Analyse


Faut-il arrêter l’aspirine avant une intervention chirurgicale non cardiaque chez les patients dont les antécédents comportent la pose d’un stent coronaire ?


24 05 2025

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Kang DY, Lee SH, Lee SW, et al; the ASSURE DES Investigators. Aspirin monotherapy vs no antiplatelet therapy in stable patients with coronary stents undergoing low-to-intermediate risk noncardiac surgery. J Am Coll Cardiol 2024;84:2380-9. DOI: 10.1016/j.jacc.2024.08.024


Question clinique
Chez les patients dont les antécédents comportent la pose d’un stent coronaire, quel est le risque de décès, d’infarctus du myocarde, de thrombose du stent ou d’accident vasculaire cérébral lorsque l’aspirine en monothérapie est poursuivie ou est suspendue lors d’une intervention chirurgicale non cardiaque ?


Conclusion
Cette étude randomisée, contrôlée, en ouvert, multicentrique, avec évaluation de l’effet effectuée en aveugle, a montré que, chez les patients chez qui a été posé un stent coronaire actif après un infarctus du myocarde en moyenne 5 ans plus tôt et qui doivent subir une intervention chirurgicale non cardiaque avec un risque hémorragique faible à modéré, l’interruption périopératoire de l’aspirine n’a pas montré de différence statistiquement significative dans l’incidence des évènements ischémiques, cardiovasculaires et d’hémorragies majeures entre l'arrêt périopératoire de l'aspirine et la poursuite périopératoire de la prise d'aspirine. Une diminution cliniquement pertinente de l'incidence des hémorragies mineures a été observée lors de l’interruption périopératoire de l'aspirine. Cependant, la population incluse présentait un risque faible à intermédiaire de complications cardiovasculaires, et il est possible que la puissance soit insuffisante pour démontrer une différence en termes d’évènements cardiovasculaires ischémiques.


Contexte

Pour les patients chez qui un stent coronaire actif (drug-eluting stent, DES) est posé après un infarctus du myocarde aigu, le guide de pratique clinique de la Société européenne de cardiologie (European Society of Cardiology, ESC) recommande une double antiagrégation plaquettaire (Dual Antiplatelet Therapy, DAPT) pendant un an, suivie d’un traitement à vie par acide acétylsalicylique (1). Il est également recommandé de prendre de l’acide acétylsalicylique lors d’une intervention chirurgicale non cardiaque lorsque le risque d’hémorragie est faible ou modéré (1). Dans Minerva, une synthèse méthodique avec méta-analyse portant essentiellement sur des études observationnelles ne nous a pas permis de tirer de conclusion définitive concernant le risque d’hémorragie ou de thrombose lié à l’arrêt temporaire ou à la poursuite des antiagrégants plaquettaires oraux durant une intervention chirurgicale non cardiaque (2,3). La différence de risque entre la poursuite et l’arrêt périopératoire de l’aspirine a été réexaminée dans une récente étude randomisée contrôlée (4).

 

 

Résumé

 

Population étudiée 

  • recrutement des patients dans 30 centres dans 3 pays (Corée du Sud (95%), Inde (3%) et Turquie (2%))
  • critères d’inclusion : pose d’un stent coronaire actif (drug-eluting stent, DES) plus d’un an auparavant au cours d’une intervention coronarienne percutanée après un infarctus du myocarde et planification d’une intervention chirurgicale non cardiaque 
  • critères d’exclusion : syndrome coronarien aigu ou infarctus du myocarde au cours du mois précédent, fraction d’éjection du ventricule gauche ≤ 30%, valvulopathie cardiaque, intolérance à l’aspirine, traitement par anticoagulants, intervention chirurgicale en urgence ou intervention chirurgicale cardiaque, risque d’hémorragie très élevé (par exemple neurochirurgie intracrânienne ou rachidienne)
  • finalement, inclusion de 962 patients ayant en moyenne 68,5 ± 9,0 ans ; 23,9% de femmes ; 44,7% étaient atteints de diabète, et, selon l’indice de risque cardiaque révisé (Revised Cardiac Risk Index, RCRI), 24,8% ne présentaient pas de facteurs de risque, 44,1% présentaient 1 facteur de risque, 25,7% présentaient 2 facteurs de risque, et 5,4% présentaient au moins 3 facteurs de risque ; il s’agissait surtout d’interventions chirurgicales abdominales (40%), orthopédiques (23%) et urologiques/gynécologiques avec généralement un faible risque ou un risque intermédiaire d’évènements cardiovasculaires (89%) et d’hémorragie (88%) ; le délai médian entre la pose du stent et l’intervention chirurgicale non cardiaque était de 5,1 ans.

