Analyse


Douleurs radiculaires lombo-sacrées : efficacité des infiltrations thérapeutiques épidurales par corticostéroïdes versus placebo ?


15 02 2021

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Oliveira CB, Maher CG, Ferreira ML, et al. Epidural corticosteroid injections for lumbosacral radicular pain. Cochrane Database Syst Rev 2020, Issue 4. DOI: 10.1002/14651858.CD013577


Conclusion
Cette revue systématique avec méta-analyses de la Cochrane montre une efficacité légèrement supérieure des corticostéroïdes (CS) sur la diminution de l’intensité des douleurs radiculaires lombo-sacrées et sur le handicap fonctionnel à court terme (plus de 2 semaines et jusqu’à 3 mois), mais qui pourrait ne pas être cliniquement significative. De nouveaux essais cliniques randomisés de bonne qualité méthodologique sont nécessaires pour mieux évaluer la pertinence clinique des CS à court terme et leurs effets à moyen et long terme.



Les douleurs radiculaires lombo-sacrées se définissent comme étant des douleurs irradiées dans le membre inférieur selon un dermatome prenant son origine au niveau de la moelle lombo-sacrée, pouvant s’associer à un symptôme neurologique tel qu’une paresthésie, une parésie ou une dysréflexie rotulienne ou achilléenne (1). Cette pathologie relève d’un diagnostic clinique: l’imagerie médicale ne doit être proposée qu’en cas d’aggravation d’un déficit neurologique associé, de suspicion de pathologie sous-jacente d’ordre infectieuse ou tumorale, ou d’échec du traitement conservateur, avec prise en charge chirurgicale envisagée (1,2). L’infiltration épidurale thérapeutique par un corticostéroïde (CS) a pour but de diminuer l’inflammation locale engendrée par la mise en compression de la racine lombo-sacrée (2). En 2014, une analyse de Minerva (3) d’une synthèse méthodique avec méta-analyses (4) concernant les meilleurs traitements pour la sciatique avait mis en évidence l’efficacité des injections épidurales de CS versus placebo tant sur la récupération globale que sur l’intensité des douleurs à 6 mois de suivi, mais les études incluses présentaient une grande hétérogénéité clinique et méthodologique. En 2012, une revue systématique de la Cochrane Collaboration publiée en 2012 (5) montrait l’efficacité supérieure des infiltrations épidurales de CS sur l’intensité des douleurs et le handicap fonctionnel à court terme. Une mise à jour des connaissances par la Cochrane sur ce sujet sensible était pertinente (6).

 

Deux chercheurs indépendants ont sélectionné, sans restriction linguistique, des RCTs dans plusieurs bases de données : PubMed, EMBASE, CENTRAL, PsycINFO, et autres. Ils ont également extrait les données et évalué les risques de biais. Un troisième chercheur intervenait en cas de litige. Les critères de jugement primaire de cette revue étaient l’intensité de la douleur à la jambe mesurée par une échelle autodéclarée (par exemple, échelle visuelle analogique ou échelle numérique d'évaluation) et le handicap mesuré par un questionnaire autodéclaré (par exemple Oswestry Disability Index ou Roland-Morris Disability Questionnaire). Les critères de jugement étaient évalués à 4 moments : immédiat (≤ 2 semaines), court terme (> 2 semaines mais ≤ 3 mois), intermédiaire (> 3 mois mais < 12 mois) et long terme (≥ 12 mois). La qualité globale des preuves pour chaque résultat et moment temporel a été évaluée en utilisant l'approche GRADE.

19 études contrôlées, randomisées, ont été reprises de la revue systématique de 2012, 6 études ont été ajoutées suite à la nouvelle recherche. 2470 patients atteints de douleurs radiculaires lombo-sacrées ont été inclus, avec un âge moyen allant de 37,3 à 52,8 ans. 17 études incluaient des participants souffrant de douleur radiculaire lombo-sacrée avec un diagnostic basé sur une évaluation clinique et 15 études incluaient des participants présentant une durée mixte des symptômes. Les études incluses ont été menées principalement en Amérique du Nord et en Europe.

 

Les résultats montrent :

  • une probable efficacité légèrement supérieure des CS sur la diminution de l’intensité des douleurs au membre inférieur à court terme (plus de 2 semaines mais jusqu’à 3 mois), mais qui pourrait ne pas être cliniquement significative : différence moyenne pondérée de -4,93 points, avec IC à 95% de -8,77 à -1,09 sur une échelle de 0 à 100 ; 8 essais ; n = 949 ; niveau de preuve modéré (rétrogradé vu les risques de biais)
  • une probable efficacité légèrement supérieure des CS sur la diminution du handicap fonctionnel à court terme, mais qui pourrait ne pas être cliniquement significative : différence moyenne pondérée de -4,18 points, avec IC à 95% de -6,04 à -2,17, sur une échelle de 0 à 100 ; 12 essais ; n = 1367 ; niveau de preuve modéré (rétrogradé vu les risques de biais)
  • une incertitude quant à l’absence d’effets indésirables liés à l’infiltration épidurale de CS versus placebo (RR de 1,14 avec IC à 95% de 0,91 à 1,42 ; niveau de preuve très faible), attribuable à l’insuffisance d’information quant au monitoring des effets indésirables dans les essais cliniques et au report imprécis des effets indésirables liés au produit administré.

