Revue d'Evidence-Based Medicine



Intérêt du jeûne intermittent avec restriction calorique chez les adultes obèses ?



Minerva 2022 Volume 21 Numéro 10 Page 254 - 256

Professions de santé

Diététicien, Médecin généraliste

Analyse de
Liu D, Huang Y, Huang C, et al. Calorie restriction with or without time-restricted eating in weight Llss. N Engl J Med 2022;386:1495-504. DOI: 10.1056/NEJMoa2114833


Question clinique
Quel est l’effet du jeûne intermittent avec restriction calorique en comparaison avec une restriction calorique seule sur la perte de poids et les facteurs de risque cardiovasculaire chez les adultes obèses ?


Conclusion
Cette étude randomisée contrôlée menée en ouvert montre que le jeûne intermittent n’apporte aucune valeur ajoutée par rapport à un régime avec restriction calorique chez des adultes obèses. C’est la limitation de l’apport énergétique en soi qui est déterminante pour la perte de poids, et non le fait de manger pendant une fenêtre temporelle limitée de 8 heures par jour. Cette étude de bonne qualité méthodologique a été réalisée auprès d’une population chinoise qui a très bien observé le traitement. Il est donc peu probable qu’une autre étude donne un résultat positif.



Contexte
Le jeûne intermittent implique de jeûner (soit de ne pas consommer de calories) au moins 12 heures par jour et de s’alimenter sans limitation le reste du temps (1). Il s’agit d’un régime permettant de perdre facilement du poids, de plus en plus plébiscité depuis une dizaine d’années (1). Son effet sur la perte de poids et les facteurs de risque cardiovasculaire n’est toutefois pas encore tout à fait clair (1). 

 

Résumé

Population étudiée 

  • recrutement d’adultes obèses dans la population générale à Guangzhou (Chine) au moyen de brochures et d’affiches, d’informations sur Internet et d’un dépistage au sein de la population
  • critères d’inclusion : personnes de 18 à 75 ans avec un BMI compris entre 28 et 45 kg/m² (remarque : chez les Asiatiques, le seuil d’obésité s’élève à 28 plutôt qu’à 30 kg/m²)
  • critères d’exclusion : hépatite virale aiguë ou chronique, cancer, diabète sucré, affections hépatiques et rénales graves, tabagisme, maladies cardiovasculaires et cérébrovasculaires graves dans les six mois précédant la randomisation, affections gastro-intestinales ou chirurgie abdominale dans les douze mois précédant la randomisation, participation active à un programme d’amaigrissement, prise de médicaments influant sur le poids ou l’équilibre énergétique, grossesse ou désir de grossesse
  • inclusion finale de 139 participants, âge moyen de 31,9 (ET 9,1) ans, proportion presque égale d’hommes et de femmes, poids moyen de 88,2 (ET 11,6) kg et BMI moyen compris entre 31,3 (ET 2,6) et 31,8 (ET 2,9) kg/m².

 

Méthodologie 

Étude randomisée contrôlée menée en ouvert avec deux groupes (2) :

    • groupe d’intervention (n = 69) : les participants ont suivi un régime avec restriction calorique et ont reçu l’instruction supplémentaire de consommer les calories prescrites dans une fenêtre temporelle comprise entre 8 h et 16 h
      groupe contrôle (n = 70) : les participants ont suivi le même régime avec restriction calorique, mais ont pu consommer les calories prescrites à tout moment de la journée
    • dans les deux groupes, la consommation journalière de calories était limitée à 1500-1800 kcal par jour pour les hommes et à 1200-1500 kcal par jour pour les femmes (environ 75% de l’apport calorique journalier mesuré à l’observation initiale), réparties entre 40-50% de glucides, 15-20% de protéines et 20-30% de graisses ; les participants ont reçu des informations écrites, dont des conseils relatifs aux portions pour les repas et des exemples de menus à teneur calorique limitée
  • les participants ont reçu l’instruction de peser et de photographier tous les aliments, de noter l’heure des repas dans un journal alimentaire électronique (tous les jours au cours des six premiers mois, puis trois fois par semaine au cours des six derniers mois)
  • les participants ont fait l’objet d’un suivi par téléphone ou par message électronique (deux fois par semaine au cours des six premiers mois, puis une fois par semaine au cours des six derniers mois) et ont été reçus individuellement par un coach santé qualifié (toutes les deux semaines au cours des six premiers mois, puis une fois par mois au cours des six derniers mois) afin d’évaluer et de rectifier la mise en œuvre du régime avec restriction calorique
  • par ailleurs, tous les participants ont suivi une séance d’éducation à la santé par mois et ont été encouragés à maintenir leur activité physique quotidienne habituelle tout au long de l’étude
  • durée de l’étude : 12 mois. 

