Revue d'Evidence-Based Medicine
Efficacité de l’entraînement à des tâches fonctionnelles, à court terme, chez les personnes âgées présentant un trouble cognitif léger
Minerva 2023 Volume 22 Numéro 4 Page 79 - 82
Professions de santé
Ergothérapeute, Médecin généralisteContexte
Des études ont montré qu’une détérioration dans l’exécution des activités instrumentales de la vie quotidienne (Instrumental Activities of Daily Living, IADL) peut prédire la progression d’un trouble cognitif léger (Mild Cognitive Impairment, MCI) vers la démence (1,2). Mais contrairement à la démence, le trouble cognitif léger est réversible (3). Les personnes atteintes de trouble cognitif léger peuvent fonctionner de manière autonome, mais elles ont des difficultés à exécuter des activités instrumentales, complexes de la vie courante, comme la préparation d’un repas. L’entraînement à des tâches fonctionnelles peut améliorer la neurogenèse et la neuroplasticité ainsi que le fonctionnement physique (4,5). L’effet de l’entraînement fonctionnel chez les personnes présentant un trouble cognitif n’a toutefois pas encore été démontré (6). En 2003, Law et al ont développé le programme « FcTSim » (« FcT » pour « tâches fonctionnelles », et « Sim » pour « simulé ») (7). Ce programme combine un entraînement cognitif et physique dans des tâches fonctionnelles visuospatiales simulées. Il s’agit d’effectuer, en milieu contrôlé, des tâches dont les actions séquentielles et les schémas de mouvement sont de complexité croissante.
Résumé
Population étudiée
- critères d’inclusion : personnes âgées de plus de 60 ans, présentant des troubles cognitifs et/ou des troubles de la mémoire subjectifs, des problèmes cognitifs objectifs pour au moins un domaine mesuré à l’aide du test NCSE (Neurobehavioral Cognitive Status Examination), dont les compétences de base en matière d’autosoins sont intactes et n’ayant pas de démence confirmée
- critères d’exclusion : antécédents de lésion cérébrale, antécédents d’abus de substances psychoactives et antécédents de comorbidité associée à un déclin cognitif et/ou fonctionnel ; dépression cliniquement significative ; trouble cognitif d’origine psychiatrique ; affection médicale rendant impossible la réalisation d’activités physiques ; prise de médicaments avec impact significatif sur le fonctionnement cognitif ; problèmes de vision, d’ouïe ou de communication importants pouvant empêcher la participation au programme
- finalement, inclusion de 145 patients (93 femmes et 52 hommes), âgés en moyenne de 75,3 ans (ET : 7,26 ans), recrutés dans deux hôpitaux de jour et un centre de services.
Protocole de l’étude
Étude randomisée contrôlée, menée en ouvert, à quatre groupes, l’évaluation de l’effet étant réalisée en aveugle (8) :
-
- groupe FcTSim (n = 34) : 12 séances d’entraînement en groupe (4 à 6 participants par groupe) à des tâches fonctionnelles complexes ; séances de 60 minutes, réparties sur 8 semaines et supervisées par un ergothérapeute formé ; les participants ont chaque fois reçu 1 ou 2 tâches qu’ils devaient exécuter en 1 à 3 cycles de chaque fois 5 répétitions, en fonction de la progression individuelle
- groupe entraînement cognitif (n = 38) : 12 séances d’entraînement en groupe (4 à 6 participants par groupe) entraînement de la pensée, des fonctions exécutrices et des compétences perceptuelles visuelles avec support numérique ; séances de 60 minutes, supervisées par un ergothérapeute
- groupe entraînement physique (n = 37) : 12 séances d’entraînement en groupe (4 à 6 participants par groupe) avec exercices en aérobie d’intensité modérée de l’ensemble du corps, des membres inférieurs (vélo) et des membres supérieurs ; séances de 60 minutes, réparties sur 8 semaines et supervisées par un ergothérapeute et un assistant
- groupe témoin (n = 36) : ces patients sont invités à poursuivre leurs activités et exercices habituels
- suivi après l’intervention et après 5 mois.
