Analyse


En cas d’échec de prise en charge d’une dépression sévère avec un premier antidépresseur : ajouter un antipsychotique atypique ou un autre antidépresseur ?


23 02 2022

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien, Psychologue
Analyse de
Gerhard T, Stroup TS, Correll CU, et al. Mortality risk of antipsychotic augmentation for adult depression. PLoS One 2020;15:e0239206. DOI: 10.1371/journal.pone.0239206


Question clinique
Chez les patients présentant une dépression sévère en échec après 3 mois avec un premier antidépresseur, il y a-t-il un risque de surmortalité en cas d’ajout soit d’un antipsychotique atypique, soit d’un autre antidépresseur ?


Conclusion
Cette étude de cohorte montre que les patients de 25 à 64 ans présentant une dépression sévère, résistante après 3 mois de traitement par un premier antidépresseur, pour lesquels une stratégie d’augmentation de la prise en charge par ajout d’un antipsychotique de seconde génération a été initiée, présentent une surmortalité par rapport à ceux bénéficiant d’une bithérapie antidépressive. Le biais de sélection limite la transférabilité des résultats à la population générale et invite à une réplication des résultats dans d’autres études comparatives. Toutefois, l’étude conforte les recommandations des guides de pratique clinique encourageant à éviter cette stratégie dont le rapport bénéfice/risque n’apparait pas favorable. Pour le médecin généraliste, l’échec d’un traitement antidépresseur bien conduit pendant 3 mois peut conduire à adresser le patient à un confrère psychiatre.



Contexte

Bien que les antidépresseurs soient le traitement médicamenteux de choix de l’état dépressif majeur, la rémission n’est atteinte que chez 50% des patients après un premier essai d’antidépresseur en monothérapie (1). Plusieurs choix s’offrent au médecin lorsque la réponse thérapeutique est insuffisante : changer d’antidépresseur ou opter pour une escalade thérapeutique en ajoutant un second antidépresseur ou une autre classe médicamenteuse à l’antidépresseur initialement prescrit, telle qu’un antipsychotique atypique (2). Minerva s’était intéressée à cette dernière option dans une analyse de 2010 (3,4) et concluait que l’ajout d’un antipsychotique atypique augmentait la réponse et la rémission des patients lorsqu’un premier antidépresseur n’avait pas permis de l’atteindre. Toutefois, les nombreuses limites de la méta-analyse et des études qu’elle incluait, combinée à l’augmentation des effets indésirables observés, invitaient à la prudence et à davantage d’information. Par ailleurs, les définitions utilisées étaient floues et manquaient d’homogénéité : ainsi, on doit désormais veiller à ne pas parler abusivement de « dépression résistante ». Par consensus, on utilise cette expression pour parler d’échec après deux traitements avec des médicaments de classes différentes, de durée et de dosage adéquats, sans obtenir un effet acceptable (5). Les limites inhérentes aux études disponibles, et la mise en évidence d’une augmentation de la mortalité toute cause chez les patients âgés (plus de 65 ans) atteints de démence traités par antipsychotiques atypiques (6), ont conduit les auteurs à s’interroger sur le risque de ces derniers chez les patients dépressifs de 25 à 64 ans lorsqu’un antidépresseur n'a pas suffi à atteindre la rémission. On parlera ici d’antipsychotiques atypiques, de seconde génération ou de « nouveaux antipsychotiques » par opposition aux antipsychotiques de première génération (phénothiaziniques, butyrophénones, thioxanthènes, benzamides). Dans cette étude, seule la dépression unipolaire a été considérée.

 

 

Résumé

Protocole d’étude

  • les données de cette étude de cohorte sont issues de la base de données de Medicaid de 2001 à 2010 ; celle-ci est constituée des données médicales des services d’urgence et de suivi des patients, pour lesquels les diagnostics sont définis d’après la CIM-10 par l’ensemble des dispensateurs de soins et de médicaments ; cela permet d’avoir précisément la date de prescription et de délivrance, le nombre de jours de traitement et son indication (diagnostic d’après la CIM) ; les dates et causes de décès étaient déterminées en liant ces données à celles du « National Death Index ».

