Revue d'Evidence-Based Medicine
A quel point les résultats « faux positifs » aux mammographies de dépistage sont-ils anxiogènes ?
Contexte
Toute démarche de dépistage est théoriquement susceptible d’engendrer des effets négatifs (coûts, effets indésirables et/ou surdiagnostic (1)). Alors que l’offre d’un dépistage systématique du cancer du sein par mammographie n’est actuellement plus jugé pertinente (2-4), il est d’autant plus primordial d’en documenter les effets indésirables pour pouvoir informer les patientes adéquatement de la balance bénéfices-risques de cette intervention. Une étude tente d’y répondre partiellement en se penchant sur les conséquences d’un résultat de mammographie de dépistage « faussement positif » en termes d’anxiété et de qualité de vie mesurées.
Résumé
Population étudiée
- critères d’inclusion : ceux de l’étude « DIMST » c-à-d patientes se présentant pour une mammographie de dépistage, et acceptant de subir des mammographies de suivi
- critères d’exclusion : ceux de l’étude « DIMST », c-à-d patientes avec nodule mammaire palpable, écoulement clair ou sanguinolent, antécédents de cancer du sein traités par tumorectomie, implants mammaires ou possibilité d’être enceinte. Pour la sous-étude DIMST QoL, exclusion des patientes chez qui un cancer du sein est diagnostiqué
- 1 226 patientes incluses sur les 1450 invitées à participer, dans 22 institutions aux Etats-Unis. 1028 réellement interviewées sur les 1226 à 12 mois (83,8%). Le groupe FP était statistiquement plus jeune.
Protocole d’étude
- étude prospective de cohorte via enquête téléphonique
- « sous-étude » du protocole DMIST (Digital Mammographic Imaging Screening Trial), dont le but premier était de comparer la précision diagnostique des mammographies digitales versus sur film, appelée DIMST QoL (pour « Quality of Life »)
- séparation des patientes en 2 groupes : un groupe de patientes, choisies aléatoirement, ayant reçu un résultat « faussement positif » (groupe FP) et un autre groupe avec patientes, du même centre et approximativement du même âge (+ ou - 5 ans), ayant reçu un résultat négatif (groupe N)
- 2 enquêtes téléphoniques : la première réalisée peu après la mammographie de dépistage et la seconde approximativement 12 mois plus tard.
Mesure des résultats
- mesure de l’anxiété par le questionnaire STAI-6 (de 20 : peu anxieux, à 80 : fort anxieux) mesure de la qualité de la vie liée à l’état de santé par le questionnaire EQ-5D, définissant un sérié d’états de santé et leur associant une « valeur d’utilité » (de -0,11 la pire, à 1 la meilleure)
- au deuxième contact, questions identiques + questions quant aux intentions de suivre un futur dépistage et quant à la motivation à voyager pour suivre dans le futur un hypothétique test de dépistage susceptible de diminuer le risque de faux positifs
- comparaison des moyennes et proportions par test t et X2 et analyses par régression logistique.
Résultats
- anxiété mesurée (STAI-6) :
- au premier contact : différence entre groupe FP et groupe N qualifiée de statistiquement significative (mais p et IC non fournis)
- entre le premier et le second contact, chute statistiquement significative dans le groupe FP : de - 1,53 (avec IC à 95% de - 2,70 à - 0,35) et diminution modeste et non significative pour le groupe N
- au second contact, plus de différence statistiquement significative (mais p et IC non fournis)
- qualité de vie (EQ-5D) :pas de différence statistiquement significative, ni au premier contact ni après un an ni entre les 2 contacts au sein des 2 groupes
- autres questions au deuxième contact :
- globalement pas de différence entre les 2 groupes sur la motivation à suivre de futures mammographies de dépistage ( 93,4% du groupe N et 93,5% du groupe FP) mais un pourcentage statistiquement plus important de patientes du groupe FP déclare qu’elles feront « plus probablement » le dépistage (25,7% versus 14,2%, p < 0,01) et, en analyse de régression, une mammographie faussement positive doublait l’intention de passer de futures mammographies de dépistage (OR de 2,12 avec IC à 95% de 1,54 à 2,93)
- même proportion de femmes dans les 2 groupes qui voyageraient au moins 4h pour subir un test hypothétique de dépistage avec moins de faux positifs (groupe N : 66,5% et groupe FP : 70,6%)
- dans les 2 groupes, approximativement même proportion de déclarations d’anxiété anticipée en cas de future mammographie avec faux positifs : anxiété modérée à élevée (groupe N : 57,1% et groupe FP : 52,7%) et anxiété extrême (groupe N : 4,1% et groupe FP : 6,3%).
