Revue d'Evidence-Based Medicine
Quels sont les meilleurs traitements pour la sciatique ?
Contexte
La sciatique est un syndrome clinique caractérisé notamment par une douleur d’origine radiculaire dans le membre inférieur. Le diagnostic et le traitement de la sciatique varient considérablement dans et entre les pays, selon la disponibilité des traitements, la préférence des cliniciens et les variables socio-économiques plutôt que sur base d’une pratique basée sur des preuves. Cette synthèse complète celle analysée dans Minerva (1,2).
Résumé
Méthodologie
Synthèse méthodique avec méta-analyses en réseau
Sources consultées
- recherche exhaustive, entre autre dans MEDLINE, EMBASE et AMED jusque décembre 2009, sans restriction de langue.
Etudes sélectionnées
- critères d’inclusion : étude comparative (RCT ou étude d’observation) concernant la sciatique ou le syndrome radiculaire lombosacré après constatation à l’examen clinique (douleur dans la jambe plus importante que dans le dos) ou confirmation par imagerie (preuve de l’irritation d’une racine nerveuse) chez l’adulte ; tous les types de traitement sont considérés, 21 catégories de traitement répertoriées
- critère d’exclusion : interventions combinant plus d’un traitement, interventions post chirurgie (la chirurgie est prise comme une catégorie de traitement), certains traitements considérés comme expérimentaux
- au total : 122 études incluses, dont 90 sont des RCTs ou des quasi RCTs.
Population étudiée
- adultes présentant une douleur à la jambe attribuée à une sciatique.
Mesure des résultats
- critères de jugement : récupération globale, mesure dichotomique, exprimée en Rapports de Cotes (RC) ; intensité de la douleur exprimée en différence moyenne pondérée (DMP)
- données après 6 mois de suivi
- analyse de l’hétérogénéité par test I², avec analyse de sensibilité après exclusion des études d’observation.
Résultats
- critère récupération globale : voir tableau 1
- intensité de la douleur : voir tableau 2
- les agents biologiques (inhibiteurs du TNF) et l’acupuncture montrent un effet favorable sur les deux critères de jugement, mais avec un intervalle de crédibilité très large, ce qui rend le résultat plus imprécis et sa pertinence clinique moins certaine.
Tableau 1. Stratégies statistiquement efficaces pour la récupération globale versus contrôle « non actif » (absence de traitement, traitement factice, placebo).
Catégorie de traitement |
RC médian |
Intervalle de crédibilité à 95% |
Acupuncture |
7,92 |
1,11 à 66,65 |
Manipulation |
4,88 |
1,07 à 22,8 |
Injections épidurales/bloc nerveux |
3,48 |
2,14 à 5,78 |
Autre intervention que la chirurgie discale lors de l’intervention |
3,64 |
1,70 à 7,81 |
Chirurgie discale |
2,46 |
1,33 à 4,51 |
Médicaments non opioïdes |
2,18 |
1,27 à 3,78 |
Tableau 2. Stratégies statistiquement efficaces pour la diminution de l’intensité de la douleur versus contrôle « non actif » (absence de traitement, traitement factice, placebo).
Catégorie de traitement |
Médiane des DMP |
Intervalle de crédibilité à 95% |
Agents biologiques |
-19,51 |
-32,85 à -6,43 |
Injections épidurales/bloc nerveux |
-11,4 |
-19,19 à -3,75 |
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que c’est la première fois que plusieurs stratégies thérapeutiques pour la sciatique sont comparées dans une même synthèse méthodique avec méta-analyses. Les résultats étayent l’efficacité des médicaments non opioïdes, des injections épidurales et de la chirurgie discale. Ils suggèrent aussi que les manipulations vertébrales, l’acupuncture et des traitements expérimentaux comme les agents biologiques anti-inflammatoires doivent être pris en considération. Ils n’apportent pas de preuve d’efficacité en faveur des analgésiques opioïdes, du repos au lit, des exercices, des avis/programmes éducatifs (utilisés seuls), de la discectomie percutanée ou de la traction. Déterminer le critère permettant d’estimer au mieux l’efficacité d’une approche thérapeutique dans une démarche thérapeutique séquentielle reste un important défi.
