Revue d'Evidence-Based Medicine



Quels risques cérébrovasculaires en cas de sténose carotidienne asymptomatique progressant jusqu’à l’occlusion ?



Minerva 2016 Volume 15 Numéro 5 Page 126 - 129

Professions de santé


Analyse de
Yang C, Bogiatsi C, Spence JD. Risk of stroke at the time of carotid occlusion. JAMA Neurol 2015;72:1261-7.


Question clinique
Chez des adultes présentant, malgré un traitement médical intensif, une occlusion carotidienne dans l’évolution d’une sténose asymptomatique, quel est le risque consécutif à cette occlusion en termes d’AVC ou d’AIT ipsilatéral et de décès ? Quels sont les facteurs prédictifs de ces incidents ?


Conclusion
Cette étude d’observation rétrospective avec de sérieuses limites méthodologiques, montre que, chez des patients présentant une sténose carotidienne asymptomatique sous traitement médical (intensif), le risque de survenue d’un AVC ipsilatéral ou d’un décès secondaire à l’occlusion carotidienne est faible. La prévention de l’occlusion carotidienne n’est donc probablement pas une indication valable d’endartériectomie ou de stenting. Les facteurs prédictifs de la survenue de ces événements seraient par contre l’âge, le sexe masculin et la surface totale des plaques.


Contexte

Deux études (ACAS (1), ACST (2-5) ont précédemment montré l’intérêt d’une endartériectomie en cas de sténose carotidienne asymptomatique, avec une diminution significative du risque relatif d’AVC ipsilatéral de 50% sur 5 ans, cette diminution n’étant cependant que de 0,5 à 1% par an en valeur absolue. En pratique clinique, le traitement médical a, ces 15 dernières années, évolué et comporte une prescription nettement plus fréquente de statines, d’antiagrégants ou anticoagulants, et un contrôle plus rigoureux de la pression artérielle, ainsi que des conseils en termes de mesures d’hygiène de vie adéquates (activité physique, régime alimentaire). En 2013, une étude longitudinale (6) avait montré que chez des patients présentant une sténose carotidienne asymptomatique et placés sous traitement médical optimal, le risque d’AVC ipsilatéral devenait inférieur à 1% par an. Une endartériectomie ou un stenting carotidien reste cependant fréquemment proposé(e) à ces patients dans l’objectif d’éviter une occlusion carotidienne, évolution généralement perçue comme à risque important de provoquer un AVC ipsilatéral. Cette étude rétrospective vise à déterminer le risque réel lié à la progression d’une sténose carotidienne asymptomatique jusqu’à une occlusion.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • recrutement à partir d’une base de données de 3681 patients suivis par écho-Doppler annuel dans une clinique de prévention de l’AVC, au Canada, du 1ier janvier 1990 au 31 décembre 2012 (dernier suivi en date du 26 août 2014)
  • critères d’inclusion : patients avec occlusion carotidienne « de novo » (qui n’en présentaient pas jusqu’à 18 mois auparavant à l’écho-Doppler des artères carotides) ; la date du premier écho-Doppler montrant l’occlusion est retenue comme date de l’occlusion indice ; seuls les patients asymptomatiques dans les 18 mois avant l’occlusion indice sont éligibles
  • critères d’exclusion : patients devenus symptomatiques avant l’occlusion et ayant bénéficié d’une intervention carotidienne (pour ce motif)
  • inclusion finale de 316 patients (8,6% de la population totale suivie dans la clinique) ; âge moyen de 66,4 ans ; 71,2% d’hommes ; 77,8% avec une hypertension artérielle ; 68,4% avec une hyperlipidémie ; 10 patients avec une occlusion carotidienne asymptomatique controlatérale préexistante
  • durée moyenne du suivi de 2,56 ans.

