Analyse


Un traitement chirurgical d’une sciatique n’est pas associé à une amélioration à long terme par rapport à une approche conservative


15 02 2024

Professions de santé

Kinésithérapeute, Médecin généraliste
Analyse de
Liu C, Ferreira GE, Abdel Shaheed C, et al. Surgical versus non-surgical treatment for sciatica: systematic review and meta-analysis of randomised controlled trials BMJ 2023;381 e070730. DOI: 10.1136/bmj-2022-070730


Question clinique
Chez des personnes atteintes de sciatique de toute durée due à une hernie discale lombaire (diagnostiquée par imagerie radiologique), le traitement chirurgical est-il meilleur qu’un traitement non chirurgical, à des injections péridurales de stéroïdes, à un placebo ou à une chirurgie simulée en termes d’efficacité et de tolérance ?


Conclusion
Pour les auteurs, des données probantes d’un niveau de confiance très faible à faible suggèrent que la discectomie est supérieure au traitement non chirurgical ou aux injections péridurales de stéroïdes pour réduire la douleur et l’incapacité chez les personnes atteintes de sciatique avec indication chirurgicale, mais les avantages par rapport aux soins non chirurgicaux diminuent avec le temps. La discectomie pourrait être une option pour les personnes qui ont besoin d'un soulagement rapide de la douleur dans la jambe et d'une amélioration de leur handicap, lorsque les avantages l'emportent sur les risques et les coûts liés à la chirurgie. Cette revue systématique qui met bien en évidence les biais et les faiblesses des études contrôlées disponibles n’apporte pas d’élément probant pour s’écarter des recommandations du KCE.


Contexte

Le traitement d’une « sciatique » (le plus souvent par hernie discale lombaire aux niveaux L5-S1 et L4-L5) est controversé. Deux études randomisées analysées dans Minerva en 2008 (1,2) et en 2013 (3,4) suggèrent qu’un traitement conservateur prolongé est aussi efficace qu’un traitement chirurgical. Une synthèse méthodique (5,6) avec méta-analyse en réseau d’un grand nombre d’études hétérogènes a montré que, dans le traitement de la sciatique, les antidouleurs non opioïdes, les injections épidurales de corticostéroïdes, la chirurgie discale et la chimionucléolyse sont efficaces, par comparaison avec d’autres traitements, en termes d’amélioration globale. Après exclusion des études observationnelles, les résultats ne restaient statistiquement significatifs que pour la chirurgie, qui est le traitement le plus étudié. Il n’est toutefois pas clair à quel moment la chirurgie et les autres thérapies doivent entrer en ligne de compte dans le traitement de la sciatique, ni dans quel ordre. Une deuxième analyse réalisée un peu plus tard par le même groupe britannique (7,8) conclut à nouveau que, dans le traitement de la sciatique, la chirurgie discale, les injections épidurales, les médicaments non opioïdes, les interventions peropératoires, la manipulation et la chimionucléolyse sont efficaces, par comparaison avec d’autres traitements, en termes de récupération globale. Près d’une décennie plus tard, un groupe international a réalisé une nouvelle revue systématique sur les études randomisées comparant chirurgie et traitement non chirurgical comme traitement de la sciatique (9).

 

 

Résumé

Méthodologie

Revue systématique des études randomisées contrôlées publiées dans la littérature de toute langue avec méta-analyses

 

Sources consultées 

  • Medline
  • EMBASE
  • CINAHL
  • Cochrane Central Register of Controlled Trials
  • ClinicalTrials.gov
  • World Health Organization’s International Clinical Trials Registry Platform
  • recherche manuelle dans les références sélectionnées
  • publications jusqu’en juin 2022
  • aucune restriction liée à la langue, à la géographie ou aux dates de publication.

