Revue d'Evidence-Based Medicine
Quelle est l’efficacité d’un dépistage du cancer du sein à long terme (29 ans) ?
Contexte
L’étude Swedish Two-County Trial a été la première RCT à montrer une diminution de la mortalité par cancer du sein après 7 ans pour des femmes âgées de 40 à 74 ans invitées pour une mammographie de dépistage (1). Cette nouvelle publication analyse les résultats de cette étude après une période de 29 ans.
Résumé
Population étudiée
- 134 867 femmes âgées de 40 à 75 ans, recrutées dans 2 régions suédoises, le Dalarna (précédemment appelé le Kopparberg) et l’Östergötland
- exclusion des femmes avec antécédent de cancer du sein.
Protocole d’étude
- étude randomisée en grappes, stratifiée, contrôlée
- 45 « grappes » géographiques ; stratification selon le status socio-économique
- groupe de dépistage (n = 77 080 femmes) : invitation pour mammographie non en double lecture, avec intervalles moyens de 24 mois pour les femmes âgées de 40 à 49 ans et de 33 mois pour les femmes âgées de 50 à 74 ans
- groupe contrôle (n = 55 985 femmes) : soins courants
- durée de l’intervention (dépistage) : 7 ans.
Mesure des résultats
- différence de mortalité par cancer du sein entre le groupe de femmes invitées pour un dépistage (groupe dépistage) et le groupe contrôle après 29 ans de suivi
- adjudication des décès par cancer du sein par le Local Trial End Point Committee mais aussi par le Swedish Overview Committee.
Résultats
- nombre de cancers du sein et de décès par cancer du sein (avec incidence) : voir tableau
- différence de mortalité par cancer du sein entre le groupe dépistage et le groupe contrôle :
- sur base des données du Local Trial End Point Committee : RR de 0,69 (IC à 95% de 0,56 à 0,84 ; p<0,0001) ; gain de 42 années de vie par 1 000 personnes invitées pour un dépistage ; Nombre Nécessaire à Dépister (NND) par mammographie de 414 femmes, soit 1 334 mammographies durant 7 ans
- sur base des données du Swedish Overview Committee : RR de 0,73 (IC à 95% de 0,59 à 0,89 ; p=0,002) ; gain de 34 années de vie par 1 000 femmes invitées ; NND par mammographie de 519 femmes, soit 1 677 mammographies durant 7 ans.
Tableau. Nombre de cas de cancers du sein et de décès liés à celui-ci (avec incidence) dans les groupes dépistage et contrôle ; données du Local Trial End Point Committee et données du Swedish Overview Committee.
Données du |
Groupe (nombre de femmes) |
Nombre de cancers du sein |
Nombre de décès par cancer du sein |
Local Trial End Point Committee |
Groupe dépistage (n=77 080) |
1 426 (1,85%) |
351 (0,45%) |
Groupe contrôle (n=55 985) |
1 042 (1,86%) |
367 (0,65%) |
|
Swedish Overview Committee |
Groupe dépistage (n=77 080) |
1 439 (1,86%) |
339 (0,44%) |
Groupe contrôle (n=55 985) |
1 049 (1,87%) |
339 (0,60%) |
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent qu’une invitation pour une mammographie de dépistage apporte une forte diminution significative de la mortalité liée au cancer du sein. Une évaluation de l’impact global du dépistage, en particulier l’estimation du bénéfice absolu et du nombre nécessaire à dépister exige un suivi de plus de 20 ans en raison d’un constat d’un nombre de décès liés au cancer pouvant être évités augmentant avec le temps.
Financement de l’étude
Swedish National Board of Healthcare
Conflits d’intérêt des auteurs
aucun n’est mentionné ; certains des auteurs sont professionnellement concernés dans l’organisation du dépistage du cancer du sein.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
D’importantes discussions ont précédemment déjà été menées concernant le processus de randomisation dans les RCTs concernant le dépistage du cancer du sein. La première synthèse méthodique de Olsen pour la Cochrane Collaboration ne prenait pas en considération les données initiales de la RCT discutée ici, en le justifiant par un manque de clarté dans le processus de randomisation et les incertitudes quant à la similitude des groupes intervention et contrôle (2). Suite à de vives critiques émises par le banc épidémiologique, Gøtzsche a repris les données de cette RCT dans sa mise à jour de la synthèse Cochrane.
