Analyse


La poursuite de la prise de bisphosphonates après 5 ans est-elle associée à une modification du risque de fracture de hanche chez la femme âgée ?


15 09 2021

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Izano M, Lo J, Adams, et al. Bisphosphonate treatment beyond 5 years and hip fracture risk in older women. JAMA Network Open 2020;3:e2025190. DOI: 10.1001/jamanetworkopen.2020.25190


Conclusion
Cette étude de cohorte rétrospective reprenant des données d’une large cohorte n’a pas mis en évidence de différences significatives dans le risque de fracture de hanche que les femmes aient pris un traitement par bisphosphonates durant 5 ans ou poursuivi le traitement pendant 2 ou 5 années supplémentaires. Les résultats étaient mitigés selon l'utilisation d'une période de grâce de 6 mois, celle-ci ayant permis d’augmenter le nombre d’événements à analyser. Bien que les résultats suggèrent que l'interruption du traitement par bisphosphonates après environ 2 années de traitement supplémentaires puisse être associée à un risque inférieur de fracture de la hanche, le petit groupe de femmes exposé à un traitement de plus longue durée a montré a contrario un risque majoré.


 

Selon l’article publié dans Minerva en 2012, les bisphosphonates et surtout l’alendronate sont utilisés en prévention des fractures ostéoporotiques vertébrales et non vertébrales (1,2). Alors que la prévention de ces fractures par l’administration de ce traitement est bien démontrée dans la littérature, la durée de celui-ci l’est moins (3). En effet, une large étude cas-témoin danoise avait révélé que la poursuite des bisphosphonates pendant 5 ans (soit 10 ans au total) était associée à une réduction de 30% du risque de fracture de hanche (4). Par contre, l’étude WHI mettait en évidence qu’une prise supplémentaire de 5 ans conduisait à une augmentation de 30% de fractures cliniques (5). Face à ces données divergentes, la question de la durée de poursuite du traitement par bisphosphonates devait être étudiée plus avant.

 

Cette étude de cohorte rétrospective (6) a inclus des femmes dont un traitement à base de bisphosphonates a été initié entre janvier 2007 et septembre 2009. L’approche analytique vise à comparer le risque de fracture de la hanche en post-traitement en fonction de la durée additionnelle de prise de bisphosphonates.

Les femmes ayant commencé un traitement par bisphosphonates par voie orale avec l'alendronate, le risédronate, ou ibandronate entre le 1er janvier 1997 et le 30 septembre 2009 étaient incluses dans l’étude. Elles étaient âgées de 45 à 80 ans à l'initiation des bisphosphonates, 37% présentaient de l’ostéoporose et 57% de l’ostéopénie, elles avaient adhéré à un régime d'assurance-maladie au cours des 2 années précédentes et avaient reçu au moins 60% d'un traitement aux bisphosphonates adhérents au cours de chacune des 5 années suivant le début. L'adhésion aux médicaments était basée sur le nombre de jours d'approvisionnement des ordonnances délivrées. Le suivi de l'étude a commencé entre 2002 et 2014, après les 5 premières années de traitement, appelée date de référence. Les femmes devaient également avoir reçu un traitement aux bisphosphonates dans les 60 jours précédant la date de référence. Ont été exclues les femmes qui avaient déjà reçu un bisphosphonate ou un étidronate en intraveineux, du dénosumab, du tériparatide, du raloxifène ou des œstrogènes au cours des 2 années précédant la date de référence ou qui avaient une maladie rénale avancée (stade 4-5) ou terminale, qui avaient une maladie osseuse métabolique, un cancer secondaire ou métastatique ou un myélome multiple.

L’approche analytique a consisté à utiliser des données d'observation pour simuler les résultats d'un essai de 5 ans dans lequel les femmes auraient été randomisées à une des trois expositions suivantes : soit un arrêt du traitement (total de 5 ans d’exposition), soit un arrêt au bout de 2 années supplémentaires de traitement (total de 7 ans d’exposition), soit un arrêt après 5 années supplémentaires (total de 10 ans d'exposition). Pour les 2 premiers groupes, le protocole d'essai a permis une fenêtre de 6 mois appelée délai de grâce pour l'arrêt des bisphosphonates à savoir que l'arrêt pourrait survenir au cours des 6 premiers mois suivant la date de référence (date d’entrée dans l’étude). Pour la comparaison des groupes, la méthode de pondération de probabilité inverse a été utilisée et l’incidence cumulative des fractures a été ajustée par des variables potentiellement confondantes et dépendantes du temps. Après vérification de la stabilité du modèle et le calcul de l’estimation de l’effet, les courbes de survie ont été ajustées et les rapports de risques de fracture cumulés précisés.

