Analyse
L’étude COMPASS : de meilleurs résultats chez les patients qui ont des antécédents d’accident vasculaire cérébral ?
Récemment, Minerva (1) a discuté de l’étude COMPASS (2) qui montrait que l’association d’une faible dose de rivaroxaban (2 x 2,5 mg/jour) et d’aspirine à raison de 100 mg/jour sous forme résistant à l’acide gastrique, par comparaison à l’aspirine en monothérapie, chez des patients atteints d’une maladie cardiovasculaire stable (coronaropathie, artériopathie périphérique, sténose carotidienne), entraînait une diminution statistiquement significative d’un critère de jugement composite (décès cardiovasculaire, AVC ou infarctus du myocarde) (HR de 0,76 avec IC à 95% de 0,66 à 0,86), mais au prix d’un risque accru d’hémorragies majeures (HR de 1,70 avec IC à 95% de 1,40 à 2,05). Dans un troisième bras de l’étude dans lequel les patients recevaient du rivaroxaban (2 x 5 mg/jour) en monothérapie, aucune différence statistiquement significative n’a été observée quant au critère de jugement composite par rapport au groupe recevant de l’aspirine en monothérapie, mais bien une augmentation du nombre d’hémorragies majeures (HR de 1,51 avec IC à 95% de 1,25 à 1,84).
Une publication ultérieure a analysé les AVC qui ont été enregistrés pendant l’étude COMPASS (3). Parmi les 27395 participants, 291 (1%) ont été victimes d’un AVC ischémique ou d’un AVC d’origine indéterminée (absence d’imagerie cérébrale et d’autopsie), et 52 (0,2%), d’un AVC hémorragique. Le taux annuel d’AVC est plus faible dans le groupe rivaroxaban + aspirine (0,5%) que dans le groupe aspirine (0,8%) : HR de 0,58 avec IC à 95% de 0,44 à 0,76 ; p < 0,0001. En ce qui concerne les AVC ischémiques et d’origine indéterminée, il est près de deux fois plus faible (0,4% versus 0,8% ; HR de 0,51 avec IC à 95% de 0,38 à 0,68 ; p < 0,0001). Aucune différence statistiquement significative n’a été observée dans le nombre d’AVC hémorragiques. Entre le groupe rivaroxaban et le groupe aspirine, il n’y a pas de différence statistiquement significative quant au nombre total d’AVC, mais bien une diminution du nombre d’AVC ischémiques et d’origine indéterminée (0,5% versus 0,8% ; HR de 0,69 avec IC à 95% de 0,53 à 0,90 ; p < 0,006) et une augmentation du nombre d’AVC hémorragiques (0,3% versus 0,1% ; HR de 2,70 avec IC à 95% de 1,31 à 5,58 ; p = 0,005). Le taux annuel d’AVC invalidants et fatals (score 3-6 sur l’échelle de Rankin modifiée (modified Rankin Scale, mRS) est de 0,3% tant dans le groupe aspirine que dans le groupe rivaroxaban versus 0,2% dans le groupe rivaroxaban + aspirine (HR de 0,58 avec IC à 95% de 0,37 à 0,89 ; p = 0,01 par comparaison avec l’aspirine). Le taux plus faible dans le groupe rivaroxaban + aspirine est toutefois constant pour tous les scores mRS.
L’âge, la pression artérielle systolique, les antécédents d’hypertension artérielle, le diabète sucré, un antécédent d’AVC et une origine asiatique sont des prédicteurs indépendants d’AVC. Un antécédent d’AVC est ici le meilleur prédicteur : HR de 3,63 avec IC à 95% de 2,65 à 4,97 ; p < 0,0001. Dans le groupe des patients ayant des antécédents d’AVC (n = 1032), une diminution du taux d’AVC ischémiques ou d’origine indéterminée sous rivaroxaban + aspirine est observée versus aspirine seule (HR de 0,33 avec IC à 95% de 0,14 à 0,77 ; p = 0,01), la réduction absolue des AVC étant de 2,3% par an avec un NNT = 43. Dans le groupe des patients présentant un risque cardiovasculaire accru sans antécédents d’AVC, une diminution moins importante du taux d’AVC ischémiques ou d’origine indéterminée est observée sous rivaroxaban + aspirine versus aspirine seule (HR de 0,57 avec IC à 95% de 0,39 à 0,84 ; p = 0,01), avec une réduction absolue des AVC de 0,6% par an et un NNT = 142.
