Analyse


Le rivaroxaban plutôt que l’aspirine pour le traitement prolongé de la maladie veineuse thromboembolique ?


15 06 2018

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Weitz JI, Lensing AW, Prins MH, et al. Rivaroxaban or aspirin for extended treatment of venous thromboembolism. N Engl J Med 2017;376:1211‑22. DOI: 10.1056/NEJMoa1700518


Conclusion
Cette RCT montre que le patient ayant présenté une TVP symptomatique ou une embolie pulmonaire objectivement démontrée et traitée par anticoagulant pendant 6 à 12 mois peut poursuivre pour un an le traitement anticoagulant. Le rivaroxaban à 10 mg/j s’avère un choix plus efficace que l’aspirine et ce sans augmenter le risque d’hémorragie.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Cette étude permet de ne pas recommander l’aspirine pour un traitement prolongé de la TEV, changeant donc un peu les recommandations antérieures : « La durée minimale du traitement d’entretien anticoagulant doit être de 3 mois. En cas de TVP provoquée par un facteur de risque transitoire, on peut interrompre le traitement anticoagulant après 3 mois. En cas d’EP ou de TVP proximale spontanée, le risque de récidive est élevé et le traitement doit donc être prolongé (durée indéterminée) avec réévaluation périodique du risque hémorragique. Après un traitement initial par AVK pendant six mois, la poursuite du traitement par soit rivaroxaban, soit par apixaban, permet d’observer un taux de récidive plus faible par rapport au groupe placebo ». L’aspirine n’est plus recommandée si le patient n’a pas de contre-indication à recevoir un AOD.



Nous avons déjà analysé dans Minerva (1,2) une méta-analyse des études randomisées réalisée au sein de la Cochrane Collaboration pour déterminer l’efficacité des anticoagulants dans le traitement à long terme de l’embolie pulmonaire (EP). Cette synthèse méthodique a montré que les anticoagulants oraux directs (AOD) - inhibiteurs du facteur Xa et inhibiteurs directs de la thrombine - ont une efficacité et une sécurité similaires à celles des anticoagulants standards pour le traitement à long terme de l’EP, que ce soit en termes de récidive de l’EP, récidive de la maladie thromboembolique veineuse (TEV), apparition d’une thrombose veineuse profonde (TVP), mortalité globale ou survenue d’hémorragies majeures. Cette méta-analyse renforçait pour le praticien les recommandations belges disponibles, celles de Minerva de 2014 (3) et celles du jury de la conférence de consensus de l’INAMI de 2013 (4). La question d’un traitement préventif au long cours après un premier épisode peut se poser selon des facteurs de risque comme un cancer non contrôlé.

 

Une nouvelle étude randomisée, parue en 2017 et analysée ici (5), compare un AOD, le rivaroxaban, à l’aspirine pour le traitement prolongé de la TEV. Elle concerne des patients âgés d’au moins 18 ans et ayant présenté une TVP symptomatique ou une EP objectivement démontrée et traitée par anticoagulant pendant 6 à 12 mois. Les principaux critères d’exclusion comprenaient une contre-indication à une anticoagulation, la nécessité d’un traitement prolongé par anticoagulant ou antiagrégant ou une insuffisance rénale (clairance créatinine < 30 ml/min) ou hépatique notable.

Les patients éligibles ont été randomisés en 3 bras de traitement d’une durée d’un an : rivaroxaban 10 mg/j per os, rivaroxaban 20 mg/j per os et aspirine 100 mg/j per os. Le critère d’efficacité primaire était un indice composite : récidive d’une TEV (EP ou TVP) fatale ou non ou une mort inexpliquée avec EP ne pouvant pas être exclue. Le principal critère de sécurité était l’hémorragie majeure définie comme une chute de plus de 2 g/dl de l’hémoglobinémie, la transfusion de 2 unités de globules rouges ou plus, la survenue dans un site critique ou ayant entrainé la mort.

Un total de 3396 patients venant de 244 sites dans 31 pays (55% d’hommes ; âge médian de 60 ans (IQR 48-69)) ont été randomisés sur une période de deux ans (31 patients ont été exclus de l’analyse pour ne pas avoir pris le médicament). Les résultats principaux en termes de nombre d’événements observés sont montrés dans le tableau ci-dessous. Pour le critère primaire (indice composite), la comparaison est statistiquement significative en faveur du rivaroxaban versus aspirine (p < 0,001 quel que soit le dosage dont l’effet est équivalent ; HR de 0,34 avec IC à 95% de 0,20 à 0,59 pour rivaroxaban 20 mg vs aspirine, et HR de 0,26 avec IC à 95% de 0,14 à 0,47 pour rivaroxaban 10 mg vs aspirine). Par contre il n’y a pas de différence statiquement significative entre rivaroxaban 20 mg et 10 mg : HR de 1,34 avec IC à 95% de 0,65 à 2,75 ; p = 0,42). Il n’y a pas de différence pour le risque d’hémorragie.