 

Etudes sélectionnées

  • critères d’inclusion : essais contrôlés randomisés avec :
    • population : des adultes
    • interventions : tout traitement chirurgical utilisant n'importe quelle approche, dont la discectomie, la décompression discale
    • percutanée (plasma) et la chimionucléolyse, et avec 
    • comparateur : tout traitement non chirurgical, y compris les traitements non pharmacologiques, pharmacologiques et interventionnels (par exemple, injection péridurale), ou une combinaison de ceux-ci ou un placebo
    • avec des données sur la douleur, handicap ou tout autre critère de jugement pertinent
  • critères d’exclusion : populations mixtes (hernie discale et sténose discale) si les données ne peuvent pas être individualisées ; patients présentant plusieurs pathologies lombaires dont spondylolisthésis, spondylodiscite ; tumeur, fracture, etc.)
  • un total de 24 essais ont été inclus ; les 24 essais ont porté sur diverses procédures chirurgicales : discectomie (n = 12), chimionucléolyse par chymopapaïne (n = 5), chimionucléolyse par condoliase (n = 2), décompression de disque plasmatique (n = 4) et ablation à l'ozone (n = 1) ; les comparateurs ont été classés comme traitement non chirurgical (n = 14), injections péridurales de stéroïdes n = 4) et placebo ou chirurgie simulée (n = 6).

 

Population étudiée

  • adultes atteints de sciatique de toute durée due à une hernie discale (diagnostiquée par examen radiologique) ; les études ont inclus des adultes ; âge moyen de 30 à 50 ans selon les études) ; 18 à 55% de femmes ; durée des symptômes de 2 mois à 5 ans.

 

Critères de jugement

  • critères de jugement primaires : 
    • intensité de la douleur dans la jambe (évaluée par exemple par l’échelle numérique d'évaluation de la douleur ou une échelle visuelle analogique) 
    • handicap (évalué par exemple avec l’ Oswestry Disability Index ou le Roland Morris Disability Questionnaire)
  • critères de jugement secondaires : 
    • intensité des maux de dos
    • qualité de vie liée à la santé (évaluée par exemple avec le formulaire court-36)
    • événements indésirables (tout événement indésirable et événements indésirables graves tels que définis par chaque étude) 
    • satisfaction à l'égard du traitement (évaluée par exemple avec l’échelle de Likert).

 

Résultats 

Vu la diversité des traitements chirurgicaux et des comparateurs non chirurgicaux, les auteurs ont procédé à des regroupements plus ou moins homogènes

  • discectomie (12 essais avec 1711 participants) comparée à un traitement non chirurgical :
    • intensité de la douleur dans la jambe : l’ampleur de l’effet était
      • moyenne dans l’immédiat c.-à-d. < 6 semaines (différence moyenne de -12,1 avec IC à 95% de -23,6 à -0,5) (N = 6)
      • moyenne à court terme, c.-à-d. entre 6 semaines et 3 mois (-11,7 avec IC à 95% de -18,6 à -4,7) (N = 7)
      • faible à moyen terme, c.-à-d. entre 3 mois et 1 an (-6,5 avec IC à 95% de -11,0 à -2,1) (N = 6)
      • des effets négligeables ont été notés à long terme, c.-à-d. à 1 an (-2,3 avec IC à 95% de -4,5 à -0,2) (N = 6)
      • effet similaire de la discectomie par rapport aux injections péridurales de stéroïdes (2 essais)
    • handicap : des effets faibles, négligeables ou inexistants ont été constatés
    • risque d'événements indésirables : similaire (RR de 1,34 avec IC à 95% de 0,91 à 1,98)
  • décompression de disque plasmatique (3 essais) : 
    • intensité de la douleur dans la jambe : 
      • réduction de la douleur dans la jambe dans l’immédiat et à court terme (effets modérés)
      • effets faibles à moyen terme 
      • effets négligeables à long terme
    • handicap : réduction de l'invalidité à court et à long terme (niveau de certitude très faible à faible)
    • pas de différence de tolérance
  • chimionucléolyse :
    • par condoliase (versus placebo) :   effets modérés sur la douleur dans les jambes à tout moment et de faibles effets sur l'invalidité à court et à long terme (2 essais)
    • par chymopapaïne (versus au placebo - 4 essais - ou manipulatrice - 1 essai) :  pas de différence en termes de douleurs aux jambes, de l'invalidité et des maux de dos (sauf pour la chimionucléolyse avec chymopapaïne versus placebo à terme immédiat)
  • pas de différence de toxicité. 

