Analyse


Quel est l’effet des interventions ciblant les aidants proches de patients cancéreux au stade palliatif ?


23 10 2025

Professions de santé

Infirmier, Médecin généraliste, Psychologue
Analyse de
Yan Q, Zhu C, Li L, et al. The effect of targeted palliative care interventions on depression, quality of life and caregiver burden in informal caregivers of advanced cancer patients: A systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. Int J Nurs Stud 2024;160:104895. DOI: 10.1016/j.ijnurstu.2024.104895


Question clinique
Quel effet différentes interventions de soins palliatifs ciblant les aidants proches de patients atteints d’un cancer avancé ont-elles sur la dépression, la qualité de vie et la charge de soins, par comparaison avec les soins habituels, le groupe témoin sur liste d’attente ou le groupe témoin d’attention ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse montre que les interventions destinées à soutenir les aidants proches de patients au stade palliatif peuvent avoir un impact positif sur la dépression et la qualité de vie. Elle est de bonne qualité méthodologique, mais se base néanmoins sur des études originales qui présentent de nombreux problèmes méthodologiques. L’hétérogénéité clinique des interventions étudiées et la surreprésentation des études chinoises compliquent l’extrapolation à notre contexte de santé. Par conséquent, on ne peut en déduire aucun conseil pratique concret.


Contexte

Le nombre de diagnostics de cancer augmente partout dans le monde (1). Grâce à l’amélioration des traitements oncologiques, le cancer est devenu une maladie chronique, ce qui signifie que les patients ont désormais une espérance de vie plus longue qu’auparavant. Les aidants proches de personnes atteintes de cancer qui sont soignées à domicile ont un rôle important dans les soins et ressentent souvent des effets indésirables, tels que l’anxiété et la dépression (2), une qualité de vie moindre et une charge de soins accrue (3,4), ainsi qu’une détérioration de la santé mentale générale, un deuil compliqué et une dépression après le décès de la personne atteinte de cancer (5). Dans le domaine des soins palliatifs, ce problème est reconnu depuis un certain temps, et des recommandations ont été formulées pour fournir aux aidants proches le soutien et les soins nécessaires (6). En Belgique, les équipes de soutien multidisciplinaires des réseaux palliatifs peuvent jouer un rôle à cet égard (7). Dans une analyse publiée en 2015, Minerva est arrivé à la conclusion que le recours à des équipes spécialisées en soins palliatifs conduisait à une réduction des hospitalisations et des admissions aux urgences des patients en phase palliative (8,9), ce qui s’explique en partie par un bon soutien offert aux aidants proches vu qu’une décompensation des aidants proches entraîne souvent une hospitalisation non planifiée (parfois évitable). Cependant, on ne sait pas précisément quelle est la meilleure façon de soutenir les aidants proches. Les interventions décrites dans la littérature sont très hétérogènes en termes de focalisation, d’objectif, de format et de durée. Une synthèse méthodique portant sur l’efficacité des interventions est donc appropriée pour apporter des conseils étayés (10). 

 

 

Résumé

 

Méthodologie 

Synthèse méthodique avec méta-analyse.

 

Sources consultées

  • PubMed, CLNAHL, PsyclNFO, Embase, Cochrane, les banques de données chinoises China National Knowledge Infrastructure (CNKI), VIP et WANFANG ; jusqu’au 4 mai 2024.

 

Études sélectionnées

  • critères d’inclusion : études randomisées contrôlées portant sur des interventions ciblant les aidants proches (ayant au moins 18 ans) de personnes atteintes d’un cancer avancé ou de patients recevant des soins palliatifs, par comparaison avec les soins standard, un groupe témoin sur liste d’attente ou un groupe témoin d’attention, et évaluant au moins un des critères de jugement suivant : dépression, qualité de vie, charge des soins
  • critères d’exclusion : études pilotes, absence du texte intégral, données disponibles absentes ou insuffisantes
  • finalement, inclusion de 16 études (n = 2046), publiées entre 2007 et 2023, menées en Chine (N = 9), aux États-Unis (N = 4), en Angleterre (N = 2) et en Australie (N = 1) ; les études examinaient tant des interventions individuelles (N = 12) que des interventions combinées (N = 4) ; leur durée allait de quatre semaines à un an ; les interventions étaient de trois types : interventions hors ligne (N = 8), comme le conseil en face à face, la psychoéducation, l’entraînement ou les séances de groupe ; interventions de cybersanté (N = 2), comme des plateformes en ligne avec des informations, des vidéos ou un support virtuel ; et des interventions mixtes (N = 6), qui combinaient des éléments numériques et des éléments physiques, comme des visites à domicile complétées par des applications ou un suivi téléphonique ; le contenu comprenait des interventions de psychologie positive, une thérapie de réminiscence, une psychoéducation, des conseils en matière de deuil, des séances multidisciplinaires de qualité de vie et des interventions axées sur la famille ; les groupes témoins étaient principalement constitués de groupes recevant des soins standard (N = 13), de groupes témoins d’attention (N = 2) et de groupes témoins sur liste d’attente (N = 1).