 

 

Critère

rivaroxaban 20 mg/j

rivaroxaban 10 mg/j

aspirine 100 mg/j

n patients

1107

1127

1131

Récidive TEV (fatal ou non)

17 (1,5%)

13 (1,2%)

50 (4,4%)

Mort par récidive

2

0

2

Accident vasculaire artériel (infarctus myocardique, AVC, autre)

3

5

7

Hémorragie grave

6 (0,5%)

5 (0,4%)

3 (0,3%)

Hémorragie fatale

1

0

2

 

Il faut traiter pendant un an 33 patients (NNT) avec 20 mg de rivaroxaban et 30 avec 10 mg pour éviter un événement thromboembolique veineux, fatal ou pas, sans risque accru d’hémorragie par rapport à l’aspirine. Aucune différence statistiquement significative n’a été observée entre les posologies de 10 et 20 mg/j de rivaroxaban.

L’étude ne permet pas de savoir si une anticoagulation au long cours (au-delà de 2 ans) est bénéfique. Elle ne définit pas de façon rigoureuse les indications de cette prolongation, la décision étant laissée à l’appréciation du médecin. La population de patients sélectionnés dans l’étude - on n’a pas le dénominateur comprenant tous les sujets vus y compris les non retenus pendant la période de recrutement - est hétérogène avec 60% de TEV provoquées par un événement connu et 40% dites spontanées et très peu de cancers actifs (2 à 3%). Des analyses de sous-groupes sont planifiées (6). Il faut également noter que l’étude était sponsorisée par la firme productrice du rivaroxaban, et on peut regretter l’absence de comparaison à un autre AOD.

 

Conclusion 

Cette RCT montre que le patient ayant présenté une TVP symptomatique ou une embolie pulmonaire objectivement démontrée et traitée par anticoagulant pendant 6 à 12 mois peut poursuivre pour un an le traitement anticoagulant. Le rivaroxaban à 10 mg/j s’avère un choix plus efficace que l’aspirine et ce sans augmenter le risque d’hémorragie. 

 

Pour la pratique

Cette étude permet de ne pas recommander l’aspirine pour un traitement prolongé de la TEV, changeant donc un peu les recommandations antérieures (3,4) : « La durée minimale du traitement d’entretien anticoagulant doit être de 3 mois. En cas de TVP provoquée par un facteur de risque transitoire, on peut interrompre le traitement anticoagulant après 3 mois. En cas d’EP ou de TVP proximale spontanée, le risque de récidive est élevé et le traitement doit donc être prolongé (durée indéterminée) avec réévaluation périodique du risque hémorragique. Après un traitement initial par AVK pendant six mois, la poursuite du traitement par soit rivaroxaban, soit par apixaban, permet d’observer un taux de récidive plus faible par rapport au groupe placebo ». L’aspirine n’est plus recommandée si le patient n’a pas de contre-indication à recevoir un AOD.

 

 

Références 

1. Sculier J-P. Y a-t-il un rôle pour les nouveaux anticoagulants oraux dans le traitement à  long terme de l’embolie pulmonaire ? MinervaF 2016;15(7):170-4.

2. Robertson L, Kesteven P, McCaslin JE. Oral direct thrombin inhibitors or oral factor Xa inhibitors for the treatment of pulmonary embolism. Cochrane Database Syst Rev 2015, Issue 12. DOI: 10.1002/14651858.CD010957.pub2

3. Minerva. Anticoagulation orale : nouveaux médicaments. Dossier thématique. Synthèse. Dernière mise à jour le 31/03/2014.

4. INAMI. Prévention et traitement des thromboembolies veineuses. Réunion de consensus du 21 novembre 2013. Rapport du jury. Texte complet.

5. Weitz JI, Lensing AW, Prins MH, et al. Rivaroxaban or aspirin for extended treatment of venous thromboembolism. N Engl J Med 2017;376:1211-22. DOI: 10.1056/NEJMoa1700518

6. Extended treatment of venous thromboembolism. N Engl J Med 2017;376:2491-2. DOI: 10.1056/NEJMc1705484

 

Pour info

 

 




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