Analyse


Azithromycine : pas de place dans le traitement du covid-19


20 04 2022

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Popp M, Stegemann M, Riemer M, et al. Antibiotics for the treatment of COVID-19. Cochrane Database Syst Rev 2021, Issue 10. DOI: 10.1002/14651858.CD015025


Question clinique
Quelle efficacité et sécurité d’emploi ont les antibiotiques dotés de propriétés antivirales ou anti-inflammatoires dans le traitement des patients atteints de covid-19 ?


Conclusion
Cette revue systématique de bonne qualité méthodologique montre l’absence d’efficacité de l’azithromycine dans le traitement du covid-19, avec une plus grande certitude pour les patients hospitalisés que pour les patients traités en ambulatoire. Ces conclusions sont néanmoins limitées par son caractère probablement éphémère : le nombre d’études sur lesquelles elle s’appuie (11 RCTs) est largement inférieur au nombre d’études en cours ou terminées mais non encore publiées qu’elle a répertoriées (34 RCTs). La méta-analyse pointe par ailleurs la quasi-absence de recherche clinique sur l’efficacité d’autres antibiotiques que l’azithromycine dans le traitement de cette affection ou portant sur l’usage prophylactique des antibiotiques contre le covid-19.



 

Contexte

Au vu de la faible couverture vaccinale mondiale contre le SARS-CoV-2, du risque d’échappement immunitaire lié à l’apparition de nouveaux variants, des incertitudes sur le degré et la durée de la protection conférée par les vaccins et de l’hésitation vaccinale d’une partie non négligeable de la population, il reste nécessaire et urgent de trouver des traitements efficaces contre le covidD-19. Parallèlement à la recherche de nouvelles molécules antivirales spécifiques, la communauté scientifique a tenté de repositionner dans cette affection des traitements déjà existants, moins coûteux et d’une tolérance éprouvée. C’est dans ce cadre que Minerva a fait le point sur l’hydroxychloroquine (1,2) et la colchicine (3,4) et le fait maintenant sur l’azithromycine par un résumé structuré critique de cette revue systématique de la Collaboration Cochrane (5), réalisée par une équipe d’intensivistes allemands et publiée en octobre 2021.

 

Résumé

 

Méthodologie

Revue systématique avec méta-analyse

 

Sources consultées

  • les trois grandes bases générales de données bibliographiques (Medline, Embase et CENTRAL), la base de données spécialisée COVID-19 Global Literature on Coronavirus Disease de l’OMS, le registre d’études ClinicalTrials.gov, le site de preprints medRxiv et la plateforme Web of Science qui donne accès notamment aux abstracts de conférences. Date de consultation : 14 juin 2021.

 

Etudes sélectionnées

  • essais cliniques randomisés et contrôlés (RCTs)
  • intervention: antibiotiques en général et ceux ayant une activité potentielle antivirale ou anti-inflammatoire en particulier : macrolides (6), doxycycline, lincomycine, cotrimoxazole, métronidazole, fluoroquinolones, β-lactames
  • comparaison: soins standard, placebo, substance ayant une activité reconnue contre le virus SARS-CoV-2 (dexaméthasone ou remdésivir) ou autre antibiotique.

 

Population étudiée

  • adultes diagnostiqués covid-19 avec confirmation par RT-PCR, qu’ils soient hospitalisés ou non et quelle que soit la sévérité de leur affection.

 

Critères de jugement primaires

  • mortalité : taux de décès à 28 jours
  • aggravation : taux de décès ou d’intubation à 28 jours (patients hospitalisés), taux de décès ou d’hospitalisation à 28 jours (patients ambulatoires)
  • amélioration : taux de retour à domicile à 28 jours (patients hospitalisés), taux de guérison clinique à 14 jours (patients ambulatoires)
  • qualité de vie : score standardisé sur des échelles validées
  • effets indésirables
  • effets indésirables graves (serious adverse events)
  • arythmies cardiaques.

 

Résultats

  • 11 RCTs furent retenues pour la méta-analyse (7 avec patients hospitalisés, 4 avec patients ambulatoires), totalisant 11281 patients âgés en moyenne de 54 ans
  • toutes ces études comportaient des patients à haut risque de complication et elles ont été réalisées dans des pays de divers continents y compris dans des pays émergents ou en voie de développement
  • toutes portaient sur l’azithromycine, aucune étude évaluant un autre antibiotique sur les critères de jugement retenus n’ayant été trouvée ; ces études comparaient l’azithromycine avec des soins standard (7 RCTs), un placebo (2 RCTs) ou un autre antibiotique (lincomycine ou clarithromycine) (2 RCTs)
  • aucune étude ne comportait de données relatives à la qualité de vie des patients
  • les deux études utilisant un autre antibiotique comme comparateur ne portaient sur aucun des critères de jugement primaires retenus et leurs résultats ne sont donc pas repris dans le tableau ci-dessous
  • ces résultats ne montrent aucune différence statistiquement significative entre azithromycine et soins standard ou placebo, quel que soit le critère de jugement étudié.

