Revue d'Evidence-Based Medicine



Y a-t-il un rôle pour les nouveaux anticoagulants oraux dans le traitement à long terme de l’embolie pulmonaire ?



Minerva 2016 Volume 15 Numéro 7 Page 170 - 174

Professions de santé


Analyse de
Robertson L, Kesteven P, McCaslin JE. Oral direct thrombin inhibitors or oral factor Xa inhibitors for the treatment of pulmonary embolism. Cochrane Database Syst Rev 2015, Issue 12.


Question clinique
Quelles sont l’efficacité et la sécurité des nouveaux anticoagulants oraux versus anticoagulation standard (héparines et antagonistes de la vitamine K) dans le traitement à long terme de l’embolie pulmonaire ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse de la Cochrane Collaboration montre que les nouveaux anticoagulants oraux – inhibiteurs du facteur Xa et inhibiteurs directs de la thrombine – ont une efficacité et une sécurité similaires à celles des anticoagulants standards pour le traitement à long terme de l’embolie pulmonaire, que ce soit en termes de récidive de l’embolie pulmonaire, récidive de la maladie thromboembolique veineuse, apparition d’une thrombose veineuse profonde, mortalité globale ou survenue d’hémorragies majeures. Ils ont l’avantage de se prendre à dose fixe par voie orale sans nécessité de monitoring de tests de la coagulation mais ils ont l’inconvénient de ne pas avoir d’antidote spécifique et d’être associé à un coût plus élevé. Seules des données obtenues dans la vraie vie pourront nous conforter à utiliser ces médicaments et à condition que le coût lié à leur utilisation soit raisonnable.


Contexte

L’embolie pulmonaire, maladie potentiellement fatale, est classiquement traitée par une anticoagulation à base d’héparine ou d’antagonistes de la vitamine K, dite anticoagulation standard. De nouveaux agents anticoagulants avec des mécanismes d’action différents sont apparus : les inhibiteurs du facteur Xa (rivaroxaban, apixaban, edoxaban) et les inhibiteurs directs de la thrombine (dabigatran). Ils ont l’avantage de se prendre par voie orale et de ne pas nécessiter d’adaptation de doses par des tests de coagulation. Ils n’ont cependant pas d’antidote disponible. Des études randomisées ont été conduites pour déterminer leur efficacité dans le traitement à long terme de l’embolie pulmonaire versus traitement standard (1-9). Une méta-analyse de ces études randomisées a été réalisée au sein de la Cochrane Collaboration afin de déterminer l’efficacité et la sécurité de cette nouvelle approche thérapeutique pour le traitement à long terme de l’embolie pulmonaire.

 

Résumé 

 

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyse

 

Sources consultées

  • Cochrane Register of Studies, MEDLINE, EMBASE, CINAHL en AMED (jusqu’en janvier 2015)
  • bases d’essais cliniques: World Health Organization International Clinical Trials Registry Platform, ClinicalTrials.gov, ISRCTN Register
  • articles cités par les références provenant de la recherche électronique
  • recherche manuelle dans des revues relevantes.

 

Etudes sélectionnées

  • études cliniques randomisées (RCT) de traitement d’une embolie pulmonaire confirmée (par une imagerie classique (angio-tomodensitométrie, scintigraphie pulmonaire) dont un bras au moins contient un inhibiteur du facteur Xa ou un inhibiteur direct de la thrombine, pendant au moins 3 mois
  • nouvel anticoagulant administré par voie orale
  • études publiées ou en cours avec des résultats préliminaires disponibles sans restriction linguistique
  • les auteurs ont retenu 5 RCT connues dans la littérature sous les acronymes AMPLIFY (1) ; EINSTEIN-PE (3) ; Hokusai-VTE (5); RE-COVER (7) ; RE-COVER II (9)
    • 2 RCT avec un inhibiteur direct de la thrombine (dabigatran (7,9))
    • 3 RCT avec des inhibiteurs du facteur Xa (rivaroxaban (3), edoxaban (5) et apixaban (1)).

 

Population étudiée

  • total de 7897 participants.

