Analyse
Dépistage supplémentaire par IRM chez les femmes avec tissu mammaire dense ?
En 2014, nous remettions déjà en cause le bénéfice réel d’un dépistage systématique dans le cadre du dépistage du cancer du sein, sans minimiser naturellement l’impact en termes de décès parmi les femmes ménopausées. Nous terminions en précisant qu’effectuer le dépistage uniquement chez les femmes présentant un risque accru de cancer du sein était probablement justifié mais que des recherches plus approfondies devaient être menées (1).
Les femmes au tissu mammaire dense (BIRADS 3 ou 4), sont 2,9 à 4,6 fois plus à risque de développer un cancer du sein. Il est également plus difficile de détecter un cancer chez ces femmes à la mammographie car une anomalie du tissu glandulaire n’est pas entourée de tissus graisseux, ce qui la rend moins radio-opaque (2-4).
En Belgique, 47,7% des femmes de plus de 50 ans, et rentrant donc dans le cadre du dépistage du cancer du sein par mammographie, ont les seins denses, selon la classification BIRADS (5).
Le bénéfice d’une imagerie fait débat dans le monde médical. Bien que l’IRM puisse améliorer la détection de cancer du sein chez les patientes avec tissu mammaire dense (6), la question du bénéfice d’une telle détection sur la survie et la qualité de vie de ces patientes demeure entière (7).
Un nouvel essai randomisé multicentrique a été réalisé au Pays-Bas, incluant 40373 femmes âgées de 50 et 75 ans, avec du tissu mammaire extrêmement dense et une mammographie normale (8). Elles ont été randomisées en deux groupes avec un ratio 1:4, le premier de 8061 patientes a reçu une invitation pour bénéficier d’une IRM supplémentaire de dépistage, le second groupe de 32312 patientes n’a effectué que le screening par mammographie. Parmi les 8061 patientes invitées à subir cette IRM de dépistage, 4783 l’ont effectivement subi, tandis que les 3278 autres n’en ont finalement pas bénéficié (refus, abandon, ne se sont pas présentées à l’examen). Le critère de jugement primaire évalué était la différence de l’incidence de cancer d’intervalle sur une période de 2 ans entre les deux groupes. Le cancer d’intervalle est diagnostiqué après une mammographie normale, et avant la prochaine mammographie programmée. Il présume donc le fait que le cancer aurait dû être dépisté lors de la dernière mammographie.
Les résultats montrent que le taux de cancer d’intervalle dans le groupe ayant subi le dépistage complémentaire par IRM était de 2,5 pour 1000 versus 5 pour 1000 dans le groupe de ceux ayant uniquement subi une mammographie (avec IC à 95% de 1,0 à 3,7 ; p < 0,001). Des 20 cancers d’intervalle diagnostiqués dans le groupe IRM, 4 ont été diagnostiqués chez des femmes ayant effectivement passé l’IRM, et 16 ont été diagnostiqués chez celles ne l’ayant finalement pas fait.
Le taux de détection de cancer chez celles qui ont effectivement subi une IRM est de 16,5 par 1000 dépistages (avec IC à 95% de 13,3 à 20,5). La valeur prédictive positive est de 17,4% (avec IC à 95% de 14,2 à 21,2%) pour rappel pour tests complémentaire et 26,3% (avec IC à 95% de 21,7 à 31,6) pour biopsies. Le taux de faux positifs était de 79,8 pour 1000 dépistages.
Parmi les femmes ayant subi une IRM, seul 0,1% d’entre elles ont expérimenté des effets indésirables ou un événement indésirable grave pendant ou immédiatement après le dépistage (malaise vagal, réaction au produit de contraste, etc.).
Concernant les résultats, subir une IRM de dépistage complémentaire à la mammographie a été associé à un taux de détection de cancer d’intervalle de 2,5 pour 1000 versus 5 pour 1000 dans le groupe n’ayant pas eu d’IRM. Bien que ces résultats soient encourageants, cette étude ne permet pas d’évaluer l’effet de l’IRM sur le type de cancer détecté ni l’effet sur la mortalité. Un follow-up de plusieurs années de ces patientes serait intéressant afin d’évaluer le bénéfice réel d’un tel dépistage.
La recherche se poursuit également sur les protocoles d’imagerie par IRM : Comstock et al, ont publié en février 2020 dans le JAMA, une étude discutant de l’intérêt d’un protocole d’IRM court (10 min) pour le dépistage du cancer du sein chez les femmes aux seins denses (9) et concluaient que chez les femmes aux seins denses qui subissent un dépistage, un protocole d’IRM court du sein, par rapport à la méthode conventionnelle, était associée à un taux significativement plus élevé de détection du cancer du sein invasif. Ils ajoutaient que des recherches supplémentaires sont nécessaires pour mieux comprendre la relation entre les méthodes de dépistage et les résultats cliniques.