 

Population étudiée

  • la cohorte sur laquelle se sont faites les analyses (cohorte analytique, obtenue après équilibration des groupes pour les variables confondantes envisagées) comprenait 39582 patients (âge moyen de 44 ans, 78% de femmes, 70% de caucasiens) ayant débuté une escalade thérapeutique, soit via l’adjonction d’un antipsychotique de nouvelle génération (n= 22410 patients), soit par un second antidépresseur (n= 17172)
  • les antidépresseurs considérés pouvaient être des antidépresseurs atypiques (bupropion et mirtazapine, notamment, 59%), des inhibiteurs spécifiques de la recapture de la sérotonine (ISRS, 21%), des antidépresseurs d’autres classes (tricycliques et nortriptyline, notamment, 11%) ou des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSNa, 9%)
  • notons que dans cette étude, menée aux Etats-Unis, seul l’ajout d’un antipsychotique de nouvelle génération était approuvé par la FDA au moment de l’analyse, et pour 3 principes actifs : l’aripiprazole, la quétiapine et une association olanzapine + fluoxétine (la stratégie de bithérapie antidépressive n’étant visiblement pas validée par la FDA pour les antidépresseurs considérés)
  • les 22140 patients ayant bénéficié de la première option ont été traités par quétiapine, rispéridone, aripiprazole ou olanzapine ; les posologies ont été rendues comparables par la notion d’équivalence en dose de chlorpromazine, le premier antipsychotique arrivé sur le marché dans les années 70 ; la posologie moyenne d’instauration de ces nouveaux antipsychotiques était ainsi équivalente à 68 mg/jour, et pouvait être augmentée jusqu’à 100mg /jour au cours du suivi
  • les patients qui auraient nécessité un traitement par antipsychotique (ancienne ou nouvelle génération) dans d’autres indications (dépression psychotique, troubles bipolaires, troubles du spectre autistique ou démence) ont été exclus, de même que ceux ayant eu plus d’un antidépresseur dans les 60 jours précédant la date d’inclusion.

 

Mesure des résultats

  • comparaison de la mortalité toute cause chez les patients dépressifs de 25 à 64 ans qui, après 90 jours de traitement antidépresseur bien conduit, se voyaient prescrire soit un nouvel antipsychotique en plus, soit un second antidépresseur ; on considère donc 2 bras : un bras « ajout d’antipsychotique de seconde génération » et un bras « bithérapie antidépressive », et un critère principal de jugement : la mortalité toute cause.

 

Résultats

  • au total, 153 patients sont décédés durant le suivi (13238 personne-années) ; parmi eux, 105 appartenaient au groupe « nouvel antipsychotique », sur un suivi de 7601 personnes-années soit un taux de mortalité de 138,1 pour 10000 personnes-années ; dans le groupe « bithérapie antidépressive », 48 patients sont décédés, pour une durée de suivi de 5727 personnes-années avec un taux de mortalité de 83,8 pour 10000 personnes-années
  • le hazard-ratio ajusté était de 1,45 avec un intervalle de confiance à 95% (IC95%) de 1,02 à 2,06, ce qui traduit un risque de mortalité toute-cause plus élevé pour le groupe « nouvel antipsychotique » que pour le groupe « bithérapie antidépressive » avec une différence de risque (DR) de 37,7 pour 10000 personnes-années (avec IC à 95% de 1,7 à 88,8) ; ce chiffre correspond à un nombre de patient à traiter pour obtenir un effet nocif (NNH pour « number-needed-to-harm) de 265 patients par an
  • les antipsychotiques atypiques ont montré une association avec un risque accru de mortalité chez les femmes (HR de 1,72 avec IC à 95 % de 1,13 à 2,63), mais pas chez les hommes (HR de 0,99 avec IC à 95 % de 0,52 à 1,87)
  • comparé à l’ajout d’un 2ème antidépresseur ; les patients traités par ajout de rispéridone (HR de 1.66 avec IC à 95% de 1,01 à 2.74) ou d’olanzapine (HR de 1.92 avec IC à 95% de 1,10 à 3,33) apparaissaient ici comme particulièrement à risque, sans que la méthodologie de cette étude permette d’affirmer un lien de causalité direct
  • l’augmentation de mortalité du groupe « antipsychotique » était maintenue lorsqu’on considérait plus spécifiquement la mortalité naturelle et la mortalité non liée au cancer.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent ainsi que la stratégie d’ajout d’un nouvel antipsychotique chez les patients dépressifs de 25-64 ans était associée à un risque de mortalité supérieur à la bithérapie antidépressive. Bien que l’association statistique ne soit pas gage d’une relation causale et que de tels résultats mériteraient d’être répliqués dans d’autres études, ils invitent les médecins confrontés à la dépression de l’adulte à être prudents face à la potentielle surmortalité de l’association antidépresseur + antipsychotique de nouvelle génération.

