Analyse
Incertitude croissante quant à l’utilité du dépistage du cancer du sein
15 07 2014
Professions de santé
Texte sous la responsabilité de la rédaction néerlandophone
La revue Minerva a déjà plusieurs fois commenté des résultats du dépistage du cancer du sein par mammographie sur la mortalité. Nous constatons que l’incertitude concernant l’efficacité augmente avec le nombre d’études publiées (1). En 2010, une étude de cohorte de bonne qualité méthodologique avec correction pour tenir compte des facteurs de confusion importants (tendances en termes de mortalité, amélioration des traitements, sensibilisation à la pathologie du sein) avait montré qu’un programme de dépistage par mammographie tous les deux ans entraîne une diminution de la mortalité par cancer du sein chez les femmes âgées de 50 à 69 ans (2). Cependant, la part de l’effet qui pourrait être attribuée au dépistage lui-même ne serait que d’un tiers (2,4 décès par 100 000 personnes-années) (2,3). En 2011, une étude clinique randomisée avait montré que la mammographie de dépistage, sur le long terme entraîne une diminution de 30 % de la mortalité par cancer du sein chez les femmes de 40 à 75 ans (4). Ces résultats n’avaient toutefois pas permis de déterminer quels groupes de femmes tireraient le meilleur profit du dépistage (4,5). Des chercheurs canadiens ont fait remarquer qu’un déséquilibre dans la randomisation avait certainement grossi les différences (6). En ce qui concerne le bénéfice net, une étude de cohorte a montré que, chez les femmes de plus de 40 ans, le dépistage par mammographie n’a qu’une influence limitée sur la mortalité par cancer du sein et n’a pour ainsi dire aucune influence sur l’incidence du cancer du sein à un stade avancé (7) au prix d’un surdiagnostic de l’ordre de 30 % (7,8).
Une mise à jour d’une synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration publiée en 2013 (9) (N = 7 ; n = 600 000 femmes âgées de 39 à 74 ans) a retenu 3 études cliniques randomisées avec randomisation adéquate qui, après un dépistage sur 13 ans, n’a montré aucun effet significatif sur la mortalité liée au cancer du sein (RR 0,90 avec IC à 95 % de 0,79 à 1,02). Quatre études cliniques randomisées avec randomisation sous-optimale ont cependant montré une diminution significative de la mortalité liée au cancer du sein (RR 0,75 avec IC à 95 % de 0,67 à 0,83). Les auteurs concluaient que concrètement, cela signifie que pour 2 000 femmes chez qui un dépistage est effectué sur une période de dix ans, une femme ne mourra pas de cancer du sein, alors que 10 femmes en bonne santé seront traitées inutilement. En outre, 200 femmes seront soumises à un stress psychologique (anxiété et incertitude) pendant des années suite à un résultat faussement positif (9,10).
En 2014, Miller publie les résultats d’une étude de suivi randomisée de dépistage débutée en 1980 dans laquelle 89.835 femmes de 40 à 59 ans ont été randomisées en deux bras d’étude, l’un avec examen physique et mammographie chaque année et l’autre avec examen physique seul chaque année (6). Après cinq ans de suivi par dépistage par mammographie, une tumeur invasive avait été diagnostiquée chez 666 femmes du bras mammographie et chez 524 femmes du groupe témoin. Après 25 ans de suivi sans mammographie, la mortalité spécifique du cancer du sein présente un OR de 1,05 (avec IC à 95 % de 0,85 à 1,30) sans différence entre les tranches d’âge 40 à 49 ans et 50 à 59 ans. La mortalité totale était identique dans les deux groupes (10,6 %). Le nombre de surdiagnostics dans le groupe mammographie systématique est ici aussi problématique puisque les auteurs ont calculé un taux de surdiagnostic dans le groupe dépistage par mammographie égal à 22 %, même si ce résultat est inférieur à celui obtenu dans l’étude de cohorte américaine (7,8). La question demeure de savoir si l’on peut comparer les résultats du dépistage annuel pendant cinq ans et ceux du dépistage effectué tous les deux ans. Ces résultats questionnent encore un peu plus la décision prise par le KCE en 2005 selon laquelle les arguments n’étaient pas suffisants pour reconsidérer le dépistage par mammographie tous les deux ans (11). Le KCE a cependant récemment développé un certain nombre d’outils que les médecins généralistes peuvent utiliser pour faciliter la communication avec les femmes qui souhaitent plus d’informations sur le dépistage du cancer du sein (12).
Conclusion
Le dépistage du cancer du sein par mammographie a été instauré en se fondant sur l’hypothèse qu’au plus une maladie était prise tôt dans son évolution, au plus la survie allait d’office être améliorée. Malheureusement, les résultats provenant des différentes études ne rencontrent pas nos espoirs. Ceux-ci ne nous permettent plus d’affirmer que, dans les pays disposant de soins de santé accessibles et d’un niveau technologique élevé, le dépistage systématique du cancer du sein représente un bénéfice pour la santé. Il entraîne même une diminution de la qualité de vie pour un vaste groupe de patientes. Tant que le programme reste d’actualité, le médecin présentera aux patientes une information détaillée et claire de la balance bénéfice-risque du dépistage du cancer du sein par mammographie afin qu’elles puissent prendre une décision éclairée.
Références
- Poelman T. Le programme actuel de dépistage du cancer du sein a-t-il encore un avenir ? [Editorial] MinervaF 2014;13(6):66.
- Kalager M, Zelen M, Langmark F, Adami HO. Effect of screening mammography on breast-cancer mortality in Norway. N Engl J Med 2010;363:1203-10.
- Garmyn B. Mammographie bisannuelle : mortalité par cancer du sein réduite ? MinervaF 2011;10(4):41-2.
- Tabár L, Vitak B, Chen TH, et al. Swedish two-county trial: impact of mammographic screening on breast cancer mortality during 3 decades. Radiology 2011;260:658-63.
- Garmyn B. Quelle est l’efficacité d’un dépistage du cancer du sein à long terme (29 ans) ? MinervaF 2012;11(3);30-1.
- Miller AB, Wall C, Baines CJ, et al. Twenty five year follow-up for breast cancer incidence and mortality of the Canadian National Breast Screening Study: randomised screening trial. BMJ 2014;348:g366.
- Bleyer A, Welch HG. Effect of three decades of screening mammography on breast-cancer incidence. N Engl J Med 2012;367:1998-2005.
- La Rédaction Minerva. 30 ans de dépistage du cancer du sein par mammographie aux E-U : au mieux un faible impact sur la mortalité par cancer du sein chez les femmes de plus de 40 ans. Minerva online 28/03/2013.
- Gøtzsche PC, Jørgensen KJ. Screening for breast cancer with mammography. Cochrane Database Syst Rev 2013, Issue 6.
- Michiels B. Dépistage du cancer du sein par mammographie. Minerva online 15/03/2014.
- Paulus D, Mambourg F, Bonneux L. Dépistage du cancer du sein. Bruxelles : Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE); 2005 avril. KCE Reports vol. 11B.
- Kohn L, Mambourg F, Robays J, Albertijn M, Janssens J, Hoefnagels K, Ronsmans M, Jonckheer P. Informed choice on breast cancer screening: messages to support informed decision. Good Clinical Practice (GCP). Brussels: Belgian Health Care Knowledge Centre (KCE). 2014. KCE Reports 216. D/2014/10.273/03.
Auteurs
Lemiengre M.
Huisartsenpraktijk De Wijngaard Roeselare; Vakgroep Huisartsgeneeskunde en Eerstelijnsgezondheidszorg, UGent
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