Analyse
Prothèse de hanche totale ou renforcement musculaire chez les patients avec arthrose sévère de la hanche ?
Contexte
Une revue systématique analysée en 2014 par Minerva a souligné les preuves existantes d’un programme d’exercices pour les patients souffrants d’arthrose des membres inférieurs versus pas de programmes d’exercices, néanmoins ces résultats étaient plus significatifs chez les patients souffrant de gonarthrose que de coxarthrose (1). Une méta-analyse de 2020 se concentrant sur les effets des exercices de renforcement uniquement sur l’arthrose de hanche souligne le manque d’études de qualités (2). Dans la littérature actuelle on retrouve de nombreux articles dont les résultats pour la gonarthrose sont extrapolés à coxarthrose (3). Pourtant les deux se distinguent au niveau de leur prévalence et de leurs facteurs de risques de progression (3). Elles se différencient également au niveau de leur pronostic, avec une plus grande chance chez les patients atteints d’arthrose de hanche de se faire opérer d’une prothèse totale de l’articulation plus rapidement (3). De plus, la littérature actuelle manque de RCT de bonne qualité comparant les interventions non chirurgicales et chirurgicales pour de nombreuses pathologies musculosquelettiques (4). Cette étude a pour but de combler ce manque de littérature et permet de comparer les effets d’un remplacement totale de la hanche et d’un programme de renforcement musculaire chez des patients souffrant d’arthrose sévère de hanche (5).
Résumé
Population étudiée
- recrutement : éligibilité définie par le chirurgien orthopédiste dans quatre départements publiques d’orthopédie au Danemark
- critères d’inclusion :
- âge ³ 50 ans
- arthrose sévère de hanche et indication pour une prothèse de hanche totale (PTH) : définie selon douleur, présentation clinique, radiographie, le tout évalué par un spécialiste en chirurgie orthopédique
- critères d’exclusion :
- troubles de la marche sévère (nécessité de deux cannes ou rollator)
- BMI > 35
- fracture de la jambe ou du pied < 12 mois précédents
- chirurgie du pied ou de la jambe dans les 6 mois
- cancer ou traitement de chimiothérapie, radiothérapie ou immunothérapie
- maladie neurologique
- non compréhension du danois ou statut de personne mentalement ou physiquement incapable de participer
- au total, 109 patients ont été randomisés ; âge moyen de 67,6 ans, 54 femmes / 55 hommes, durée médiane de symptômes de hanche de 1,7 ans.
Protocole de l’étude
Essai multicentrique, randomisé, contrôlé, de supériorité, à 2 branches (53 dans groupe PTH / 56 dans groupe exercices) ; investigateurs, assesseurs et biostatisticiens aveugles
- groupe d’intervention :
- PTH par approche chirurgicale postérieure + éducation préopératoire, gestion de la douleur et mobilisation précoce à domicile
- groupe comparaison :
- programme de renforcement musculaire (PRM): 1 h, 2 x / semaine pendant 12 semaines, dispensé individuellement par un kinésithérapeute
- échauffement : 10 min sur vélo d’appartement
- renforcement : leg press + extension + flexion + abduction de hanche ; 3 sets, 60 sec de repos
- progression : diminution progressive des répétitions au fur à mesure que la charge augmentait
- semaine 12 : proposition d’effectuer en autonomie un programme d’exercices dans l’établissement d’entraînement de leur choix.
- programme de renforcement musculaire (PRM): 1 h, 2 x / semaine pendant 12 semaines, dispensé individuellement par un kinésithérapeute
Mesure des résultats
- critères de jugement primaires :
- Oxford Hip Score (OHS) : douleur et capacité fonctionnelle ; la différence minimale cliniquement importante (DMCI) est estimée à 5 points
- critères de jugement secondaires :
- « Hip Disability and Osteoarthritis Outcome Score subscale » (HDOOSs) : capacité fonctionnelle dans les activités quotidiennes, qualité de vie liée à la hanche, capacité fonctionnelle dans le sport et les activités récréatives ; DMCI à 10 points
- « UCLA activity score » (UCLA) : niveau d’activité physique ; DMCI à 2 points
- 40 m - marche rapide : vitesse de marche m/s
- « 30 s sit-to-stand » : nombre de assis-debout en 30 secondes
- prise de mesure au début de l’étude, puis suivi à 3, 6, 12 et 24 mois après le début de l’intervention.