Mesure des résultats
- critères de jugement primaires :
- fonctions cognitives générales, mesurées à l’aide du test NCSE (Neurobehavioral Cognitive Status Examination)
- fonctions exécutives, mesurées à l’aide du test de fluence verbale (Verbal Fluency Test, VFT) et du test des tracés (Trail Making Test, TMT)
- compétences en résolution de problèmes pour les activités quotidiennes, mesurées à l’aide du questionnaire sur les problèmes de la vie quotidienne (Problems in Everyday Living, PEDL)
- statut fonctionnel, mesuré à l’aide de l’échelle d’activités instrumentales de la vie quotidienne (échelle de Lawton) (Lawton Instrumental Activities of Daily Living Scale, Lawton-IADL)
- critères de jugement secondaires :
- qualité de vie liée à la santé, mesurée à l’aide du questionnaire court d’étude de la santé à 12 questions (Short Form-12 Health Survey, SF-12)
- capacités physiques, mesurées à l’aide du test de levers de chaise enchaînés (Chair Stand Test, CST) en de l’échelle d’équilibre de Berg (Berg Balance Scale, BBS)
- analyse en intention de traiter avec remplacement des valeurs manquantes par la dernière valeur disponible (last observation carried forward, LOCF)
- l’ANCOVA a été utilisée pour évaluer la différence entre les groupes après l’intervention et après 5 mois, en contrôlant les différences dans les scores de départ, ainsi que les caractéristiques de base, à savoir l’âge, l’éducation, le degré de mobilité et les habitudes d’exercice
- on a utilisé le d de Cohen pour déterminer l’ampleur d’effet des différences statistiquement significatives entre les groupes.
Résultats
- mesures de suivi disponibles pour 135 (93,1%) participants après l’intervention et 133 (91,7%) participants après 5 mois ; pas de différence entre les groupes d’étude quant au taux d’abandon, ni après l’intervention ni après 5 mois
- résultats des critères de jugement primaires :
- après l’intervention et après 5 mois, aucune amélioration statistiquement significative du fonctionnement cognitif n’a été observée dans aucun groupe d’étude
- dans le groupe FcTSim, on a observé une amélioration plus importante des fonctions exécutives que dans le groupe entraînement cognitif (p = 0,003 et d = 0,67 pour le test VFT) et que dans le groupe témoin (p = 0,018 et d = 0,72 pour le test VFT) ; également une amélioration plus importante des capacités de résolution de problèmes que dans le groupe entraînement cognitif (p < 0,001 et d = 1,10 pour le questionnaire PEDL), que dans le groupe entraînement physique (p < 0,001 et d = 0,99 pour le questionnaire PEDL) et que dans le groupe témoin (p < 0,001 et d = 1,09 pour le questionnaire PEDL) ; également une amélioration plus importante du statut fonctionnel que dans le groupe témoin (p = 0,002 et d = 0,79 pour le questionnaire ADLQ ; p < 0,001 et d = 0,99 pour l’échelle de Lawton)
- après 5 mois de suivi, on constatait toujours une amélioration plus importante des fonctions exécutives que dans le groupe entraînement cognitif (p = 0,019 et d = 0,26 pour le test TMT B/A) et que dans le groupe témoin (p = 0,012 et d = 0,79 pour le test VFT) ; également une amélioration plus importante des capacités de résolution de problèmes que dans le groupe entraînement cognitif (p < 0,001 et d = 0,89 pour le questionnaire PEDL), que dans le groupe entraînement physique (p < 0,001 et d = 1,25 pour le questionnaire PEDL) et que dans le groupe témoin (p < 0,001 et d = 0,60 pour le questionnaire PEDL) ; également une amélioration plus importante du statut fonctionnel que dans le groupe témoin (p = 0,044 et d = 0,72 pour le questionnaire ADLQ ; p < 0,001 et d = 1,01 pour l’échelle de Lawton)
- des critères de jugement secondaires
- tant après l’intervention qu’après 5 mois de suivi, une plus grande amélioration de la capacité physique a été observée dans le groupe FcTSim que dans le groupe témoin
- après 5 mois de suivi, une plus grande amélioration de la qualité de vie liée à la santé a été observée dans le groupe FcTSim que dans le groupe témoin et que dans le groupe entraînement cognitif.
Conclusion des auteurs
L’entraînement aux tâches fonctionnelles peut être efficace pour améliorer la résolution de problèmes quotidiens et l’état fonctionnel chez les personnes âgées atteintes de trouble cognitif léger. Les résultats de cette étude étayent la proposition selon laquelle la combinaison de l’entraînement cognitif et de l’entraînement physique a un effet additif et même synergique.
Financement de l’étude
The Research Grants Council, University Grants Committee of Hong Kong, SAR, Chine (UGC/FDS17/M01/16).