 

Protocole d’étude

Etude de cohorte rétrospective

  • les patients étaient suivis en routine, d’un point de vue clinique et par écho-doppler annuel des artères carotides, dans 2 cliniques spécialisées en prévention de l’AVC
  • traitements utilisés : conseils d’hygiène de vie (arrêt du tabagisme, régime méditerranéen, réduction calorique, activité physique régulière, ..), antihypertenseurs, statines jusqu’à la dose maximale tolérée (+ ézétimibe), aspirine (+ clopidogrel), anticoagulation si FA ou autre pathologie cardioemboligène, suivi en clinique si diabète ; l’intensité du traitement médical a été renforcée depuis 2002-2003, intensification basée sur la mesure des plaques d’athérome
  • l’analyse du risque de survenue d’un AVC au moment de l’occlusion indice a été réalisée rétrospectivement ; les résultats cliniques ont été extraits du dossier médical de l’hôpital, ou, en cas de données manquantes, par contact avec le médecin généraliste, ou si celui-ci ne pratiquait plus, en contactant un membre de la famille du patient
  • l’échographie-doppler permet de détecter et quantifier les lésions sténosantes carotidiennes dont l'écho structure est appréhendée par échographie et dont l'effet hémodynamique est quantifié par effet Doppler selon des critères vélocimétriques obtenus au site de la sténose ou en aval de celle-ci, critères définis lors de l’étude ACST
  • l’évaluation de la surface des plaques athéromateuses a été obtenue par ultrasonographie à haute résolution ; la surface totale des plaques est la somme des sections transversales de toutes les plaques situées entre la clavicule et l’angle de la mâchoire ; la plaque est définie comme un épaississement local de l’intima de minimum 1 mm
  • l’analyse de survie est obtenue par la méthode de Kaplan-Meier ou par un modèle de hasards proportionnels de Cox, selon que les analyses sont univariées ou multivariées (prenant en compte comme covariables l’âge, le sexe, le diabète, le degré de sténose, l’occlusion controlatérale et la surface totale des plaques).

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : critère composite incluant AVC ou AIT ipsilatéral ou décès lié à un AVC ipsilatéral ou de cause indéterminée
  • critère de jugement secondaire : critère composite incluant AVC ipsilatéral, décès lié à un AVC ipsilatéral ou décès de cause indéterminée.

 

Résultats

  • sur les 3681 patients inclus, 316 vont développer une occlusion durant le suivi (occlusion indice), dont 254 avant 2002, 39 entre 2002 et 2007, et 7 après 2010 (p < 0,001)
  • 1 seul patient (0,32%) a présenté un AVC ipsilatéral au moment de l’occlusion ; 3 patients (0,9%) ont présenté un AVC ipsilatéral pendant le suivi
  • 71 patients sont décédés, dont 1 seul décès (1,4%) confirmé comme lié à un AVC, et 16 décès (22,5%) de cause indéterminée
  • facteurs prédictifs de la survenue des critères de jugement sur base de la méthode d’analyse de Kaplan-Meier : ni le degré de sténose de l’artère indice avant l’occlusion de novo, ni une occlusion antérieure de l’artère carotide controlatérale ne prédisait la survie sans AVC ni AIT ipsilatéral
  • selon le modèle de hasards proportionnels de Cox, les seuls facteurs significativement prédictifs sont l’âge (p = 0,02), le sexe masculin (p = 0,01) et la surface totale des plaques (p = 0,006).  

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les risques liés à la progression jusqu’à l’occlusion carotidienne sont largement inférieurs au risque de l’endartériectomie ou du stenting carotidien et ont drastiquement diminué depuis l’instauration d’un traitement médical plus intensif. La prévention de l’occlusion carotidienne n’est donc pas une indication valable de stenting.

 

Financement de l’étude

L’auteur principal déclare avoir reçu une bourse d’étude du Canadian Stroke Network of the Canadian Institutes of Health Research, sans aucun rôle sur le déroulement, la publication de l’étude.

 

