Analyse


Le massage et le toucher réduisent-ils l’agitation chez les personnes atteintes de démence ?


23 10 2025

Professions de santé

Infirmier, Médecin généraliste
Analyse de
Liu X, Zang L, Lu Q, Zhang Y, Meng Q. Effect of massage and touch on agitation in dementia: a meta-analysis. J Clin Nurs 2025;34:1948-64. DOI: 10.1111/jocn.17674


Question clinique
Chez les personnes atteintes de démence, quel est l’effet du massage et du toucher sur l’agitation, par comparaison avec la prise en charge habituelle ou avec une autre intervention ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse, qui a été correctement menée d’un point de vue méthodologique, incluant des études randomisées contrôlées (RCTs) présentant différentes sources de biais suggère que des moments quotidiens ou hebdomadaires de massage et de toucher réduisent l’agitation chez les personnes atteintes de démence, par comparaison avec la prise en charge habituelle. Cependant, de nombreuses questions restent sans réponse, par exemple : quelles personnes atteintes de démence bénéficient le plus de ce massage, et quelle forme, quelle intensité et quelle fréquence sont les plus efficaces ?


Contexte

Presque toutes les personnes atteintes de démence développent divers problèmes de comportement à mesure que la maladie progresse (1). L’agitation est un problème comportemental fréquent, qui diminue la qualité de vie des patients et augmente la charge de travail des prestataires de soins (1). Étant donné que les traitements médicamenteux ont une efficacité limitée et sont associés à plusieurs effets indésirables, les interventions non médicamenteuses représentent une alternative utile (2-4). Le massage et le toucher sont faciles à appliquer, et plusieurs études en ont démontré l’efficacité (5). Une nouvelle synthèse méthodique avec méta-analyse a de nouveau examiné leur efficacité en tenant également compte de la durée de l’intervention, du type de massage et de la gravité de la démence (6).

 

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyse.

 

Sources consultées

  • PubMed, Embase, Web of Science, registre des essais contrôlés, Cochrane Library, bases de données chinoises (CNKI, WanFang, VIP, SinoMed) ; jusque janvier 2024
  • les listes des références des études pertinentes.

 

Études sélectionnées

  • critères d’inclusion : études randomisées contrôlées comparant l’effet du massage et du toucher (dans n’importe quel contexte, à n’importe quelle fréquence et de n’importe quelle durée) avec la prise en charge habituelle ou une autre intervention sur le comportement anxieux, l’agressivité physique, les comportements physiques perturbateurs (tels que faire les cent pas, s’agiter, tapoter de manière répétitive), l’agressivité verbale, le comportement verbal perturbateur (tel que poser la même question à plusieurs reprises, parler fort ou sans cesse, gémir, marmonner, soupirer fort, crier ou chanter sans raison), ainsi que sur la fréquence et l’intensité des symptômes comportementaux dans la démence
  • critères d’exclusion : études avec procédure invasive (telle que l’acupuncture)
  • inclusion finale de 17 études ; 13 études examinaient l’effet du massage, et 4 études, celui du toucher ; la durée des interventions allait de 3 jours à 3 mois, et leur fréquence était déterminée par jour ou par semaine ; le suivi variait de 1 semaine à 12 semaines.

 

Population étudiée

  • adultes âgés de plus de 60 ans atteints de démence diagnostiquée au moyen du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) ou de tests cognitifs tels que le questionnaire court sur l’état mental (Short Portable Mental Status Questionnaire), l’échelle de détérioration globale (Global Deterioration Scale), l’échelle clinique de démence (Clinical Dementia Rating Scale) et le test de Folstein (Mini-Mental State Examination, MMSE)
  • aucune restriction concernant le type et la gravité de la démence ; les personnes souffrant de blessures physiques, de douleurs, de maladies ou de thrombose veineuse profonde au site de massage ont été exclues
  • finalement, inclusion de 980 participants (28 à 186 par étude), ayant en moyenne entre 70,30 ans (ET 2,86) et 88 ans (ET 6,63), présentant une démence modérée à sévère, admis en maison de repos et de soins (N = 4), dans d’autres établissements de soins de longue durée (tels que des résidences services) (N = 7) et dans des hôpitaux gériatriques (N = 6).

 

Mesure des résultats

  • agitation, mesurée à l’aide de l’échelle d’agitation de Cohen-Mansfield (Cohen–Mansfield Agitation Inventory, CMAI), exprimée en différence moyenne (DM)
  • agressivité physique, mesurée à l’aide du CMAI ou de l’échelle d’évaluation de la pathologie comportementale dans la maladie d’Alzheimer BEHAVE-AD (Behavioural Pathology in Alzheimer’s Disease), exprimée en différence moyenne standardisée (DMS)
  • agressivité verbale, comportement physique et verbal perturbateur, mesurés à l’aide du CMAI et exprimés en différence moyenne standardisée (DMS)
  • fréquence et intensité des symptômes comportementaux dans la démence, mesurées à l’aide de l’échelle modifiée d’évaluation du comportement agité (Modified Agitated Behaviour Rating Scale, mABRS), exprimées en différence moyenne (DM).

