Revue d'Evidence-Based Medicine
FA : plus-value de l’édoxaban versus warfarine ?
Contexte
En prévention de la survenue d’un évènement embolique artériel (AVC, embolie pulmonaire) chez un patient présentant une fibrillation auriculaire (FA) et un risque thromboembolique accru (évalué par exemple sur un score CHADS2), nous disposons de la possibilité d’instaurer et de maintenir un traitement par anticoagulant voire par aspirine (1). Ce sont des médicaments anticoagulants oraux qui sont utilisés dans cette indication, soit les classiques antagonistes de la vitamine K (la warfarine étant la mieux étudiée), soit un des nouveaux anticoagulants oraux (NAOs). En plus du dabigatran (inhibiteur de la thrombine) et du rivaroxaban et de l’apixaban (anti facteur Xa), l’édoxaban (anti facteur Xa) se présente sur le marché. Quel est son intérêt versus warfarine, voire versus autres NAOs ?
Résumé
Population étudiée
- 21105 patients en FA, âgés d’au moins 21 ans, avec au moins 2 points au score CHADS2
- critères d’exclusion : FA liée à une cause réversible ; clairance de créatinine < 30 ml/min ; risque hémorragique élevé ; bithérapie antiplaquettaire ; sténose mitrale modérée à sévère ; autre indication pour une anticoagulation ; syndrome coronarien aigu, revascularisation coronarienne ou AVC dans les 30 jours avant la randomisation ; incapacité d’adhésion aux procédures de l’étude
- caractéristiques initiales des patients inclus : âge médian de 72 ans, 36 à 39% de femmes, score CHADS2 moyen de 2,8 (77% ≤ 3 points), 59% ayant précédemment utilisé un AVK pendant au moins 60 jours, 30% sous aspirine.
Protocole d’étude
- étude randomisée, en double aveugle et double placebo, multicentrique (1393) et multinationale (46), en groupes parallèles, de non infériorité/supériorité
- traitement : soit édoxaban 60 mg/j (n = 7035) soit édoxaban 30 mg/j (n= 7034) soit warfarine avec INR cible entre 2 et 3 (n = 7036), avec les placebos correspondants dans chaque bras ; dose d’édoxaban diminuée de moitié en cas de clairance de créatinine de 30 à 50 ml/min, de poids corporel ≤ 60 kg ou de traitement par un inhibiteur puissant de la glycoprotéine P
- stratification selon le score CHADS2 (2 - 3 versus 4 - 6) et selon la nécessité de réduire la dose d’édoxaban (voir ci-dessus)
- durée médiane de suivi de 1022 jours (2,8 ans)
- INR (factice sous édoxaban) mesuré au moins une fois par mois
- borne de non infériorité fixée pour atteindre au moins 50% de l’effet de la warfarine versus placebo.
Mesure des résultats
- critère de jugement primaire pour l’efficacité : délai de survenue d’un AVC (ischémique ou hémorragique) ou d’une embolie systémique durant la période de traitement pour l’analyse de non infériorité, durant toute l’étude pour l’analyse de supériorité
- critères de jugement secondaires composites : AVC, embolie systémique ou décès cardiovasculaire ou hémorragique ; idem + infarctus du myocarde ; AVC, embolie systémique ou décès de toute cause
- critère principal de sécurité : hémorragie majeure durant le traitement
- analyse en ITT modifiée (au moins une dose prise), explicitée dans l’article méthodologique de ce numéro.
Résultats
- pourcentage de temps à dosage thérapeutique (alias TTR) pour l’INR sous warfarine : médiane de 68,4%
- critère de jugement primaire pour l’efficacité : 1,50% par an sous warfarine versus 1,18% sous édoxaban à haute dose avec HR de 0,79 (avec IC à 97,5% de 0,63 à 0,99 et p < 0,001 pour la non infériorité et p = 0,02 pour la supériorité) ; versus 1,61% sous édoxaban à faible dose avec HR de 1,07 (avec IC à 97,5% de 0,87 à 1,31 et p = 0,005 pour la non infériorité et p = 0,44 pour la supériorité)
- pour l’ensemble de la durée d’étude (traitement + suivi) : pas de supériorité versus warfarine pour les 2 dosages
- critères de jugement secondaires composites : résultats statistiquement significatifs en faveur de la haute dose d’édoxaban versus warfarine mais non statistiquement significatifs en faveur de la dose faible versus warfarine
- décès de toute cause : différence non significative pour la haute dose d’édoxaban, significative pour la faible dose
- critère principal de sécurité : hémorragie majeure durant le traitement : 3,43% par an sous warfarine versus 2,75% sous haute dose d’édoxaban (HR à 0,80 avec IC à 95% de 0,71 à 0,91 et p < 0,001) et versus 1,61% sous faible dose d’édoxaban (HR à 0,47 avec IC à 95% de 0,41 à 0,55 et p < 0,001)
- davantage d’hémorragies gastro-intestinales sous haute dose d’édoxaban versus warfarine (HR à 1,23 avec IC à 95% de 1,02 à 1,50) mais moins d’hémorragies intracrâniennes (HR à 0,47 avec IC à 95% de 0,34 à 0,63).