 

Discussion

Evaluation de la méthodologie (validité interne)

La méthodologie de l’étude est intéressante et bien conduite mais souffre d’un biais de sélection majeur. En effet, les données utilisées sont celles du programme Medicaid, qui fournit une assurance maladie aux plus démunis (sous le seuil de pauvreté ou jusqu’à 133% au-dessus après élargissement en 2014). Or, cette population présente déjà, en soi, une surmortalité globale du fait des inégalités de santé, notamment par risque cardiovasculaire accru (susceptible de se surajouter à la toxicité chronique des antipsychotiques) (7).

Il est important de noter que les auteurs signalent que la puissance de l'étude d'examiner les sous-groupes était limitée et que les résultats stratifiés devraient être considérés comme générant des hypothèses jusqu'à ce qu'ils soient réfutés ou confirmés par des recherches futures.

 

Interprétation des résultats de l’étude (validité externe)

Le problème de la sélection des patients à risque cardiovasculaire accru étant posé, il n’empêche que les résultats observés montrent bien une différence entre les 2 interventions pharmacologiques étudiées. Cependant, cela pose problème en termes de transposabilité des résultats à d’autres populations avec moins de comorbidités. Les résultats observés concordent toutefois avec les études antérieures observées chez les patients âgés déments (6). Les résultats paraissent relativement interpellants quand on sait qu’en outre, les bénéfices de la stratégie d’ajout d’un antipsychotique atypique dans cette indication sont très modestes – il faut traiter 9 patients pour qu’un seul arrive en rémission – et que les effets sur l’amélioration de la qualité de vie et la gêne fonctionnelle n’ont pas été démontrés (8).

Nous n’avons pas retrouvé de comparaison directe d’efficacité entre les deux approches étudiées ici. Il faut également noter que cette étude ne compare pas les approches médicamenteuses à une prise en charge psychologique. Nous ne pouvons donc rien conclure à ce propos.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

En pratique, il n’existe pas non plus de recommandations de grade élevé sur la stratégie à privilégier. Une recommandation d’experts français (9) ne justifie pas vraiment la prescription des neuroleptiques atypiques et même, au contraire, la place qui leur est accordée est très parcellaire. En substance, en dehors de symptômes psychotiques ou d’une agitation psychomotrice importante associés, les neuroleptiques atypiques ne sont pas recommandés. Ils ne sont envisagés qu’après plusieurs lignes de stratégie thérapeutique, et en seconde intention (autrement dit une affaire « d’ultraspécialiste »).

Les résultats observés dans cette étude de cohorte permettent de conforter les recommandations des guides de pratiques cliniques tels que le guide « dépression » de la Société Scientifique de Médecine Générale. Ce dernier conseille, en cas d’échec du traitement médicamenteux 6 semaines après son instauration, de consulter un confrère psychiatre. A propos des antipsychotiques, il ajoute « des études montrent que l’ajout d’un antipsychotique à un antidépresseur a des effets positifs (limités). Elles montrent cependant également une augmentation des effets indésirables (comme la prise de poids, la sédation et des résultats de laboratoire anormaux (par exemple une augmentation de la prolactinémie) responsables de l’abandon du traitement par davantage de patients. Pour toutes ces raisons, le groupe d’auteurs a décidé de ne pas encourager, et certainement pas en première ligne, l’utilisation d’antipsychotiques. » (10). En France, la Haute Autorité de Santé recommande, en cas de réponse insuffisante, « d’augmenter la posologie de l’antidépresseur (dose efficace) ou de changer d’antidépresseur » (11).