Conflits d’intérêts des auteurs

Aucun n’est déclaré.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette étude d’observation est rétrospective et elle illustre les limites de ce type d’étude. Les résultats dépendent de la qualité de l’enregistrement des données et celui-ci n’a pas été standardisé dans le protocole de l’étude, comme il le serait dans une étude prospective. L’utilisation de l’écho-doppler et ses caractéristiques techniques n’est pas sans influence possible sur les résultats observés, tant les capacités techniques délimitent les possibilités d’imagerie (7). Ces techniques sont correctement décrites et toutes les imageries n’ont été effectuées que dans 2 centres de référence, ce qui limite certains biais de mesure. L’interprétation des images est opérateur dépendant. Les méthodes d’analyse sont bien décrites. Les résultats sont cependant présentés d’une manière peu conventionnelle : un critère de jugement composite est prédéfini mais les résultats s’appliquent à 2 composantes de façon individuelle (AVC ipsilatéral et nombre de décès). Certaines limites sont à relever : les imageries cérébrales n’ont pas été effectuées de manière systématique, passant sous silence tous les infarcissements sub-cliniques, mais cela permet peut-être une interprétation plus pragmatique des résultats. Les résultats ne concernent que les patients suivis au sein des institutions participantes et les auteurs reconnaissent que si les patients sont allés dans un autre centre de soins, les données n’ont pas été récoltées, donc incorporées. Concernant la récolte des données, même si on doit reconnaître que la procédure mise en place par les auteurs (données enregistrées, ou demande de renseignement auprès du médecin généraliste en charge du patient, ou auprès de la famille) se veut exhaustive, ne peut être comparable à l’enregistrement des résultats dans une étude prospective avec un protocole correctement rédigé. Les possibilités du traitement médical d’une sténose carotidienne et l’intensité de ce traitement ont évolué durant la période concernée par cette étude (de 1990 à 2012), avec, signalent les auteurs, un tournant important vers 2002-2003. Ils font référence à une pratique mise en place au sein des centres de soins concernés par cette étude, qu’ils avaient décrite dans une publication précédente (8). Mais le recours à la niacine, l’ézétimibe et aux fibrates par exemple ne peut être considéré comme étant une pratique en adéquation parfaite avec les recommandations, et donc généralisée dans toutes les pratiques médicales (9). Les résultats montrent clairement qu’une forte majorité des incidents enregistrés (80,4%) lors de l’occlusion artérielle a eu lieu avant la mise en place d’un traitement médical plus intensif, la fréquence de ces incidents diminuant significativement par quartile des années d’observation.

 

Mise en perspective des résultats

Cette étude montre chez des patients asymptomatiques une moindre progression vers une occlusion depuis l’instauration d’un traitement médical intensif (en 2002 - 2003) et un faible risque d’AVC quand ces patients développent une occlusion carotidienne. Ceci avait déjà été montré par Hirt (10) dans l’étude ACST. Parmi 1469 patients traités médicalement, 82 ont progressé vers une occlusion asymptomatique et 12 vers une occlusion symptomatique, dont seulement 1 seul cas d’AVC. Naylor (11) et al. avaient également analysé les conséquences d’une occlusion de novo dans l’étude ACST et il avait conclu que, pour chaque tranche de 700 patients présentant une sténose asymptomatique de 70 à 90% traités médicalement, chaque année, 7 vont présenter une occlusion de leur carotide, mais que seul 1 patient va développer un AVC ipsilatéral. Soulignons que les patients devenus symptomatiques avant l’occlusion et ayant bénéficié d’une intervention carotidienne pour ce motif n’ont pas été inclus de cette étude-ci. Les auteurs n’ont pas mentionné le nombre de ces patients. Une autre étude publiée en 2013 (6) avait cependant montré un risque annuel d’AVC ipsilatéral dans cette population inférieur à 1%.

Cette étude n’était pas comparative et ne permet pas de se prononcer quant à l’intérêt du seul traitement médical intensif en cas de sténose carotidienne (asymptomatique) versus ajout d’une intervention (endartériectomie, stenting). Une étude (CREST-2, Carotid Revascularization and Medical Management for Asymptomatic Carotid Stenosis Trial) dans ce domaine est en cours (12), évaluant l’intérêt respectif de 2 techniques de revascularisation (endartériectomie et stenting avec dispositif de protection d’emboles) en plus du traitement médical intensif versus le traitement médical intensif seul.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude d’observation rétrospective avec de sérieuses limites méthodologiques, montre que, chez des patients présentant une sténose carotidienne asymptomatique sous traitement médical (intensif), le risque de survenue d’un AVC ipsilatéral ou d’un décès secondaire à l’occlusion carotidienne est faible. La prévention de l’occlusion carotidienne n’est donc probablement pas une indication valable d’endartériectomie ou de stenting. Les facteurs prédictifs de la survenue de ces événements seraient par contre l’âge, le sexe masculin et la surface totale des plaques.  

