Analyse


Anticoagulants oraux directs pour le traitement à long terme de l’embolie pulmonaire : mise à jour


21 03 2024

Professions de santé

Infirmier, Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Li M, Li J, Wang X, et al. Oral direct thrombin inhibitors or oral factor Xa inhibitors versus conventional anticoagulants for the treatment of pulmonary embolism. Cochrane Database Syst Rev 2023, Issue 4. DOI: 10.1002/14651858.CD010957.pub3


Question clinique
Pour le traitement à long terme de l’embolie pulmonaire, quelles sont l’efficacité et la sécurité des anticoagulants oraux directs (AOD), par comparaison avec les anticoagulants classiques (les héparines non fractionnées, les héparines de bas poids moléculaire, le fondaparinux et les antagonistes de la vitamine K) ?


Conclusion
Cette mise à jour d’une synthèse méthodique Cochrane de RCTs qui ont été correctement menées d’un point de vue méthodologique confirme que, sur la base des données probantes actuellement disponibles, il n’y a aucune différence entre les AOD et les anticoagulants classiques en ce qui concerne l’efficacité du traitement à long terme (jusqu’à 12 mois) de l’embolie pulmonaire. Il n’y avait pas non plus de différence entre les deux options thérapeutiques quant aux hémorragies majeures, mais des recherches plus approfondies dans certains sous-groupes et avec différents AOD sont vivement recommandées.


Contexte

Les médicaments recommandés pour le traitement à long terme de l’embolie pulmonaire sont les antivitamines K (AVK) et les anticoagulants oraux directs (AOD) (les inhibiteurs du facteur Xa, comme le rivaroxaban, l’apixaban et l’edoxaban, et les inhibiteurs de la thrombine, comme le dabigatran) (1). En 2016, nous avons publié une analyse d’une synthèse méthodique Cochrane qui montrait que les AOD pour le traitement à long terme de l’embolie pulmonaire avaient une efficacité et une sécurité similaires à celles des anticoagulants standards pour le traitement à long terme de l’embolie pulmonaire, que ce soit en termes de récidive de l’embolie pulmonaire, récidive de la maladie thromboembolique veineuse, apparition d’une thrombose veineuse profonde, mortalité globale ou survenue d’hémorragies majeures (2,3). De nouvelles études randomisées contrôlées (RCTs) ont été publiées depuis, et une mise à jour de cette synthèse méthodique Cochrane était nécessaire (4). 

 

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyse 

Sources consultées

  • le registre spécialisé du groupe Cochrane sur les maladies vasculaires (Cochrane Vascular Specialised Register) via le registre Cochrane des études (Cochrane Register of Studies, CRS-Web), le registre central Cochrane des essais contrôlés (Cochrane Central Register of Controlled Trials, CENTRAL) via le registre Cochrane des études en ligne (Cochrane Register of Studies Online, (CRSO), MEDLINE via Ovid, Embase via Ovid, CINAHL via Ebsco, ClinicalTrials.gov, la plate-forme internationale d’enregistrement des essais cliniques (International Clinical Trials Registry Platform) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ; jusqu’au 2 mars 2022
  • les listes des références des articles pertinents
  • pas de restriction quant à la langue de publication, à l’année de publication et au statut de publication.

 

Études sélectionnées 

  • critères d’inclusion : études randomisées contrôlées, publiées et en cours (si les résultats préliminaires sont disponibles), dans lesquelles des patients présentant une embolie pulmonaire confirmée ont reçu par voie orale un inhibiteur direct de la thrombine ou un inhibiteur direct du facteur Xa pendant au moins 3 mois et dans lesquelles ont été comparés différents AOD entre eux ou avec un anticoagulant oral classique
  • critères d’exclusion : études avec des inhibiteurs directs de la thrombine et les inhibiteurs du facteur Xa qui n'étaient pas administrés par voie orale
  • finalement, sélection de 10 études d’une durée de 3 à 12 mois ; 5 RCTs avaient déjà été incluses dans la revue Cochrane originale (2 RCTs avec le dabigatran, qui est un inhibiteur de la thrombine (5,6) (dont une RCT ayant déjà fait l’objet d’une discussion dans Minerva (7) et 3 RCTs avec des inhibiteurs du facteur Xa, à savoir le rivaroxaban (8), l’edoxaban (9) et l’apixaban (10)) ; 5 nouvelles RCTs ont été identifiées lors de la mise à jour (avec des inhibiteurs du facteur Xa, à savoir l’apixaban (11,12), l’edoxaban (12) et le rivaroxaban (13,14)).

