Analyse
La fréquence de l’autocontrôle glycémique a-t-elle un impact sur l’équilibre glycémique moyen des patients diabétiques de type 2 non traités par insuline ?
En 2013, le rôle de l’autocontrôle glycémique chez le patient diabétique de type 2 en l’absence de traitement par l’insuline a déjà fait l’objet d’une analyse dans Minerva (1). Dans la méta-analyse d’études cliniques randomisées (RCTs) discutée alors (2), l’instauration de l’autocontrôle avait été associée à une baisse statistiquement significative de 0,25% du taux d’HbA1c ne justifiant pas de recommander la prescription en routine de l’autocontrôle glycémique chez ces patients car la différence observée n’atteignait pas le seuil de pertinence clinique de 0,5%. Sur base des besoins d'un patient individuel, un autocontrôle de la glycémie pouvait cependant être indiqué. En 2002, une RCT montrait que l'autosurveillance de la glycémie liée aux repas dans le cadre d'un programme de conseil structuré avait amélioré le contrôle glycémique chez la majorité des patients diabétiques de type 2 non traités par insuline (3), résultats retrouvés dans une étude de 2003 (4). Selon ces 2 études, il n’était pas exclu que certains sous-groupes de patients puissent tirer davantage de bénéfice de l’autosurveillance en termes de diminution de l’HbA1c ou de qualité de vie (3,4). En 2018, Minerva a discuté (5) une RCT pragmatique (6) qui cherchait à montrer le bénéfice éventuel de l’autocontrôle glycémique chez le patient diabétique de type 2. Les résultats ne montraient pas de différence entre absence d’autocontrôle, contrôle glycémique une fois par jour, et contrôle une fois par jour associé à des recommandations transmises via l’appareil de lecture, ni en termes d’HbA1c, ni en termes de qualité de vie.
Une méta-analyse publiée en 2018 (7), sélectionnant les RCTs sans tenir compte de la fréquence de l’autocontrôle, observait un gain minime en terme d’HbA1c à 3 mois et à 6 mois, mais pas à un an. Il n’y avait pas d’effet après stratification pour le nombre de tests réalisés, mais bien après stratification pour l’HbA1c de base (à l’inclusion des patients), l’effet étant plus important si l’HbA1c de base était supérieure à 8. La méta-analyse analysée ici veut étudier l’impact de la fréquence de l’autocontrôle sur l’équilibre glycémique chez des patients ne prenant pas d’insuline (8).
Deux chercheurs indépendants ont sélectionné 12 RCTs dans 4 bases de données (PubMed, Web of Science, Cochrane Library et ClinicalTrials.gov), totalisant 3350 patients diabétiques non insulinorequérants sur un total de 1557 études. Les risques de biais des études ont été évalués selon les directives Cochrane. 4 sous-groupes ont été définis : autocontrôle intensif (plus de 8 tigettes par semaine) ou « standard » (moins de 8 tigettes par semaine), mesures à 6 mois ou 12 mois. Il n’y a pas de différence significative observée en termes de diminution du taux d’HbA1c à 6 ou 12 mois avec moins de 8 contrôles glycémiques par semaine, contrairement à une fréquence de contrôles glycémiques comprise entre 8 et 14 par semaine (à 6 mois : différence moyenne (DM) de - 0,46% avec IC à 95% de - 0,54 à - 0,39 ; à 12 mois : DM de - 0,20% avec IC à 95% de - 0,29 à - 0,11). À noter une importante hétérogénéité à 6 mois dans les deux sous-groupes (I² à 73 et 67%). Les auteurs concluent que 8 à 14 contrôles glycémiques par semaine sont associés à une amélioration du contrôle glycémique jusqu’à un an chez les patients diabétiques de type 2 non traités par insuline, ce qui n’est donc pas observé pour moins de 8 contrôles par semaine.