La fiabilité des données concernant les décès est un problème important dans ce type d’étude. Il n’est pas toujours simple de déterminer la cause exacte d’un décès, certainement en cas de comorbidité. La complexité de cette attribution est illustrée dans cette étude : deux résultats différents sont donnés en fonction de la méthodologie choisie pour cette détermination. Le Local Trial End Point Committee, comité de la région étudiée, constitué de médecins radiologues, chirurgiens, oncologues et anatomopathologistes a utilisé les données patients mentionnées dans les dossiers et les données d’autopsie pour déterminer selon des directives strictes la cause du décès. Pour le Swedish Overview Committee qui couvre l’ensemble des régions de Suède, ce sont les données du registre national du cancer qui ont été utilisées avec différents critères d’inclusion ou d’exclusion pour le décès par cancer du sein. Le nombre de décès finalement attribués au cancer du sein est donc différent pour les 2 groupes d’évaluateurs. Après concertation (3), ils sont arrivés à un consensus ce qui ramène les différences à moins de 10%.
Mise en perspective des résultats
Nous avons récemment analysé (4), une étude norvégienne (5) évaluant l’efficacité d’un dépistage bisannuel du cancer du sein. Après 10 ans de suivi, les auteurs de cette étude observent une diminution des décès liés à cette pathologie de 28%. Suivant les auteurs, 2/3 de la réduction de la mortalité est à attribuer à des facteurs confondants tels que l’augmentation de la conscience d’une nécessité de surveillance, de meilleures techniques diagnostiques, une meilleur stadification, une amélioration des traitements en équipes multidisciplinaires et des chimiothérapies plus performantes. Une récente méta-analyse des programmes de dépistage en cours montre que l’ampleur d’effet dans des études d’observation se situe dans une marge de 16% à 36%. Un tiers de cette réduction de mortalité serait, selon les chercheurs, attribuable aux progrès de la chimiothérapie adjuvante (6).
L’étude suédoise Two-County Trial que nous analysons ici est, parmi les RCTs originales, celle qui possède le suivi le plus long. Le rapport original montrait, après 7 ans, une réduction de mortalité de 30% (1). Cette publication plus récente montre que ce bénéfice est maintenu durant un suivi de 29 ans post randomisation. Cette réduction relative de mortalité peut être exprimée par un gain de 34 jusqu’à 42 années de vie par 1 000 femmes invitées pour un dépistage pendant 7 ans. Suivant les auteurs, ces résultats sous-estiment encore la performance réelle d’un dépistage par mammographie en raison de l’absence de correction pour le dépistage a pour but de permettre le diagnostic d’une affection avant qu’elle ne soit symptomatique. Le délai entre le moment du diagnostic par dépistage et les premiers symptômes est appelé temps d’avance au diagnostic (lead time) ; il peut être calculé par la détermination de l’incidence de nouvelles lésions découvertes lors d’épisodes de dépistage successifs. Sans tenir compte de ce délai (à rajouter au temps de survie dans le groupe contrôle), un biais est introduit dans la comparaison groupe dépisté versus groupe contrôle.">biais du temps d’avance au diagnostic. La plupart des décès par cancer évités étaient en effet des décès liés à des tumeurs qui ne seraient devenues cliniquement significatives que 10 ans plus tard. Ce gain est notoirement plus élevé que dans d’autres études. Une mise à jour récente de la synthèse méthodique de Gotzsche pour la Cochrane (7) reprend 7 RCTs sur le dépistage du cancer du sein. Elle montre qu’une invitation pour mammographie de dépistage dans la tranche d’âge 40-70 ans diminue la mortalité liée à ce cancer de 15% à 20%. Cette différence d’ampleur de résultat versus la Two-County Trial peut être liée à une différence entre protocoles d’étude mais peut aussi être attribuée aux différences dans les processus globaux de prise en charge. Ce n’est effectivement pas la mammographie en elle-même qui détermine les chances de survie mais bien le traitement et le suivi après le diagnostic (précoce).
Il est dommage que les chercheurs de la Two-County Trial n’aient pas détaillé leurs données par tranches d’âge. Différentes synthèses méthodiques (7,8) ont montré une moindre efficacité chez des femmes <50 ans. L’intervalle entre dépistages est également plus important dans d’autres études : 24 mois pour le groupe 40-49 ans et 33 mois pour le groupe 50-74. Il est donc difficile d’extrapoler les résultats au dépistage organisé en Belgique avec un intervalle de 24 mois dans le groupe d’âge 50 à 70 ans.