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que des données probantes d’un niveau de confiance très faible à faible suggèrent que la discectomie est supérieure au traitement non chirurgical ou aux injections péridurales de stéroïdes pour réduire la douleur et l’invalidité dans les jambes chez les personnes atteintes de sciatique avec indication chirurgicale, mais les bénéfices diminuent avec le temps. La discectomie pourrait être une option pour les personnes atteintes de sciatique qui estiment que le soulagement rapide offert par la discectomie dépasse les risques et les coûts associés à la chirurgie. 

 

Financement de l’étude

Aucun financement spécifique n'a été reçu pour cette étude.

 

Conflits d'intérêts des auteurs

Tous les auteurs n'ont déclaré aucun conflit d'intérêts.

 

 


Discussion

 

Évaluation de la méthodologie

Il s’agit de méta-analyses basées sur les études publiées dans la littérature. Les auteurs ont suivi les lignes directrices PRISMA (Preferred Reporting Items for Systematic Reviews and Meta-Analyses). Deux d’entre eux ont sélectionné indépendamment les études et les désaccords ont été résolus par consensus. Les données, extraites indépendamment par deux lecteurs avec l’arbitrage d’un troisième si nécessaire, ont été regroupées dans la mesure du possible. Un test I2 a été utilisé pour tester l’hétérogénéité et en cas de positivité, les analyses ont été réalisées à l'aide d'un modèle à effets aléatoires. Les résultats ont d’abord été présentés pour la discectomie car selon les auteurs, c’est la procédure chirurgicale la plus souvent réalisée. Le risque de biais a été évalué à l'aide de l'outil de la Collaboration Cochrane et la certitude des données probantes à l'aide du cadre d'évaluation, d'élaboration et d'évaluation des recommandations (GRADE). 21 des 24 essais (88%) comportaient au moins un domaine classé comme présentant un risque élevé de biais. 18 essais ne masquaient pas les participants et le personnel des essais et présentaient donc un risque élevé de biais de performance et de détection. 8 essais présentaient un nombre élevé de perdus de vue et étaient considérés comme présentant un risque élevé de biais d'attrition. Un crossover élevé du bras non chirurgical au bras chirurgical s’est produit dans de nombreux essais. Les essais inclus sont de faible puissance et mal conçus pour évaluer efficacement la survenue d'événements indésirables.

 

Évaluation des résultats

Le degré de certitude des preuves varie de faible à très faible. Les traitements non chirurgicaux sont souvent mal définis. La description des comparateurs non chirurgicaux sont généralement médiocres, la plupart des essais ne décrivant pas les types de traitements reçus par les participants, qui a dispensé ces traitements, comment ils ont été dispensés et quelle quantité de traitement ils ont reçue. Par exemple, les deux essais chinois inclus utilisaient la médecine traditionnelle chinoise dans le groupe non chirurgical, pour laquelle il manque des preuves étayant son efficacité. Tout ceci n'a pas empêché les auteurs de la revue de regrouper les traitements non chirurgicaux comme s’ils étaient homogènes. Les études incluses varient dans leurs critères d'identification des patients susceptibles d'être opérés, avec des différences concernant l'exigence d'un traitement non chirurgical infructueux, d'une sciatique invalidante ou d'une sciatique persistante (> 4 mois). Sept (58,3%) des 12 essais ne précisent pas comment étaient identifiés les patients. Toutes ces failles sont très gênantes pour le praticien qui veut faire une proposition thérapeutique éclairée mais n'empêchent pas les auteurs d’affirmer que la discectomie est initialement bénéfique, même si son effet diminue avec le temps, par rapport aux soins non chirurgicaux ou aux injections péridurales de stéroïdes. 

 

Que disent les guides pour la pratique clinique ?

Des revues ont analysé les recommandations de pratique publiées pour la prise en charge des lombalgies proposées dans le monde (10) ou en Europe (11). Elles vont généralement dans le même sens en recommandant un traitement chirurgical de la sciatique secondaire à une hernie discale lombaire si les patients n'ont pas répondu à un traitement non chirurgical complet. En Belgique, le KCE en 2017 (12) recommande d’envisager une décompression chirurgicale de la colonne vertébrale chez les personnes souffrant de douleur radiculaire (au moins 6 à 12 semaines après le début) lorsque la prise en charge multimodale non chirurgicale, fondée sur des preuves, n'a pas amélioré la douleur ou la fonction et que les résultats radiologiques sont cohérents avec les symptômes cliniques actuels. Il propose aussi d’envisager des injections péridurales d'anesthésique local et de stéroïdes chez les personnes souffrant de douleurs radiculaires (sub)aiguës (au moins pendant 2 à 3 semaines) et sévères. Ces recommandations sont de force faible avec un niveau de certitude bas à très bas.