 

Une étude plus spécifique de différents sous-groupes n’a pas permis de démontrer de différence significative en fonction du type d’abord utilisé (caudale, inter-laminaire ou trans-foraminale), du type de placebo utilisé (une substance inerte sans propriété pharmacologique, une substance inoffensive telle que la solution saline, ou une substance active non considérée comme présentant des bénéfices significatifs comme l’anesthésique local), de l’utilisation d’un guidage par imagerie médicale et du type de CS utilisé. Le niveau de qualité des preuves a été évaluée selon la classification GRADE et vont d’un niveau très faible à modéré, suggérant la nécessité de nouvelles études avec une méthodologie correcte permettant une diminution des risques de biais.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Le Centre fédéral d’Expertise de Soins de Santé (KCE) a émis en 2017 (7) un guide clinique pour la prise en charge des douleurs lombaires et radiculaires, et recommande de considérer l’infiltration épidurale thérapeutique de CS associées à un anesthésique local pour les patients présentant une douleur radiculaire lombo-sacrée sévère (intensité de 5/10 ou plus sur une échelle numérique de 10 points) et (sub)aiguë (depuis au moins 2 semaines).

Le KCE rappelle également que depuis le 1er novembre 2016, seules les infiltrations radiculaires ou transforaminales guidées par imagerie et ciblant une seule racine nerveuse par séance sont remboursées dans notre pays, avec un maximum de 3 traitements par an. Le recours aux corticostéroïdes dépôt administrés par voie épidurale relève d’une utilisation off-label et implique donc de recueillir le consentement éclairé du patient (au moins 24 h) avant l’infiltration.

Il a toutefois été discuté et proposé par un panel international d’experts la contre-indication d’infiltration pour des durées de symptômes inférieures à 3 mois (au vu du haut taux de résolution spontanée) et supérieures à 24 mois (au vu de la faible probabilité d’amélioration en cas de douleur chronique) (8).

 

Conclusion

Cette revue systématique avec méta-analyses de la Cochrane montre une efficacité légèrement supérieure des corticostéroïdes (CS) sur la diminution de l’intensité des douleurs radiculaires lombo-sacrées et sur le handicap fonctionnel à court terme (plus de 2 semaines et jusqu’à 3 mois), mais qui pourrait ne pas être cliniquement significative. De nouveaux essais cliniques randomisés de bonne qualité méthodologique sont nécessaires pour mieux évaluer la pertinence clinique des CS à court terme et leurs effets à moyen et long terme.

 

 

Références 

  1. Koes BW, van Tulder MW, Peul WC. Diagnosis and treatment of sciatica. BMJ 2007;334:1313-7. DOI: 10.1136/bmj.39223.428495.BE
  2. Valat JP, Genevay S, Marty M, et al. Sciatica. Best Pract Res Clin Rheumatol 2010;24:241-52. DOI: 10.1016/j.berh.2009.11.005
  3. Feron J-M. Quels sont les meilleurs traitements pour la sciatique ? MinervaF 2014;13(7):80-1.
  4. Lewis RA, Williams NH, Sutton AJ, et al. Comparative clinical effectiveness of management strategies for sciatica: systematic review and network meta-analyses. Spine J 2015;15:1461-77. DOI: 10.1016/j.spinee.2013.08.049
  5. Pinto RZ, Maher CG, Ferreira ML, et al. Epidural corticosteroid injections in the management of sciatica: a systematic review and meta-analysis. Ann Intern Med 2012;157:865-77. DOI: 10.7326/0003-4819-157-12-201212180-00564
  6. Oliveira CB, Maher CG, Ferreira ML, et al. Epidural corticosteroid injections for lumbosacral radicular pain. Cochrane Database Syst Rev 2020, Issue 4. DOI: 10.1002/14651858.CD013577
  7. Van Wambeke P, Desomer A, Ailliet L, et al. Guide de pratique clinique pour les douleurs lombaires et radiculaires. Résumé. Good Clinical Practice (GCP). Bruxelles: Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE). 2017. KCE Reports 287Bs. D/2017/10.273/34.
  8. Rathmell JP, Benzon HT, Dreyfuss P et al. Safeguards to prevent neurologic complications after epidural steroid injections: consensus opinions from a multidisciplinary working group and national organizations. Anesthesiology 2015;122(5):974-84. DOI: 10.1097/ALN.0000000000000614

 

 

 

 

 




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