 

Résultats

  • le massage et le toucher, par comparaison avec un groupe témoin, ont réduit l’agitation d’une DM de -5,86 (avec IC à 95% de -8,83 à -2,88 ; p = 0,0001 ; N = 12 ; I² = 94%) sur le CMAI
  • le massage et le toucher, par comparaison avec un groupe témoin, ont réduit l’agressivité physique avec une DMS de -1,44 (avec IC à 95% de -2,36 à -0,52 ; p = 0,002 ; N = 10 ; I² = 96%), le comportement physique perturbateur d’une DMS -0,67 (IC à 95% de -1,06 à -0,27 ; p = 0,0008 ; N = 9 ; I² = 81%), l’agressivité verbale d’une DMS de -2,26 (avec IC à 95% de -3,44 à -1,08 ; p = 0,0002 ; N = 9 ; I² = 97%) et le comportement verbal perturbateur d’une DMS de -0,86 (avec IC à 95% de -1,42 à -0,29 ; p = 0,003 ; N = 1)
  • le massage et le toucher n’avaient pas d’effet sur l’intensité et la fréquence des symptômes comportementaux dans la démence.

 

Conclusion des auteurs

Le massage et le toucher peuvent, à court terme, améliorer l’agitation chez les patients atteints de démence. Le massage des mains, de la tête et des pieds peut réduire efficacement l’agitation. Le personnel infirmier et les aidants proches doivent donc être activement encouragés à utiliser le massage et le toucher pour leurs patients. Des recherches supplémentaires sont néanmoins nécessaires afin de confirmer ces résultats avant qu’une recommandation plus définitive ne puisse être formulée.

 

Financement de l’étude

2021 Shandong Province Undergraduate Teaching Reform Research Project.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêt.

 

 

Discussion

 

Discussion de la méthodologie

L’identification et la sélection des études utiles pour cette synthèse méthodique ont été réalisées correctement par deux chercheurs indépendants. L’extraction des données a également été réalisée par deux chercheurs indépendants, et les éventuelles divergences ont été résolues en sollicitant un troisième auteur. Lorsque les informations obtenues à partir des articles étaient insuffisantes, les données brutes ont été demandées aux auteurs originaux. L’outil Cochrane évaluant le risque de biais (Cochrane Risk of Bias) a été utilisé pour évaluer la qualité méthodologique des études incluses. Parmi les 17 études incluses, 13 ont rapporté une assignation aléatoire des participants, alors que cela n’était pas clair pour 2 études. Pour 2 autres études, cela était associé à un risque élevé de biais car, lors de l’attribution, les participants étaient regroupés en fonction du service ou de l’orientation vers un service. Cela ouvre la porte à un biais de sélection, ce qui entraîne des groupes de recherche inégaux. Le secret de l’attribution a été suffisamment rapporté dans 10 études, et, pour 7 études, le risque de biais n’était pas clair en raison d’informations insuffisantes. Une étude présentait un risque élevé de biais étant donné l’absence de mise en aveugle du personnel, tandis que, pour 9 études, ce risque n’était pas clair à cause d’un manque d’informations. Dans 10 études, une mise en aveugle suffisante du personnel a apparemment été possible. Cependant, lorsque nous effectuons une vérification dans les études concernées, nous ne voyons pas clairement à quoi exactement cette « mise en aveugle » fait référence. Par conséquent, nous nous demandons même si la mise en aveugle du personnel (et des patients) est vraiment possible compte tenu de la nature de l’intervention. Dans sept études, la mesure des résultats a été effectuée en aveugle, tandis que, dans les autres études, le risque n’était pas clair en raison d’informations manquantes. Une seule étude présentait un risque élevé de biais de notification du fait que les abandons d’étude étaient insuffisamment rapportés.
En raison de l’hétérogénéité clinique en termes d’interventions dans les différentes études et en raison d’une importante hétérogénéité statistique des résultats, les chercheurs ont, à juste titre, utilisé un modèle à effets aléatoires pour la sommation. Des analyses de sous-groupes ont été effectuées pour déterminer l’influence du type de massage, de la durée de l’intervention (≤ 4 semaines contre > 4 semaines) et de la gravité de la démence sur les résultats. Cependant, cela n’a pas produit de résultats statistiquement plus homogènes. Le but était aussi de détecter un biais de notification à l’aide de funnel plots, mais, en raison du petit nombre d’études par critère de jugement, cela n’était probablement pas possible.

