Analyse
L’intégration précoce des soins palliatifs chez les patients atteints de cancer serait-elle quand même efficace ?
15 05 2018
Professions de santé
Ergothérapeute, Médecin généraliste, Psychologue
En 2016, Minerva (1) a discuté de l’étude ENABLE III qui examinait l’effet du passage précoce aux soins palliatifs durant le traitement oncologique des patients à un stade avancé de la maladie (2). Cette étude n’a mis en évidence aucun avantage de l’intégration précoce de soins palliatifs par rapport à une intégration tardive, en ce qui concerne le retentissement des symptômes et le recours aux services hospitaliers. Dans la discussion, nous avons indiqué un certain nombre de raisons pour lesquelles cette étude n’aurait pas pu confirmer le résultat des études antérieures : la taille d’échantillon prévue n’avait pas été atteinte ; dans la moitié des cas, les patients du groupe témoin ont également bénéficié, à leur demande, de soins palliatifs précoces, et la différence entre l’intégration précoce et l’intégration tardive n’était que de 3 mois, ce qui est peut-être trop court pour permettre de mesurer une différence.
En 2017, une étude randomisée contrôlée (RCT) a examiné l’effet de l’intégration précoce des soins palliatifs et oncologiques versus prise en charge habituelle sur la qualité de vie, l’humeur et la communication en fin de vie chez les patients chez qui un cancer incurable pulmonaire ou gastro-intestinal non colorectal, avait été nouvellement diagnostiqué (3). Les patients du groupe intervention (n = 175) avaient, outre une prise en charge oncologique standard, un entretien mensuel avec un médecin spécialiste en soins palliatifs. Ceux du groupe témoin (n = 175) ont bénéficié d’une prise en charge oncologique standard et pouvaient, à leur demande ou à la demande de leur famille ou de l’oncologue, consulter un médecin spécialiste en soins palliatifs. La qualité de vie a été mesurée au moyen de l’échelle générale d’évaluation fonctionnelle du traitement du cancer (Functional Assessment of Cancer Therapy-General scale, FACT-G). Les modifications de l’humeur ont été mesurées au moyen du questionnaire sur la santé du patient (Patient Health Questionnaire-9, PHQ-9) et de l’échelle d’évaluation de l’anxiété et de la dépression (Hospital Anxiety and Depression Scale, HADS). La qualité de la communication entre le patient et l’oncologue a aussi été évaluée.
Après 12 semaines, il n’y avait pas de différence entre le groupe intervention et le groupe contrôle quant au score FACT-G (critère de jugement primaire). On a toutefois constaté une différence statistiquement significative du score FACT-G après 24 semaines (critère de jugement secondaire) (+1,59 point dans le groupe intervention versus -3,40 points dans le groupe témoin ; différence moyenne de 5,35 points avec IC à 95% de 2,04 à 8,69 ; p = 0,010). Une diminution après 24 semaines a pu être constatée dans le groupe intervention par rapport au groupe témoin au questionnaire PHQ-9 (-1,17 point avec IC à 95% de -2,33 à -0,01 ; p = 0,048). Les patients du groupe intervention parlaient plus des souhaits de fin de vie avec l’oncologue que ceux du groupe témoin (30,2% vs 14,5% ; p = 0,004). Les résultats de cette étude confirment donc partiellement l’amélioration statistiquement significative de la qualité de vie et de l’humeur constatée dans les précédentes études portant sur l’intégration précoce des soins palliatifs (4,5). Comme dans l’étude ENABLE III, un tiers des patients du groupe témoin ont toutefois pris contact avec l’équipe de soins palliatifs au cours des 24 premières semaines de l’étude. Cela peut expliquer pourquoi on n’a pas vu de différence au niveau du critère de jugement primaire après 12 semaines. Enfin, il est intéressant de noter que les chercheurs, dans une analyse secondaire, ont également observé que les patients atteints de cancer pulmonaire avaient une qualité de vie statistiquement meilleure et un score de dépression plus bas à 2, 4 et 6 mois avant le décès et que ce n’était pas le cas pour les patients atteints de cancer gastro-intestinal.
Conclusion
Cette étude randomisée contrôlée, publiée en 2017, montre que le passage précoce aux soins palliatifs sous la forme d’une consultation mensuelle avec un médecin spécialiste en soins palliatifs améliore la qualité de vie et l’humeur après 24 semaines chez les patients chez qui un cancer a été nouvellement diagnostiqué. D’après une analyse secondaire, il semble que l’ampleur de l’effet dépende du type de cancer.
Pour la pratique
L’intégration précoce des soins palliatifs est recommandée dans le cadre d’une prise en charge oncologique standard (6). Dans la RCT, commentée ci-dessus, on a pu constater, 24 semaines après le passage précoce aux soins palliatifs, un effet positif sur le bien-être des patients atteints de cancer. Une analyse secondaire des résultats a aussi suggéré que l’effet dépendait du type de cancer. L’évaluation du retentissement des symptômes semble donc au moins aussi importante pour le début de la prise en charge palliative que le moment dans le parcours pathologique (7). Il est important que chaque prestataire de soins soit formé et soutenu pour prodiguer des soins palliatifs indépendamment de la présence des médecins spécialisés en soins palliatifs (8).
- Pype P. Début précoce ou tardif des soins palliatifs pour les patients atteints de cancer ? MinervaF 2016;15(8):199-202.
- Bakitas MA, Tosteson TD, Li Z, et al. Early versus delayed initiation of concurrent palliative oncology care: patient outcomes in the ENABLE III randomized controlled trial. J Clin Oncol 2015;33:1438-45. DOI: 10.1200/JCO.2014.58.6362
- Temel JS, Greer JA, El-Jawahri A, et al. Effects of early integrated palliative care in patients with lung and GI cancer: a randomized clinical trial. J Clin Oncol 2017;35:834-41. DOI: 10.1200/JCO.2016.70.5046
- Bakitas M, Lyons KD, Hegel MT, et al. Effects of a palliative care intervention on clinical outcomes in patients with advanced cancer: the Project ENABLE II randomized controlled trial. JAMA 2009;302:741-9. DOI: 10.1001/jama.2009.1198
- Temel JS, Greer JA, Muzikansky A, et al. Early palliative care for patients with metastatic non-small-cell lung cancer. N Engl J Med 2010;363:733-42. DOI: 10.1056/NEJMoa1000678
- Smith TJ, Temin S, Alesi ER, et al. American Society of Clinical Oncology provisional clinical opinion: the integration of palliative care into standard oncology care. J Clin Oncol 30:880-7. DOI: 10.1200/JCO.2011.38.5161
- Huysmans G, Vanden Berghe P (red.). Visienota Palliatieve Zorg 2020. Federatie Palliatieve Zorg Vlaanderen, Vilvoorde, 2014.
- Huisarts en palliatieve zorg. NHG-standpunt toekomstvisie. Huisartsenzorg 2012.
Auteurs
Pype P.
Vakgroep Volksgezondheid en Eerstelijnszorg, UGent; End-of-life Care Research Group, VUB-UGent
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