 

Population étudiée

  • 2046 aidants proches (22 à 329 par étude) ayant en moyenne entre 38,7 ans (ET 3,7) et 67,71 ans (ET 5,98) ; les patients étaient des partenaires, des parents, des enfants, des frères et sœurs, des membres de la famille ou d’autres proches parents de personnes atteintes d’un cancer de stade III ou IV.

 

Mesure des résultats 

  • critères de jugement : impact des interventions de soins palliatifs sur la dépression, la qualité de vie et la charge de soins pour les aidants proches, mesuré à l’aide d’échelles validées :
    • pour la dépression : HADS, CESD, HAMD, POMS
    • pour la qualité de vie : l’échelle d’évaluation de l’impact des soins sur la qualité de vie des aidants proches de patients atteints de cancer (Caregiver Quality of Life Index Cancer, CQOLC), l’outil City of Hope Family Caregiver, le questionnaire de qualité de vie de l’Organisation mondiale de la santé - BREF (WHOQOL-BREF), l’échelle de qualité de vie pour les aidants familiaux (Quality-of-Life Family Caregiver Version Scale), le questionnaire de qualité de vie en cas de maladie potentiellement mortelle - destiné aux aidants familiaux (Quality of Life in Life-threatening Illness-Family Carer Questionnaire, QOLLTI-F)
    • pour la charge de travail : l’échelle d’évaluation du fardeau (Zarit Burden Interview, ZBI), l’évaluation de la qualité de vie des aidants de patients atteints de cancer - sous-échelle d’évaluation du fardeau (Caregiver Quality of Life-Cancer Scale Burden Subscale), l’échelle d’évaluation du fardeau ressenti par les aidants (Caregiver Burden Scale) et l’échelle d’évaluation du fardeau ressenti par les aidants (Caregiver Strain Index)
  • analyses de sous-groupes : selon le type d’intervention (intervention hors ligne, intervention de cybersanté ou intervention mixte) ; selon la durée de l’intervention (intervention brève ou longue) ; selon la population cible (uniquement les aidants proches ou bien dyade aidant proche-patient)
  • critères de jugement exprimés en différence moyenne standardisée (avec intervalle de confiance à 95%).

 

Résultats 

  • les interventions en soins palliatifs ont réduit la dépression chez les aidants proches (DMS de -0,74 avec IC à 95% de -1,25 à -0,23 ; p < 0,01 ; N = 10 et n = 1406 ; I² = 95,15%), ont amélioré la qualité de vie des aidants proches (DMS de 0,63 avec IC à 95% de 0,08 à 1,17 ; p = 0,03 ; N = 7 et n = 976 ; I² = 93,67%), mais n’ont pas eu d’effet significatif sur la charge de soins ressentie par les aidants proches (N = 7 et n = 976)
  • dans les analyses de sous-groupes pour la dépression, on a observé, avec les interventions de courte durée (moins de trois mois), une nette réduction de la dépression (DMS de -0,38 avec IC à 95% de -0,73 à -0,03 ; p = 0,03 ; N = 5) tandis qu’avec les interventions de plus longue durée (N = 3), il n’y avait pas d’effet significatif ; les interventions destinées uniquement aux aidants proches avaient clairement un effet (DMS de -0,92 avec IC à 95% de -1,72 à -0,12 ; p = 0,03 ; N = 6), ce qui n’était pas le cas avec les interventions destinées aux dyades (N = 4) ; seules les interventions hors ligne avaient un effet statistiquement significatif (DMS de -0,82 avec IC à 95% de -1,53 à -0,11] ; p = 0,02 ; N = 7)
  • dans les analyses de sous-groupes pour la qualité de vie, on n’a observé, avec les interventions de courte durée (moins de trois mois), aucune amélioration significative de la qualité de vie (N = 5) ; ni les interventions destinées aux aidants proches (N = 5) ni les interventions destinées aux dyades (N = 2) n’ont montré de résultats statistiquement significatifs ; les interventions hors ligne ont entraîné un effet statistiquement significatif (DMS de 1,10 avec IC à 95% de 0,20 à 2,00 ; p = 0,02 ; N = 4)
  • en ce qui concerne la charge de soins, aucun résultat statistiquement significatif n’a été observé dans les analyses de sous-groupes, et aucune distinction n’a été faite entre les différents critères de jugement secondaires.