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que les résultats faux positifs de mammographies sont associés à une augmentation mesurable, mais faible et transitoire, de l’anxiété personnelle et ne sont pas associés à une diminution mesurable de l’état de santé mesuré en termes de « valeur d’utilité ». Des résultats faussement positifs augmentaient la motivation des femmes à entreprendre un dépistage futur mais n’augmentaient pas (encore plus) leur motivation à entreprendre un voyage devant leur permettre d’éviter un futur résultat faussement positif. Ces résultats sont pertinents pour le clinicien et les groupes de développement de recommandations de pratique clinique.
Financement
Fonds de l’Institut National du Cancer des USA qui n’a joué aucun rôle dans le déroulement de l’étude.
Conflits d’intérêt
Un des auteurs déclare avoir reçu des honoraires de différentes organisations.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
La question de recherche de cette étude est pertinente. Les critères d’évaluation sont bien centrés sur le patient. La méthodologie est assez simple et doit être analysée en gardant à l’esprit qu’il s’agit bien d’une sous-étude sur une partie de la population d’une étude répondant à d’autres objectifs, d’où peut-être son caractère exclusivement téléphonique et le fait que les questionnaires d’évaluation n’aient pas été posés avant « exposition » (l’annonce d’un résultat positif), ce qui aurait été instructif. Par contre, les deux groupes ne différaient pas statistiquement à l’inclusion en termes de risque du cancer de cancer du sein, de phénotype racial et d’auto-évaluation de la santé (échelle de 1 à 100). La population étudiée est une population de volontaires dont le niveau d’enthousiasme (ou d’anxiété…) vis-à-vis du dépistage est peut-être peu représentatif de la population générale. Comme le reconnaissent les auteurs, la littérature sur les effets psychologiques de l’annonce d’une mammographie faussement positive est déjà bien développée. Ces derniers ont voulu utiliser des instruments de mesure (des questionnaires) plus génériques qui favoriseraient des comparaisons indirectes avec d’autres études (STAI-6) ou une analyse économique ultérieure (“valeur d’utilité”). Ils ont peut-être généré ainsi, comme le soulignent certains commentateurs (5), un problème de sensibilité. STAI-6 mesure l’anxiété générale (et pas celle reliée à une maladie en particulier) et pour EQ-5D, il comprend 5 items dont 4 sont attendus comme non sensibles à l’annonce d’un résultat faussement positif (mobilité, douleur, capacité à se soigner et à assurer des activités générales). Le calcul de l’indice de “valeur d’utilité” au départ du questionnaire EQ-5D nous semble complexe et les auteurs signalent avoir utilisé une pondération avec des références venues des USA, sans que l’on sache si elles sont bien transposables à notre contexte.