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que les deux dosages d’édoxaban en une administration par jour étaient non inférieurs à la warfarine en termes de prévention de l’AVC ou d’une embolie systémique et étaient associés à une incidence significativement moindre d’hémorragies et de décès cardiovasculaires.
Financement de l’étude
La firme Daiichi-Sankyo a contribué au financement de l’étude.
Conflits d’intérêts des auteurs
Parmi les 21 auteurs listés, 9 déclarent des conflits d’intérêts à titres divers avec plusieurs firmes, 4 sont employés par la firme Daiichi-Sankyo et 3 déclarent que leur institution a reçu des subsides de cette firme.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
Cette étude repose sur un protocole initial correct au point de vue méthodologique. Une adjudication centrale des évènements cliniques a été réalisée, ce qui était indispensable au vu de la multiplicité des centres et des investigateurs impliqués dans cette étude. La borne de non infériorité choisie nous semble cependant très généreuse (2) puisqu’elle accepte jusqu’à 50% de l’effet de la warfarine versus placebo pour accorder une non infériorité.
Une supériorité est suggérée par les auteurs pour le critère primaire d’efficacité, mais clairement non présente pour l’analyse primaire prévue dans le protocole pour ce critère, durant toute la période d’étude. Ce subterfuge (durée totale d’étude dans le protocole versus durée sous traitement pour l‘analyse) avait déjà été utilisé dans les présentations promotionnelles de l’étude avec le rivaroxaban dans la FA (3,4).
L’analyse en sous-groupes accessible sur le site du NEJM montre des résultats en moyenne plus favorables pour les pays de l’Est pour les hautes doses. Sont inclus en moyenne 15 patients par centre avec des écarts allant d’une moyenne par pays de 5 patients (Suisse) à 31 (Bulgarie) avec une moyenne d’environ 10 pour les pays d’Europe de l’Ouest et les USA, avec les moyennes les plus élevées pour les pays de l’Est de l’Europe. Ces éléments suggèrent aussi qu’il s’agit d’une étude d’essaimage (5).
Interprétation des résultats
Dans leur résumé, les auteurs mentionnent une tendance à la supériorité en efficacité de la haute dose d’édoxaban versus warfarine, tout en donnant, en analyse ITT pour la période totale d’étude, un HR de 0,87 avec un IC à 95% de 0,73 à 1,04 et p = 0,08 ce qui n’est manifestement pas statistiquement significatif (pour la différence entre une analyse classique en ITT et une analyse en ITT modifiée : voir l'article 'Concepts et outils en EBM' de ce numéro). Evoquer une supériorité est donc incorrect.
Dans leur conclusion, les auteurs mentionnent que l’édoxaban diminue significativement la fréquence des hémorragies versus warfarine (avec un NST estimé selon nous à environ 150 par année - patient) et de décès d’origine cardiovasculaire. Ils ne mentionnent pas le risque accru d’hémorragies gastro-intestinales ni l’absence de différence en termes de proportion de décès global avec la haute dose d’édoxaban versus warfarine.
Sur base des analyses en sous-groupes fournies par les auteurs de cette étude, la FDA (6) a fait mentionner dans la notice de ce médicament qu’en cas de FA, il est moins efficace (en termes de prévention de l’AVC) que les AVK chez les patients avec une fonction rénale « normale » (clairance de créatinine > 95 ml/min).
Mise en perspective des résultats
En l’absence de comparaisons directes entre les différents NAOs, quels enseignements pouvons-nous tirer des comparaisons entre résultats, et entre les populations incluses, dans les études de phase 3 (alias, études pivots) de ces différents NAOs ?
Les patients inclus dans cette étude avec l’édoxaban devaient présenter un score CHADS2 d’au moins 2 points ; en moyenne ce score était de 2,8 et 77% des sujets ont un score ≤ 3 points. Par rapport aux études pivots avec les autres NAOs (7-11), il s’agit d’une population proportionnellement plus à risque que celle pour le dabigatran et l’apixaban (30% de patients avec CHADS2 < 2) et moins à risque que celle pour le rivaroxaban (44,1% avec un CHADS2 > 3 pour 22,6% dans cette étude-ci).
Il faut souligner que près de 60% des patients étaient sous AVK avant d’être inclus dans cette étude-ci. Dans l’analyse en sous-groupe disponible sur le site du NEJM, si un effet favorable est noté pour les patients naïfs d’un anticoagulant, il n’y a strictement aucun bénéfice (HR = 1) pour la haute dose d’édoxaban versus warfarine pour les patients précédemment sous AVK. Cette observation conforte l’avis de ne pas transférer sous NAO un patient correctement équilibré (INR 2-3) sous AVK (recommandation forte) (1).
