Analyse


Tramadol dans les douleurs neuropathiques : toujours pas de preuves de bonne qualité disponibles


15 11 2018

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Duehmke RM, Derry S, Wiffen PJ, et al. Tramadol for neuropathic pain in adults. Cochrane Database Syst Rev 2017, Issue 6. DOI: 10.1002/14651858.CD003726.pub4


Conclusion
Cette mise à jour, de bonne qualité méthodologique, de la Cochrane Collaboration nuance les conclusions de la version précédente en constatant la (très) faible qualité des preuves étayant l’effet du tramadol dans les douleurs neuropathiques. Nous devons donc en conclure que la place du tramadol dans les différentes formes de douleur neuropathique reste insuffisamment établie.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Le Guide de Pratique Clinique belge sur la prise en charge de la douleur chronique, publié en 2017, n’émet pas de recommandation spécifique pour le tramadol mais attire l’attention sur le risque associé d’abaissement du seuil convulsif et de syndrome sérotoninergique. Selon le GPC NICE de 2018, le praticien est invité à offrir le choix en cas de prise en charge de la douleur neuropathique (à l’exception de la névralgie du trijumeau) entre l’amitriptyline, la duloxétine, la gabapentine ou la prégabaline. En cas d’échec, faire un essai avec une autre de ces molécules est justifié, jusqu’à trouver la molécule la plus adéquate pour le patient. Le tramadol est réservé comme traitement de secours. Cette revue systématique avec méta-analyse de la Cochrane Collaboration ne modifie pas ces propositions.



La douleur neuropathique est un symptôme fréquent retrouvé dans plusieurs maladies fréquemment diagnostiquées comme le cancer, le diabète ou encore le zona (1). Elle est potentiellement invalidante et, peut-être au vu de ses origines physiopathologiques diverses, encore mal soignée, avec un coût en augmentation pour la société (2). Minerva a déjà discuté de la place du tramadol dans les douleurs neuropathiques chroniques (3) et nuançait les conclusions positives d’une méta-analyse de la Cochrane Collaboration de 2006 (4) en faisant remarquer que le tramadol s’y était montré efficace dans le traitement d’une douleur neuropathique uniquement par rapport à un placebo et sans comparaison avec d’autres analgésiques. En 2017, la Cochrane Collaboration, emmenée par le même auteur principal qu’en 2006, met à jour sa revue de la littérature sur le sujet (5).

Depuis 2006, peu de nouvelles études ont été publiées sur le sujet. Par contre, de manière intéressante, les auteurs ne se contentent pas de réaliser ici une simple mise à jour, c’est-à-dire une recherche de la littérature portant sur les études sorties après la date de fin de recherche de la revue précédente, mais bien une nouvelle recherche exhaustive, avec des critères d’inclusion plus rigoureux qu’en 2006 et en évaluant le niveau de preuve selon GRADE, la méthode devenue depuis lors le standard.

Six études cliniques contrôlées randomisées en double aveugle vs placebo ont été incluses portant sur 483 patients présentant une douleur neuropathique modérée à sévère depuis au moins 3 mois, avec un âge moyen de 50 à 67 ans, prenant du tramadol à dose rapidement croissante sur une à deux semaines jusqu’à un maximum de 400 milligrammes par jour sur des durées d’étude allant de 4 à 6 semaines. Sur le critère de jugement primaire « réduction de la douleur d’au moins 50% » (N = 3, n = 265), la différence est à la limite du statistiquement significatif avec un rapport de risque de 2,2 (avec IC à 95% de 1,02 à 4,06) et un nombre de sujet à traiter calculé à 4,4 (avec IC à 95% de 2,9 à 8,8). La qualité des preuves a été rétrogradée à « faible » en raison de la petite taille et des risques de biais élevés des études incluses. Les effets indésirables (N = 4 ; n = 266), mineurs, étaient plus fréquents dans le groupe tramadol avec un risque relatif à 1,6 (avec IC à 95% de 1,2 à 2,1) et un NNH calculé de 4,2 (avec IC à 95% de 2,8 à 8,3) par rapport au placebo.

 

Conclusion 

Cette mise à jour, de bonne qualité méthodologique, de la Cochrane Collaboration nuance les conclusions de la version précédente en constatant la (très) faible qualité des preuves étayant l’effet du tramadol dans les douleurs neuropathiques. Nous devons donc en conclure que la place du tramadol dans les différentes formes de douleur neuropathique reste insuffisamment établie.

 

Pour la pratique

Le Guide de Pratique Clinique belge sur la prise en charge de la douleur chronique (6), publié en 2017, n’émet pas de recommandation spécifique pour le tramadol mais attire l’attention sur le risque associé d’abaissement du seuil convulsif et de syndrome sérotoninergique. Selon le GPC NICE de 2018 (7), le praticien est invité à offrir le choix en cas de prise en charge de la douleur neuropathique (à l’exception de la névralgie du trijumeau) entre l’amitriptyline, la duloxétine, la gabapentine ou la prégabaline. En cas d’échec, faire un essai avec une autre de ces molécules est justifié, jusqu’à trouver la molécule la plus adéquate pour le patient. Le tramadol est réservé comme traitement de secours. Cette revue systématique avec méta-analyse de la Cochrane Collaboration ne modifie pas ces propositions.

 

 

Références 

  1. van Hecke O, Austin SK, Khan RA, et al. Neuropathic pain in the general population: a systematic review of epidemiological studies. Pain 2014;155:654-62. DOI: 10.1016/j.pain.2013.11.013
  2. Andrew R, Derry S, Taylor RS, et al. The costs and consequences of adequately managed chronic non-cancer pain and chronic neuropathic pain. Pain Pract 2014;14:79-94. DOI: 10.1111/papr.12050
  3. Hans G. Tramadol pour la douleur neuropathique. MinervaF 2007;6(7):100-1.
  4. Hollingshead J, Dühmke RM, Cornblath DR. Tramadol for neuropathic pain. Cochrane Database Syst Rev 2006, Issue 3. DOI: 10.1002/14651858.CD003726.pub3
  5. Duehmke RM, Derry S, Wiffen PJ, et al. Tramadol for neuropathic pain in adults. Cochrane Database Syst Rev 2017, Issue 6. DOI: 10.1002/14651858.CD003726.pub4
  6. Henrard G, Cordyn S, Chaspierre A, et al. Guide de Pratique Clinique. Prise en charge de la douleur chronique en première ligne de soins. Mise à jour 2017. Disponible sur: https://orbi.uliege.be/handle/2268/212436
  7. Neuropathic pain in adults: pharmacological management in non-specialist settings. Clinical guideline 173. NICE, 2013. Last updated: April 2018.

 

 

 


Auteurs

Dequiedt C.
médecin généraliste hospitalier, Service de gériatrie, CHBA
COI :

Henrard G.
Département de Médecine générale, ULiège
COI :

Glossaire

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