Mise en perspective des résultats
La pertinence clinique de la question est renforcée par la grande fréquence des résultats faussement positifs. Si cette fréquence varie notamment en fonction de la prévalence du cancer du sein dans la population dans laquelle est pratiqué le dépistage (voir article de méthodologie dans ce numéro), certains auteurs l’évaluent, en termes d’incidence cumulative sur 10 ans, à 61% (6). La faible ampleur d’effet mesurée dans cette étude pourrait s’interpréter par un manque de sensibilité des instruments de mesure (questionnaires) utilisés (cf. discussions sur la méthodologie). Cela pourrait aussi indiquer que ce ne serait pas tellement le fait d’être soumises à un résultat “faux positif” qui serait anxiogène pour les patientes mais plutôt d’être exposées à l’idée du cancer du sein et/ou le fait de s’engager dans un processus de dépistage. Ou alors, le bénéfice escompté du dépistage pourrait être surestimé. Pour rappel, la motivation à voyager plus de 4h pour recevoir au prochain dépistage un hypothétique test plus performant était massive et partagée par toutes les patientes, résultats faux positifs ou pas. Dans cette étude, 229 des 488 premiers contacts ont en fait été réalisés hors « fenêtre active de suivi », c-à-d après l’annonce des résultats de diagnostics définitifs (en théorie « rassurants » pour les patientes). Les valeurs p et les IC pour les différences de résultats sur les questionnaires STAI-5 et EQ-5D entre les groupes N et FP lors de chaque enquête téléphonique sont discutés mais ne sont pas fournis.
Conclusion de Minerva
Cette étude, aux limites méthodologiques certaines, ne montre pas de différence statistiquement significative en termes d’anxiété générale et de qualité de vie, un an après l’annonce des résultats de dépistage entre les patientes ayant reçu un résultat faussement positif et celles ayant reçu un résultat négatif. Le niveau d’anxiété générale dans le groupe ayant reçu un résultat faussement positif était peut-être légèrement et transitoirement plus élevé. L’importance relative de l’annonce d’un résultat faux positif dans l’anxiété globale liée au dépistage reste à préciser.
Pour la pratique
Le dépistage systématique du cancer du sein par mammographie, bien que discuté, voire jugé non pertinent (2-4), reste recommandé, en Belgique, tous les 2 ans pour les femmes de 50 à 69 ans (7). Prendre en compte l’anxiété liée au dépistage, notamment celle potentiellement liée à l’existence de faux positifs, reste un challenge. L’information des patientes en vue d’une décision partagée est primordiale et pourrait être facilitée par différents outils didactiques, dont ceux mis à la disposition des médecins généralistes par le KCE par exemple (8).
Références
- Michiels B. Surdiagnostic. [Editorial] MinervaF 2013;12(8):92.
- Lemiengre M. Incertitude croissante quant à l’utilité du dépistage du cancer du sein. Minerva online 15/07/2014.
- Miller AB, Wall C, Baines CJ, et al. Twenty five year follow-up for breast cancer incidence and mortality of the Canadian National Breast Screening Study: randomised screening trial. BMJ 2014;348:g366.
- Poelman T. Le programme actuel de dépistage du cancer du sein a-t-il encore un avenir ? [Editorial] MinervaF 2014; 13(6):66.
- Kroenke K. Are the harms of false-positive screening test results minimal or meaningful ? JAMA Intern Med 2014;174:961-3.
- Hubbard RA, Kerlikowske K, Flowers CI, et al. Cumulative probability of false-positive recall or biopsy recommendation after 10 years of screening mammography : a cohort study. Ann Intern Med 2011;155:481-92.
- European Breast Cancer Network (EBCN) Coordination Office. European guidelines for quality assurance in breast cancer screening and diagnosis. Fourth edition 2006.
- Kohn L, Mambourg F, Robays J, et al. Informed choice on breast cancer screening: messages to support informed decision. Good Clinical Practice (GCP). Brussels: Belgian Health Care Knowledge Centre (KCE). 2014. KCE Reports 216. D/2014/10.273/03. https://kce.fgov.be/sites/default/files/page_documents/KCE_Cancer_sein_40-49.pdf ; https://kce.fgov.be/sites/default/files/page_documents/KCE_Cancer_sein_50-59.pdf ; https://kce.fgov.be/sites/default/files/page_documents/KCE_Cancer_sein_60-69.pdf ; https://kce.fgov.be/sites/default/files/page_documents/KCE_Cancer_sein_70-79.pdf
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