 

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires : récidive sous forme de
    • embolie pulmonaire (EP)
    • thromboembolie veineuse (TV) incluant la thrombose veineuse profonde (TVP) démontrée
    • thrombose veineuse profonde démontrée
  • critères de jugement secondaires :
    • mortalité de toute cause
    • effets indésirables du traitement incluant les hémorragies majeures définies selon l’ISTH : soit fatale, soit dans une aire ou un organe critique, soit entraînant une chute de l’hémoglobinémie ≥ 2 g/dl ou nécessitant une transfusion, soit combinant un de ces 3 critères
    • impact sur la qualité de vie en rapport avec la santé
  • séparation de l’analyse des résultats selon les 2 classes de nouveaux anticoagulants
  • méta-analyse avec analyse faite en modèle d’effets fixes en absence d’hétérogénéité statistique
  • hétérogénéité : forest plot, test de Chi2 et test I2 de Higgins.

 

Résultats

1) inhibiteur direct de la thrombine versus anticoagulation standard (7,9) :

  • récidive d’embolie pulmonaire : OR = 1,02 (avec IC à 95% de 0,50 à 2,04) ; N = 2, n = 1602 (niveau de preuve élevé)
  • récidive de maladie thromboembolique : OR = 0,93 (avec IC à 95% de 0,52 à 1,66) ; N = 2, n = 1602 (niveau de preuve élevé)
  • apparition d’une thrombose veineuse profonde : OR = 0,79 (avec IC à 95% de 0,29 à 2,13) ; N = 2, n = 1602 (niveau de preuve élevé)
  • mortalité de toute cause : absence de données
  • effets indésirables du traitement (hémorragie majeure) : OR = 0,50 (avec IC à 95% de 0,15 à 1,68) ; N = 2, n = 1527 (niveau de preuve élevé)
  • qualité de la vie : absence de données.

 

2) inhibiteur du facteur Xa versus anticoagulation standard (1,3,5) :

  • récidive d’embolie pulmonaire : OR = 1,08 (avec IC à 95% de 0,46 à 2,56) ; I² = 58% ; N = 2, n = 4509 (niveau de preuve modéré)
  • récidive de maladie thromboembolique : OR = 0,85 (avec IC à 95% de 0,63 à 1,15) ; N = 3, n = 6295 (niveau de preuve élevé)
  • apparition d’une thrombose veineuse profonde : OR = 0,72 (avec IC à 95% de 0,39 à 1,32) ; N = 2, n = 4509 (niveau de preuve élevé)
  • mortalité de toute cause : OR = 1,16 (avec IC à 95% de 0,79 à 1,70) ; N = 1, n = 4817 (niveau de preuve modéré)
  • effets indésirables du traitement (hémorragie majeure) : OR = 0,97 (avec IC à 95% de 0,59 à 1,62) ; N = 2, n = 4507 (niveau de preuve élevé)
  • qualité de la vie : absence de données.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent, avec un niveau de preuve modéré à élevé, qu’il n’y a pas de différence entre les nouveaux anticoagulants directs oraux et l’anticoagulation standard pour le traitement à long terme de l’embolie pulmonaire, des critères de jugements de récidive d’EP, de récidive de maladie thromboembolique, d’apparition d’une TVP, de mortalité de toute cause et d’hémorragie majeure.

 

Financement de l’étude

Ce projet a été supporté par le National Institute for Health Research (UK) pour le Groupe Cochrane et par le Chief Scientist Office, Scottish Government Health Directorates, The Scottish Government, UK.

Conflits d’intérêts des auteurs

Deux des trois auteurs rapportent des liens d’intérêt avec l’industrie pharmaceutique, l’un étant directement impliqué dans les études avec les nouveaux anticoagulants oraux ; le troisième déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette synthèse méthodique suit les règles méthodologiques de la Cochrane Collaboration. Trois auteurs ont réalisé la revue, deux sélectionnant les articles de façon indépendante et un troisième tranchant en cas de divergence quant à l’évaluation des biais. Les auteurs ont considéré les principales bases de données et, outre les études publiées, ils ont identifié 5 études à l’époque non encore publiées. Une de ces études est disponible depuis lors : l’étude japonaise AMPLIFY-J (10) qui compare l’apixaban à la warfarine.