 

Mesure des résultats 

  • critère de jugement primaire : différence de changement de poids entre les deux groupes après 12 mois
  • critères de jugement secondaires : différence de changement de tour de taille, de graisse corporelle, de composition corporelle, de lipides sanguins, de glycémie à jeun et postprandiale, de sensibilité à l’insuline (HOMA-IR), de pression artérielle, de qualité de vie et d’effets indésirables entre les deux groupes
  • analyse en intention de traiter
  • modèle à effet mixte
  • analyses de sous-groupes en fonction du sexe, du BMI, de la sensibilité à l’insuline et de l’observance du régime.

 

Résultats 

  • le régime a été suivi en moyenne 84,0% (ET 16,1) de la période de l’étude (tant la restriction calorique que le jeûne intermittent) dans le groupe d’intervention et en moyenne 83,8% (ET 12,6) dans le groupe contrôle
  • il n’y a pas eu de différence statistiquement significative de perte de poids moyenne entre les deux groupes après 12 mois [-8 kg (IC à 95% de -9,6 à -6,4 kg) dans le groupe intervention, contre -6,3 kg (IC à 95% de -7,8 à -4,7 kg) dans le groupe contrôle ; p = 0,11 pour la différence]
  • il n’y a pas eu de différence entre les deux groupes en ce qui concerne les critères de jugement secondaires.

 

Conclusion des auteurs 
Chez les adultes obèses, le jeûne intermittent avec restriction calorique ne donne pas lieu à une perte de poids, une baisse des graisses corporelles et à des facteurs de risque métabolique supérieurs, comparé à un régime avec restriction calorique seule.

 

Financement de l’étude
Institutions publiques indépendantes.

 

Conflits d’intérêts des auteurs
Aucun conflit d’intérêt a été mentionné.

 

 

Discussion


Évaluation de la méthodologie 

Il est question d’une étude randomisée contrôlée menée en ouvert, mais la méthode de randomisation n’est pas clairement décrite. La randomisation a toutefois probablement été correctement effectuée étant donné que les caractéristiques des patients sont équitablement réparties entre les deux groupes d’étude. Une conception en double aveugle n’était pas envisageable vu la nature de l’intervention. Les chercheurs qui ont collecté les données ne savaient cependant pas à quel groupe (groupe d’intervention ou groupe contrôle) appartenaient les participants. Un calcul de l’échantillon a été réalisé et le nombre de participants était suffisamment important pour démontrer une différence cliniquement pertinente de 2,5 kg pour le changement de poids corporel entre les deux groupes. Pour obtenir cette différence, les chercheurs se sont appuyés sur le résultat d’une étude observationnelle qui s’est penchée sur l’effet du jeûne intermittent sur le poids corporel (3). Enfin, les chercheurs ont utilisé un modèle mixte pour tenir compte de la corrélation entre différentes mesures chez un même participant (4). L’analyse a été réalisée conformément au principe de l’intention de traiter et les données manquantes ont été imputées.

 

Évaluation des résultats

L’étude montre qu’après 12 mois, un régime avec restriction calorique entraîne une perte de poids moyenne cliniquement pertinente de 8 kg, soit > 5% du poids corporel initial. La limitation de la fenêtre temporelle dans laquelle le régime avec restriction calorique devait être suivi n’a toutefois pas apporté de valeur ajoutée. Il faut dire que l’étude n’était pas conçue pour évaluer si le jeûne intermittent en soi pouvait entraîner une baisse de l’apport énergétique, associée à une perte de poids. Une étude randomisée contrôlée menée en 2020 avait permis de conclure qu’un jeûne intermittent de 8 semaines avait entraîné, outre une baisse de l’apport calorique d’environ 550 kcal/jour, une baisse du poids corporel d’environ 3% chez les personnes obèses (5). Une autre étude randomisée contrôlée menée en 2020 avait également montré qu’après 12 semaines, la seule limitation de la fenêtre temporelle de consommation alimentaire sans restriction calorique n’avait pas eu d’effet cliniquement pertinent sur le poids des personnes obèses (6). Une synthèse méthodique et méta-analyse de 2020 incluant 19 études plus anciennes (dont 11 études randomisées contrôlées) et un total de 475 participants avait déjà démontré que le jeûne intermittent donnait lieu à une perte de poids statistiquement significative, mais pas cliniquement pertinente de 0,9 kg en moyenne (IC à 95% de -1,71 à -0,10) (7). Une synthèse méthodique de la Cochrane réalisée en 2021 était parvenue à la même conclusion (1). Par ailleurs, dans cette étude, le jeûne intermittent n’a pas non plus montré d’amélioration cliniquement significative des facteurs de risque cardiovasculaire. La puissance de la présente étude réside dans la durée d’intervention relativement longue de 12 mois et dans le pourcentage élevé de participants qui ont observé le régime. L’accompagnement intensif et le contrôle de l’apport énergétique effectif ont probablement contribué à ce que les deux groupes d’étude suivent bien le régime imposé. Reste à savoir dans quelle mesure cette observance du traitement peut être extrapolée à notre contexte de soins. 