 

Tableau.

 

Azithromicine + soins standard

Placebo ou soins standard

RR

IC 95%

RCT

Patients

Niveau de preuve

Patients hospitalisés (formes modérée ou sévère)

Décès

21,9%

22,3%

0,98

0,90-1,06

4

8600

Elevé

Intubation ou décès

24,8%

26%

0,95

0,87-1,03

1

7311

Modéré

Retour à domicile

64,5%

67,2%

0,96

0,84-1,11

3

8172

Modéré

Effets indésirables

40,0%

33,3%

1,20

0,92-1,57

3

355

Faible

Effets indésirables graves

23,8%

21,4

1,11

0,89-1,40

4

794

Modéré

Arythmies cardiaques

4,1%

4,5%

0,92

0,73-1,15

4

7865

Modéré

Patients ambulatoires (formes asymptomatique ou légère)

Décès

0,2%

0,2%

1,0

0,06-15,69

3

876

Faible

Hospitalisation ou décès

6,3%

6,7%

0,94

0,57-1,56

3

876

Faible

Guérison clinique

95,5%

92,7%

1,03

0,95-1,12

1

138

Faible

Effets indésirables

-

-

-

-

0

-

-

Effets indésirables graves

0%

0%

-

-

2

454

Très faible

Arythmies cardiaques

-

-

-

-

0

-

-

 

* Intubations chez des patients non déjà intubés au départ de l’étude

 

Conclusion des auteurs

Dans l’abstract : « Nous sommes confiants dans le fait que le risque de décès chez les patients hospitalisés atteints de la covid‐19 n'est pas réduit par le traitement à l'azithromycine après 28 jours. De plus, sur la base de données probantes d’un niveau de confiance modéré, les patients hospitalisés présentant une forme de la maladie modérée et sévère ne bénéficient probablement pas de l'azithromycine utilisée comme traitement antiviral et anti‐inflammatoire potentiel dans la covid‐19 en ce qui concerne l'aggravation ou l'amélioration clinique. En milieu ambulatoire, il y a actuellement des données probantes d’un niveau de confiance faible suggérant que l'azithromycine n'a pas d'effet bénéfique chez les individus atteints de la covid‐19. Il n'y a pas de données probantes issues d'essais contrôlés randomisés qui sont disponibles concernant d'autres antibiotiques en tant que traitement antiviral et anti‐inflammatoire de la covid‐19. Conformément à l'approche dynamique de cette revue, nous mettrons continuellement à jour notre recherche et inclurons des essais éligibles pour combler ce manque de données probantes. Cependant, au regard des données probantes relatives à l'azithromycine et dans le contexte de la résistance aux antimicrobiens, les antibiotiques ne devraient pas être utilisés dans le traitement de la covid‐19 en dehors d'essais contrôlés randomisés bien conçus ».

Dans le résumé simplifié : « L'antibiotique azithromycine n'est pas un traitement efficace de la covid‐19. Nous ne savons pas si les antibiotiques autres que l'azithromycine sont des traitements efficaces contre la covid‐19 car il n’y a pas suffisamment de recherches. Nous avons trouvé 19 études en cours qui étudient les antibiotiques dans la covid‐19. Nous mettrons à jour cette revue si leurs résultats modifient nos conclusions ».

 

Discussion

Evaluation de la méthodologie

Le protocole de cette synthèse méthodique a été publié avant le début de sa réalisation dans le registre de revues systématiques PROSPERO.

La recherche des études s’est effectuée sans restriction de langage et a pris soin d’explorer la littérature grise : deux des études incluses dans la méta-analyse avaient été publiées sous forme de preprint et les résultats de deux autres provenaient de rapports publiés dans le registre d’étude ClinicalTrial. Les auteurs étaient conscients de l’absence de garanties sur la fiabilité des résultats de ces quatre études (absence de revue par les pairs) et ont fait quand cela était possible des analyses de sensibilité les excluant, afin de s’assurer que leurs résultats n’avaient pas été biaisés par leur inclusion.

La sélection des études trouvées par la recherche électronique, l’extraction de leurs résultats et l’évaluation de leur fiabilité ont été faites de façon indépendante par deux des auteurs.

La fiabilité des études sélectionnées a été évaluée avec un outil validé, le Risk of Bias 2.0 (RoB2) (7) de la Collaboration Cochrane.

