Analyse


Existe-t-il un intérêt à réaliser une thérapie manuelle ciblée sur un niveau vertébral spécifique en cas de lombalgie non spécifique ?


17 04 2024

Professions de santé

Ergothérapeute, Kinésithérapeute, Médecin généraliste
Analyse de
Sørensen PW, Nim CG, Poulsen E, Juhl CB. Spinal manipulative therapy for nonspecific low back pain: does targeting a specific vertebral level make a difference?: a systematic review with meta-analysis. J Orthop Sports Phys Ther 2023;53:529-39. DOI: 10.2519/jospt.2023.11962


Question clinique
Chez des patients de plus de 18 ans souffrant de lombalgies non spécifiques avec ou sans irradiation vers les membres inférieurs, existe-t-il un intérêt à réaliser une thérapie manuelle ciblée sur un niveau vertébral spécifique en termes de douleurs, de limitations fonctionnelles auto-rapportées et de sécurité ?


Conclusion
Cette revue de la littérature avec méta-analyse, correctement menée sur le plan méthodologique, ne montre pas de bénéfice sur la douleur ou les capacités fonctionnelles ou d'effets indésirables de la thérapie manuelle ciblée ou non sur le niveau vertébral le plus symptomatique chez des patients atteints de lombalgie non spécifique avec ou sans irradiation dans le membre inférieur.


Contexte

La thérapie manuelle vertébrale fait partie des options thérapeutiques non médicamenteuses fréquemment utilisées en cas de lombalgies non spécifiques (1). Ce type de thérapie peut se présenter sous plusieurs formes et plusieurs analyses sur le sujet ont été publiées dans Minerva. Un article analysé par Minerva note que pour le contrôle antalgique, une thérapie manuelle semble plus efficace qu’une thérapie manuelle factice (2). Dans le contexte d’une lombalgie non spécifique évoluant depuis plus de 3 mois, une intervention de thérapie manuelle montre des performances modérément supérieures dans la gestion de la douleur par rapport à une approche de thérapie manuelle factice (2,3). Une méta-analyse de 2019 comparant la mobilisation et la manipulation vertébrale à d’autres traitements actifs retrouve une efficacité statistiquement significative mais dont la pertinence clinique est discutable (4,5). En revanche, pour une lombalgie aiguë, la pertinence de la thérapie manuelle ne semble pas plus évidente que dans une situation chronique. Une revue systématique Cochrane datant de 2012, comparant la thérapie manuelle vertébrale à d'autres interventions, ne démontre pas d'amélioration clinique significative en termes de réduction de la douleur et d'amélioration fonctionnelle (6). Une méta-analyse réalisée en 2017 signale une amélioration modeste à 6 semaines, toutefois, elle est caractérisée par une considérable hétérogénéité parmi les études sélectionnées (7).

 

 

Résumé

 

Méthodologie 

Revue systématique de la littérature avec méta-analyse d'études randomisées contrôlées (8).

 

Sources consultées 

  • MEDLINE, Embase, CENTRAL, CINAHL, Scopus, PEDro, GreyLit.org 

 

Etudes sélectionnées

  • critères d’inclusion
    • études randomisées contrôlées sans restriction de langage 
    • pas de restriction de langue
    • pas de restriction d’année de publication
    • sélection du 15 février 2022 au 31 mai 2023
    • intervention consistant en une thérapie vertébrale manuelle ciblée sur un ou plusieurs niveaux vertébraux candidats de la colonne lombaire
      • un niveau vertébral candidat étant le site le plus symptomatique retrouvé lors de l’examen clinique ou par tout autre méthode (suivant les recommandations de Maitland)
    • comparaison avec une thérapie vertébrale manuelle non ciblée ou ciblée sur un autre niveau vertébral
  • critères d’exclusion
    • les études comparant une manipulation non ciblée à une mobilisation ciblée mal réparties entre les groupes intervention et comparaison
  • au total, 10 RCTs ont été incluses dans la méta-analyse.

 

Population étudiée

  • patients âgés de plus de 18 ans souffrant de lombalgies non spécifiques avec ou sans irradiation vers les membres inférieurs 
  • au total, la synthèse comprend 931 patients présentant des douleurs lombaires non spécifiques, allant de 60 à 148 patients par étude ; âge médian de 43 ans et 51% de femmes ; deux études examinaient la mobilisation et 8 la manipulation vertébrale
  • les thérapeutes traitants étaient 6 kinésithérapeutes, 2 chiropracteurs et 2 ostéopathes.