 

Population étudiée

  • 13073 adultes (40 à 5395 par étude) présentant une embolie pulmonaire confirmée par des techniques d’imagerie standard (angiographie pulmonaire par tomodensitométrie (angioscanner), scintigraphie ventilation/perfusion (V/Q), angiographie pulmonaire) ; les participants étaient âgés en moyenne de 47,6 à 68,8 ans, et 55,5% étaient de sexe masculin ; les études ont été menées au Japon (N = 2), aux États-Unis (N = 1) ou dans plusieurs autres pays (N = 7).

 

Mesure des résultats

  • principaux critères de jugement : récidive d’embolie pulmonaire, récidive de thromboembolie veineuse, thrombose veineuse profonde
  • critères de jugement secondaires : mortalité globale, effets indésirables, tels que hémorragies majeures, qualité de vie liée à la santé
  • analyse en intention de traiter
  • analyses de sous-groupes, entre autres en fonction de la présence d’un cancer actif, du type d’inhibiteur du facteur Xa
  • analyses de sensibilité avec exclusion des études ayant un risque élevé de biais pour un certain domaine.

 

Résultats

  • résultats des critères de jugement primaires :
    • pas de différence significative entre les inhibiteurs directs de la thrombine administrés par voie orale (le dabigatran après traitement initial avec une héparine non fractionnée ou une héparine de bas poids moléculaire) et les anticoagulants classiques (warfarine après traitement initial avec une héparine non fractionnée ou une héparine de bas poids moléculaire) quant à l’embolie pulmonaire récidivante, la thromboembolie veineuse récidivante et la thrombose veineuse profonde (N = 2, n = 1602 ; GRADE modéré) après 6 mois 
    • pas de différence significative entre les inhibiteurs du facteur Xa oraux (apixaban, rivaroxaban, edoxaban) et les anticoagulants classiques (traitement initial avec une héparine non fractionnée ou l’énoxaparine, la warfarine, l’acénocoumarol, la daltéparine) quant à l’embolie pulmonaire récidivante (N = 3, n = 8186, I² = 0% ; GRADE modéré), la thromboembolie veineuse récidivante (N = 8, n = 11416, I² = 0% ; GRADE modéré) et la thrombose veineuse profonde (N = 2, n = 8151, I² = 0% ; GRADE modéré) après 6 mois
  • résultats des critères de jugement secondaires :
    • pas de différence significative entre les inhibiteurs directs de la thrombine, par voie orale, et les anticoagulants classiques quant aux hémorragies majeures (N = 2, n = 1602 patients ; GRADE modéré) après 3 à 12 mois
    • pas de différence significative entre les inhibiteurs du facteur Xa oraux et les anticoagulants classiques quant à la mortalité globale (N = 1, n = 4817 ; GRADE modéré) et aux hémorragies majeures (N = 8, n = 11447, I² = 79% ; GRADE faible) après 3 à 12 mois
    • aucune donnée sur la qualité de vie liée à la santé.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les données disponibles indiquent qu’il y a probablement peu ou pas de différence entre les anticoagulants oraux directs (AOD) et les anticoagulants classiques en termes de prévention de l’embolie pulmonaire récidivante, de la thromboembolie veineuse récidivante, de la thrombose veineuse profonde (TVP), de la mortalité globale et des hémorragies majeures. La certitude des preuves est modérée ou faible. Des études cliniques à grande échelle sont encore nécessaires pour déterminer si les différents médicaments diffèrent en termes d’efficacité et de risque hémorragique, ainsi que pour explorer les différences d’effet entre les sous-groupes, comme les personnes atteintes de cancer et les personnes obèses.

 

Financement de l’étude

National Institute for Health Research (Royaume-Uni); Chief Scientist Office, Scottish Government Health Directorates, The Scottish Government, Royaume-Uni.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Tous les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêt.