Les limites méthodologiques de l’étude COMPASS ont déjà été largement discutées (1,4). Nous avons ainsi posé des questions sur le processus de randomisation, la préservation du secret d’attribution (concealment of allocation) et l’insu. L’arrêt prématuré de l’étude et la possibilité d’un biais de sélection du fait de l’exclusion des patients qui ne suivaient pas bien le traitement et des patients présentant un risque accru d’hémorragies durant la phase de pré-inclusion avec le médicament à l’étude peuvent avoir eu une influence favorable sur les résultats. Nous devons faire preuve d’une grande prudence dans l’interprétation des résultats de l’analyse secondaire dont il est question ici car il s’agit d’une analyse post-hoc de critères de jugement cliniques qui faisaient partie d’un critère de jugement composite primaire et secondaire pour lequel il n’y a pas eu de calcul de la puissance.
Quelques remarques supplémentaires peuvent encore être formulées concernant l’AVC. Un AVC ischémique récent (< 1 mois) était un critère d’exclusion. L’effet de la stratégie de traitement examinée à la période post-AVC précoce où le risque d’une récidive d’AVC est plus élevé ne peut être généralisé. Les AIT n’ont pas été systématiquement enregistrés lors du suivi. Il se peut donc que certains AVC, considérés à tort comme des AIT, n’aient pas été repris dans l’analyse. Des antécédents d’AVC lacunaire (suggestif d’une microangiopathie cérébrale) étaient aussi un critère d’exclusion. Une sous-étude de l’étude COMPASS menée chez 1760 participants a montré que 35% d’entre eux avaient un infarctus cérébral lors de la randomisation (5), dont plus de 40% étaient lacunaires. D’autres recherches devront montrer si cela a eu un effet sur les résultats. La fibrillation auriculaire n’est pas expressément mentionnée dans les critères d’exclusion. Une FA était documentée chez 1,4% des participants, mais il se peut que d’autres patients ayant une fibrillation auriculaire infraclinique non traitée aient été inclus (6).
Conclusion
Cette analyse post-hoc de l’étude COMPASS, entachée d’importantes limitations sur le plan méthodologique, montre que chez les patients atteints d’une maladie cardiovasculaire stable sans AVC récent (< 1 mois) et sans antécédent d’AVC hémorragique, l’association d’une faible dose de rivaroxaban (2 x 2,5 mg/jour) et d’une faible dose d’aspirine (100 mg/jour), par comparaison avec l’aspirine seule, réduit le risque d’AVC ischémique sans augmenter le risque d’AVC hémorragique. Cet effet est le plus manifeste dans le sous-groupe de patients ayant des antécédents d’AVC ischémique.
Pour la pratique
Actuellement, le traitement standard pour la prévention cardiovasculaire secondaire est un traitement antiagrégant par aspirine ou clopidogrel en monothérapie (7). Sur la base de cette analyse secondaire de l’étude COMPASS, une stratégie thérapeutique à deux composantes agissant à la fois sur l’agrégation plaquettaire et sur la coagulation pourrait mieux réduire le risque d’AVC ischémique, surtout chez les personnes ayant des antécédents d’AVC. En vue d’une éventuelle application dans la pratique clinique, il faut confirmer ces résultats en menant une étude randomisée contrôlée sérieuse avec, comme critère de jugement primaire, les AVC/AIT. Le rivaroxaban et les autres DOAC (ou NOAC, anticoagulants oraux autres que les antivitamines K) sont remboursés en Belgique dans l’indication de prévention de l’AVC ischémique uniquement chez les patients avec fibrillation auriculaire documentée.
Références
- Chevalier P. En prévention cardiovasculaire dite secondaire : ajouter du rivaroxaban à l’aspirine ? MinervaF 2019;18(3):28-32.
- Eikelboom JW et al. Rivaroxaban with or without aspirin in stable cardiovascular disease. New Engl J Med 2017;377:1319-30. DOI: 10.1056/NEJMoa1709118
- Sharma M, Hart RG, Connolly SJ, et al. Stroke outcomes in the COMPASS trial. Circulation 2019;139:1134-45. DOI: 10.1161/CIRCULATIONAHA.118.035864
- Niessner A, Agewall S. Critical appraisal of the COMPASS trial. Eur Heart J Cardiovasc Pharmacother 2018;4:191-2. DOI: 10.1093/ehjcvp/pvy027
- Sharma M, Hart RG, Smith EE, et al. Rationale, design, and baseline participant characteristics in the MRI and cognitive substudy of the cardiovascular outcomes for people using anticoagulation strategies trial. Int J Stroke 2019;14:270-81. DOI: 10.1177/1747493018784478
- Coppens M, Weitz JI, Eikelbook JW. Synergy of dual pathway inhibition in chronic cardiovascular disease. Circ Res 2019;124:416-25. DOI: 10.1161/CIRCRESAHA.118.313141
- Infarctus cérébral (AVC ischémique). Duodecim Medical Publications. Dernière mise à jour: 28/08/2017. Dernière révision contextuelle: 21/07/2019.
Auteurs
Hemelsoet D.
Dienst Neurologie, Cerebrovasculaire Aandoeningen/Stroke Unit, Universitair Ziekenhuis Gent
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