 

Mesure des résultats 

  • critère de jugement primaire : douleur, mesure de la différence moyenne sur une échelle de 1 à 10
  • critères de jugement secondaires : limitations fonctionnelles auto-rapportées par le patient, mesure de la différence moyenne standardisée (DMS) et corrigée par la méthode g de Hedges en raison de la divergence dans les mesures des résultats ; une DMS de 0,2 était considérée comme petite, 0,5 comme modérée et 0,8 comme grande
  • sécurité : événements indésirables déclarés 
  • les critères de jugement ont été évalués après l’intervention et lors d’un suivi à 12 mois
  • analyse de sensibilité prévues par le protocole : risque de biais, grade de la thérapie manuelle (grade I à IV = mobilisation, grade V = manipulation), cible de la thérapie manuelle dans la population contrôle, nombre de séances réalisées, méthode de détermination du niveau vertébral cible candidat, durée de la douleur (aiguë, subaiguë, chronique)
  • analyse de sensibilité post-hoc sur le site susceptible d’être un site candidat, sur certains résultats présentés sous forme de coefficient de corrélation et sur la profession du thérapeute.

 

Résultats 

  • pour la douleur 
    • pas de différence après l’intervention : différence moyenne pondérée de -0,20 avec IC à 95% de -0,51 à 0,10 avec une hétérogénéité modérée (I² = 58,65%)
    • pas de différence à la fin du suivi à 12 mois :  différence moyenne pondérée de 0,05 avec IC à 95% de -0,26 à 0,36 avec une faible hétérogénéité entre les études (I² = 18,57%)
  • limitation fonctionnelles 
    • pas de différence après l’intervention : variation de moyenne de -0,04 avec IC à 95% de -0,3 à 0,29 avec une hétérogénéité importante (I² = 71,91%)
    • pas de différence à la fin du suivi à 12 mois : différence moyenne pondérée de -0,05 avec IC à 95% de -0,24 à 0,13 sans hétérogénéité entre les études (I² = 0,00%)
  • distribution équilibrée des événements indésirables dans les deux populations 
  • les analyses de sensibilité montrent que : 
    • selon le grade de la thérapie manuelle : légère différence statistiquement significative après l’intervention en faveur de la mobilisation, différence de moyenne pondérée de -0,47 avec IC à 95% de -0,88 à -0,07 sur l’échelle de la douleur allant de 0 à 10
    • légère différence statistiquement significative en faveur d’une manipulation lombo-pelvienne non ciblée en comparaison à une manipulation ciblée, différence de moyenne pondérée de 0,65 avec IC à 95% de 0,12 à 0,18 sur une échelle de la douleur allant de 0 à 10
    • les autres analyses de sensibilité n’ont montré aucune différence statistiquement significative entre les deux groupes. 

 

Conclusions des auteurs

Les auteurs concluent qu’ils ont trouvé une preuve de certitude modérée qu'il n'y a pas de différence en termes de changement d'intensité de la douleur, de limitations fonctionnelles ou d'effets indésirables chez des patients atteints de lombalgie non spécifique. Les résultats étaient similaires que le patient ait reçu une thérapie manuelle vertébrale ciblée ou non ciblée.

 

Financement de l’étude

Le financement de l’étude n’est pas indiqué.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Aucun n’a été déclaré. 

 

 

Discussion

 

Évaluation de la méthodologie

Cette revue systématique avec méta-analyse de bonne qualité méthodologique a été réalisée en suivant les directives définies par Cochrane et est rapportée en accordance avec le guide PRISMA (Preferred Reporting Items for Systematic reviews and Meta-Analysis) (9). Les variables étudiées ont été définies de manière précise avec des critères d’inclusion et d’exclusion clairs, les bases de données consultées sont pertinentes. La sélection des études et l’extraction des données a été réalisée par deux auteurs avec un troisième auteur jouant le rôle d’arbitre en cas de désaccord. Le risque de biais des études sélectionnées a été évalué à l’aide de l’outil Cochrane Collaboration Risk of Bias Tool (Rob-2) indépendamment par deux auteurs différents dont les résultats sont présentés dans les annexes de l’étude. L’hétérogénéité entre les études a été correctement évaluée. A noter que dans ce contexte, la réalisation d’études en double-aveugle semble difficile. Deux des études sélectionnées présentent un haut risque de biais. Malgré le fait que les auteurs aient précisé avoir réalisé une analyse de sensibilité selon le risque de biais, ce résultat n’a pas été retrouvé dans l’article original ou dans les annexes. 