Résultats
- à 6 mois : résultats supérieurs et significatifs en faveur du groupe PTH pour l’OHS, HDOOSs, UCLA score et la vitesse de marche au 40 m ; pas de différence significative entre les groupes au niveau du « sit-to-stand »
Tableau. Changements entre le début et 6 mois des différents critères de jugement.
|
Changement entre début et 6 mois |
p-valeur |
||
|
PTH (N=53) |
PRM (N=56) |
/ |
/ |
Mesure primaire |
||||
OHS |
15,9 ± 1,0 |
4,5 ± 1,0 |
11,4 (de 8,9 à 14,0) |
< 0,001 |
Mesures secondaires |
||||
HDOOSs |
|
|
|
|
Douleur |
39,2 ± 2,4 |
15,0 ± 2,3
|
24,2 (de 18,2 à 30,2) |
< 0,001 |
Symptômes |
39,3 ± 2,5 |
13,6 ± 2,4
|
25,7 (de 19,5 à 31,8) |
< 0,001 |
Fonction vie quotidienne |
32,9 ± 2,2
|
12,1 ± 2,1
|
20,8 (de 15,2 à 26,3) |
< 0,001 |
QoL* lié à hanche |
43,5 ± 3,1
|
10,7 ± 3,0
|
32,7 (de 25,0 à 40,4) |
< 0,001 |
Fonction sport/récréatif |
41,0 ± 2,8
|
9,2 ± 2,7
|
31,8 (de 24,9 à 38,8) |
< 0,001 |
UCLA |
1,2 ± 0,2
|
0,5 ± 0,2
|
0,7 (de 0,1 à 1,3) |
0,02 |
Vitesse de marche médiane au 40m - marche rapide |
0,15 (écart interquartile : 0,05 à 0,33) |
0,06 (de -0,05 à 0,19) |
0,10 (de 0,03 à 0,17)
|
0,009 |
* QoL : Qualité de vie
- à 12 et 24 mois :
- 100 patients sont comptabilisés au suivi à 12 mois : PTH > PRM pour l’OHS et HDOOSs (le détail des résultats n’est pas disponible dans l’article)
- 97 patients sont comptabilisés au suivi de 24 mois : résultats similaires pour toutes les mesures de résultats entre les deux groupes
- dans le groupe exercice, 33 patients (59%) avaient subi une prothèse totale de hanche à 12 mois et 43 (77%) à 24 mois.
Conclusions des auteurs
Les auteurs concluent que chez les patients âgés de 50 ans et plus, atteints d’arthrose sévère de hanche avec une indication pour une PTH, l’arthroplastie totale de hanche a montré à 6 mois des résultats cliniquement importants et supérieurs dans la réduction de la douleur de hanche et d’amélioration de la fonction, tel que rapporté par les patients, en comparaison au groupe de renforcement musculaire.
Financement de l’étude
Subventions par « the Danish Rheumatism Association », la région Sud du Danemark, la région de Zealand du Danemark, l’association des fonds de recherches des physiothérapeutes danois, le Conseil de recherche des hôpitaux de Næstved-Slagelse-Ringsted et la Fondation A.P. Møller.
Conflits d’intérêt des auteurs
Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt.
Discussion
Évaluation méthodologique
Cette étude présente divers points forts notables : un protocole d’étude publié en amont, le calcul de puissance pour avoir un échantillon suffisant pour détecter des changements, une randomisation avec un ratio de 1:1, l’aveuglement des investigateurs, assesseurs et biostatisticiens et le traitement des données manquantes. En dépit d’une analyse des résultats avec une approche en intention de traiter, les auteurs soulignent que les effets des interventions pouvaient être sous-estimés étant donné le nombre de patients qui avaient décidé de ne pas se faire opérer (9% du groupe PTH) et les 21% de patients initialement dans le groupe PRM qui à 6 mois de suivi étaient opérés avec PTH. Au suivi de 12 mois et 24 mois, respectivement 59% et 77% des patients du groupe RPM avaient été opérés, ce qui explique peut-être qu’on n’observe plus de différence significative entre les 2 groupes à cause d’une sous-estimation plus importante des bénéfices chirurgicaux avec un suivi plus long. Un autre point à considérer pour cette étude est que son échantillon n’est peut-être pas représentatif des patients âgés de 50 et plus souffrants d’arthrose sévère de hanche par le biais de sélection qui a pu survenir lors du recrutement. En effet, sur les 793 patients éligibles, 293 ont préféré se faire opérer et participer à une étude de cohorte parallèle. L’analyse statistique prend un compte les facteurs confondants (âge, sexe ,...) ; néanmoins la gestion de la douleur n’est pas mentionnée comme facteur confondant. Or il est précisé dans l’étude que l’intervention PTH inclut la gestion de la douleur auprès des patients ce qui n’est pas le cas dans l’intervention PRM. Pourtant la douleur est un facteur qui influence directement les résultats. Finalement, ni les patients ni les soignants n’ont pu être mis en aveugle, ce qui est un élément difficilement contournable dans une étude qui compare une intervention chirurgicale avec un programme de renforcement musculaire.
