pour ne pas arrêter malgré tout la prise des benzodiazépines.
Conclusion
Il ressort de cette étude clinique pragmatique sur la réduction de l’utilisation chronique des benzodiazépines chez les personnes âgées que le pharmacien, après sélection rigoureuse, ne doit envoyer par la poste un livret d’information proposant un schéma de diminution progressive de la prise de benzodiazépines qu’à 4 personnes âgées, pour qu’après 6 mois, un patient arrête de prendre des benzodiazépines. Chez 13% des personnes âgées la prescription de benzodiazépines a été remplacée par une prescription d’antidépresseurs, ce qui n’est pas recommandé.
Références
- Anthierens S. Interventions minimales efficaces pour diminuer l’usage chronique de benzodiazépines? Minerva online 28/06/2012.
- Mugunthan K, McGuire T, Glasziou P. Minimal interventions to decrease long-term use of benzodiazepines in primary care: a systematic review and meta-analysis. Br J Gen Pract 2011;61:e573-8
- Declercq T, Habraken H, Michels J, et al. Derde opvolgrapport. Richtlijn voor goede medische praktijkvoering. Aanpak van slapeloosheid in de eerste lijn. December 2011.
- Hoge Gezondheidsraad. De impact van psychofarmaca op de gezondheid met een bijzondere aandacht voor ouderen. Publicatie van de Hoge Gezondheidsraad nr. 8571, 6 juli 2011.
- Tannenbaum C, Martin P, Tamblyn R, et al. Reduction of inappropriate benzodiazepine prescriptions among older adults through direct patient education: the EMPOWER cluster randomized trial. JAMA Intern Med 2014;174:890-8.
- Centre Belge d'Information Pharmacothérapeutique. Prise en charge de l’insomnie. Folia Farmacotherapeutica 2009;36:37-41.
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