 

Conclusion des auteurs

Les interventions ciblées en soins palliatifs ont efficacement amélioré la dépression et la qualité de vie des aidants proches, mais n’ont pas réussi à réduire de manière significative la charge des soins. Afin de mieux soutenir les aidants proches, les prestataires de soins doivent mettre en œuvre des stratégies personnalisées fondées sur une réflexion approfondie concernant la durée, la forme et le mode de mise en œuvre des interventions. Parallèlement, des recherches et des efforts supplémentaires de la part des scientifiques sont nécessaires pour améliorer l’accessibilité des services de soins palliatifs et pour intégrer efficacement les résultats de la recherche universitaire dans la pratique clinique.

 

Financement de l’étude

L’étude a été financée par la National Natural Science Foundation of China, le Sichuan Provincial Science and Technology Department Key Research and Development Program, le China Medical Board, le Ministry of Education of China University-Industry Collaborative Education Program, le Sichuan University Graduate Students Education Teaching Reform Research Program, le Chengdu Eastern New Area Municipal Administration Committee - Bureau of Culture and Tourism Program et le West China Nursing Discipline Development Special Fund Project, Sichuan University.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêt. 

 

 

Discussion

 

Évaluation de la méthodologie

La synthèse méthodique a été réalisée conformément au manuel Cochrane pour les synthèses méthodiques portant sur des interventions (Cochrane Handbook for Systematic Review of Intervention), et le rapport a été élaboré à l’aide des directives PRISMA. En outre, le protocole a été enregistré dans PROSPERO. La stratégie de recherche est transparente, les critères d’inclusion et d’exclusion sont clairs, et la sélection des articles a été effectuée correctement. La qualité des articles a été évaluée au moyen de l’outil Cochrane évaluant le risque de biais (Risk of Bias). Sur la base de cette évaluation, il a été déterminé que, pour 10 des 16 articles inclus en intention de traiter ou en intention de traiter modifiée, il y avait des problèmes de méthodologie. Plus spécifiquement, il s’agissait de questions sur le processus de randomisation (2/16), les écarts par rapport à l’intervention prévue (15/16), les données manquantes (2/16), de questions sur la mesure des résultats elle-même (11/16) et la sélection des résultats rapportés (7/16). Pour le critère de jugement « dépression », un biais de publication a été constaté. Les analyses de sensibilité qui ont tenu compte de ce biais de publication montraient cependant des différences avec les principaux résultats pour la dépression. Pour les autres critères de jugement, le biais de publication n’a pas pu être évalué en raison du faible nombre d’articles inclus. Les auteurs avertissent qu’il faut prendre en compte une possible surestimation des effets des interventions en raison d’un biais de publication. 

 

Évaluation des résultats

En raison de l’hétérogénéité clinique significative en ce qui concerne les caractéristiques des participants et les caractéristiques de l’intervention, il est difficile d’évaluer les résultats de la méta-analyse. De plus, le comparateur (soins habituels) dans cette revue est insuffisamment décrit, et on peut se demander s’il est le même en Chine (9 des 16 articles inclus) qu’en Belgique, où les réseaux de soins palliatifs sont bien développés de même que les équipes de soins à domicile. La forte représentation des études chinoises rend difficile l’extrapolation des résultats. Il aurait peut-être été intéressant d’étudier une éventuelle différence entre les effets en Chine et dans les pays occidentaux.
Cependant, les critères de jugement de cette synthèse méthodique sont également très pertinents en Belgique : dépression, qualité de vie et charge de soins pour les aidants proches. Aucun effet sur la charge de soins n’a été constaté dans cette étude. La dépression et la qualité de vie semblent s’améliorer, en particulier avec les interventions de courte durée (< 3 mois). Une revue récente a décrit plus en détail les différentes causes de dépression et de diminution de la qualité de vie des aidants proches, permettant le développement de stratégies ciblées et individualisées (11), que nous retrouvons également dans la synthèse méthodique discutée ici. Les différents types de fardeaux que subissent les aidants proches peuvent être causés par l’aggravation des symptômes du patient, l’augmentation de la dépendance fonctionnelle du patient, l’agitation et la confusion avec l’incertitude associée dans la situation familiale, l’impact sur la vie sociale et professionnelle de l’aidant proche, une communication insuffisante avec les professionnels, et l’impact des inégalités socioéconomiques (11). 