Comme dans toute synthèse de la Cochrane Collaboration, l’évaluation de la qualité des RCT sélectionnées s’est concentrée sur les risques de biais avec une méthode standardisée, à savoir les biais de sélection (génération de la séquence de randomisation, secret de l’attribution), de performance (double aveugle), de détection (d’attrition, alias de migration), de publication (publication sélective des études) et autres. Les auteurs n’ont identifié que des faibles risques de biais sauf pour la génération de séquence de randomisation qui ne peut être évaluée sur base des rapports publiés. La population n’est pas décrite dans cette méta-analyse mais les caractéristiques des patients sont disponibles dans les annexes. Nous rappellerons néanmoins certains critères d’exclusion : patients à haut risque hémorragique, patients de ≥ 65 ans, altération de la fonction rénale (souvent GFR < 50-60 ml/min, utilisation d’un médicament inhibiteur ou inducteur puissant du CYP3A4, …).

Les critères de jugement sur lesquels porte la méta-analyse ont été clairement définis et analysés. Ils sont d’un intérêt clinique majeur. Les auteurs n’ont pas fusionné les deux catégories de nouveaux anticoagulants oraux.

Il faut noter qu’un des auteurs a rapporté des liens d’intérêts avec des firmes pharmaceutiques actives dans le domaine.

Interprétation des résultats et mise en perspective

Il s’agit de la première synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration sur le rôle des nouveaux anticoagulants oraux dans le traitement de l’embolie pulmonaire. Il n’en existe d’ailleurs pas d’autre dans la littérature spécifiquement sur l’embolie pulmonaire, la plupart couvrant la maladie veineuse thromboembolique dans sa globalité.

Les auteurs concluent que les anticoagulants oraux et standards sont équivalents pour le traitement à long terme de l’embolie pulmonaire. Les nouveaux anticoagulants oraux peuvent donc être selon eux substitués aux anticoagulants standards avec l’avantage de l’administration orale à dose fixe et sans nécessiter de monitoring de paramètres de coagulation.

Depuis, il n’y a pas eu de nouvelles études randomisées publiées sur le sujet à l’exception d’une petite étude japonaise (80 patients) déjà mentionnée (10) dont les résultats vont dans la même direction. Minerva a publié en mars 2014 un dossier thématique sur l’anticoagulation par les nouveaux médicaments (11). Les conclusions, reposant sur moins d’études publiées, ne sont pas en contradiction avec la présente méta-analyse, recommandant les antagonistes de la vitamine K sur base de plus d’expériences et d’études avec ces derniers.

La contrepartie de l’avantage de la dose fixe est de ne pouvoir monitorer l’effet anticoagulant par des tests sanguins, ne permettant pas de s’assurer que le patient suit la prescription et d’adapter la posologie à un sur- ou sous-dosage. De plus, il n’y a pas d’antidote disponible en cas d’accident hémorragique, inconvénient majeur de ces thérapies.

Certains aspects de l’utilisation des nouveaux anticoagulants oraux devraient être éclaircis. Comme le montre la synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration, il n’y a pas d’études de leur impact sur la qualité de la vie. On devrait s’attendre à une certaine amélioration vu leur facilité d’emploi et il est assez étonnant que l’industrie pharmaceutique n’ait pas investigué cette question. De plus, l’aspect économique – les nouveaux anticoagulants oraux sont beaucoup plus onéreux – n’est pas abordé ni dans la récolte des données ni dans la discussion. C’est peut-être à mettre en rapport avec les conflits d’intérêts d’un des auteurs. Ce problème économique est d’ailleurs pointé dans le dossier thématique de Minerva (11) comme un argument contre leur utilisation dans la fibrillation auriculaire.

Trois des RCT ont des designs de non-infériorité (3,5,7) mais dans les publications, il n’est pas fait mention du bénéfice secondaire pour lequel les investigateurs se permettent de recourir à un tel design. Cet objectif doit être clairement précisé (12,13) mais en pratique est esquivé.

Il est peu probable que les quelques études non encore publiées et mentionnées dans la synthèse méthodique changent les résultats de la méta-analyse. Il serait néanmoins intéressant de disposer de données de pharmacovigilance et d’études indépendantes de pratique de terrain pour confirmer efficacité et effets indésirables rapportés dans les études réalisées par l’industrie pharmaceutique.

