Analyse


Que penser d’une plus faible dose d’édoxaban en cas de fibrillation auriculaire chez un patient âgé de plus de 80 ans ?


15 05 2021

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Okumura K, Akao M, Yoshida T, et al. Low-dose edoxaban in very elderly patients with atrial fibrillation. N Engl J Med 2020;383:1735-45. DOI: 10.1056/NEJMoa2012883


Conclusion
Cette étude randomisée, en double aveugle, correctement menée d’un point de vue méthodologique, menée auprès de Japonais d’un âge avancé (≥ 80 ans) atteints de fibrillation auriculaire et présentant au moins un facteur de risque supplémentaire d’hémorragie majeure montre la supériorité d’une faible dose d’édoxaban (15 mg par jour) par rapport à un placebo dans la prévention des AVC et de la thromboembolie systémique. De plus, il n’y avait aucune différence quant aux hémorragies majeures.



Les guides de pratique clinique actuels préconisent la prescription d’anticoagulants oraux directs (AOD) à tous les patients présentant une fibrillation auriculaire avec un score CHA2DS2VASC ≥ 2 pour les hommes et ≥ 3 pour les femmes (1). Le choix des AOD plutôt que des antagonistes de la vitamine K est étayé par une synthèse méthodique Cochrane, qui a fait l’objet d’une discussion dans Minerva (2,3). Les guides de pratique clinique actuels ne considèrent pas qu’un âge ≥ 80 ans soit une raison suffisante pour éviter les anticoagulants oraux ou pour prescrire une dose plus faible (1). Chez les personnes âgées atteintes de FA, un risque accru d’AVC et de thromboembolie systémique semble proportionnellement plus important que l’augmentation du risque d’hémorragies majeures du fait des anticoagulants oraux (4). Cependant, on ne sait toujours pas quelle est la posologie optimale chez les personnes âgées ≥ 80 ans présentant des facteurs de risque supplémentaires d’hémorragie majeure. À ce jour, les vastes études randomisées contrôlées portant sur les AOD n’ont inclus que peu de personnes âgées, et seul l’âge civil était pris en compte (5-12). Il est probable que les personnes âgées plus vulnérables qui présentaient un plus grand risque hémorragique n’étaient généralement pas incluses (13). Le rapport bénéfices-risques de différentes doses d’AOD chez les personnes âgées vulnérables atteintes de FA est donc encore mal déterminé.

 

Une étude multicentrique « event-driven », randomisée, en double aveugle et contrôlée versus placebo (14,15) a examiné l’effet d’une faible dose d’édoxaban chez des patients japonais ayant ≥ 80 ans atteints de fibrillation auriculaire documentée avec un score CHADS2 ≥2 chez qui l’utilisation d’une dose standard d’anticoagulant oral était considérée comme inadéquate en raison de la présence d’au moins un des facteurs suivants : clairance de la créatinine entre 15 et 30 ml/min, antécédents d’hémorragie majeure ou de saignement gastro-intestinal, faible poids corporel ( ≤ 45 kg), prise d’AINS en continu, utilisation concomitante d’antiagrégants plaquettaires. Finalement, 984 patients ont été inclus ; ils étaient âgés en moyenne de 86,6 ± 4,2 ans, leur score CHADS2 était de 3,1 ± 1,1 en moyenne, leur débit de filtration glomérulaire (DFG) était de 36,3 ± 14;4 ml/min en moyenne, et leur poids moyen était de 50,6 ± 11,0 kg. Environ 41% étaient considérés comme vulnérables. Les patients ont été randomisés selon un rapport de 1/1 pour faire partie du groupe intervention (n = 492) ou du groupe placebo (n = 492) avec stratification en fonction du score CHADS2 (2 points versus ≥ 3 points). La randomisation a été effectuée par ordinateur en insu tant des patients que des investigateurs et du promoteur. Le groupe intervention a reçu de l’édoxaban à raison de 1x 15 mg par jour. Le choix de la dose s’appuyait sur les résultats d’une analyse secondaire de l’étude ENGAGE AF-TIMI 48, qui a comparé deux doses d’édoxaban (30 mg et 60 mg) à de la warfarine et a montré que réduire de moitié la dose d’édoxaban (passant à 15 mg ou à 30 mg) par comparaison à la warfarine n’entraînait pas d’augmentation de l’incidence des AVC et des thromboembolies, mais s’accompagnait d’une réduction du risque d’hémorragie majeure (16). Le suivi médian était de 466,0 jours (écart interquartile 293,5 à 708,0 jours). Au total, 301 patients ont arrêté de participer à l’étude, et ce sans différence entre les deux bras de l’étude.