Évaluation des résultats
Cette étude a été effectuée sur des patients souffrant d’arthrose sévère de hanche ne permettant pas de généraliser ces résultats à l’ensemble des patients souffrant de cette d’arthrose de hanche. Actuellement il n’y a aucune étude similaire permettant de comparer les résultats obtenus. Un commentaire sur l’étude a été publié en 2025 dans The New England Journal of Medicine, critiquant entre autres le fait que le programme de renforcement musculaire mis en place dans cette RCT ne respecte pas les recommandations actuelles avec un programme adapté à chaque patient et qui inclus en plus du renforcement une combinaison d’entraînement cardiovasculaire et aérobique (6). Cependant les améliorations observées au niveau du OHS et HOOSs dans le groupe RPM sont en cohérence avec les résultats d’autres études dans lesquelles le renforcement est rapporté comme efficace pour réduire la douleur et améliorer la fonction chez des patients atteints de coxarthrose (3,7) (mais celles-ci ne ciblent pas uniquement des patients avec arthrose sévère). Une revue de 2021 souligne que chez les patients avec arthrose sévère du genou ou de la hanche et avec des dommages structurels, le remplacement total de l’articulation par une prothèse est considéré comme une intervention efficace pour réduire leur douleur (8). À 6 mois, bien que le nombre d’événements indésirables soit similaire entre les deux groupes, la majorité des évènements indésirables ayant eu lieu dans le groupe PTH étaient des complications connues de l’intervention (luxation, infection, etc.) à contrario du groupe RPM pour lequel les événements indésirables ne pouvaient pas tous être considérés comme directement liés à l’intervention.
Que disent les guides de pratique clinique ?
Dans la prise en charge de patient souffrant d’arthrose de hanche, le guide de pratique clinique de 2019 de L’American College of Rheumatology recommande fortement l’intégration d’exercices dans le traitement, adaptés aux préférences et à l’accès du patient, sans pouvoir mettre en avant un type d’exercices plus efficace (9). Les programmes favorisant le self-management sont aussi fortement recommandés (9). Il est également conseillé d’intégrer la gestion de la perte de poids dans la prise en charge chez les patients en surpoids (9). La revue systématique des guides de pratique clinique de Gibbs et al. (2023) met en avant que plusieurs des guides cliniques de haute qualité analysés considèrent les exercices et l’éducation comme traitements de première intention et que tous les guides de pratique clinique analysés recommandaient fortement les exercices pour la prise en charge de l’arthrose de hanche légère à modérée (10). Aucune recommandation n’a été émise sur le fait d’opérer ou pas les patients, certains guides de pratique clinique proposent des facteurs à prendre en compte, mais tous se rejoignent sur le point que le traitement de première ligne devrait être fourni au patient avant de le référer pour une opération (10). Néanmoins les recommandations citées précédemment ne spécifient pas la prise en charge recommandée dans le cas d’arthrose sévère de hanche. Un guide de pratique clinique de 2023 se concentrant entre autres sur des patients souffrants d’arthrose de hanche modérée à sévère pour lesquels les traitements non chirurgicaux n’ont pas été efficaces, souligne qu’il n’existe pas de consensus sur la poursuite du traitement conservateur et le temps recommandé avant de référer ces patients vers la chirurgie (11). La qualité des preuves de ce guide clinique est faible à très faible, il est néanmoins mis en avant qu’il est préférable de référer sans délai le patient pour une arthroplastie si le traitement conservateur n’a pas été efficace et de ne pas appliquer une période d’attente de 3 mois avant de le référer (11). D’après ce guide clinique il est également recommandé de ne pas retarder systématiquement l’arthroplastie pour un suivi kinésithérapeutique, même si celui-ci permettrait d’obtenir des bénéfices sur l’arthrose en anticipation de l’opération, car cela pourrait augmenter la douleur ressentie des patients en raison de la sévérité de l’arthrose (11). Ces propos sont nuancés en soulignant que les recommandations précédentes ne s’appliquent pas dans un contexte de soins préopératoires et dans le cas de patients souffrant d’importante faiblesses musculaires des membres inférieurs (11). De par le faible niveau preuve de ce guide clinique, ces recommandations sont à considérer avec réserve (11).
Conclusion de Minerva
Cette RCT multicentrique de bonne qualité méthodologique, met en avant qu’à 6 mois, chez des patients de 50 ans et plus souffrant d’arthrose sévère de hanche, l’arthroplastie totale de la hanche semble plus efficace qu’un programme de renforcement musculaire pour diminuer leur douleur et améliorer leur capacité fonctionnelle. Les résultats sont à interpréter avec précaution en raison d’un potentiel biais de sélection des patients. À 24 mois, il n’y a plus de différence entre les deux groupes, mais 77% des patients participant aux exercices ont subi une PTH.
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