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique avec méta-analyse de la Cochrane Collaboration montre que les nouveaux anticoagulants oraux – inhibiteurs du facteur Xa et inhibiteurs directs de la thrombine – ont une efficacité et une sécurité similaires à celles des anticoagulants standards pour le traitement à long terme de l’embolie pulmonaire, que ce soit en termes de récidive de l’embolie pulmonaire, récidive de la maladie thromboembolique veineuse, apparition d’une thrombose veineuse profonde, mortalité globale ou survenue d’hémorragies majeures. Ils ont l’avantage de se prendre à dose fixe par voie orale sans nécessité de monitoring de tests de la coagulation mais ils ont l’inconvénient de ne pas avoir d’antidote spécifique et d’être associé à un coût plus élevé. Seules des données obtenues dans la vraie vie pourront nous conforter à utiliser ces médicaments et à condition que le coût lié à leur utilisation soit raisonnable.

 

Pour la pratique

La présente synthèse méthodique avec méta-analyse permet pour le praticien de renforcer les recommandations belges disponibles, celles de Minerva de 2014 (11) et celles du jury de la conférence de consensus de l’INAMI de 2013 (14). Ces dernières, allant dans le même sens que celles de Minerva, ne portaient pas spécifiquement sur l’embolie pulmonaire mais sur tous les aspects des thromboembolies veineuses, avec en recommandation forte, de commencer avec des héparines de bas poids moléculaire avec un relais par antagonistes de la vitamine K. Les auteurs mentionnaient alors que les nouveaux anticoagulants oraux pourraient être une alternative. Cette synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration montre qu’ils sont devenus une alternative, s’il n’y avait pas les inconvénients mentionnés plus haut, dont le coût.

 

 

Noms de marque 

  • apixaban : Eliquis®
  • dabigatran : Pradaxa®
  • rivaroxaban : Xarelto®
  • edoxaban : pas disponible sur le marché en Belgique (situation le 07/07/2016)

 

Références

  1. Agnelli G, Buller HR, Cohen A et al. Oral apixaban for the treatment of acute venous thromboembolism. N Engl J Med 2013;369:799-808.
  2. Chevalier P. Apixaban pour le traitement de la thromboembolie veineuse. MinervaF 2013;12(9):114-5.
  3. Buller HR, Prins MH, Lensin AW, et al; EINSTEIN-PE Investigators. Oral rivaroxaban for the treatment of symptomatic pulmonary embolism. N Engl J Med 2012;366:1287-97.
  4. La rédaction Minerva. Rivaroxaban pour traiter une embolie pulmonaire symptomatique ? Minerva bref 28/01/2013.
  5. Buller HR, Decousus H, Grosso MA et al; Hokusai-VTE Investigators. Edoxaban versus warfarin for the treatment of symptomatic venous thromboembolism. N Engl J Med 2013;369:1406-15.
  6. Chevalier P. Traitement initial et préventif secondaire d’une thromboembolie veineuse symptomatique : intérêt de l’édoxaban ? MinervaF 2016;15(1):9-12.
  7. Schulman S, Kearon C, Kakkar AK, et al; RE-COVER Study Group. Dabigatran versus warfarin in the treatment of acute venous thromboembolism. N Engl J Med 2009;361:2342-52.
  8. Chevalier P. Dabigatran pour la thromboembolie veineuse. Minerva bref 28/08/2010.
  9. Schulman S, Kakkar AK, Goldhaber SZ, et al; RE-COVER II Trial Investigators. Treatment of acute venous thromboembolism with dabigatran or warfarin and pooled analysis. Circulation 2014;129:764-72.
  10. Nakamura M, Nishikawa M, Komuro I et al. Apixaban for the Treatment of Japanese Subjects with Acute Venous Thromboembolism (AMPLIFY-J Study). Circ J 2015;79:1230-6.
  11. Minerva. Anticoagulation orale : nouveaux médicaments. Dossier thématique. Synthèse. Dernière mise à jour le 31/03/2014.
  12. Mulla SM, Scott IA, Jackevicius CA,et al. How to use a noninferiority trial: users' guides to the medical literature. JAMA 2012;308:2605-11.
  13. Paesmans M, Grigoriu B, Ocak S, et al. Systematic qualitative review of randomised trials conducted in nonsmall cell lung cancer with a noninferiority or equivalence design. Eur Respir J 2015;45:511-24.
  14. INAMI. Prévention et traitement des thromboembolies veineuses. Réunion de consensus du 21 novembre 2013. Rapport du jury.



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