  • La majorité des RCTs (8/11) ont été menées en ouvert ; les auteurs ne les ont pas pour autant considérées comme potentiellement biaisées pour les critères de jugement objectifs (mortalité, hospitalisation) mais bien pour les critères subjectifs (guérison, effets indésirables) si leur évaluation n’avait pas été faite en aveugle.
  • La moitié des RCTs (5/11) comprenaient des patients non confirmés par PCR avec une présentation globalisée des résultats ne permettant pas aux auteurs de les exclure de leur analyse. Des analyses de sensibilité excluant ces études ont été réalisées pour les critères de jugement concernés afin de s’assurer qu’elles n’avaient pas biaisé les résultats de la méta-analyse.
  • Le dosage de l’azithromycine n’était pas le même dans toutes les études : 500 mg par jour ou 250 mg par jour (500 mg le 1er jour). Le protocole prévoyait de faire une analyse de sous-groupes pour voir si cette différence avait influencé les résultats, mais trop peu d’études étaient disponibles pour que ce soit réalisable pour les critères de jugement pris séparément.
  • Les soins standard différaient entre les études : ils comprenaient de la dexaméthasone dans 2 RCTs et de l’hydroxychloroquine dans 6 autres. Ce n’était pas source de biais car il n’y avait pas de différence au sein d’une même RCT, chacun des deux bras étant « contaminé » de la même façon.
  • Les analyses de toutes les RCTs ont été faites en intention de traiter (analyse des participants selon le traitement auquel la randomisation les avait affectés), à l’exception d’une seule qui fut faite en analyse as treated (analyse des participants selon le traitement effectivement reçu).

Globalement les 11 RCTs furent considérées comme suffisamment fiables (risque de biais faible ou modéré). L’homogénéité entre les résultats des différentes études a été étudiée pour chaque critère de jugement et les études ne se sont révélées hétérogènes que pour le critère « amélioration » chez les patients hospitalisés (I2 = 49%). Un biais de publication n’a pas pu être recherché au vu du trop petit nombre de RCTs incluses dans la méta-analyse. Globalement cette méta-analyse peut être considérée comme méthodologiquement satisfaisante.

 

Interprétation des résultats

Les conclusions des auteurs sont exprimées de façon plus claire et opérationnelle dans le résumé simplifié que dans l’abstract où elles pourront sembler confuses pour le lecteur.

On peut être certain de l’absence d’effet de l’azithromycine sur la mortalité des patients covid-19 hospitalisés car le niveau de preuve est élevé : le résultat est très précis (intervalle de confiance serré autour de la valeur neutre) et basé sur des RCTs potentiellement non biaisées présentant des résultats homogènes. Il est donc peu probable que de futures études modifient ce résultat de façon substantielle et il semble même inutile de les entreprendre.  

Les choses sont moins évidentes pour les patients traités en ambulatoire pour forme légère de covid-19. La méta-analyse ne montre pas d’effet statistiquement significatif de l’azithromycine sur leur mortalité ni sur leur aggravation (hospitalisation) ou leur amélioration (guérison clinique) mais cette absence d’efficacité repose sur un faible niveau de preuves :

  • les résultats sont imprécis : la plupart des intervalles de confiance sont extrêmement larges car les études portaient sur peu de patients et rapportaient peu d’événements ;
  • le résultat sur la mortalité se base en fait sur une seule RCT de petite taille (150 patients), les deux autres n’ayant enregistré aucun décès ;
  • deux des trois études sont potentiellement biaisées : écarts possibles par rapport à l’intervention prévue ou auto-évaluation du critère guérison alors que l’étude était réalisée en ouvert.

On ne peut donc exclure que de futures études montrent chez ces patients non hospitalisés un effet réel de l’azithromycine, qu’il soit bénéfique ou délétère.

La fréquence des effets indésirables graves (serious adverse events) est spectaculairement plus élevée chez les patients hospitalisés que chez les autres. Cela s’explique probablement par un enregistrement plus rigoureux de ces effets en milieu hospitalier et par une incertitude quant à leur imputation au traitement ou à la maladie elle-même chez ces patients atteints de formes modérées à sévères.

L’étude n’a pas montré de cardiotoxicité de l’azithromycine chez les patients hospitalisés. On ne peut certainement pas extrapoler cette conclusion aux patients traités en ambulatoire, pour lesquels l’étude ne rapporte pas de données : absence d’ECG pratiqué systématiquement pour détecter un allongement du QT, screening moins rigoureux des interactions médicamenteuses et plus grand risque d’automédication.

 

Que disent les autres méta-analyses et les guides de pratique ?

Une autre méta-analyse (8) a été publiée début 2022 et arrive à la même conclusion. Une RCT menée en double aveugle et portant sur plus de 200 patients non hospitalisés a été publiée depuis (9). Elle confirme l’absence d’effet de l’azithromycine sur la guérison ou le risque d’hospitalisation des patients atteints de COVID-19.

