Revue d'Evidence-Based Medicine
Place de la revalidation pulmonaire chez les patients atteints de covid-19
Minerva 2023 Volume 22 Numéro 3 Page 58 - 61
Professions de santé
Kinésithérapeute, Médecin généralisteContexte
Les techniques de revalidation physique ont été utilisées dès le début de la pandémie chez les patients atteints de covid-19, sur base d’un consensus provisoire d’experts (1) et par analogie avec leur efficacité dans le traitement de la BPCO (2) et du SARS (3). Plusieurs études ont été menées depuis spécifiquement chez ces patients et une équipe de kinésithérapeutes de l’Université d’Istanbul tente ici de collecter, analyser et synthétiser leurs résultats (4).
Résumé
Méthodologie
Revue systématique avec méta-analyse.
Sources consultées
- deux bases générales de données bibliographiques (Medline et Cochrane CENTRAL) et la plateforme Web of Science qui donne accès aux abstracts de congrès, symposiums et conférences (littérature grise)
- date de consultation : avril 2022.
Sélection des études
- effectuée par trois auteurs de façon indépendante, les divergences éventuelles étant résolues par discussion jusqu’à consensus en présence d’un quatrième auteur
- critères d’inclusion (PICOT) :
- population : patients atteints de covid-19 confirmé par PCR, qu’il s’agisse de covid-19 aigu ou « chronique » (patients sérologiquement guéris du covid-19 mais qui en gardent des symptômes prolongés ou à long terme, ce qui correspond dans la littérature à diverses entités : covid long, « ongoing symptomatic covid-19 », « post-covid-19 syndrome », …)
- intervention : programmes de revalidation pulmonaire (RP), qu’il s’agisse de RP classique en face à face ou de téléréhabilitation (RP délivrée via smartphone, visioconférence, plateforme en ligne…)
- comparaison : absence de revalidation pulmonaire
- critères de jugement (« outcomes ») : tolérance à l’effort, fonction respiratoire, dyspnée, fatigue et qualité de vie
- types d’étude : études contrôlées randomisées (RCT)
- critères d’exclusion : publication dans une autre langue que l’anglais, indisponibilité du texte intégral de l’étude (posters et résumés de conférences), articles de revue, lettres à l’éditeur, études portant sur d’autres maladies à coronavirus : syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) ou syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS)
- évaluation de la qualité des études sélectionnées : effectuée à l’aide de l’outil Cochrane « Risk of Bias tool » RoB1 par deux auteurs indépendants, les divergences éventuelles étant résolues par discussion jusqu’à consensus en présence d’un troisième auteur.
Population étudiée
- la méta-analyse a inclus 8 études de petite taille (dont 7 incluant <100 patients) et totalisant 449 patients ; 3 études concernaient des patients atteints de covid-19 aigu, léger à modéré et 5 concernaient des patients atteints de covid-19 « chronique », récemment hospitalisés pour des formes modérées à sévères ; dans 6 études, la revalidation a eu lieu en distanciel (téléréhabilitation), les 2 autres utilisant une revalidation classique en face à face ; les programmes de revalidation étaient de courte durée (1 ou 2 semaines) dans 4 études et plus longs (6 ou 12 semaines) dans les 4 autres.
Mesure des résultats
- tolérance à l’effort : distance parcourue en 6 minutes de marche (6MWT)
- fonction respiratoire : capacité vitale forcée (FVC)
- dyspnée : divers scores (mMRC, D-12, DSI)
- fatigue : échelle de Borg ou échelle visuelle analogique (VAS)
- qualité de vie : divers scores (SF-12, SF-36, SGRQ, EQ-5D-L3).
Résultats
- les résultats ont montré une légère amélioration de la tolérance à l’effort (gain de 66 mètres en 6 minutes de marche) ainsi qu’une importante réduction de la dyspnée et de la fatigue. Ils n’ont cependant pas montré d’amélioration statistiquement significative pour la qualité de vie ni pour la fonction respiratoire
|
RCTs |
MD |
IC à 95% |
p |
I2 |
6MWT |
7 |
65,85 m |
de 42,86 à 88,83 |
< 0,001 |
80% |
Capacité Vitale Forcée |
3 |
0,12 L |
de -0,05 à 0,29 |
0,165 |
34% |
Fatigue |
4 |
-2,42 pts |
de -2,72 à -2,11 |
< 0,05 |
6% |
|
RCTs |
SMD |
IC à 95% |
p |
I2 |
Dyspnée |
5 |
-2,11 |
de -2,96 à -1,27 |
< 0,001 |
- |
Qualité de vie |
3 |
1,18 |
de -0,46 à 2,81 |
0,160 |
- |
MD = différence moyenne SMD = différence moyenne standardisée
- l’importante hétérogénéité (I2 = 80%) entre les études constatée pour l’un des critères de jugement a conduit les auteurs à réaliser une analyse en sous-groupes à la recherche d’explications ; cette analyse suggère une plus grande efficacité de la revalidation chez les patients atteints de covid-19 aigu et chez ceux traités à distance, en ce qui concerne la tolérance à l’effort et la dyspnée
- aucun effet adverse important n’a été observé dans les études analysées, mais des problèmes d’accessibilité à la revalidation à distance ont été constatés chez les patients peu familiarisés aux nouvelles technologies de la communication.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que « les résultats des études montrent qu’un programme de revalidation pulmonaire est supérieur à l’absence d’intervention pour l’amélioration de la dyspnée, la capacité d’exercice, la fonction pulmonaire et la fatigue chez les patients atteints de covid-19. La revalidation pulmonaire semble bénéfique et sécure chez les patients atteints de covid-19, tant au stade aigu que chronique. »
Financement de l’étude
Absence de financement extérieur.