 

Protocole d’étude

Étude randomisée, multicentrique, menée en ouvert, contrôlée, avec deux groupes d’étude :

  • groupe intervention (n = 464) : arrêt de toute antiagrégation plaquettaire depuis 5 jours avant l’intervention chirurgicale jusqu’à maximum 48 heures après
  • groupe témoin (n = 462) : poursuite de l’aspirine à la dose de 100 mg par jour ; les patients qui, avant la randomisation, prenaient un antagoniste des récepteurs P2Y12 au lieu de l’aspirine ou qui étaient sous double antiagrégation plaquettaire sont respectivement passés à l’aspirine 100 mg par jour ou sont restés sans prendre l’antagoniste des récepteurs P2Y12 à partir de 5 jours avant l’intervention chirurgicale.

 

Mesure des résultats 

  • principal critère de jugement : critère de jugement composite combinant mortalité globale, infarctus du myocarde (ischémie d’après la symptomatologie et/ou les modification à l’électrocardiogramme (ECG) et/ou l’angiographie, avec au moins deux modifications de la concentration de la CK-MB ou de la troponine, avec au moins une valeur au-dessus du 99e percentile de la limite supérieure), thrombose du stent ou accident vasculaire cérébral (AVC) à partir de 2 jours avant l’intervention chirurgicale jusqu’à 30 jours après
  • critères de jugement secondaires : les différents critères de jugement du principal critère de jugement composite, infarctus du myocarde fatal, lésion du myocarde (concentration de la troponine au-dessus du 99e percentile de la limite supérieure sans cause non ischémique claire), revascularisation coronaire, hémorragie majeure et mineure selon la définition TIMI (Thrombolysis In Myocardial Infarction)
  • suivi entre 5 jours avant l’intervention chirurgicale non cardiaque et 30 jours après, par le biais de visites ou de contacts téléphoniques
  • analyse en intention de traiter modifiée ne prenant en compte que les patients ayant subi une intervention chirurgicale non cardiaque.

 

Résultats

  • pas de différence statistiquement significative entre le groupe aspirine et le groupe témoin pour le critère de jugement primaire composite : un évènement est apparu chez 3 patients (0,6%) dans le groupe intervention contre 4 patients (0,9%) dans le groupe contrôle ; différence absolue de -0,2% (avec IC à 95% de -1,3% à 0,9% ; p > 0,99) 
  • aucune différence statistiquement significative n’a été observée pour les critères d’évaluation individuels du critère de jugement composite
  • hémorragies mineures plus fréquentes dans le groupe aspirine que dans le groupe témoin (14,9% contre 10,1% ; p = 0,027) ; pas de différence quant aux hémorragies majeures (6,5% contre 5,2% ; p = 0,39).

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que chez les patients subissant une chirurgie non cardiaque à risque faible ou modéré plus d’un an après la pose d’un stent actif, dans un contexte de soins où l’incidence des évènements est inférieure à celle attendue, nous n’avons pas trouvé de différence statistiquement significative entre la poursuite périopératoire de la prise d’aspirine et l’arrêt de l’antiagrégation plaquettaire en termes d’évènements ischémiques et d’hémorragies majeures. 

 

Financement de l’étude

Cette recherche a été soutenue par la Fondation pour la recherche cardio-vasculaire (Séoul, Corée), une subvention du projet de R&D sur les technologies de la santé en Corée par l'intermédiaire de l'Institut de développement de l'industrie de la santé en Corée (KHIDI), le ministère de la santé et des affaires sociales de la République de Corée, et la société Medtronic; les financeurs de l'étude n'ont joué aucun rôle dans la conception de l'étude, la collecte des données, l'analyse des données, l'interprétation des données ou la rédaction du rapport.

 

Conflits d'intérêt des auteurs

Conflits d’'intérêt pas mentionnés.

 

 

Discussion

 

Évaluation de la méthodologie

La randomisation de la population étudiée a été effectuée correctement, avec une attribution en aveugle et une stratification en fonction du centre d’étude participant et du risque d’hémorragie pendant l’intervention chirurgicale. Les caractéristiques de base étaient comparables dans les deux groupes. L’étude a été menée en ouvert, mais l’attribution était en insu du comité indépendant qui suivait les évènements. Cela permis une évaluation objective des critères de jugement, tant principal que secondaires.
Sur la base des résultats d’une précédente étude (5), on a supposé que l’incidence du principal critère de jugement composite après 30 jours serait de 6,0% dans le groupe aspirine et de 11,5% dans le groupe ayant arrêté l’aspirine. Sur cette base, les chercheurs ont estimé qu’avec une population de 900 patients, il y avait une puissance de 80% avec un niveau de signification bilatéral de 5% pour démontrer une différence dans le principal critère de jugement entre les deux groupes. Cependant, le nombre d’évènements cardiovasculaires observés était plus faible que prévu, ce qui pourrait avoir entraîné une puissance insuffisante pour montrer des différences entre les deux groupes.