Cette revue systématique avec méta-analyse est en ligne avec les recommandations internationales. Le NICE (UK) recommande de ne pas utiliser l’azithromycine dans cette affection, au vu de son absence d’efficacité, de sa cardiotoxicité potentielle et du risque d’aggravation de la résistance aux antibiotiques (10). L’IDSA (USA) recommande de ne pas utiliser l’azithromycine en association avec l’hydroxychloroquine (11) mais ne se prononce pas sur l’utilisation de l’azithromycine seule. La Société Européenne de Microbiologie Clinique et des Maladies Infectieuses (ESCMID) recommande fortement de ne pas utiliser l’azithromycine pour traiter les patients COVID-19 (12). De son côté, le KCE a émis un avis défavorable sur l’utilisation de l’azithromycine chez ces patients (13).

 

Conclusion de Minerva

Cette revue systématique et méta-analyse de bonne qualité méthodologique montre l’absence d’efficacité de l’azithromycine dans le traitement du covid-19, avec une plus grande certitude pour les patients hospitalisés que pour les patients traités en ambulatoire. Ces conclusions sont néanmoins limitées par son caractère probablement éphémère : le nombre d’études sur lesquelles elle s’appuie (11 RCTs) est largement inférieur au nombre d’études en cours ou terminées mais non encore publiées qu’elle a répertoriées (34 RCTs). La méta-analyse pointe par ailleurs la quasi-absence de recherche clinique sur l’efficacité d’autres antibiotiques que l’azithromycine dans le traitement de cette affection ou portant sur l’usage prophylactique des antibiotiques contre le covid-19.

 

 

Références 

  1. Denis B. Pas de place pour l’hydroxychloroquine dans le traitement du covid-19. Minerva Analyse 15/04/2021.
  2. Cortegiani A, Ippolito M, Ingoglia G, et al. Update I. A systematic review on the efficacy and safety of chloroquine/hydroxychloroquine for COVID-19. J Crit Care 2020;59:176-90. DOI: 10.1016/j.jcrc.2020.06.019
  3. Denis B. Pas de place pour la colchicine dans le traitement du covid-19. Minerva Analyse 1/11/2021.
  4. Tardif JC, Bouabdallaoui N, L’allier PL, et al. Colchicine for community-treated patients with COVID-19 (COLCORONA): a phase 3, randomised, double-blinded, adaptive, placebo-controlled, multicentre trial. Lancet Respir Med 2021;9:924-32. DOI: 10.1016/S2213-2600(21)00222-8
  5. Popp M, Stegemann M, Riemer M, et al. Antibiotics for the treatment of COVID-19. Cochrane Database Syst Rev 2021, Issue 10. DOI: 10.1002/14651858.CD015025
  6. Donath E, Chaudhry A, Hernandez-Aya L, et al. A meta-analysis on the prophylactic use of macrolide antibiotics for the prevention of disease exacerbations in patients with Chronic Obstructive Pulmonary Disease. Respir Med 2013;107:1385-92. DOI: 10.1016/j.rmed.2013.05.004
  7. Sterne JA, Savović J, Page MJ, et al. RoB 2 : a revised tool for assessing risk of bias in randomised trials. BMJ 2019;366:l4898. DOI: 10.1136/bmj.l4898
  8. Ayerbe L, Risco-Risco C, Forgnone I et al. Azithromycin in patients with COVID-19: a systematic review and meta-analysis. J Antimicrob Chemother 2022;77:303-9. DOI: 10.1093/jac/dkab404
  9. Oldenburg CE, Pinsky BA, Brogdon J et al. Effect of oral azithromycin vs placebo on COVID-19 symptoms in outpatients with SARS-CoV-2 infection: a randomized clinical trial. JAMA 2021;326:490-8. DOI: 10.1001/jama.2021.11517
  10. National Institute for Health and Care Excellence. COVID-19 rapid guideline: Managing COVID-19 (magicapp.org). NICE 2022 (consulté le 10/03/2022).
  11. IDSA Guidelines on the treatment and management of patients with COVID-19 (idsociety.org). IDSA 2022 (consulté le 10.03.2022). URL : https://www.idsociety.org/practice-guideline/covid-19-guideline-treatment-and-management/
  12. Bartoletti M, Azap O, Barac A, et al. ESCMID COVID-19 living guidelines: drug treatment and clinical management. Clin Microbiol Infect 2022;28:222-38. DOI: 10.1016/j.cmi.2021.11.007     
  13. Balises pour le traitement précoce ambulatoire des patients atteints d'infection non sévère à SARS-COV-2. KCE 25/02/2022 (consulté le 10/03/2022). URL : https://kce.fgov.be/fr/balises-pour-le-traitement-m%C3%A9dicamenteux-du-covid-19

 




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