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Le traitement de l’obésité est individuel et s’effectue par étapes. Dans un objectif de perte et de maintien du poids, il est plus efficace de combiner un régime et des conseils quant au comportement à adopter et aux exercices physiques que de prescrire chacun de ces traitements séparément (8). En ce qui concerne l’alimentation, il peut être recommandé : d’adapter les changements alimentaires aux préférences individuelles du patient ; d’améliorer les habitudes alimentaires, même en l’absence de perte de poids ; de savoir que l’apport énergétique total doit être inférieur à la dépense énergétique totale ; de réduire la consommation (de grandes portions) d’aliments à haute densité énergétique et de choisir des aliments à faible densité énergétique ; d’éviter les régimes déséquilibrés ; de garder la taille des portions sous contrôle ; de prêter attention au mode de préparation des plats ; d’adopter un rythme alimentaire régulier ; et d’éviter la consommation excessive d’alcool. Il n’existe pas de guides/recommandations sur le jeûne intermittent. 

 

 

Conclusion de Minerva


Cette étude randomisée contrôlée menée en ouvert montre que le jeûne intermittent n’apporte aucune valeur ajoutée par rapport à un régime avec restriction calorique chez des adultes obèses. C’est la limitation de l’apport énergétique en soi qui est déterminante pour la perte de poids, et non le fait de manger pendant une fenêtre temporelle limitée de 8 heures par jour. Cette étude de bonne qualité méthodologique a été réalisée auprès d’une population chinoise qui a très bien observé le traitement. Il est donc peu probable qu’une autre étude donne un résultat positif. 

 

Références 

  1. Allaf M, Elghazaly H, Mohamed OG, et al. Intermittent fasting for the prevention of cardiovascular disease. Cochrane Database Syst Rev 2021, Issue 1. DOI: 10.1002/14651858
  2. Liu D, Huang Y, Huang C, et al. Calorie restriction with or without time-restricted eating in weight Llss. N Engl J Med 2022;386:1495-504. DOI: 10.1056/NEJMoa2114833
  3. Gabel K, Hoddy KK, Haggerty N, et al. Effects of 8-hour time restricted feeding on body weight and metabolic disease risk factors in obese adults: a pilot study. Nutr Healthy Aging 2018;4:345-53. DOI: 10.3233/NHA-170036
  4. Poelman T, Michiels B. Comment analyser des mesures répétées ? MinervaF 2016;15(6):155-7.
  5. Cienfuegos S, Gabel K, Kalam F, et al. Effects of 4- and 6-h time-restricted feeding on weight and cardiometabolic health: a randomized controlled trial in adults with obesity. Cell Metab 2020;32:366-78.e3. DOI: 10.1016/j.cmet.2020.06.018
  6. Lowe DA, Wu N, Rohdin-Bibby L, et al. Effects of time-restricted eating on weight loss and other metabolic parameters in women and men with overweight and obesity: The TREAT randomized clinical trial. JAMA Intern Med 2020;180(11):1491-9. DOI: 10.1001/jamainternmed.2020.4153. Erratum in: JAMA Intern Med 2020;180:1555. Erratum in: JAMA Intern Med 2021;181:883.
  7. Moon S, Kang J, Kim SH, et al. Beneficial effects of time-restricted eating on metabolic diseases: a systemic review and meta-analysis. Nutrients 2020;12:1267. DOI: 10.3390/nu12051267
  8. Verbeyst L, Vanhauwaert E, Wuyts M, et al. Point de mire. Conseils en matière de nutrition et de mode de vie pour les adultes en surpoids ou obèses. Ebpracticenet. UC Leuven Limburg/Moving Minds 2021.

 

 

Cet article a vu le jour lors de la journée des écrivains de Minerva en septembre de cette année. Sous la tutelle de membres expérimentés du comité de rédaction, de nouveaux auteurs, médecins et paramédicaux, ont travaillé à l'interprétation d'un article sélectionné par Minerva. Comme toujours ce texte a été révisé par les pairs de la rédaction.

 




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