 

Évaluation des résultats

Les études sélectionnées, au nombre de 10, ne montraient pas d’effet global sur la douleur et le degré d’invalidité fonctionnelle après l’intervention et après une période de suivi de 12 mois. La mesure des résultats est pertinente pour le clinicien vu la subjectivité des variables étudiées. Les analyses de sensibilité concernant notamment la durée de la douleur n’ont pas modifié le résultat final. Une analyse de sensibilité en faveur de la mobilisation par rapport à une manipulation vertébrale est bien statistiquement significative mais l’effet clinique réel semble discutable. En effet, seules deux études ont montré une diminution de la moyenne pondérée de 0,47 point. Sur une échelle de la douleur allant de 0 à 10, cela représente une diminution minime dont la pertinence et l’extrapolation à la réalité du terrain est incertaine. Il en est de même avec le résultat en faveur d’une manipulation lombo-pelvienne non ciblée par rapport à manipulation vertébrale ciblée. Ce résultat provient aussi de seulement deux petites études ayant inclus moins de 40 patients chacune. Il reste cependant intéressant de noter qu’aucune différence n’a été remarquée selon la profession de ces derniers. Ce résultat doit tout de même être considéré avec prudence car seulement 10 thérapeutes ont été répertoriés dans les études sélectionnées. 

 

Que disent les guides pour la pratique clinique ?

En ce qui concerne les lombalgies, le KCE ne fait pas de distinction entre les différentes formes de thérapies manuelles évoquées ici et englobe toutes ces pratiques sous le terme de ‘techniques manuelles’. Les auteurs émettent une recommandation de faible niveau en faveur d’une manipulation ou mobilisation lombaire chez les patients souffrant de lombalgies avec ou sans douleurs radiculaires. Les guides de pratique clinique néerlandais, français et britanniques, même s’ils recommandent l’usage de thérapie manuelle, ne font pas non plus de distinction entre une thérapie manuelle ciblée sur un niveau vertébral spécifique et les autres types de thérapie (10-12). Ce choix semble être laissé au thérapeute traitant.  

 

 

Conclusion de Minerva

Cette revue de la littérature avec méta-analyse, correctement menée sur le plan méthodologique, ne montre pas de bénéfice sur la douleur ou les capacités fonctionnelles ou d'effets indésirables de la thérapie manuelle ciblée ou non sur le niveau vertébral le plus symptomatique chez des patients atteints de lombalgie non spécifique avec ou sans irradiation dans le membre inférieur. 

 

 


Références 

  1. Thomas M, Thomson OP, Kolubinski DC, Stewart-Lord A. The attitudes and beliefs about manual therapy held by patients experiencing low back pain: a scoping review. Musculoskelet Sci Pract. 2023;65:102752. DOI: 10.1016/j.msksp.2023.102752
  2. Devroey D. La thérapie manuelle en cas de lombalgie chronique ? MinervaF 2014;13(4):45-6.
  3. Licciardone JC, Minotti DE, Gatchel RJ, et al. Osteopathic manual treatment and ultrasound therapy for chronic low back pain: a randomized controlled trial. Ann Fam Med 2013;11:122-9. DOI: 10.1370/afm.1468
  4. Rubinstein SM, de Zoete, A, van Middelkoop M, et al. Benefits and harms of spinal manipulative therapy for the treatment of chronic low back pain: systematic review and meta-analysis of randomised controlled trials. BMJ 2019;364:l689. DOI: 10.1136/bmj.l689
  5. Ailliet L. Les manipulations et les mobilisation du rachis comme traitement des douleurs lombaires chroniques ? Minerva Analyse 16/12/2019.
  6. Rubinstein SM, Terwee CB, Assendelft WJ, et al. Spinal manipulative therapy for acute low-back pain. Cochrane Database Syst Rev 2012, Issue 9. DOI: 10.1002/14651858.CD008880.pub2
  7. Paige NM, Miake-Lye IM, Booth MS, et al. Association of spinal manipulative therapy with clinical benefit and harm for acute low back pain: systematic review and meta-analysis. JAMA 2017;317:1451-60. DOI: 10.1001/jama.2017.3086
  8. Sørensen PW, Nim CG, Poulsen E, Juhl CB. Spinal manipulative therapy for nonspecific low back pain: does targeting a specific vertebral level make a difference?: a systematic review with meta-analysis. J Orthop Sports Phys Ther 2023;53:529-39. DOI: 10.2519/jospt.2023.11962
  9. Page MJ, McKenzie JE, Bossuyt PM, et al. The PRISMA 2020 statement: an updated guideline for reporting systematic reviews BMJ 2021;372:n71. DOI: 10.1136/bmj.n71
  10. Bekkering GE, Hendriks HJ, Koes BW, et al. Dutch physiotherapy guidelines for low back pain. Physiotherapy 2003;89:82-96. DOI: 10.1016/S0031-9406(05)60579-2
  11. Haute Autorité de Santé. Prise en charge du patient présentant une lombalgie commune. Recommandation de bonne pratique. HAS, Mis en ligne le 4 avril 2019. 
  12. National Institute for Health and Care Excellence. Low back pain and sciatica in over 16s: assessment and management. NICE guideline [NG59] Published: 30 November 2016. Last updated : 11 December 2020.

 


Auteurs

Saubry MI.
médecin généraliste, UCLouvain
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

Glossaire

Code


M54
L03


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