Analyse
L’IRM, rôle encore à définir pour guider le diagnostic du dépistage opportuniste du cancer prostatique
Contexte
Les preuves d’un effet d’un dépistage de l’antigène spécifique de la prostate (PSA) sur la mortalité par cancer de la prostate sont insuffisantes. En 2009, Minerva a analysé une étude (1,2) montrant qu’un dépistage du cancer de la prostate, chez des hommes âgés de 55 à 69 ans, apporte une diminution significative de la mortalité liée à ce cancer. Mais un dépistage systématique n’était pas à recommander. En effet, les résultats de l’étude étaient intermédiaires et les données insuffisantes pour déterminer le bénéfice exact en termes de QALY et de coût économique. Le dépistage du cancer de la prostate reste donc un choix individuel du patient, bien informé des bénéfices et désavantages, ce d’autant plus que si un cancer est précocement détecté. En effet, il n’y a guère de différence de survie entre un suivi actif ou un traitement anticancéreux (chirurgie ou radiothérapie) pour un cancer de la prostate localisé avec un risque faible à intermédiaire détecté par un PSA entre 3 et 20 μg/l chez des hommes de moins de 70 ans (3,4). Dans le contexte actuel de dépistage opportuniste, une IRM est souvent réalisée avant la biopsie prostatique, même s’il n’existe pas de consensus sur le rôle de l’IRM comme outil intégré de dépistage du cancer de la prostate. Un groupe international a conduit une revue systématique pour en éclaircir l’intérêt (5).
Résumé
Méthodologie
Revue systématique de la littérature avec méta-analyses.
Sources consultées
- Cochrane / CENTRAL
- MEDLINE via PubMed
- EMBASE
- Scopus
- Web of Science.
Etudes sélectionnées
- critères d’inclusion :
- études prospectives observationnelles ou randomisées
- études portant sur des hommes de population générale ou sur des hommes présentant un risque génétique élevé de cancer de la prostate, dépistés pour ce cancer (population) et ayant subi un examen IRM dans le cadre du dépistage (intervention) et qui ont été comparés à des hommes dépistés pour ce cancer à l'aide du PSA seul (comparaison)
- critères d’exclusion : études portant sur la précision des tests diagnostiques ou celles qui inscrivaient des hommes présélectionnés pour subir une biopsie (hommes présentant des symptômes des voies urinaires inférieures, des taux élevés de PSA ou des résultats suspects d'examen rectal numérique)
- au total, la revue systématique a identifié :
- 12 études dont 8 ont été incluses dans les méta-analyses
- 4 essais randomisés basés sur des populations, 2 études de cohorte prospectives et 3 études pilotes prospectives ; l’article n’est pas clair quant aux 3 dernières études incluses
- la plupart (57081 hommes) incluaient l'utilisation de l'IRM comme outil de dépistage séquentiel (après un dépistage préalable par PSA) ; cependant, dans 3 études de cohorte (983 hommes), l’IRM a été réalisée initialement.
Population étudiée
- au total, 80114 hommes sont concernés :
- 57081 hommes issus de 6 articles appliquant l'IRM à une population présélectionnée par PSA (dans le cadre d'un dépistage séquentiel), avec un score PI-RADS ≥ 3 comme seuil d'indication de biopsie
- 19501 patients ayant subi une IRM de la prostate utilisant un seuil PI-RADS ≥ 4 comme seuil d’indication de biopsie.
Mesure des résultats
- critères de jugement primaires : taux de détection des cancers de la prostate cliniquement significatifs, définis comme un grade de 2 ou plus de l'International Society of Urological Pathology (ISUP)
- critères de jugement secondaires :
- taux de détection des cancers de la prostate insignifiant (défini comme grade 1 de l'ISUP)
- valeurs prédictives positives (VPP) pour la détection des cancers de la prostate significatifs et insignifiants
- indication de l'IRM et de la biopsie
- adhésion à la biopsie
- taux de complications.