 

Discussion des résultats

Les résultats de cette synthèse méthodique avec méta-analyse suggèrent que le massage et le toucher, par comparaison avec la prise en charge habituelle, entraînent une diminution statistiquement significative de l’agitation. On ne sait toutefois pas clairement quelle est la pertinence clinique de cette diminution moyenne de 6 points sur une échelle de 29 à 203. La pertinence clinique de la réduction statistiquement significative de l’agressivité physique, de l’agressivité verbale et des comportements physiques et verbaux inappropriés, par comparaison avec la prise en charge habituelle, est également difficile à interpréter. Les interventions, et probablement aussi la prise en charge habituelle à laquelle les interventions étaient comparées, variaient considérablement d’une étude à l’autre. Une analyse de sous-groupes a montré que le massage de la tête, des mains et des pieds avait un effet différent de celui du massage aromatique (massage aux huiles essentielles). Cependant, pour le massage de la tête et des pieds, les résultats ne proviennent que d’une seule petite étude. D’autre part, nous voyons dans le forest plot que l’absence d’effet du massage aromatique provient de deux études chinoises, dans lesquelles les prestataires étaient soit indéterminés, soit des assistants de recherche. Il ne s’agissait donc pas des prestataires de soins connus des personnes atteintes de démence et ayant reçu une formation supplémentaire. Ce résultat pourrait être lié à l’un des mécanismes sous-jacents possibles d’un effet bénéfique du massage et du toucher, à savoir un échange significatif entre la personne atteinte de démence et le prestataire de soins (7). Une autre explication de l’effet bénéfique du massage et du toucher pourrait être trouvée dans la stimulation somatosensorielle qui conduit à une augmentation de l’ocytocine « calmante » (8). Peut-être que des recherches plus approfondies sur ce sujet apporteront davantage de lumière sur la question. Cependant, les analyses de sous-groupes soulèvent d’autres questions de recherche qui peuvent intéresser davantage le clinicien : l’absence d’effet dans les études avec un suivi de plus de 4 semaines et l’absence de bénéfice de l’intervention chez les personnes atteintes de démence sévère. De plus, aucune diminution de la fréquence et de l’intensité des troubles du comportement n’a été observée. Cela pourrait indiquer que l’effet positif du massage et du toucher sur l’agitation ne persiste pas lorsque cette intervention est interrompue.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Le guide de pratique clinique multidisciplinaire élaboré par le WOREL appelle à des études de meilleure qualité pour examiner l’impact du massage chez les personnes atteintes de démence (1). Le site Internet néerlandophone « Gezondheid en Wetenschap » recommande aux aidants proches d’établir un contact avec la personne atteinte de démence, par exemple avec de la musique ou par le toucher (9).

 

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique avec méta-analyse, qui a été correctement menée d’un point de vue méthodologique, incluant des études randomisées contrôlées (RCTs) présentant différentes sources de biais suggère que des moments quotidiens ou hebdomadaires de massage et de toucher réduisent l’agitation chez les personnes atteintes de démence, par comparaison avec la prise en charge habituelle. Cependant, de nombreuses questions restent sans réponse, par exemple : quelles personnes atteintes de démence bénéficient le plus de ce massage, et quelle forme, quelle intensité et quelle fréquence sont les plus efficaces ?

 

 


Références 

  1. Behavioral and psychological symptoms of dementia. Dynamed via CDLH. Available from: https://www-dynamed-com.gateway2.cdlh.be/condition/behavioral-and-psychological-symptoms-of-dementia
  2. De Coninck L, De Vliegher K, D’hanis G, et al. Guide de pratique clinique pluridisciplinaire relatif à la collaboration dans la dispense de soins aux personnes âgées démentes résidant à domicile et leur aidants proches. WOREL 2017. URL: 
    https://www.worel.be/worel/document?parameters=%7B%22PublicationId%22%3A%220E5D3267-4ACC-4991-AF4C-A7D10114A766%22%7D
  3. De Jonghe M. Approches thérapeutiques non pharmacologiques au domicile pour les symptômes psychiatriques et comportementaux des démences. MinervaF 2014;13(1):6-7
  4. Brodaty H. Arasaratnam B. Meta-analysis of nonpharmacological interventions for neuropsychiatric symptoms of dementia. Am J Psychiatry 2012;169:946-53. DOI: 10.1176/appi.ajp.2012.11101529 
  5. Watt JA, Goodarzi Z, Veroniki AA, et al. Comparative efficacy of interventions for aggressive and agitated behaviors in dementia: a systematic review and network meta-analysis. Ann Intern Med. 2019;171:633-42. DOI: 10.7326/M19-0993
  6. Liu X, Zang L, Lu Q, Zhang Y, Meng Q. Effect of massage and touch on agitation in dementia: a meta-analysis. J Clin Nurs 2025;34:1948-64. DOI: 10.1111/jocn.17674
  7. Bush E. The use of human touch to improve the well-being of older adults. A holistic nursing intervention. J Holist Nurs 2001;19:256-70. DOI: 10.1177/089801010101900306 
  8. Uvnäs-Moberg K. Oxytocin may mediate the benefits of positive social interaction and emotions. Psychoneuroendocrinology 1998;23:819-35. DOI: 10.1016/s0306-4530(98)00056-0
  9. Mantelzorg voor ouderen met dementie. Gezondheid en Wetenschap 01/01/2025.
     



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