29685 femmes dont l'âge médian était de 71 ans (64 à 77) ont terminé 5 années initiales de traitement par bisphosphonates. Parmi toutes les femmes qui ont intégré la cohorte, 11105 (37%) ont poursuivi le traitement pendant 2 années supplémentaires et 2725 (9,2%) sont restées sous traitement pendant 10 ans. Les participantes ont été suivies à partir de leur date d'indexation jusqu'à la survenue la plus précoce d'une fracture de la hanche (n = 507), d'un décès (n = 1164), d'un événement d'exclusion (n = 1676), de la fin de l'adhésion (n = 1958) ou de la fin de l'étude 5 ans après la date de référence (n = 24353). Il n'y avait pas de différences significatives au niveau de l’incidence cumulative des événements entre l'arrêt du traitement au début de l'étude et la poursuite de celui-ci pendant 5 années supplémentaires. Cependant, une diminution significative de la différence de risque (DR) ajustée de fracture de hanche à 4 ans était observée si les femmes continuaient pendant 2 années supplémentaires par rapport à l'arrêt à l'entrée (DR à 4 ans, -10,4 pour 1000 individus avec IC à 95% de -19,7 à -1,1 pour 1000 individus) mais seulement avec l'inclusion d'une période de grâce de 6 mois. Par contre, des augmentations significatives du risque de fracture de hanche étaient constatées dans le groupe de prise du traitement pendant 5 années supplémentaires au cours de la troisième année avec une DR ajustée de 2,8 pour 1000 personnes (avec IC à 95% de 1,3 à 4,3 pour 1000 personnes) ainsi que la quatrième année avec une DR ajustée de 9,3 pour 1000 personnes (avec IC à 95% de 6,3 à 12,3 pour 1000 personnes) par rapport à l'arrêt du traitement à 2 ans, là encore, uniquement avec l'inclusion d'une période de grâce de 6 mois.

Remarquons que les patientes de cette étude présentent peu de comorbidités, que les bisphosphonates ont été prescrits en prévention primaire principalement et que seule 37% avaient une ostéoporose démontrée. De plus, étant donné que cette étude n’a pas été construite pour évaluer le risque fracturaire après 5 ans, elle ne permet pas de modifier l’attitude quant à la durée de traitement par rapport aux recommandations actuelles. Par contre, une poursuite du traitement pendant 2 années supplémentaires semble apporter des résultats encourageant la conduite d’études randomisées comparatives sur ce sujet.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Le CBIP (7) rappelle que l’ostéoporose est un facteur de risque important, parmi d’autres facteurs, dans l’apparition de fractures chez les personnes âgées et que seule une diminution du nombre de fractures est un critère d’évaluation pertinent pour les interventions, surtout les fractures non vertébrales ont une importance clinique. Ce sont surtout les personnes ayant déjà présenté une fracture non traumatique auparavant qui bénéficieront d’un traitement éventuel; le bénéfice n’est pas grand en chiffres absolus.

Selon le guide Ebpracticenet (8), la durée du traitement par bisphosphonates proposée se situe entre 3 et 5 ans, après quoi le risque fracturaire est réévalué. Si le risque de fracture reste élevé, une poursuite ou une intensification de traitement est conseillée. De la même manière, le NHG Standaarden mentionne que la poursuite du traitement après 5 ans n'est indiquée que chez les patientes qui présentent encore un risque de fracture fortement accru après 5 ans de traitement initial (9).

 

Conclusion

Cette étude de cohorte rétrospective reprenant des données d’une large cohorte n’a pas mis en évidence de différences significatives dans le risque de fracture de hanche que les femmes aient pris un traitement par bisphosphonates durant 5 ans ou poursuivi le traitement pendant 2 ou 5 années supplémentaires. Les résultats étaient mitigés selon l'utilisation d'une période de grâce de 6 mois, celle-ci ayant permis d’augmenter le nombre d’événements à analyser. Bien que les résultats suggèrent que l'interruption du traitement par bisphosphonates après environ 2 années de traitement supplémentaires puisse être associée à un risque inférieur de fracture de la hanche, le petit groupe de femmes exposé à un traitement de plus longue durée a montré a contrario un risque majoré.

 

 

Références 

  1. Chevalier P. Dénosumab, raloxifène et acide zolédronique pour l’ostéoporose post-ménopausique ? Minerva bref 28/08/2012.
  2. Gauthier K, Bai A, Perras C, et al. Denosumab, raloxifene, and zoledronic acid for the treatment of postmenopausal osteoporosis: clinical effectiveness and harms [Internet]. Ottawa: Canadian Agency for Drugs and Technologies in Health;2012 (rapid response report: systematic review).
  3. Black DM, Thompson DE, Bauer DC, et al; Fracture Intervention Trial. Fracture risk reduction with alendronate in women with osteoporosis: the Fracture Intervention Trial. FIT Research Group. J Clin Endocrinol Metab 2000;85:4118-24. DOI: 10.1210/jcem.85.11.6953
  4. Abrahamsen B, Eiken P, Prieto-Alhambra D, Eastell R. Risk of hip, subtrochanteric, and femoral shaft fractures among mid and long term users of alendronate: nationwide cohort and nested case-control study. BMJ 2016;353:i3365. DOI: 10.1136/bmj.i3365
  5. Drieling RL, LaCroix AZ, Beresford SAA, et al. Long-term oral bisphosphonate therapy and fractures in older women: the Women’s Health Initiative. J Am Geriatr Soc 2017;65:1924-31. DOI: 10.1111/jgs.14911
  6. Izano M, Lo J, Adams, et al. Bisphosphonate treatment beyond 5 years and hip fracture risk in older women. JAMA Network Open 2020;3:e2025190. DOI: 10.1001/jamanetworkopen.2020.25190
  7. Fiche de transparence. Ostéoporose. Dernière mise à jour: 23/08/2018. Disponible sur: https://ft.cbip.be/fr/frontend/indication-group/78/summary
  8. Ostéoporose. Guide de pratique clinique étranger. Ebpracticenet 19/12/2017.
  9. Fractuurpreventie. NHG-Standaard (M69) Versie 3.0 oktober 2012. Disponible sur: https://richtlijnen.nhg.org/standaarden/fractuurpreventie

 


Auteurs

Korpak K.
Service de Gériatrie, ISPPC, CHU Charleroi
COI :

Levie H.
Service de Gériatrie, ISPPC, CHU de Charleroi
COI :

Glossaire

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