Résultats
- résultats primaires :
- IRM séquentielle : différence non significative avec un nombre d'hommes à examiner pour détecter un cancer de la prostate significatif de 59 contre 63 pour les stratégies basées sur le PSA seul et sur l'IRM, respectivement (OR de 1,02 avec IC à 95% de 0,75 à 1,37 ; p = 0,86)
- IRM initiale : taux de détection de 6% (avec IC à 95% de 0,6% à 39,4% ; I² = 92%)
- résultats secondaires :
- taux de détection des cancers de la prostate insignifiant :
- IRM séquentielle : en faveur de l’IRM (OR de 0,34 avec IC à 95% de 0,23 à 0,49 ; p = 0,002)
- IRM initiale : taux de détection de 1,2% (avec IC à 95% de 0,2% à 7,3% ; I² = 55%)
- VPP (versus stratégie basée sur PSA seul) :
- IRM séquentielle : en faveur de l’IRM (OR de 4,15 avec IC à 95% de 2,93 à 5,88 ; p = 0,001)
- IRM initiale : 41,9% (avec IC à 95% de 16,1% à 73% ; I² = 57%)
- biopsie (versus stratégie basée sur PSA seul) :
- IRM séquentielle : en faveur de l’IRM avec un taux de biopsie inférieur (OR de 0,28 avec IC à 95% de 0,22 à 0,36 ; p < 0,001) : le nombre de biopsies nécessaires pour détecter un cancer significatif de la prostate est de 2 et 6 respectivement
- IRM initiale : aucune différence significative entre les 2 stratégies (OR de 0,81 avec IC à 95% de 0,23 à 2,87 ; p = 0,50)
- adhésion à la biopsie : meilleure avec IRM (OR de 4,61 avec IC à 95% de 2,39 à 8,89 ; p = 0,01).
- taux de détection des cancers de la prostate insignifiant :
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que les résultats de cette revue systématique et méta-analyse suggèrent que l'intégration de l'IRM dans les parcours de dépistage du cancer de la prostate est associée à un nombre réduit de biopsies inutiles et de surdiagnostic de cancer de la prostate insignifiant tout en maintenant la détection du cancer de la prostate cliniquement significatif par rapport au dépistage par PSA uniquement.
Financement de l’étude
EUSP Scholarship of the European Association of Urology; New National Excellence Program of the Ministry for Innovation and Technology from the National Research Development, Innovation Fund et Hungarian National Eötvös Grant of the Hungarian state.
Conflit d’intérêts des auteurs
Aucun lien rapporté avec l’industrie.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
Les auteurs ont utilisé pour leur revue systématique la méthodologie Cochrane selon les recommandations PRISMA (Preferred Reporting Items or Systematic Reviews and Meta-Analyses), le protocole ayant été enregistré dans PROSPERO. Il n’y a pas d’information dans l’article sur une éventuelle restriction linguistique. Les articles ont été sélectionnés par 2 auteurs indépendants. Dans les cas où les études ne fournissaient pas d'informations sur les résultats spécifiés, ces auteurs les ont calculés de façon indépendante en utilisant les données fournies dans les études. Les désaccords sur la sélection des études et l'extraction des données ont été résolus par consensus avec un troisième auteur. En raison de l'hétérogénéité probable des études incluses, les auteurs ont utilisé des modèles à effets aléatoires pour les calculs.
Le biais de publication n'a pas pu être évalué en raison du faible nombre d'articles pour un même résultat. Les risques de biais des études randomisées et non randomisées ont été évalués indépendamment par deux auteurs à l’aide de l’outil Cochrane RoB2 et par un autre outil, le Risk of Bias in Nonrandomized Studies of Interventions tools. La plupart de ces articles ont affiché un faible risque de biais global. L'hétérogénéité a été évaluée en calculant I². La revue systématique est signée par un grand nombre d’auteurs dispersés dans le monde, la plupart urologues ou radiologues. Il n’est pas vraiment expliqué dans l’article comment ils ont réalisé le travail, ce qui rend perplexe pour la contribution pratique de certains.
Évaluation des résultats
Les auteurs ont choisi comme objectif primaire de leur revue systématique l’impact sur le taux de détection des cancers de la prostate cliniquement significatifs et l’IRM ne l’améliore pas par rapport à l’approche traditionnelle. Certains objectifs secondaires sont cependant améliorés : moins de détection des cancers de la prostate insignifiant, meilleure VPP, moins de biopsies nécessaires. Il n’y a pas de données sur les effets secondaires de l’approche diagnostique faute de données. Les bénéfices rapportés peuvent être utiles dans une démarche opportuniste du dépistage du cancer de la prostate.
Il faut avoir à l’esprit les considérations techniques de la réalisation de l’IRM dont certaines nécessitant une expertise que tous les radiologues n’ont pas. Vu l’hétérogénéité des données, il n’a pas été possible d’obtenir une synthèse univoque de ces aspects. D’autres études de meilleure qualité sont nécessaires.
Il n’a pas été possible vu le peu de données de déterminer l’impact sur la survie d’une stratégie diagnostique incluant une IRM de la prostate. Ceci empêche d’envisager de généraliser sa réalisation dans ce contexte, d’autant plus qu’il n’y pas de données de coût-efficacité, ni d’analyse sur les effets secondaires.
Que disent les guides de pratique clinique ?