Conflits d’intérêt des auteurs
Deux des auteurs sont membres du comité de rédaction de revues turques de physiothérapie et revalidation.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
Les investigateurs ont suivi les recommandations PRISMA pour l’élaboration du rapport des synthèses méthodiques. On peut relever quelques limitations méthodologiques.
- Les auteurs n’ont effectué leur recherche que dans deux bases de données générales alors qu’il est recommandé de consulter également la base de données Embase pour toute revue systématique. Ils n’ont pas non plus consulté des banques de données spécialisées dans le domaine (PEDRO p.ex.) ni des registres d’études pour la recherche d’éventuelles études non (encore) publiées
- La sélection des études devait être effectuée par trois auteurs mais n’a été réalisée que par deux d’entre eux
- Exclusion des publications rédigées dans une langue autre que l’anglais
- La définition de la population n’est pas claire : on suppose que les patients inclus souffraient de covid-19 avec symptômes respiratoires, sinon on ne comprend pas bien l’intérêt de l’intervention. Ce n’est pourtant clairement spécifié nulle part dans la publication.
- Deux des huit études incluses dans la méta-analyse ne répondent pas aux critères d’inclusion: l’étude d’Abodonya (réf. 31 de l’article) est une étude contrôlée non randomisée (ceci apparaît en filigrane dans son abstract et est explicitement précisé à la fin du texte de la publication) ; l’étude de Rodriguez-Blanco (réf. 28 de l’article) ne porte pas sur un programme de revalidation pulmonaire mais sur des exercices de renforcement musculaire de type « basic fitness », l’hypothèse étant qu’ils améliorent l’évolution du covid-19 en renforçant l’état général et les défenses immunitaires.
- Surestimation de la qualité des études originales : les auteurs affirment que la totalité d’entre elles présentaient un risque de biais faible ou modéré. Ils ont estimé qu’il suffisait qu’une étude soit à faible risque de biais dans 3 des 7 domaines du RoB1 de la Cochrane pour être à risque de biais faible ou modéré dans son ensemble. La recommandation de la Cochrane est toute différente : il suffit qu’une étude soit à haut risque de biais pour un seul domaine du RoB pour qu’elle le soit aussi dans son ensemble (5), ce qui est le cas pour la quasi-totalité des études incluses dans la méta-analyse. Les principales sources de biais rencontrées étaient : absence de randomisation ou pseudo-randomisation, kinésithérapeute évaluateur potentiellement non aveugle du groupe d’intervention attribué au patient, absence d’analyse en intention de traiter (6), petit nombre de patients (7).
- Manque de transparence dans la présentation des résultats : les forest plot sont tronqués et ne montrent que les résultats de sous-groupes. Nulle part n’apparaissent les résultats des études individuelles, ce qui met le lecteur dans l’impossibilité d’évaluer le degré de précision de leurs résultats (largeur des intervalles de confiance), de visualiser leur homogénéité ou hétérogénéité, de connaître leur poids respectif dans la méta-analyse et de pouvoir éventuellement vérifier la conformité des résultats rapportés pour chacune d’entre elles
- Absence de test d’hétérogénéité (I2) pour 2 des 5 critères de jugement. A noter que les auteurs n’avaient pas défini de critères principaux et secondaires
- Emploi inapproprié du test d’Egger pour mettre en évidence un biais de publication : ce test n’est valide qu’en présence d’au moins 10 études.
Interprétation des résultats
Dans leur conclusion les auteurs affirment avoir montré l’efficacité de la revalidation sur la fonction respiratoire alors que ce n’est pas le cas. Par ailleurs ils mettent en avant les résultats positifs de leur étude, sans même mentionner l’absence d’efficacité démontrée sur leur critère de jugement cliniquement le plus fort : la qualité de vie des patients.