 

Pour la pratique

Le traitement de base d’une sténose carotidienne asymptomatique est médical, avec comme piliers des mesures d’hygiène de vie et un traitement médicamenteux intensif (avec antihypertenseurs, statines, antiagrégants et anticoagulation en fonction des situations) (13). Seule une minorité de patients serait susceptible de bénéficier d’une intervention de revascularisation (13). Des techniques pour identifier un sous-groupe à haut risque, chez qui la balance bénéfice-risque serait favorable à la chirurgie, existent (dépistages d’emboles au Doppler transcrânien, hémorragie intra-plaque d’athérome, …) mais leur implantation large est difficile. En attendant les résultats d’études en cours, les recommandations du consensus de l’INAMI de 2012 (14) et les conclusions de Minerva de 2011 (4) restent d’actualité : il convient de réserver une éventuelle endartériectomie ou stenting aux patients de moins de 75 ans asymptomatiques, si leur sténose est > 70%, et si le risque chirurgical d’un AVC invalidant ou de décès est inférieur à 3% et selon les comorbidités et leur espérance de vie. Il y a lieu de se rappeler que ce bénéfice n’apparaît qu’après un certain délai (suivi moyen de 3,4 ans dans l’étude), en raison du risque opératoire, dépendant, entre autres, de l’expérience du chirurgien dans le domaine (4).

 

 

Références

  1. Executive Committee for the Asymptomatic Carotid Atherosclerosis Study. Endarterectomy for asymptomatic carotid artery stenosis. JAMA1995;273:1421-8.
  2. Chevalier P, Van Damme H. Sténose carotidienne asymptomatique et endartériectomie. MinervaF 2005;4(6):89-91
  3. Halliday A, Mansfield A, Marro J, et al; MRC Asymptomatic Carotid Surgery Trial (ACST) Collaborative Group. Prevention of disabling and fatal strokes by successful carotid endarterectomy in patients without recent neurological symptoms: randomised controlled trial. Lancet 2004;363:1491-502.
  4. Chevalier P. Endartériectomie pour sténose carotidienne asymptomatique : 10 ans après. Minerva bref 28/04/2011.
  5. Halliday A, Harrison M, Hayter E, et al. 10-year stroke prevention after successful carotid endarterectomy for asymptomatic stenosis (ACST-1): a multicentre randomised trial. Lancet 2010;376:1074-84.
  6. den Hartog AG, Achterberg S, Moll FL, et al; SMART Study Group. Asymptomatic carotid artery stenosis and the risk of ischemic stroke according to subtype in patients with clinical manifest arterial disease. Stroke 2013;44:1002-7.
  7. Grégoire J-M, Serrière S, Georgesco G , et. al. Le Point sur…Techniques et applications de l’échographie haute résolution non invasive. Journal de radiologie 2006;87:1920-36.
  8. Spence JD, Hackam DG. Treating arteries instead of risk factors: a paradigm change in management of atherosclerosis. Stroke 2010;41:1193-9.
  9. Statines : se poser des questions en termes de morts et d'accidents cardiovasculaires évités, et pas seulement en termes de taux de cholesterol. Rev Prescrire, 19 février 2013.
  10. Hirt LS. Progression rate and ipsilateral neurological events in asymptomatic carotid stenosis. Stroke 2014;45:702-6.
  11. Naylor AR, Schroeder TV, Sillesen H. Clinical and imaging features associated with an increased risk of late stroke in patients with asymptomatic carotid disease. Eur J Vasc Endovasc Surg 2014;48:633-40.
  12. Carotid Revascularization and Medical Management for Asymptomatic Carotid Stenosis Trial (CREST-2). ClinicalTrias.gov Identifier: NCT02089217.
  13. Accident ischémique transitoire (AIT). Duodecim Medical Publications. Dernière mise à jour: 23/06/2010.
  14. INAMI. Prise en charge médicamenteuse efficiente en prévention et en traitement des pathologies cérébrovasculaires en première ligne de soins. Réunion de consensus du 10-05-2012 – Rapport du jury – Texte court.

 




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