Dans les recommandations américaines de l’US Preventive Services Task Force, le dépistage du cancer de la prostate par dosage du PSA (6) devrait être une question individuelle, incluant une discussion sur les avantages et les inconvénients potentiels du dépistage avec leur clinicien. L’utilisation de l’IRM n’est pas abordée. Pour l’Association Européenne d’Urologie (7), la mise en œuvre d’un dépistage basé le PSA doit être envisagée à l’échelle de la population. Les hommes présentant un risque de cancer de la prostate devraient subir un test sanguin de base pour le PSA (par exemple, à 45 ans). Le niveau de ce test, combiné aux antécédents familiaux, à l’origine ethnique et à d’autres facteurs, peut être utilisé pour déterminer le suivi ultérieur. Pour cette société scientifique, l'imagerie par résonance magnétique devrait être utilisée pour déterminer quels hommes ont besoin d'une biopsie et comment les cancers doivent être traités. En Belgique, le KCE (8) recommande aussi une approche individuelle du type de celle de l’US Preventive Services Task Force, donc sans inclure l’IRM, réservant le dépistage systématique aux hommes à risque (antécédents familiaux de cancer de la prostate, origine africaine). L’Association Européenne d’Urologie en collaboration avec d’autres sociétés scientifiques européennes a publié en 2024 des recommandations (9), proposant d’ utiliser l’IRM pour l'indication de la biopsie chez les hommes asymptomatiques avec un taux de PSA compris entre 3 et 20 ng/mL et un TR normal.
Conclusion de Minerva
Pour les auteurs, les résultats de leur revue systématique et méta-analyse suggèrent que l'IRM de la prostate avec biopsies ciblées est une stratégie efficace pour la détection précoce du cancer de la prostate. Ils ont constaté que l'IRM atténue les pièges des stratégies standard basées sur le PSA, car elle peut être associée à moins de biopsies inutiles et permet d'éviter la détection de cancers insignifiants tout en permettant de détecter les maladies cliniquement significatives. Leurs résultats soulignent la nécessité de réévaluer l’approche du dépistage de population ; cependant, la configuration optimale de l'IRM et le schéma de biopsie dans le processus de dépistage nécessitent une évaluation plus approfondie. Pour Minerva, l’intégration de l’IRM dans la stratégie diagnostique lors du dépistage opportuniste du cancer de la prostate pourrait avoir des avantages. Avant de la recommander, il faudrait avoir plus de données, notamment concernant les conditions techniques de l’IRM, le rapport coût-efficacité et les effets secondaires.
- Spinnewijn B, Van den Bruel A. Cancer de la prostate: à dépister ou non ? MinervaF 2009;8(9):124-5.
- Schröder FH, Hugosson J, Roobol MJ; ERSPC Investigators. Screening and prostate-cancer mortality in a randomized European study. N Engl J Med 2009;360:1320-8. DOI: 10.1056/NEJMoa0810084
- Sculier JP. Les résultats à long terme d’une étude randomisée en cas de cancer prostatique localisé de faible risque confirment une survie similaire que le choix thérapeutique soit une surveillance active, la chirurgie ou la radiothérapie. Minerva Analyse 15/09/2023.
- Hamdy FC, Donovan JL, Lane JA, et al. Fifteen-year outcomes after monitoring, surgery, or radiotherapy for prostate cancer. N Engl J Med 2023;388:1547‑58. DOI: 10.1056/NEJMoa2214122
- Fazekas T, Shim SR, Basile G, et al. Magnetic resonance imaging in prostate cancer screening: a systematic review and meta-analysis. JAMA Oncol 2024;10:745-54. DOI: 10.1001/jamaoncol.2024.0734
- US Preventive Services Task Force, Grossman DC, Curry SJ, Owens DK, et al. Screening for prostate cancer: US Preventive Services Task Force Recommendation Statement. JAMA 2018;319:1901-13. DOI: 10.1001/jama.2018.3710
- Gandaglia G, Albers P, Abrahamsson PA, et al. Structured population-based prostate-specific antigen screening for prostate cancer: the European Association of Urology Position in 2019. Eur Urol 2019;76:142‑50. DOI: 10.1016/j.eururo.2019.04.033
- KCE/SSMG. Éléments d’information concernant le dépistage du cancer de la prostate par PSA basés sur les données belges. Informations pour le médecin. KCE 2021. Disponible sur: https://www.kce.fgov.be/sites/default/files/2021-11/KCE_Cancer_prostate_18HD_0.pdf
- Cornford P, Tilki D, van den Bergh RC, et al. EAU - EANM - ESTRO - ESUR - ISUP - SIOG Guidelines on prostate cancer. European Association of Urology, 2024. Disponible sur: https://d56bochluxqnz.cloudfront.net/documents/full-guideline/EAU-EANM-ESTRO-ESUR-ISUP-SIOG-Guidelines-on-Prostate-Cancer-2024_2024-04-09-132035_ypmy_2024-04-16-122605_lqpk.pdf
Auteurs
Sculier J.P.
Institut Jules Bordet; LabMeF, Université Libre de Bruxelles
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
Code
C61
Y77
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