Financement de l’étude
National Institute for Health Research - UK sans intervention dans l’étude.
Conflits d’intérêt des auteurs
Aucun conflit mentionné, sauf pour un auteur.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
Cette synthèse est une seconde analyse d’une synthèse en Health Technology Assessment des mêmes auteurs, même revue de littérature (1,2) mais avec une sélection plus précise des études incluses (122 au lieu de 270 pour le premier article). Malgré cette sélection, les conclusions des deux synthèses restent fort similaires. Cette synthèse méthodique s’est basée sur une recherche très étendue dans la littérature, en incluant également des études non publiées et des études d’observation. La sélection et l’inclusion des études ont été effectuées par deux chercheurs indépendamment l’un de l’autre, de même que l’extraction des données. La qualité des études a été évaluée par les chercheurs au moyen de 2 échelles validées. Ils n’ont trouvé aucune étude de bonne qualité sur la chimionucléolyse, les médicaments non opioïdes, les traitements alternatifs, la kinésithérapie passive, les immunomodulateurs ni sur l’éducation/les conseils, tandis que seulement 5 des 122 études retenues étaient de bonne qualité à la fois pour l’une et l’autre des 2 échelles d’évaluation utilisées.
Alors qu’une méta-analyse classique nécessite déjà des études avec populations, interventions et critères de jugement relativement homogènes pour produire des conclusions fiables, ces conditions sont d’autant plus importantes (et difficiles à réunir) dans une méta-analyse en réseau où la comparaison se fait de façon indirecte. Or les auteurs reconnaissent eux-mêmes qu’il existe entre les études incluses une grande hétérogénéité clinique et méthodologique. En effet, deux critères de jugement ont été utilisés : la douleur, qui correspond à un critère clinique essentiel de la sciatique, et l’effet global (récupération globale), dont la définition précise et explicite manque dans l’article de synthèse, probablement parce qu’il s’agit d’un mélange de définitions différentes selon les études considérées. La mesure de l’effet global par donnée dichotomique témoigne également de son manque de précision par rapport à la réalité.
L’inclusion d’un ensemble important d’études tellement hétérogènes a par ailleurs nécessité une catégorisation des différentes stratégies thérapeutiques, et a, là aussi, impliqué un manque de précision dans la comparaison. La première synthèse considérait 18 catégories d’approches thérapeutiques, alors que cette seconde synthèse issue de la même revue en a considéré 21. Certains chevauchements entre catégories sont assez évidents. Les nombreuses études disponibles ne semblent pas permettre une comparaison à la fois large et approfondie.
L’analyse statistique de l’hétérogénéité entre études montre un niveau variant de modéré à fort élevé (I2 ≥ 75%). Le nombre insuffisant d’études n’a pas permis de rechercher d’éventuels biais de publication ou de notification.
Mise en perspective des résultats
La multiplicité et la variété des réponses thérapeutiques proposées aux patients souffrant de sciatique témoignent probablement de leur faible efficacité et/ou de leurs effets indésirables importants. Ceci justifiait cette mise en perspective ambitieuse et panoramique de toutes les stratégies évaluées dans la littérature, surtout quant à leur efficacité. Au vu des limites méthodologiques énoncées ci-dessus, les résultats de la méta-analyse en réseau doivent cependant être interprétés avec prudence.
Cette méta-analyse n’évalue l’efficacité des différentes stratégies qu’au seul terme de 6 mois.
Les résultats de cette synthèse comparative sont difficiles à appliquer dans la pratique pour deux raisons. La première est le fait que les effets indésirables et les risques liés à chaque stratégie (la chirurgie en particulier) ne sont pas pris en considération. A défaut d’être un objectif pour cette synthèse, il s’agit d’un devoir pour tout clinicien. La seconde est la temporalité de la clinique et le fait que la correspondance entre la clinique et l’imagerie ne font pas partie des critères dans le choix des traitements, or les auteurs admettent que les RCTs comparant la chirurgie avec d’autres interventions incluaient plus de sciatiques avec conflit disco-radiculaire confirmé par l’imagerie. Parle-t-on des mêmes patients ?