Conclusion
Les auteurs de cette RCT de bonne qualité méthodologique concluent que l'utilisation d'un dépistage supplémentaire par IRM chez les femmes ayant un tissu mammaire extrêmement dense et des résultats normaux à la mammographie a permis de diagnostiquer un nombre significativement moins élevé de cancers d'intervalle que la mammographie seule pendant une période de dépistage de 2 ans. Le bénéfice sur la mortalité n’est pas étudié ici.
Pour la pratique
Domus Medica et la SSMG (10) rappellent qu’en Belgique, les autorités organisent un programme de dépistage pour les personnes de 50 à 69 ans. Le dépistage systématique du cancer du sein par la mammographie a pour but de réduire la morbidité et la mortalité liée au cancer du sein. Il est possible d’établir un profil de risque de la patiente. Les femmes avec un tissu mammaire très dense (BIRADS 4) peuvent être comptabilisées dans la catégorie « à risque modérément élevé ». Sur base des recommandations de NICE (11), un dépistage annuel par IRM avec échographie en complément est recommandé à partir de 50 ans pour les femmes avec un risque familial élevé et avec seins denses (force de recommandation et niveau de preuve non mentionnés). Pour les femmes aux seins denses sans facteur de risque familial augmenté, un dépistage par IRM ou par échographie n’est pas recommandé (10). Bien que les études publiées ces dernières années montrent un effet favorable de l’utilisation de l’IRM dans la détection précoce de cancer du sein chez la femme aux seins denses, il faut mettre dans la balance le coût d’un tel dépistage pour la société, ainsi que son accessibilité et sa mise en pratique.
- Poelman T. Le programme actuel de dépistage du cancer du sein a-t-il encore un avenir ? [Editorial] MinervaF 2014;13(6):66.
- Boyd NF, Martin LJ, Yaffe MJ, Minkin S. Mammographic density and breast cancer risk: current understanding and future prospects. Breast Cancer Res 2011;13:223. DOI: 10.1186/bcr2942
- McCormack VA, dos Santos Silva I. Breast density and parenchymal patterns as markers of breast cancer risk: a meta-analysis. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev 2006;15:1159-69. DOI: 10.1158/1055-9965.EPI-06-0034
- Boyd NF, Guo H, Martin LJ, et al. Mammographic density and the risk and detection of breast cancer. N Engl J Med 2007;356:227-36. DOI: 10.1056/NEJMoa062790
- Carney PA, Miglioretti DL, Yankaskas BC, et al. Individual and combined effects of age, breast density, and hormone replacement therapy use on the accuracy of screening mammography. Ann Intern Med 2003;138:168-75. DOI: 10.7326/0003-4819-138-3-200302040-00008
- Scott E, Aapro M. IRM mammaire, examen de routine chez les patientes à haut risque ? Rev Med Suisse 2002;2:22201.
- Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS). Principales indications de l’IRM mammaire dans le contexte de l’investigation et de la planification du traitement du cancer du sein : Seins denses. Avis rédigé par Cathy Gosselin. INESSS 2018. Disponible sur : https://www.inesss.qc.ca/fileadmin/doc/INESSS/Rapports/Oncologie/IRM_sein/INESSS_IRM-Seins-denses.pdf
- Bakker MF, de Lange SV, Pijnappel RM, et al. Supplemental MRI screening for women with extremely dense breast tissue. N Engl J Med 2019;381:2091-102. DOI: 10.1056/NEJMoa1903986
- Comstock CE, Gatsonis C, Newstead GM, et al. Comparison of abbreviated breast MRI vs digital breast tomosynthesis for breast cancer detection among women with dense breasts undergoing screening. JAMA 2020;323:746-56. DOI: 10.1001/jama.2020.0572
- Garmyn B, Govaerts F, Peremans L, et al. Dépistage du cancer du sein. SSMG 2017. Disponible sur: https://www.ssmg.be/wp-content/images/ssmg/files/Recommandations_de_bonne_pratique/SSMG_cancerdusein_RBP.pdf
- National Institute for Health and Care Excellence. Familial breast cancer: classification and care of people at risk of familial breast cancer and management of breast cancer and related risks in people with a family history of breast cancer. Clinical guideline [CG164]. Published: 25 June 2013. Last updated: 20 November 2019.
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