Relevons également que :
- la méta-analyse a bien montré une amélioration statistiquement significative de la tolérance à l’effort mais on peut s’interroger sur sa pertinence clinique (gain de 66 mètres au 6MWT).
- les études originales n’ont pour la plupart pas effectué de suivi des patients pour voir dans quelle mesure les bénéfices de la revalidation se maintenaient après l’intervention. Seule l’étude de Li (ref. 29) a évalué les patients 6 mois plus tard, montrant que l’amélioration persistait pour la tolérance à l’effort et la qualité de vie mais avait disparu pour la fonction respiratoire et la dyspnée.
- aucune des études originales n’a testé l’efficacité de la revalidation sur des critères de jugement forts comme le taux d’hospitalisation ou le taux de passage à un covid long, ce qui limite considérablement l’intérêt clinique de cette intervention pour les patients atteints de covid-19 au stade aigu.
- une autre méta-analyse portant sur les mêmes études avec une méthodologie plus rigoureuse arrive aux mêmes conclusions mais en insistant sur le fait qu’elles ne reposent que sur un faible niveau de preuve (8).
Que disent les guides de pratique clinique ?
Ebpracticenet (Belgique) recommande un programme d’exercices physiques et respiratoires de 8 semaines pour les patients covid-19 présentant des limitations persistantes (≥ 4 à 6 semaines) dans leurs activités quotidiennes. Des exercices de respiration contre résistance sont ensuite recommandés en cas de dyspnée persistante (GRADE 2C : recommandation faible basée sur un faible niveau de preuves) (9). Depuis juillet 2022 cette revalidation peut être initiée par un médecin généraliste avec remboursement par l’INAMI dans le cadre d’un trajet de soins post-covid. A noter que la téléréhabilitation n’est pas (encore) prévue dans la nomenclature des kinésithérapeutes. NICE (Grande-Bretagne) recommande également un programme de revalidation physique et respiratoire si les symptômes durent plus de 4 semaines, à condition qu’il s’intègre dans le cadre d’une revalidation multidisciplinaire (10). Nous n’avons trouvé aucune recommandation de revalidation pulmonaire pour les patients atteints de covid-19 au stade aigu non hospitalisés.
Conclusion de Minerva
Cette revue systématique montre une efficacité à court terme de la revalidation pulmonaire sur la tolérance à l’effort, la fatigue et la dyspnée chez les patients atteints de covid-19, sans amélioration de leur qualité de vie. Ses limitations méthodologiques ainsi que le haut risque de bais des études sur lesquelles elle repose dégradent fortement la validité de ses conclusions. Celles-ci doivent être confirmées par des études menées plus rigoureusement sur davantage de patients et comportant un suivi des patients à distance de l’intervention. En ce qui concerne les patients atteints de covid-19 aigu il manque des études évaluant l’efficacité de le revalidation sur base de critères de jugement cliniques forts.
- Spruit MA, Holland AE, Singh SJ et al. COVID-19: interim guidance on rehabilitation in the hospital and post-hospital phase from a European Respiratory Society and American Thoracic Society-coordinated international task force. Eur Respir J 2020;56:2002197. DOI: 10.1183/13993003.02197-2020
- McCarthy B, Casey D, Devane D et al. Pulmonary rehabilitation for chronic obstructive pulmonary disease. Cochrane Database Syst Rev 2015, Issue 2. DOI: 10.1002/14651858.CD003793.pub3
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- Ahmed I, Mustafaoglu R, Yeldan I, et al. Effect of pulmonary rehabilitation approaches on dyspnea, exercise capacity, fatigue, lung functions, and quality of life in patients with COVID-19: a systematic review and meta-analysis. Arch Phys Med Rehabil 2022;103:2051-62. DOI: 10.1016/j.apmr.2022.06.007
- Sterne JA, Savovic J, Page MJ, et al. RoB2 : a revised tool for assessing risk of bias in randomised trials. BMJ 2019;366:l4898. DOI: 10.1136/bmj.l4898
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- Chaimani A, Vasiliadis HS, Pandis N, et al. Effects of study precision and risk of bias in networks of interventions: a network meta-epidemiological study. Int J Epidemiol 2013;42:1120-31. DOI: 10.1093/ije/dyt074
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- Suivi et revalidation des patients présentant des symptômes persistants après la COVID-19 en première ligne. Ebpracticenet. KU Leuven/Groupe de travail Développement de recommendations de première ligne. Mis à jour par le producteur : 20/02/2023.
- National Institute for Health and Care Excellence. COVID-19 rapid guideline : management of the long-term effects of COVID-19. NICE guideline [NG188]. Published: 18 December 2020. Last updated: 11 November 2021 (site consulté le 17/02/23).
Auteurs
Denis B.
médecin généraliste, ancien formateur au CEBAM (Centre Cochrane Belge)
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
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