Le principal critère de jugement composite combinant AVC ou thromboembolie systémique a été constaté par un comité d’étude indépendant chez 2,3% des patients par an dans le groupe édoxaban et chez 6,7% des patients par an dans le groupe placebo (HR de 0,34 avec IC à 95% de 0,19 à 0,61 ; p < 0,001 pour la supériorité). Ce résultat s’expliquait principalement par une différence en termes d’AVC ischémiques (1,8% contre 5,9% par an). La différence quant aux AVC hémorragiques (0,0% contre 0,3% par an) était négligeable. Il n’y avait pas de différence statistiquement significative entre le groupe édoxaban et le groupe placebo quant au critère de jugement principal de sécurité, à savoir l’hémorragie majeure définie selon les critères ISTH (International Society on Thrombosis and Haemostasis) (respectivement 3,3% contre 1,8% par an ; HR de 1,87 avec IC à 95% de 0,90 à 3,89 ; p = 0,09). Il n’y avait pas non plus de différence statistiquement significative quant aux hémorragies intracrâniennes (0,3% contre 0,6% par an) mais bien quant aux saignements gastro-intestinaux (2,3% contre 0,8% par an (HR de 2,85 avec IC à 95% de 1,03 à 7,88). Quant au critère de jugement secondaire de mortalité globale, il n’y avait pas de différence entre les deux groupes (9,9% contre 10,2% par an). Les principales causes de décès étaient l’insuffisance cardiaque et l’infection. Toutes les analyses ont été effectuées en intention de traiter.

Seulement 17% des patients de l’étude ENGAGE AF-TIMI 48 avaient plus de 80 ans, et seulement 4% plus de 85 ans. Le risque annuel d’AVC et de thromboembolie systémique dans ce groupe était de 2,8% avec la dose d’édoxaban de 30 mg par jour et de 2,5% avec la dose de 60 mg par jour. C’est comparable au risque annuel dans la présente étude (2,3% avec l’édoxaban à la dose de 15 mg par jour). Le risque annuel d’hémorragie majeure et d’hémorragie intracrânienne était également comparable entre les patients qui recevaient 30 mg par jour dans l’étude ENGAGE AF-TIMI 48 et les patients de la présente étude (respectivement 2,6% et 0,5% contre 3,3% et 0,3%). Ces différences négligeables de la pharmacocinétique et des résultats s’expliquent peut-être également par la clairance réduite due à une insuffisance rénale (CrCl < 30 ml/min) chez les personnes âgées (17). Par contre, le risque annuel d’hémorragie majeure et d’hémorragie intracrânienne était plus important chez les patients qui recevaient 60 mg par jour dans l’étude ENGAGE AF-TIMI 48 que chez les patients de la présente étude (respectivement 6,2% et 1,6% contre 3,3% et 0,3%).

La principale limite de cette étude porte sur la validité externe. Les données n’ont été collectées que chez des personnes âgées japonaises, or, selon certaines indications, le risque de thromboembolie et de saignement peut être différent chez ces personnes que dans une population occidentale (18,19). À ce jour, on ne sait toutefois pas si une étude similaire sera menée ailleurs qu’au Japon, mais c’est peu probable.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Le guide de pratique clinique le plus récent préconise la prescription d’anticoagulants oraux directs (AOD) à tous les patients présentant une fibrillation auriculaire avec un score CHA2DS2VASC ≥ 2 pour les hommes et ≥ 3 pour les femmes (1). Avec un score CHA2DS2VASC = 1 chez les hommes et = 2 chez les femmes, l'utilisation d'anticoagulants oraux directs (AOD) devrait être envisagée.

 

Conclusion

Cette étude randomisée, en double aveugle, correctement menée d’un point de vue méthodologique, menée auprès de Japonais d’un âge avancé (≥ 80 ans) atteints de fibrillation auriculaire et présentant au moins un facteur de risque supplémentaire d’hémorragie majeure montre la supériorité d’une faible dose d’édoxaban (15 mg par jour) par rapport à un placebo dans la prévention des AVC et de la thromboembolie systémique. De plus, il n’y avait aucune différence quant aux hémorragies majeures.