L’incidence de cancer du sein est, dans cette Two-County Trial, similaire dans le groupe dépistage (0,0185) et dans le groupe contrôle (0,0186). La proportion de surdiagnostics (12%) est estimée par les auteurs à la moitié des décès par cancer du sein (9). Elle ne représente qu’une fraction faible du nombre de cancers du sein mis en évidence. Cette proportion est faible pour un programme ne pratiquant pas la double lecture, avec donc une spécificité plus basse que celle des programmes actuels. Ce problème du surdiagnostic semble avoir été minimisé par les auteurs de cette recherche. Des synthèses méthodiques (7,10) montrent qu’une tumeur sur 3 découvertes lors d’un dépistage ne deviendrait jamais cliniquement significative. La façon de calculer un surdiagnostic dans la Two-County Trial constitue à nouveau matière à discussions méthodologiques.
Conclusion de Minerva
Les résultats de cette RCT montrent qu’une mammographie de dépistage apporte à long terme une diminution de la mortalité par cancer du sein chez des femmes âgées de 40 à 75 ans. Il n’est cependant pas possible, sur base de ces résultats, de préciser pour quelle(s) tranche(s) d’âge ce dépistage est le plus intéressant. De plus le bénéfice net de la mammographie de dépistage est difficile à isoler en raison du rôle joué dans cette diminution de mortalité par d’autres éléments comme le traitement et le post-traitement.
Pour la pratique
La plupart des guides de pratique recommandent un dépistage généralisé du cancer du sein chez les femmes âgées de 50 à 69 ans (11,12). Le bénéfice d’un dépistage du cancer du sein doit être mis en balance avec le risque de résultats d’examen faussement positifs avec, comme conséquences, des examens complémentaires (inutiles et coûteux) et une grande inquiétude, avec le risque de faux négatifs (cancers d’intervalle) et avec le risque lié à l’irradiation de la mammographie de dépistage (11,12). Les données à plus long terme de l’étude Two-County Trial (29 ans) confirment un gain en termes de mortalité observé dans la publication initiale (7 ans) mais n’apportent pas d’éléments neufs par rapport aux recommandations actuelles.
Références
- Tabár L, Fagerberg CJ, Gad A, et al. Reduction in mortality from breast cancer after mass screening with mammography. Randomised trial from the Breast Cancer Screening Working Group of the Swedish National Board of Health and Welfare. Lancet 1985;1:829-32.
- Olsen O, Gøtzsche PC. Screening for breast cancer with mammography. Cochrane Database Syst Rev 2001, Issue 4.
- Holmberg L, Duffy SW, Yen AM, et al. Differences in endpoints between the Swedish W-E (two county) trial of mammographic screening and the Swedish overview: methodological consequences. J Med Screen 2009;16:73-80.
- Garmyn B. Mammographie bisannuelle : mortalité par cancer du sein réduite ? MinervaF 2011;10(4):41-2.
- Kalager M, Zelen M, Langmark F, Adami HO. Effect of screening mammography on breast-cancer mortality in Norway. N Engl J Med 2010;363:1203-10.
- Schopper D, de Wolf C. How effective are breast cancer screening programmes by mammography? Review of the current evidence. Eur J Cancer 2009;45:1916-23.
- Gøtzsche PC, Nielsen M. Screening for breast cancer with mammography. Cochrane Database Syst Rev 2011, Issue 1.
- Nelson HD, Tyne K, Naik A, et al; U.S. Preventive Services Task Force. Screening for breast cancer: an update for the U.S. Preventive Services Task Force. Ann Intern Med 2009;151:727-37.
- Duffy SW, Tabar L, Olsen AH, et al. Absolute numbers of lives saved and overdiagnosis in breast cancer screening, from a randomized trial and from the Breast Screening Programme in England. J Med Screen 2010;17:25-30.
- Jørgensen KJ, Gøtzsche PC. Overdiagnosis in publicly organised mammography screening programmes: systematic review of incidence trends. BMJ 2009;339:b2587.
- Garmyn B, Govaerts F, Van de Vyver N, et al. Aanbeveling voor goede medische praktijkvoering: Borstkankerscreening. Huisarts Nu 2008;37:2-27.
- Paulus D, Mambourg F, Bonneux Luc . Dépistage du cancer du sein . Bruxelles : Centre Fédéral d'Expertise des Soins de Santé (KCE) ; 2005 avril. KCE Reports vol. 11B. Ref. D/2005/10.273/06.
Ajoutez un commentaire
Commentaires