 

Interprétation des résultats

Le groupe qui a arrêté l’aspirine a présenté moins d’hémorragies mineures, et ce de manière statistiquement significative, que le groupe qui a continué à en prendre. Cette différence peut être considérée comme cliniquement pertinente, car, sur les 100 patients chez qui l’aspirine a été arrêtée plutôt que poursuivie avant l’intervention chirurgicale, une hémorragie mineure a été observée chez 20 patients de moins (100/(14,9%-10,1%). L’occurrence plus faible des hémorragies mineures dans le groupe intervention n’était pas associée à une augmentation de la mortalité, de l’infarctus du myocarde, de la thrombose du stent et des AVC. Selon les auteurs, l’incidence de l’infarctus du myocarde peut avoir été sous-estimée parce que les concentrations de troponine ont été déterminées systématiquement seulement chez 283 patients. En effet, une étude similaire dans laquelle les biomarqueurs ont été mesurés en périopératoire chez tous les patients a révélé un nombre d’infarctus du myocarde plus élevé dans le groupe qui avait arrêté l’aspirine (6). Il n’est pas certain que nous puissions adopter cette affirmation car, contrairement à la présente étude, nous n’avons pas trouvé pas de définition claire de l’infarctus du myocarde dans l’étude de Graham et al. Il convient également de noter que, dans la présente étude, aucune différence dans les lésions myocardiques n’a pu être démontrée sur la base des concentrations de troponine (23% contre 20% ; p = 0,51). Par conséquent, une meilleure explication du faible nombre d’évènements cardiovasculaires ischémiques observés serait plutôt que cette étude ne concernait que des patients stables présentant un risque faible à modéré de complications cardiaques périopératoires. En raison de la brièveté du suivi, nous ne pouvons rien conclure quant à une différence de risque de thrombo-embolie à plus long terme après l’intervention chirurgicale.
Il n’y avait pas de différence au niveau des hémorragies majeures, mais il s’agissait principalement d’interventions présentant un risque hémorragique faible à modéré. Les interventions chirurgicales à haut risque (hémorragique), telles que la chirurgie vasculaire, n’étaient pas incluses. Le fait que l’étude n’a pas inclus de patients occidentaux peut compliquer l’extrapolation des résultats à notre contexte de soins de santé. 

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

D’après la Société européenne de cardiologie (European Society of Cardiology, ECS), il vaut mieux que l’aspirine soit poursuivie durant la période périopératoire en cas de stent coronaire, sauf si la poursuite de l’aspirine représenterait un danger en raison d’un risque hémorragique élevé. Pour les interventions chirurgicales avec un risque hémorragique élevé, il peut être nécessaire d’envisager d’arrêter l’aspirine temporairement (1). 

 

 

Conclusion de Minerva 

Cette étude randomisée, contrôlée, en ouvert, multicentrique, avec évaluation de l’effet effectuée en aveugle, a montré que, chez les patients chez qui a été posé un stent coronaire actif après un infarctus du myocarde en moyenne 5 ans plus tôt et qui doivent subir une intervention chirurgicale non cardiaque avec un risque hémorragique faible à modéré, l’interruption périopératoire de l’aspirine n’a pas montré de différence statistiquement significative dans l’incidence des évènements ischémiques, cardiovasculaires et d’hémorragies majeures entre l'arrêt périopératoire de l'aspirine et la poursuite périopératoire de la prise d'aspirine. Une diminution cliniquement pertinente de l'incidence des hémorragies mineures a été observée lors de l’interruption périopératoire de l'aspirine.
Cependant, la population incluse présentait un risque faible à intermédiaire de complications cardiovasculaires, et il est possible que la puissance soit insuffisante pour démontrer une différence en termes d’évènements cardiovasculaires ischémiques. 

 

 

 

Références 

  1. Ortega-Paz L, Cader A, Cigalini I, Giacoppo D. Dual antiplatelet therapy for the general cardiologist: recent evidence, balancing ischaemic and bleeding risk. Eur Soc Cardiol 1/08/2023. URL: https://www.escardio.org/Councils/Council-for-Cardiology-Practice-(CCP)/Cardiopractice/dual-antiplatelet-therapy-for-the-general-cardiologist-recent-evidence-balanci
  2. De Cort P. Faut-il arrêter les antiagrégants plaquettaires avant une opération non cardiaque ? MinervaF 2017;16(10):257-60.
  3. Columbo JA, Lambour AJ, Sundling RA, et al. A meta-analysis of the impact of aspirin, clopidogrel and dual antiplatelet therapy on bleeding complications in noncardiac surgery. Ann Surg 2017. DOI: 10.1097/SLA.0000000000002279
  4. Kang DY, Lee SH, Lee SW, et al; the ASSURE DES Investigators. Aspirin monotherapy vs no antiplatelet therapy in stable patients with coronary stents undergoing low-to-intermediate risk noncardiac surgery. J Am Coll Cardiol 2024;84:2380-9. DOI: 10.1016/j.jacc.2024.08.024 
  5. Iakovou I, Schmidt T, Bonizzoni E, et al. Incidence, predictors, and outcome of thrombosis after successful implantation of drug-eluting stents. JAMA 2005;293:2126-30. DOI: 10.1001/jama.293.17.2126 
  6. Graham MM, Sessler DI, Parlow JL, et al. Aspirin in patients with previous percutaneous coronary intervention undergoing noncardiac surgery. Ann Intern Med 2018;168:237-44. DOI: 10.7326/M17-2341

 




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