 

Conclusion de Minerva

Cette étude de cohorte montre que les patients de 25 à 64 ans présentant une dépression sévère, résistante après 3 mois de traitement par un premier antidépresseur, pour lesquels une stratégie d’augmentation de la prise en charge par ajout d’un antipsychotique de seconde génération a été initiée, présentent une surmortalité par rapport à ceux bénéficiant d’une bithérapie antidépressive. Le biais de sélection limite la transférabilité des résultats à la population générale et invite à une réplication des résultats dans d’autres études comparatives. Toutefois, l’étude conforte les recommandations des guides de pratique clinique encourageant à éviter cette stratégie dont le rapport bénéfice/risque n’apparait pas favorable. Pour le médecin généraliste, l’échec d’un traitement antidépresseur bien conduit pendant 3 mois peut conduire à adresser le patient à un confrère psychiatre.

 

 

Références 

  1. Rush AJ, Trivedi MH, Wisniewski SR, et al. Acute and longer-term outcomes in depressed outpatients requiring one or several treatment steps: a STAR*D report. Am J Psychiatry 2006;163:1905-17. DOI: 10.1176/ajp.2006.163.11.1905
  2. Philip NS, Carpenter LL, Tyrka AR, Price LH. Pharmacologic approaches to treatment resistant depression: a re-examination for the modern era. Expert Opin Pharmacother 2010;11:709-22. DOI: 10.1517/14656561003614781
  3. Wyckaert S. Dépression majeure : antipsychotique en ajout à un antidépresseur ? MinervaF 2010;9(10):120-21.
  4. Nelson JC, Papakostas GI. Atypical antipsychotic augmentation in major depressive disorder: a meta-analysis of placebo-controlled randomized trials. Am J Psychiatry. 2009;166:980-91. DOI: 10.1176/appi.ajp.2009.09030312
  5. Kosel M, Berney A. Dépression résistant au traitement : enjeux, thérapie et place des nouvelles approches de neurostimulation. Rev Med Suisse 2012;8:942-5
  6. Schneider LS, Dagerman KS, Insel P. Risk of death with atypical antipsychotic drug treatment for dementia: meta-analysis of randomized placebo-controlled trials. JAMA 2005;294:1934-43. DOI: 10.1001/jama.294.15.1934
  7. Lecoffre C, Decool E, Olié V. Hospitalisations pour maladies cardio-neuro-vasculaires et désavantage social en France en 2013. Bull Epidémiol Hebd 2016;(20-21):359-66.
  8. Spielmans GI, Berman MI, Linardatos E, et al. Adjunctive atypical antipsychotic treatment for major depressive disorder: a meta-analysis of depression, quality of life, and safety outcomes. PLoS Med 2013;10:e1001403. DOI: 10.1371/journal.pmed.1001403
  9. Charpeaud T, Genty JB, Destouches S, et al. Prise en charge des troubles dépressifs résistants : recommandations françaises formalisées par des experts de l’AFPBN et de la fondation FondaMental. [French Society for Biological Psychiatry and Neuropsychopharmacology and Fondation FondaMental task force: Formal Consensus for the management of treatment-resistant depression] Encephale 2017;43:S1-S24. DOI: 10.1016/S0013-7006(17)30155-0
  10. Declercq T, Habraken H, Van den Ameele J, et al. La dépression chez l’adulte. Recommandation de Bonne Pratique. Domus Medica/traduction par la Société Scientifique de Médecine Générale, 24/02/2017.
  11. Épisode dépressif caractérisé de l’adulte : prise en charge en soins de premier recours. Recommandation de bonne pratique. HAS, 8 novembre 2017.

 




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