Comme avec les autres NAOs, des interactions sont observées entre l’édoxaban et les inhibiteurs de la protéine de transport P-gp (glycoprotéine-P). L’élimination de l’édoxaban se fait à 50% par le rein (80% pour le dabigatran, environ 30% pour l’apixaban et le rivaroxaban) ; la posologie doit être diminuée en cas d’insuffisance rénale modérée à sévère (clairance de créatinine de 15 à 50 ml/min).
Comme pour les autres NAOs, la nécessité d’une surveillance de la fonction rénale voire de la concentration biologique (12) reste à mieux évaluer, étant donné la variabilité de la fonction rénale chez des personnes (fort) âgées et les incertitudes concernant les antidotes réellement et pratiquement disponibles.
Conclusion de Minerva
Cette RCT incluant des patients en FA avec un score CHADS2 ≥ 2 et sans haut risque hémorragique montre une non infériorité en efficacité de l’édoxaban versus warfarine (mais peut-être une infériorité en cas de fonction rénale normale), sans différence au niveau de la mortalité globale mais avec moins de saignements majeurs.
Pour la pratique
Si la majorité des guides de pratique clinique internationaux, comme par exemple celui de la Société Européenne de Cardiologie (13) prônent l’usage des NAOs en premier choix comme traitement anticoagulant quand celui-ci est indiqué en cas de FA, le NHG-Standaard concernant la FA (14) recommande les AVK en premier choix, étant donné la plus longue expérience avec ces médicaments et les informations limitées concernant la sécurité et l’efficacité des NAOs à long terme et chez des patients en première ligne de soins. Le consensus de l’INAMI (1) mentionne une place pour les NAOs en cas de contrôle de l’INR impossible sous warfarine.
Cette étude concernant l’édoxaban dans la FA ne montre pas de plus-value de ce médicament par rapport aux autres NAOs et les conclusions des recommandations conçues pour la première ligne de soins semblent donc valables aussi pour ce médicament.
Références
- INAMI. Prise en charge médicamenteuse efficiente en prévention et en traitement des pathologies cérébrovasculaires en première ligne de soins. Réunion de consensus du 10-05-2012 - Rapport du jury.
- Chevalier P. Etude de non infériorité : intérêt, limites et pièges. MinervaF 2009;8(7):100.
- Patel MR, Mahaffey KW, Garg J, et al; ROCKET AF Investigators. Rivaroxaban versus warfarin in nonvalvular atrial fibrillation. N Engl J Med 2011;365:883-91.
- Chevalier P. FA et nouvel anticoagulant oral : le rivaroxaban utile ? MinervaF 2011;10(9):106-7.
- Chevalier P. Etudes pour rire mais pour prescrire. [Editorial] MinervaF 2009;8(1):1.
- FDA. FDA approves anti-clotting drug Savaysa. Page last updated: 01/08/2015.
- Minerva. Anticoagulation orale : nouveaux médicaments. Dossier thématique. Synthèse. Dernière mise à jour le 29/03/2014.
- Granger CB, Alexander JH, McMurray JJ, et al; ARISTOTLE Committees and Investigators. Apixaban versus warfarin in patients with atrial fibrillation. N Engl J Med 2011;365:981-92.
- Chevalier P. FA et nouveaux anticoagulants oraux : l’apixaban. Minerva bref 28/10/2011.
- Connolly SJ, Ezekowitz MD, S. Yusuf, et al; RE-LY Steering Committee and Investigators. Dabigatran versus warfarin in patients with atrial fibrillation. N Engl J Med 2009;361:1139-51.
- Chevalier P. Dabigatran versus warfarine en cas de fibrillation auriculaire. MinervaF 2010;9(6):74-5.
- Dogne JM, Mullier F, Douxfils J, et al. Améliorer la balance bénéfice-risque des nouveaux anticoagulants oraux : Débat sur l’apport d’un monitoring biologique. Carte blanche. Référencé par Farmaka. Geneesmiddelenbrief Mai 2014:14-5.
- Camm AJ, Lip GY, De Caterina, R, et al; ESC Committee for Practice Guidelines-CPG; Document Reviewers. 2012 focused update of the ESC Guidelines for the management of atrial fibrillation: an update of the 2010 ESC Guidelines for the management of atrial fibrillation. Developed with the special contribution of the European Heart Rhythm Association. Eur Heart J 2012;33:2719-47.
- NHG-werkgroep Atriumfibrilleren. NHG-Standaard Atriumfibrilleren (tweede partiële herziening). Huisarts Wet 2013;56:392-401.
Interactions avec la glycoprotéine P |
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* Fiche P5. La glycoprotéine P en bref. La Rev Presc. Guide Interactions médicamenteuses – Comprendre et décider – 2016. |
* Folia : 2/ Tableau Id. Substrats, inhibiteurs et inducteurs de la glycoprotéine P (P-gp) |
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