 

 

Conclusion de Minerva

Pour les auteurs, des données probantes d’un niveau de confiance très faible à faible suggèrent que la discectomie est supérieure au traitement non chirurgical ou aux injections péridurales de stéroïdes pour réduire la douleur et l’incapacité chez les personnes atteintes de sciatique avec indication chirurgicale, mais les avantages par rapport aux soins non chirurgicaux diminuent avec le temps. La discectomie pourrait être une option pour les personnes qui ont besoin d'un soulagement rapide de la douleur dans la jambe et d'une amélioration de leur handicap, lorsque les avantages l'emportent sur les risques et les coûts liés à la chirurgie. Cette revue systématique qui met bien en évidence les biais et les faiblesses des études contrôlées disponibles n’apporte pas d’élément probant pour s’écarter des recommandations du KCE. 

 

 


Références

  1. de Geeter K. Chirurgie versus traitement conservateur prolongé en cas de sciatique.  MinervaF 2008;7(5):76‑7.
  2. Peul WC, van Houwelingen HC, van den Hout WB, et al; Leiden -The Hague Spine Intervention Prognostic Study Group. Surgery versus prolonged conservative treatment for sciatica. N Engl J Med 2007;356:2245-56. DOI: 10.1056/NEJMoa064039
  3. La rédaction Minerva. Sciatique sévère: un traitement actif conservateur efficace ?  Minerva Analyse 15/09/2013
  4. Albert HB, Manniche C. The efficacy of systematic active conservative treatment for patients with severe sciatica. Spine 2012;37:531-42. DOI: 10.1097/BRS.0b013e31821ace7f
  5. Heytens T, Poelman T. Efficacité des différentes options thérapeutiques invasives et non invasives dans la sciatique. MinervaF 2012;11(10):123‑4
  6. Lewis R, Wiliams N, Matar HE, et al. The clinical effectiveness and cost-effectiveness of management strategies for sciatica: systematic review and economic model. Health Technol Assess 2011;15:1-578. DOI: 10.3310/hta15390
  7. Feron JM. Quels sont les meilleurs traitements pour la sciatique ? MinervaF 2014;13(7):80‑1
  8. Lewis RA, Williams NH, Sutton AJ, et al. Comparative clinical effectiveness of management strategies for sciatica: systematic review and network meta-analyses. Spine J 2015;15:1461-77. DOI: 10.1016/j.spinee.2013.08.049
  9. Liu C, Ferreira GE, Abdel Shaheed C, et al. Surgical versus non-surgical treatment for sciatica: systematic review and meta-analysis of randomised controlled trials BMJ 2023;38:e070730. DOI: 10.1136/bmj-2022-070730
  10. Oliveira CB, Maher CG, Pinto RZ, et al. Clinical practice guidelines for the management of non-specific low back pain in primary care: an updated overview. Eur Spine J 2018;27:2791‑803. DOI: 10.1007/s00586-018-5673-2
  11. Corp N, Mansell G, Stynes S, et al. Evidence-based treatment recommendations for neck and low back pain across Europe: a systematic review of guidelines. Eur J Pain 2021;25:275‑95. DOI: 10.1002/ejp.1679
  12. Van Wambeke P, Desomer A, Ailliet L, et al. Guide de pratique clinique pour les douleurs lombaires et radiculaires. Résumé. Good Clinical Practice (GCP). Bruxelles: Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE). 2017. KCE Reports 287Bs. D/2017/10.273/34. Mis à jour par le producteur : 15/07/2018

 


Auteurs

Sculier J.P.
Institut Jules Bordet; Laboratoire de Médecine Factuelle, Faculté de Médecine, ULB
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

Glossaire

Code


M51
N94


Ajoutez un commentaire

Commentaires