Analyse


Dans les cas de dépression majeure, doit-on associer des benzodiazépines aux antidépresseurs ?


17 03 2020

Professions de santé

Pharmacien, Psychologue
Analyse de
Ogawa Y, Takeshima N, Hayasaka Y, et al. Antidepressants plus benzodiazepines for adults with major depression. Cochrane Database Syst Rev 2019, Issue 6. DOI:10.1002/14651858.CD001026.pub2


Conclusion
Cette synthèse méthodique de 10 études randomisées contrôlées, dont la qualité sur le plan méthodologique est incertaine et dont la proportion d’abandons est généralement importante, montre qu’un traitement par association d’un antidépresseur et d’une benzodiazépine chez des patients en dépression majeure réduit la gravité de la dépression et entraîne une réponse et une rémission dans des proportions plus importantes qu’une monothérapie avec un antidépresseur dans les quatre première semaines après l’instauration du traitement. Il est néanmoins nécessaire de mener des études randomisées contrôlées pragmatiques de longue durée, correctement menées sur le plan méthodologique, pour mieux déterminer le rapport bénéfices-risques.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Le guide de pratique clinique de Domus Medica « Dépression chez l’adulte », dans un modèle de soins par étape (stepped care), établit une distinction entre « symptômes dépressifs », « dépression légère à modérée », « dépression modérée à grave » et « dépression grave avec risque suicidaire élevé ». Le traitement de choix des deux premières étapes est uniquement non médicamenteux, tandis que, pour les deux dernières étapes, une intervention médicamenteuse peut être indiquée en association avec d’autres interventions. La synthèse méthodique dont il a été question plus haut montre que, par comparaison avec un antidépresseur en monothérapie, un traitement par association d’un antidépresseur et d’une benzodiazépine réduit la gravité de la dépression de manière plus importante dans la phase précoce (les quatre premières semaines) du traitement (GRADE modéré). Au cours de cette phase, on a également observé que la réponse et la rémission étaient plus importantes (GRADE faible). On ne connaît pas encore la pertinence de cet effet, et, par ailleurs, la supériorité ne s’est pas maintenue au cours des phases ultérieures du traitement. Il est donc important de considérer, au cas par cas, les avantages de ce traitement d’association face aux inconvénients possibles de la prescription d’une benzodiazépine, comme l’accoutumance et la dépendance. Si l’on décide de quand même prescrire une benzodiazépine, on doit tout de suite aussi convenir d’une date de tentative d’arrêt.



Comme l’angoisse accompagne fréquemment la dépression (1), des benzodiazépines sont souvent ajoutées au traitement antidépresseur des patients souffrant de dépression majeure. Une précédente synthèse méthodique ne nous a pas permis de nous prononcer, dans Minerva, sur l’utilisation des benzodiazépines en cas de dépression mineure parce qu’il n’y avait pas d’études disponibles (2,3).

 

Une synthèse méthodique Cochrane a examiné l’efficacité de l’association d’antidépresseurs et de benzodiazépines versus antidépresseurs en monothérapie chez des adultes en dépression majeure (4). Deux chercheurs indépendants ont sélectionné, dans différentes banques de données électroniques (le registre Cochrane des essais contrôlés sur les troubles mentaux fréquents (Cochrane Common Mental Disorders Group’s Controlled Trials Register), le registre central Cochrane des essais contrôlés (Cochrane Central Register of Controlled Trials), MEDLINE, Embase et PsycINFO, jusque mai 2019), dix études randomisées contrôlées publiées entre 1978 et 2002. Elles totalisaient 731 participants ayant en moyenne 35 à 49 ans qui ont été traités pendant au moins quatre semaines avec une association d’un antidépresseur et d’une benzodiazépine ou avec un antidépresseur en monothérapie, pour une dépression majeure. Les antidépresseurs utilisés étaient des antidépresseurs tricycliques (ATC) dans sept études, des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) dans deux études et des antidépresseurs hétérocycliques (notamment la miansérine et la maprotiline) dans deux études. Pour la plupart des études, le risque de biais dans les différents domaines n’est pas connu. Il n’y avait généralement pas d’informations sur la procédure de randomisation, la préservation du secret d’attribution (concealment of allocation) et l’insu. Dans la moitié des études, le risque de biais de migration était important en raison d’un pourcentage élevé de sorties d’étude dans les deux groupes d’étude.