 

Discussion

 

Evaluation de la méthodologie

Cette synthèse méthodique avec méta-analyse a été conçue conformément aux critères de la Cochrane Collaboration. La qualité méthodologique des études incluses a été évaluée à l’aide de l’outil Cochrane évaluant le risque de biais. Concernant le biais de sélection et le biais de détection, toutes les études présentaient un faible risque de biais. La randomisation, l’attribution en aveugle et l’insu des participants, du personnel de l’étude et des évaluateurs des effets ont été effectués correctement pour toutes les études. Deux études présentaient un risque élevé de biais du fait d’un rapport sélectif des données (en raison de données manquantes sur les critères de jugement saignements mineurs et qualité de vie). Une analyse de sensibilité prenant en compte ce risque élevé de biais n’a pas montré d’influence sur les résultats. Une étude présentait un risque de biais indéterminé pour ce qui est du biais d’attrition (en raison de l’incertitude quant aux raisons des sorties d’étude et de l’exclusion des participants de l’analyse ITT). Les auteurs ont décidé de rétrograder d’un degré le niveau de certitude des preuves pour toutes les comparaisons en raison de l’imprécision due au faible nombre d’événements enregistrés. En conséquence, la certitude globale des preuves est modérée. Pour la plupart des critères de jugement, l’hétérogénéité statistique entre les études était faible (I² = 0%). L’hétérogénéité statistique n’était importante que pour le critère de jugement hémorragies majeures dues aux inhibiteurs du facteur Xa oraux par rapport aux anticoagulants classiques, ce qui a abaissé la certitude des preuves à un niveau inférieur. 

 

Evaluation des résultats

Les auteurs concluent que les données probantes disponibles permettent de tirer comme conclusion qu’il n’y a probablement aucune différence d’efficacité entre les AOD et les anticoagulants classiques dans la prévention des embolies pulmonaires récidivantes après 3 à 12 mois. Il n’a pas non plus été possible de montrer une différence en termes d’effets indésirables. Le niveau de certitude des preuves d’hémorragie majeure était toutefois faible (voir ci-dessus). Cela est imputable à l’hétérogénéité statistique, qui s’explique peut-être par les différences cliniques dans les inhibiteurs du facteur Xa, les différents types d’anticoagulants classiques (warfarine, daltéparine), les différences dans la durée des études (3 mois, 5-6 mois, 12 mois). Une analyse de sous-groupe a montré que le risque de saignement avec les inhibiteurs du facteur Xa était plus élevé chez les patients atteints de cancer et était plus faible, de manière statistiquement significative, avec le rivaroxaban (pas avec l’apixaban et l’edoxaban). Cependant, en raison du petit nombre d’études dans ces analyses de sous-groupes, aucune conclusion définitive ne peut être tirée, et des recherches supplémentaires sont nécessaires, plus particulièrement dans certains sous-groupes et avec différents AOD comparés entre eux. Des recherches supplémentaires sont également nécessaires en ce qui concerne la qualité de vie, étant donné qu'il s'agit d’un avantage escompté des AOD. Pensons par exemple le fait qu’ils ne requièrent pas de monitoring biologique. 

 

Que disent les guides pour la pratique clinique ?

Le guide de pratique clinique pour la première ligne de la Société néerlandaise des médecins généralistes (NHG) « Thrombose veineuse profonde et embolie pulmonaire » (1) précise que les AOD et les AVK sont équivalents en termes d’efficacité, à condition de privilégier les AOD en raison de leur facilité d’utilisation et de la possibilité d’un moindre risque hémorragique. De même, le guide de pratique de la Société européenne de cardiologie (European Society of Cardiology, ESC) (15) n’indique pas de préférence pendant une période de traitement de 6 mois. Si un anticoagulant est nécessaire pendant plus de 6 mois, la préférence est donnée à l’apixaban ou au rivaroxaban.