Cette méta-analyse compare de manière indirecte un autocontrôle intensif à un autocontrôle « standard », le bras contrôle des RCTs ne comportant pas d’autocontrôle. Il n’y a donc pas d’étude randomisée comparant directement les deux modalités d’intervention. Cette caractéristique expose cette méta-analyse à un risque majeur de biais, non discuté par les auteurs : les études incluses dans le groupe 8-14 contrôles par semaine n’étant pas les mêmes que les études incluses dans le groupe 1-7 contrôles, les patients pourraient donc avoir des caractéristiques différentes. Comme le gain en équilibre glycémique chez ce type de patients est habituellement corrélé à l’HbA1c de départ (6), il faut s’assurer au moins que l’HbA1c de départ est semblable dans les deux groupes d’études. Or, à 6 mois, l’HbA1c de base est significativement différente entre les deux groupes (6 versus 3 études ; p = 0,038 ; calculs par analyste), et la corrélation entre l’HbA1c de base et le gain observé est significative pour les 9 études (r = - 0,68 ; p = 0,044 ; calculs par analyste). L’hétérogénéité observée à 6 mois est sans doute expliquée par cela. À 12 mois, le nombre d’études incluses ne permet pas un calcul statistique.
Constatons de plus deux lourdes erreurs de méthodologie statistique : a) prise en compte du gain en HbA1c de l’analyse « per protocol » tout en gardant le nombre de patients de l’analyse en « intention to treat » (9) ; b) prise en compte d’une « erreur standard de la moyenne » (division par √n) en lieu et place d’une « erreur standard » (10) ; ces deux erreurs augmentent de manière non légitime le poids de ces études. Ces différents arguments sont de nature à diminuer fortement la crédibilité en la conclusion des auteurs. Les conclusions précédentes de Minerva restent d’actualité, à placer dans le contexte de l’absence de preuve d’un intérêt de l’autocontrôle sur la prévention des complications à long terme du diabète de type 2, et du coût de ce type d’accompagnement (11). En Belgique, l’autocontrôle glycémique des patients diabétiques de type 2 n’est pris en charge par la solidarité que si le patient est traité par injections (insuline ou incrétinomimétiques) (12). Deux problèmes sont sous-jacents à l’autocontrôle : intensifier trop tôt pour accéder au remboursement des tigettes, ou au contraire, comme déjà souligné par certains auteurs (13), être inerte et ne pas intensifier pour éviter au patient ET les injections ET l’autocontrôle.
Que disent les guides de bonne pratique ?
Le GPC de la SSMG (14) recommande de conseiller sans hésiter à tout patient diabétique de type 2 et traité par des injections multiples d'insuline un autocontrôle de sa glycémie pour ajuster correctement la dose d'insuline (GRADE 1A), et de conseiller éventuellement un autocontrôle de la glycémie aux patients diabétiques de type 2 qui sont sous antidiabétiques oraux (GRADE 2C) dans certaines conditions. Il n’y a pas d’élément dans la littérature permettant de recommander en routine l’instauration d’un autocontrôle glycémique chez les patients diabétiques de type 2 n’ayant pas recours à l’insuline. Si un sous-groupe de patients pouvait éventuellement tirer bénéfice de cette autosurveillance, ce sous-groupe n’a toujours pas été identifié. En Belgique, le système des trajets de soins et de convention diabétologiques permet l’accès au remboursement de l’autocontrôle chez les patients diabétiques de type 2 lorsqu’un traitement injectable est envisagé. L’état actuel de la littérature en limite bien les indications à ce groupe de patients.
Conclusion
Cette méta-analyse montre que 8 à 14 contrôles glycémiques par semaine sont associés à une amélioration du contrôle glycémique jusqu’à un an chez les patients diabétiques de type 2 non traités par insuline, en contradiction avec la littérature qui ne montrait pas d’effet après stratification pour le nombre de tests réalisés (7). Cette étude montre cependant de nombreux biais méthodologiques et n’apporte pas d’élément nouveau crédible au problème de l’autocontrôle glycémique chez le patient diabétique de type 2 non traité par insuline.
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Auteurs
Vanhaeverbeek M.
Laboratoire de Médecine Factuelle, Faculté de Médecine, ULB
COI :
Glossaire
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