Conflits d’intérêt des auteurs
Aucun conflit d’intérêt a été mentionné.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
Dans cette étude randomisée contrôlée, la randomisation a été effectuée par ordinateur. On ignore toutefois s’il y a eu préservation du secret de l’attribution. Un biais de sélection ne peut donc être exclu. L’évaluation de l’effet ayant été effectuée en aveugle, un biais de détection est moins probable. Étant donné la nature des interventions, il n’était pas possible de maintenir l’insu pour les participants de cette étude randomisée contrôlée. Un biais de performance ne peut être exclu car l’un des résultats physiques (test de levers de chaise enchaînés) faisait également partie de l’intervention structurée. Un biais d’attrition est peu probable car il n’y avait pas de différence quant au taux d’abandons entre les quatre groupes d’étude.
La taille de l’échantillon a été calculée à partir d’une étude antérieure (9). Il fallait 142 participants pour démontrer, avec une signification de 0,05% et une puissance de 80%, un effet modéré à important sur la résolution de problèmes au quotidien. Mais ce calcul de puissance reste vague, et on ne sait pas dans quelle mesure le résultat proposé est également cliniquement pertinent. La taille de l’échantillon ne permet certainement pas d’effectuer des analyses de sous-groupes (selon la catégorie d’âge, le sexe, le fonctionnement cognitif ou le niveau d’éducation). L’un des instruments de mesure utilisés, l’échelle d’équilibre de Berg, montre un effet de plafond, et il se pourrait donc qu’il ne soit pas possible de mesurer l’effet chez les personnes ayant une meilleure mobilité. En effet, l’échelle d’équilibre de Berg a été normalisée pour les personnes ayant un profil de dépendance plus élevé (résidents des maisons de repos et de soins (MRS) et des services hospitaliers aigus) (10). Une analyse en intention de traiter a été effectuée, reflétant dans quelle mesure l’intervention pourrait être efficace dans la réalité. Les chercheurs ont, à juste titre, utilisé la technique ANCOVA pour déterminer les différences entre les groupes (11).
Évaluation des résultats de l’étude
Il est important de souligner qu’on n’a observé d’amélioration du fonctionnement cognitif avec aucune intervention. Cela peut être dû à un manque de puissance (la taille de la population étudiée n’a pas été calculée pour cela) ou à une étude de trop courte durée pour pouvoir observer un effet sur les capacités cognitives. Il n’est pas encore certain qu’une intervention combinée empêchera la progression vers la démence chez les personnes atteintes de trouble cognitif léger, même si des recherches antérieures ont montré que l’entraînement cognitif et physique a un impact sur la cognition et le cerveau (12,13). Par rapport aux autres interventions, l’intervention combinée a obtenu de meilleurs résultats en termes de fonctions exécutives, de capacité de résolution de problèmes au quotidien et d’état physique. Les effets étaient modérés à importants. La question de savoir si ces effets persisteront sur le long terme nécessite une étude plus approfondie. L’effet de l’entraînement combiné sur la qualité de vie était déjà connu (14). Cette étude randomisée s’appuie sur une étude pilote menée précédemment dans la même population de personnes âgées chinoises (15). L’extrapolation des résultats aux populations occidentales doit être examinée de manière critique. Néanmoins, la thérapie elle-même a été développée pour la population australienne, qui est proche de la population européenne.
Que disent les guides de pratique clinique ?
L’Académie américaine de neurologie (AAN) a publié un guide de pratique sur le trouble cognitif léger qui aborde des interventions non pharmaceutiques (16). Concrètement, des interventions cognitives sont recommandées deux fois par semaine dans le cadre d’une approche générale (niveau B). Aucune recommandation (pour ou contre) n’est formulée concernant les exercices fonctionnels combinés.
Conclusion de Minerva
Cette étude randomisée contrôlée menée en ouvert, l’évaluation de l’effet étant effectuée en aveugle, montre que l’entraînement cognitif et physique combiné structuré à des tâches fonctionnelles est efficace pour améliorer la résolution de problèmes au quotidien, l’état fonctionnel et le bien-être mental des personnes âgées atteintes de trouble cognitif léger, par comparaison avec l’entraînement cognitif, avec l’entraînement physique ou avec un groupe témoin. Des études à long terme dans une population occidentale sont nécessaires pour confirmer ce résultat.
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Auteurs
De Coninck L.
ergotherapeut-gerontoloog, Departement bewegings- en revalidatiewetenschappen, KU Leuven; SQaQEL (Scientific questions and Quality evidence linked)
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
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