En ce qui concerne le principal critère de jugement, la dépression diminue en gravité de manière plus importante avec un traitement d’association qu’avec un antidépresseur en monothérapie (différence moyenne standardisée (DMS) de -0,25 avec IC à 95% de -0,46 à -0,03 ; N = 10 études, n = 598 patients ; GRADE modéré) dans la phase précoce (4 semaines), mais pas dans la phase aiguë (5 à 12 semaines) (N = 7, n = 347 ; GRADE faible), ni dans la phase ultérieure (> 12 semaines) (N = 1, n = 50 ; GRADE faible). Une DMS de -0,25 doit cependant être considérée comme un petit effet (5). Entre les deux groupes, il n’y avait pas de différence quant au pourcentage de sorties d’étude toutes raisons confondues (N = 10, n = 731 ; GRADE modéré). Pour ce qui est des critères de jugement secondaires, une réponse plus importante a été observée pour la diminution de la gravité ≥ 50 % ainsi que pour un plus grand pourcentage de rémissions avec le traitement par association en phase précoce (respectivement RR de 1,34 avec IC à 95% de 1,13 à 1,58 et RR de 1,39 avec IC à 95% de 1,03 à 1,90 ; N = 10 études ; n = 731 patients), mais pas dans la phase aiguë ni dans la phase ultérieure. On n’a pas pu observer de différence entre les deux stratégies thérapeutiques quant à la gravité de l’angoisse (N = 3, n = 129 ; GRADE très faible), et aucune donnée n’était disponible concernant l’insomnie. Les sorties d’étude pour effets indésirables étaient moins fréquentes dans le groupe recevant l’association de médicaments (RR de 0,54 avec IC à 95% de 0,32 à 0,90 ; N = 10, n = 731 ; GRADE modéré). Dans le groupe recevant l’association de médicaments, les participants signalant au moins un effet indésirable étaient plus nombreux que dans le groupe recevant une monothérapie (RR de 1,12 avec IC à 95% de 1,01 à 1,37 ; N = 7 études, n = 510 patients). Les analyses de sous-groupes n’ont montré aucune différence dans les résultats selon la présence ou l’absence de symptômes d’angoisse à l’inclusion (rapporté dans seulement deux études) ni selon le type de benzodiazépine et d’antidépresseur.

 

Conclusion

Cette synthèse méthodique de 10 études randomisées contrôlées, dont la qualité sur le plan méthodologique est incertaine et dont la proportion d’abandons est généralement importante, montre qu’un traitement par association d’un antidépresseur et d’une benzodiazépine chez des patients en dépression majeure réduit la gravité de la dépression et entraîne une réponse et une rémission dans des proportions plus importantes qu’une monothérapie avec un antidépresseur dans les quatre première semaines après l’instauration du traitement. Il est néanmoins nécessaire de mener des études randomisées contrôlées pragmatiques de longue durée, correctement menées sur le plan méthodologique, pour mieux déterminer le rapport bénéfices-risques.

 

Pour la pratique

Le guide de pratique clinique de Domus Medica « Dépression chez l’adulte » (6), dans un modèle de soins par étape (stepped care), établit une distinction entre « symptômes dépressifs », « dépression légère à modérée », « dépression modérée à grave » et « dépression grave avec risque suicidaire élevé ». Le traitement de choix des deux premières étapes est uniquement non médicamenteux, tandis que, pour les deux dernières étapes, une intervention médicamenteuse peut être indiquée en association avec d’autres interventions. La synthèse méthodique dont il a été question plus haut montre que, par comparaison avec un antidépresseur en monothérapie, un traitement par association d’un antidépresseur et d’une benzodiazépine réduit la gravité de la dépression de manière plus importante dans la phase précoce (les quatre premières semaines) du traitement (GRADE modéré). Au cours de cette phase, on a également observé que la réponse et la rémission étaient plus importantes (GRADE faible). On ne connaît pas encore la pertinence de cet effet, et, par ailleurs, la supériorité ne s’est pas maintenue au cours des phases ultérieures du traitement. Il est donc important de considérer, au cas par cas, les avantages de ce traitement d’association face aux inconvénients possibles de la prescription d’une benzodiazépine, comme l’accoutumance et la dépendance (7). Si l’on décide de quand même prescrire une benzodiazépine, on doit tout de suite aussi convenir d’une date de tentative d’arrêt (8).

 

 

Références 

  1. Wetzler S, Katz MM. Problems with the differentiation of anxiety and depression. J Psychiatr Res 1989;23:1-12. DOI: 10.1016/0022-3956(89)90013-7
  2. Declercq T, Poelman T. Dépression mineure : antidépresseurs et benzodiazépines efficaces ? MinervaF 2011;10(7):84-5.
  3. Barbui C, Cipriani A, Patel V, et al. Efficacy of antidepressants and benzodiazepines in minor depression: a systematic review and meta-analysis. Br J Psychiatry 2011;198:11-6. DOI: 10.1192/bjp.bp.109.076448
  4. Ogawa Y, Takeshima N, Hayasaka Y, et al. Antidepressants plus benzodiazepines for adults with major depression. Cochrane Database Syst Rev 2019, Issue 6. DOI: 10.1002/14651858.CD001026.pub2
  5. Poelman T. Comment interpréter une différence moyenne standardisée (DMS) ? MinervaF 2014;13(4):51.
  6. Declercq T, Habraken H, van den Ameele H, et al. La dépression chez l’adulte. Ebpracticenet. SSMG février 2017.
  7. Assuétude aux médicaments. Ebpracticenet. SSMG 2009.
  8. Benzodiazépines. Répertoire Commenté des Médicaments. CBIP mars 2020.

 


Auteurs

Callens J.
klinisch psycholoog/gedragstherapeut, PZ Sint Jozef Pittem, UZ Gent en Plan C, psychologenpraktijk in Wevelgem/Kortrijk
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