Analyse
La metformine est-elle aussi le premier choix comme médicament initial chez les patients atteints de diabète de type 2 et d’insuffisance rénale chronique ?
Minerva a déjà discuté à plusieurs reprises d’une étude qui confirmait la metformine comme traitement de premier choix dans le diabète de type 2 (1-4). En 2016, l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux (Food and Drugs Agency, FDA) jugeait que la metformine pouvait être utilisée sans danger en cas de diabète de type 2 chez les patients ayant une légère atteinte rénale et chez certains patients ayant une atteinte rénale modérée. Cependant, il n’existe actuellement que peu de faits probants concernant les avantages et les inconvénients de la metformine dans cette population. On ne dispose pas d’études randomisées contrôlées, et les études observationnelles qui ont été menées antérieurement présentent d’importantes limitations sur le plan méthodologique, comme l’absence de comparateur défini (5).
En conséquence, le système de santé des anciens combattants américains (Veterans Health Administration, VHA), le plus important des systèmes de santé intégrés aux États-Unis, a mené une étude de cohorte rétrospective comparant l’instauration de metformine et l’instauration d’une sulfonylurée en monothérapie (6). Le choix du comparateur portait sur des sulfonylurées parce que, pendant la période étudiée, allant de début 2004 à fin 2009, ces médicaments étaient considérés comme comparables à la metformine pour l’instauration d’un traitement médicamenteux chez les patients atteints de diabète de type 2. 175296 patients atteints de diabète de type 2 et d’insuffisance rénale chronique qui, dans une période de 180 jours, avaient reçu au moins deux prescriptions successives de metformine ou de sulfonylurées, ont été inclus. Les patients qui prenaient déjà des antidiabétiques ou qui, dans le courant de l’année précédente, n’avaient pas été suivis par le VHA ont été exclus. Les patients du groupe d’étude ont été répartis en fonction de leur débit de filtration glomérulaire estimé (DFGe) à l’aide de la formule CKD-EPI (7,8). Les patients dont le DFGe était inférieur à 30 ml/min/1,73 m² ont été exclus de l’étude. Le critère de jugement primaire choisi était la mortalité globale. Comme il s’agissait d’une étude rétrospective, toutes les données ont été extraites a posteriori à partir des dossiers médicaux informatisés (DMI). L’analyse des données a été effectuée à l’aide du modèle de hasards proportionnels de Cox avec correction pour tenir compte des données démographiques, des facteurs de santé (BMI, tabagisme, alcoolisme), du DFGe, de la comorbidité, des résultats des analyses biologiques et de l’utilisation de médicaments cardiovasculaires. 5121 décès ont été enregistrés. Par comparaison avec les sulfonylurées en monothérapie, la metformine en monothérapie était associée à une mortalité plus faible, et ce de manière statistiquement significative, pour tous les niveaux de DFGe (sauf pour le niveau de DFGe de 30 à 44 ml/min/1,73 m2) (voir tableau). Toutefois, la diminution absolue la plus importante dans la mortalité a été observée avec un DFGe de 30 à 44 ml/min/1,73 m2 (voir tableau).
Tableau. Rapport de hasards (hazard ratio, HR) et diminution absolue de la mortalité (nombre de décès en moins par 100000 personnes-années) lorsque la metformine est instaurée au lieu d’une sulfonylurée chez des patients atteints de diabète de type 2 avec différents stades de fonction rénale (DFGe).
DFGe |
HR (avec IC à 95%) |
Diminution absolue de la mortalité (avec IC à 95%) |
≥ 90 |
0,59 (de 0,50 à 0,70) |
−3,0 (de −4,4 à −1,5) |
60 - 89 |
0,65 (de 0,60 à 0,71) |
−4,3 (de −5,4 à −3,2) |
45 - 59 |
0,80 (de 0,71 à 0,91) |
−3,4 (de −5,4 à −1,3) |
30 - 44 |
0,72 (de 0,51 à 1,01) |
−12,1 (de −19,0 à −5,2) |
Cette étude suggère donc un net avantage de l’instauration de la metformine par rapport aux sulfonylurées chez les personnes atteintes de diabète de type 2 et d’insuffisance rénale chronique. Une précédente synthèse méthodique d’études observationnelles a donné des résultats similaires (5). Cette étude comporte toutefois d’importantes limitations. Il ne s’agit pas d’une étude randomisée contrôlée, et il n’est donc pas possible de démontrer un lien causal. Il se peut aussi que des facteurs de confusion aient été ignorés lors de la correction des résultats. Ainsi, le choix d’instaurer une sulfonylurée plutôt que la metformine peut avoir été dicté par des caractéristiques dont on n’a pas tenu compte et qui sont peut-être aussi responsables de l’augmentation de la mortalité. Un biais d’indication n’est donc pas exclu. Il n’existe pas de norme internationale pour la sélection (parfois arbitraire) et le traitement des données par le groupe de recherche. Dans cette étude, la répartition des patients a été opérée sur la base d’une seule mesure de la créatinine avant le début du traitement. Mais un biais de classification est possible car différents éléments peuvent affecter le taux de créatinine (7-10). Il n’y a pas non plus de données suffisantes concernant les décisions des médecins pour « l’usage chronique » ou « l’arrêt » des médicaments. Cela aussi peut être source de biais de classification en ce qui concerne les médicaments pris.
Que disent les guides de pratique clinique ?
Lors d’un nouveau diagnostic de diabète de type 2, si la valeur cible de l’HbA1c n’est pas atteinte après une période de trois mois d’ajustement du mode de vie, il est recommandé de prescrire de la metformine (GRADE 1A). L’instauration d’un autre antidiabétique oral ne doit être envisagée que si la metformine n’est pas du tout tolérée ou si elle est contre-indiquée, comme en cas d’insuffisance rénale sévère (DFGe < 30 ml/min/1,73 m²) (GRADE 2C) (11). Si le DFGe est supérieur à 60 ml/min/1,73 m², la dose maximale recommandée est de 850 mg 3 fois par jour. S’il se situe entre 45 et 60 ml/min/1,73 m², elle est de 850 mg 2 fois par jour. Et s’il se situe entre 30 et 45 ml/min/1,73m², elle est de 850 mg une fois par jour. En cas de diminution transitoire de la clairance de la créatinine < 30 ml/min/1,73 m², la dose de metformine doit être encore diminuée, voire être provisoirement arrêtée. La présente étude conforte le choix d’instaurer la metformine comme médicament initial chez les patients atteints diabète de type 2 et d’insuffisance rénale chronique jusqu’au stade de gravité 3b inclus (DFGe > 30 ml/min/1,73 m²).
Conclusion
Cette étude de cohorte rétrospective, avec toutes les limites méthodologiques liées à ce type d’étude, suggère que, pour l’instauration d’un médicament en cas de diabète de type 2, la metformine est plus sûre et offre un avantage plus important que les sulfonylurées en termes de survie, même lorsque la fonction rénale est limitée, et ce jusqu’au stade 3b inclus (DFGe > 30 ml/min/1,73 m²).
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- Richard T. Faut-il ajuster le calcul de la clairance en créatinine en fonction du contrôle glycémique chez les patients diabétiques ? Minerva bref 15/02/2015.
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- Bastiaens H, Benhalima K, Cloetens H, et al. Diabète sucré de type 2. SSMG/Ebpracticenet 21/05/2015.
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