D’autres sources dans la littérature montrent que le bénéfice de la chirurgie discale par rapport au traitement conservateur est intéressant pour certains patients à court terme, mais s’annule après 1 an (3-7). Cette synthèse, comme d’autres articles déjà discutés dans Minerva, ne permet pas de bien situer la place de certaines approches thérapeutiques telles que les manipulations vertébrales (8,9), la traction (10) ou encore la kinésithérapie (11).
Conclusion de Minerva
Cette méta-analyse en réseau conclut que, dans le traitement de la sciatique, la chirurgie discale, les injections épidurales, les médicaments non opioïdes, les interventions peropératoires, la manipulation et la chimionucléolyse sont efficaces, par comparaison avec d’autres traitements, en termes de récupération globale. Aucune preuve n’est disponible en faveur des médicaments opioïdes, le repos au lit, la thérapie par exercices, la discectomie percutanée ou la traction.
Pour la pratique
Il n’existe pas de RBP belge pour le traitement de la sciatique, pathologie pourtant courante et très invalidante. A défaut de preuve d’efficacité, le guide de pratique de NICE/CKS propose une prise en charge par étapes (12), en commençant par l’étape la moins nocive, pour soigner la sciatique. Le paracétamol et les AINS restent les traitements de première intention ; les infiltrations et la chirurgie ne doivent être proposées qu’en second recours, après avoir bien informé les patients.
Références
- Heytens S, Poelman T. Efficacité des différentes options thérapeutiques invasives et non invasives dans la sciatique. MinervaF 2012;11(10):123-4.
- Lewis R, Wiliams N, Matar HE, et al. The clinical effectiveness and cost-effectiveness of management strategies for sciatica: systematic review and economic model. Health Technol Assess 2011;15:1-578.
- Peul WC, van Houwelingen HC, van den Hout WB, et al; Leiden-The Hague Spine Intervention Prognostic Study Group. Surgery versus prolonged conservative treatment for sciatica. N Engl J Med 2007;356:2245-56.
- De Geeter K. Chirurgie versus traitement conservateur prolongé en cas de sciatique. Minerva F 2008;7(5):76-7.
- Gibson JN, Waddell G. Surgical interventions for lumbar disc prolapse. Cochrane Database Syst Rev 2007, Issue 2.
- Albert HB, Manniche C. The efficacy of systematic active conservative treatment for patients with severe sciatica. Spine 2012;37:531-42.
- La Rédaction Minerva. Sciatique sévère : un traitement actif conservateur efficace ? Minerva online 15/09/2013.
- Santilli V, Beghi E, Finucci S. Chiropractic manipulation in the treatment of acute back pain and sciatica with disc protrusion: a randomized double-blind clinical trial of active and simulated spinal manipulations. Spine J 2006;6:131-7.
- Wambeke P, Peers K. Manipulations en cas de lombalgies aiguës avec douleur sciatique sur protrusion discale. MinervaF 2007;6(5):70-2.
- Wegner I, Widyahening IS, van Tulder MW, et al. Traction for low-back pain with or without sciatica. Cochrane Database Syst Rev 2013, Issue 8.
- Dahm KT, Brurberg KG, Jamtvedt G, Hagen KB. Advice to rest in bed versus advice to stay active for acute low-back pain and sciatica. Cochrane Database Syst Rev 2010, Issue 6.
- NICE Clinical Knowledge Summaries. Sciatica (lumbar radiculopathy. Last revised in November 2009.
Auteurs
Feron J-M.
Centre Académique de Médecine Générale, UCL
COI :
Mots-clés
acupuncture, alitement, chirurgie, douleur, éducation, exercice physique, injection épidurale, manipulation, opioïde, sciatique, tractionCode
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