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Le guide de pratique clinique hollandais « Soutien aux aidants proches des patients en phase palliative » (12) décrit en détail comment nous, en tant que prestataires de soins, pouvons soutenir les aidants proches. À l’aide d’une boîte à outils en ligne, des recommandations sont décrites pour aider les aidants proches à en apprendre davantage sur la position et les besoins des aidants proches en général, et à explorer individuellement les besoins de soutien qui existent dans une situation donnée, ainsi que les réponses et le soutien possibles qui peuvent être offerts.

 

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique avec méta-analyse montre que les interventions destinées à soutenir les aidants proches de patients au stade palliatif peuvent avoir un impact positif sur la dépression et la qualité de vie. Elle est de bonne qualité méthodologique, mais se base néanmoins sur des études originales qui présentent de nombreux problèmes méthodologiques. L’hétérogénéité clinique des interventions étudiées et la surreprésentation des études chinoises compliquent l’extrapolation à notre contexte de santé. Par conséquent, on ne peut en déduire aucun conseil pratique concret. 

 

 


Références 

  1. Sung H, Ferlay J, Siegel RL, et al. Global Cancer Statistics 2020: GLOBOCAN estimates of incidence and mortality worldwide for 36 cancers in 185 countries. CA Cancer J Clin 2021;71:209-49. DOI: 10.3322/caac.21660
  2. Chong E, Crowe L, Mentor K, et al. Systematic review of caregiver burden, unmet needs and quality-of-life among informal caregivers of patients with pancreatic cancer. Support Care Cancer 2022;31:74. DOI: 10.1007/s00520-022-07468-7
  3. Rha SY, Park Y, Song SK, et al. Caregiving burden and the quality of life of family caregivers of cancer patients: the relationship and correlates. Eur J Oncol Nurs 2015;19:376-82. DOI: 10.1016/j.ejon.2015.01.004
  4. Ge L, Mordiffi SZ. Factors associated with higher caregiver burden among family caregivers of elderly cancer patients. Cancer Nurs 2017;40:471-8. DOI: 10.1097/ncc.0000000000000445
  5. Große J, Treml J, Kersting A. Impact of caregiver burden on mental health in bereaved caregivers of cancer patients: a systematic review. Psychooncology 2018;27:757-67. DOI: 10.1002/pon.4529
  6. National Institute for Health and Clinical Excellence. Supporting adult carers guidance. Recommandations. NICE guideline (NG 150). Published 22/01/2020. 
  7. En Wallonie et à Bruxelles : SAM. Le réseau des aidants. Les aidants proches sont plus de 1 million en Belgique. Site consulté le 20/10/2025. URL: https://www.reseau-sam.be/fr
  8. Pype P. Impact de l’intervention des soins palliatifs à domicile. MinervaF 2015;14(4):40-1
  9. Seow H, Brazil K, Sussman J, et al. Impact of community based, specialist palliative care teams on hospitalisations and emergency department visits late in life and hospital deaths: a pooled analysis. BMJ 2014;348:g3496. DOI: 10.1136/bmj.g3496
  10. Yan Q, Zhu C, Li L, et al. The effect of targeted palliative care interventions on depression, quality of life and caregiver burden in informal caregivers of advanced cancer patients: A systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. Int J Nurs Stud 2024;160:104895. DOI: 10.1016/j.ijnurstu.2024.104895
  11. Lapa L, Cardoso M, Rego F. Informal caregiver burden in palliative care and the role of the family doctor: a scoping review. Healthcare (Basel) 2025;13:939. DOI: 10.3390/healthcare13080939 
  12. Mantelzorgondersteuning in de palliatieve fase. Palliaweb, 19/08/2025. URL:
    https://palliaweb.nl/zorgpraktijk/mantelzorgondersteuning-in-de-palliatieve-fase

Auteurs

Pype P.
Vakgroep Volksgezondheid en Eerstelijnszorg, UGent; End-of-life Care Research Group, VUB-UGent
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

Code


C80, Z51
A79


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