 

 

Références 

  1. Hindricks G, Potpara T, Dagres N, et al. 2020 ESC Guidelines for the diagnosis and management of atrial fibrillation developed in collaboration with the European Association of Cardio-Thoracic Surgery (EACTS). Eur Heart J 2021;42:373-498. DOI: 10.1093/eurheartj/ehaa612
  2. Chevalier P. Inhibiteurs spécifiques du facteur Xa versus AVK en cas de FA. Minerva bref 15/06/2019.
  3. Bruins Slot KM, Berge E. Factor Xa inhibitors versus vitamin K antagonists for preventing cerebral or systemic embolism in patients with atrial fibrillation. Cochrane Database Syst Rev 2018, Issue 3. DOI: 10.1002/14651858.CD008980.pub3
  4. Bai Y, Guo SD, Deng H, et al. Effectiveness and safety of oral anticoagulants in older patients with atrial fibrillation: a systematic review and meta-regression analysis. Age Ageing 2018;47:9-17. DOI: 10.1093/ageing/afx103
  5. Chevalier P. Dabigatran versus warfarine en cas de fibrillation auriculaire. Minerva 2010;9(6):74-5.
  6. Connolly SJ, Ezekowitz MD, Yusuf S, et al; RE-LY Steering Committee and Investigators. Dabigatran versus warfarin in patients with atrial fibrillation. N Engl J Med 2009;361:1139-51. DOI: 10.1056/NEJMoa0905561
  7. Chevalier P. FA et nouveaux anticoagulants oraux : l’apixaban. Minerva bref 28/10/2011.
  8. Granger CB, Alexander JH, McMurray JJ, et al; ARISTOTLE Committees and Investigators. Apixaban versus warfarin in patients with atrial fibrillation. N Engl J Med 2011;365:981-92. DOI: 10.1056/NEJMoa1107039
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  10. Patel MR, Mahaffey KW, Garg J, et al; ROCKET AF Investigators. Rivaroxaban versus warfarin in nonvalvular atrial fibrillation. N Engl J Med 2011;365:883-91. DOI: 10.1056/NEJMoa1009638
  11. Chevalier P. FA : plus-value de l’édoxaban versus warfarine ? MinervaF 2016;15(1):5-8.
  12. Giugliano RP, Ruff CT, Braunwald E, et al; ENGAGE AF-TIMI 48 Investigators. Edoxaban versus warfarin in patients with atrial fibrillation. N Engl J Med 2013;369:2093-104. DOI: 10.1056/NEJMoa1310907
  13. Desmaele S, Steurbaut S, Cornu P, et al. Clinical trials with direct oral anticoagulants for stroke prevention in atrial fibrillation: how representative are they for real life patients? Eur J Clin Pharmacol 2016;72:1125-34. DOI: 10.1007/s00228-016-2078-1
  14. Okumura K, Lip GY, Akao M, et al. Edoxaban for the management of elderly Japanese patients with atrial fibrillation ineligible for standard oral anticoagulant therapies: rationale and design of the ELDERCARE-AF study. Am Heart J 2017;194:99-106. DOI: 10.1016/j.ahj.2017.08.017
  15. Okumura K, Akao M, Yoshida T, et al. Low-dose edoxaban in very elderly patients with atrial fibrillation. N Engl J Med 2020;383:1735-45. DOI: 10.1056/NEJMoa2012883
  16. Ruff CT, Giugliano RP, Braunwald E, et al. Association between edoxaban dose, concentration, anti-Factor Xa activity, and outcomes: an analysis of data from the randomised, double-blind ENGAGE AF-TIMI 48 trial. Lancet 2015;385:2288-95. DOI: 10.1016/S0140-6736(14)61943-7
  17. Koretsune Y, Yamashita T, Kimura T, et al. Short-term safety and plasma concentrations of edoxaban in Japanese patients with non-valvular atrial fibrillation and severe renal impairment. Circ J 2015;79:1486-95. DOI: 10.1253/circj.CJ-14-0942
  18. Van der Linden L. Sous antagonistes de la vitamine K dans la fibrillation auriculaire, maintenir l’INR entre 2 et 3. Minerva bref 17/12/2020.
  19. Pandey AK, Xu K, Zhang L, et al. Lower versus standard INR targets in atrial fibrillation: a systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. Thromb Haemost 2020;120:484-94. DOI: 10.1055/s-0039-3401823

Auteurs

Van der Linden L.
ziekenhuisapotheek, UZ Leuven; Departement van Farmaceutische en Farmacologische Wetenschappen, KU Leuven
COI :

Glossaire

event-driven

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