 

 

Conclusion de Minerva

Cette mise à jour d’une synthèse méthodique Cochrane de RCTs qui ont été correctement menées d’un point de vue méthodologique confirme que, sur la base des données probantes actuellement disponibles, il n’y a aucune différence entre les AOD et les anticoagulants classiques en ce qui concerne l’efficacité du traitement à long terme (jusqu’à 12 mois) de l’embolie pulmonaire. Il n’y avait pas non plus de différence entre les deux options thérapeutiques quant aux hémorragies majeures, mais des recherches plus approfondies dans certains sous-groupes et avec différents AOD sont vivement recommandées. 

 

 


Références 

  1. Geersing GJ, Kessel LS, Poldervaar JM, et al. Diepveneuze trombose en longembolie. NHG-standaard. [M86] Published: november 2023. 
  2. Sculier JP. Y a-t-il un rôle pour les nouveaux anticoagulants oraux dans le traitement à long terme de l’embolie pulmonaire ? MinervaF 2016;15(7):170-4.
  3. Robertson L, Kesteven P, McCaslin JE. Oral direct thrombin inhibitors or oral factor Xa inhibitors for the treatment of pulmonary embolism. Cochrane Database Syst Rev 2015, Issue 12. DOI: 10.1002/14651858.CD010957.pub2
  4. Li M, Li J, Wang X, et al. Oral direct thrombin inhibitors or oral factor Xa inhibitors versus conventional anticoagulants for the treatment of pulmonary embolism. Cochrane Database Syst Rev 2023, Issue 4. DOI: 10.1002/14651858.CD010957.pub3
  5. Schulman S, Kearon C, Kakkar AK, et al; RE-COVER Study Group. Dabigatran versus warfarin in the treatment of acute venous thromboembolism. N Engl J Med 2009;361:2342-52. DOI: 10.1056/NEJMoa0906598
  6. Schulman S, Kakkar AK, Goldhaber SZ, et al; RE-COVER II Trial Investigators. Treatment of acute venous thromboembolism with dabigatran or warfarin and pooled analysis. Circulation 2014;129:764-72. DOI: 10.1161/CIRCULATIONAHA.113.004450
  7. Chevalier P. Dabigatran pour la thromboembolie veineuse. Minerva Analyse 28/08/2010
  8. Buller HR, Prins MH, Lensin AW, et al; EINSTEIN-PE Investigators. Oral rivaroxaban for the treatment of symptomatic pulmonary embolism. N Engl J Med 2012;366:1287-97. DOI: 10.1056/NEJMoa1113572
  9. Buller HR, Decousus H, Grosso MA et al; Hokusai-VTE Investigators. Edoxaban versus warfarin for the treatment of symptomatic venous thromboembolism. N Engl J Med 2013;369:1406-15. DOI: 10.1056/NEJMoa1306638
  10. Agnelli G, Buller HR, Cohen A et al. Oral apixaban for the treatment of acute venous thromboembolism. N Engl J Med 2013;369:799-808. DOI: 10.1056/NEJMoa1302507
  11. Nakamura M, Nishikawa M, Komuro I, Ki et al. Apixaban for the treatment of Japanese subjects with acute venous thromboembolism (AMPLIFY-J Study). Circ J 2015;79:1230-6. DOI: 10.1253/circj.CJ-15-0195
  12. Ageno W, Vedovati MC, Cohen A, et al. Bleeding with apixaban and dalteparin in patients with cancer-associated venous thromboembolism: results from the Caravaggio Study. Thromb Haemost 2021;121:616-24. DOI: 10.1055/s-0040-1720975
  13. Yamada N, Hirayama A, Maeda H, et al. Oral rivaroxaban for Japanese patients with symptomatic venous thromboembolism - the J-EINSTEIN DVT and PE program. Thromb J 2015;13:2. DOI: 10.1186/s12959-015-0035-3
  14. Peacock WF, Coleman CI, Diercks DB, et al. Emergency Department Discharge of Pulmonary Embolus Patients. Acad Emerg Med 2018;25:995-1003. DOI: 10.1111/acem.13451
  15. Konstantinides SV, Meyer G, Becattini C, et al; ESC Scientific Document Group. 2019 ESC Guidelines for the diagnosis and management of acute pulmonary embolism developed in collaboration with the European Respiratory Society (ERS). Eur Heart J 2020;41:543-603. DOI: 10.1093/eurheartj/ehz405

 




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