Revue d'Evidence-Based Medicine
Intérêt du sémaglutide administré une fois par semaine chez des patients adolescents obèses ?
Minerva 2023 Volume 22 Numéro 7 Page 172 - 174
Professions de santé
Diététicien, Kinésithérapeute, Médecin généraliste, Pharmacien, PsychologueContexte
Le sémaglutide – un agoniste du récepteur du GLP1 – administré en SC une fois par semaine, à la dose de 1 mg, est utilisé dans le diabète de type 2 (1,2). De par leur effet observé sur le poids dans les essais chez les patients diabétiques, les agonistes du GLP1 ont logiquement été testés chez les patients obèses adultes non diabétiques (3), avec des résultats observés significatifs. Une étude-pivot de phase 3 (sémaglutide comparé à un placebo, chez les patients adultes obèses, à la dose de 2,4 mg par semaine par voie sous-cutanée) a conclu à un rapport bénéfice-risque globalement favorable (4) mais il n’y a actuellement aucun argument solide en faveur d’une utilisation en prévention des maladies cardiovasculaires (5). La prévalence de l’obésité de l’enfant et de l’adolescent augmente partout dans le monde (6) ; des études de cohortes longitudinales montrent par ailleurs qu’une majorité (mais non la totalité) des enfants ou adolescents obèses deviennent des adultes obèses, avec le risque associé de développement de maladies cardiovasculaires (7).
Résumé
Population étudiée
- 201 adolescents (sur un groupe de 229) âgés de 12 à moins de 18 ans, sont sélectionnés après 12 semaines de run-in avec prise en charge associant diététique et exercice physique
- le BMI est au-delà du percentile 95 (pour l’âge et le sexe) ou au-delà du percentile 85 avec un facteur de risque associé (HTA par exemple)
- les critères d’exclusion sont essentiellement : un changement de poids récent de plus de 5 kg, un traitement pour l’obésité, une maladie psychiatrique (y compris un risque suicidaire significatif ou un trouble du comportement alimentaire), la présence d’une addiction.
Protocole d’étude
- essai (8) en double aveugle, en groupes parallèles, randomisé et contrôlé par placebo
- à la randomisation, 62% sont des filles, 64% des patients ont de 15 à moins de 18 ans et 79% sont caucasiens ; le BMI est significativement plus élevé dans le groupe intervention que dans le groupe contrôle (différence moyenne de 7 kg) ; tous les patients sauf 1 sont au-delà du percentile 95
- la randomisation est 2:1 (134:67) pour recevoir soit 2,4 mg de sémaglutide, en une injection hebdomadaire sous-cutanée, soit un placebo
- tous les patients reçoivent une intervention sur le mode de vie
- il y a stratification pour le sexe et pour le stade de puberté (puberté débutante vs fin de puberté) ; la dose de 2,4 mg (active ou placebo) est atteinte en 5 paliers de 4 semaines, avec redescente éventuelle à la dose maximale tolérée
la durée de l’étude sous traitement est de 68 semaines.
Critères de jugement
- critère de jugement primaire : différence de changement de BMI (exprimée en %, donc une variable continue) entre le groupe traité et le groupe placebo ; ce critère est analysé en intention de traiter
- critère de jugement secondaire : les auteurs ont choisi un critère de jugement secondaire (appelé « critère de confirmation ») : le taux de patients réellement traités qui ont atteint une réduction supérieure ou égale à 5% du BMI ; le protocole de l’étude prévoit une analyse des effets secondaires après 7 semaines d’observation supplémentaires, soit 75 semaines au total.
Résultats
- 120 des 134 patients du groupe intervention ont reçu 68 semaines de traitement, 87% de ceux-ci ont reçu la dose maximale de 2,4 mg de sémaglutide
- critère de jugement primaire : la différence de BMI observée à 68 semaines est de -16,7% (avec IC à 95% de -20,3 à -13,2)
- critère de confirmation : 95 patients sur 131 contre 11 sur 62 ont atteint une réduction supérieure ou égale à 5% du BMI à 68 semaines (OR 14,0 avec IC à 95% de 6,3 à 31,0)
- les effets secondaires - nausées et vomissements - sont très majoritairement observés dans le groupe « intervention » ; 5 patients dans le groupe « intervention » ont présenté une colique biliaire sur lithiase, 1 patient a présenté une cholécystite aiguë
- un « effet-plateau » est observé après 52 semaines, et une remontée nette du poids est observée dès l’arrêt du sémaglutide.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent qu’un traitement par sémaglutide en injection sous-cutanée de 2,4 mg par semaine, plus exercice physique et contrôle alimentaire, entraîne une plus grande réduction de BMI que l’exercice physique et le contrôle alimentaire seuls, chez des adolescents obèses.
Financement de l’étude
Novo Nordisk.
Conflit d’intérêts des auteurs
Non mentionnés clairement dans l’article.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
Cette RCT est de très grande qualité méthodologique. La supériorité par rapport au critère d'évaluation principal (défini comme une valeur p bilatérale < 0,05) était requise avant que le critère d'évaluation de confirmation secondaire puisse être testé. Un échantillon de 192 participants était nécessaire pour fournir une puissance de 90% afin de détecter la supériorité par rapport au critère d'évaluation principal et une puissance de 72% pour détecter la supériorité par rapport au critère d'évaluation de confirmation secondaire. Les analyses ont été réalisées en intention de traiter. Les critères de jugement primaires et secondaires sont pertinents par rapport à la question clinique. On notera cependant une différence très significative des poids de départ entre les deux groupes, ce qui favorise le phénomène de « régression vers la moyenne » pour le groupe traité ; l’ampleur du résultat observé peut donc en être affectée. De plus, un seul patient inclus est en excès pondéral avec un facteur de risque.
Interprétation des résultats
L’échantillon randomisé est manifestement peu représentatif d’un point de vue du genre et de l’ethnie. De plus, le lecteur n’a pas d’informations sur l’environnement socio-économique des patients inclus : parmi les déterminants de l’obésité de l’adolescent, un environnement socio-économique défavorable est un élément majeur (9). Le rapport bénéfice-risque est difficile à juger sur ce petit échantillon peu représentatif et très sélectionné pour éviter tout problème, notamment psychiatrique ; on notera 5 événements biliaires cliniquement significatifs, ce qui ne peut être minimisé ; l’ordre de grandeur est ce qui est observé après chirurgie bariatrique (10). L’hypothèse d’une perte de poids trop rapide doit être évoquée (11).
D’autres arguments doivent interpeller le potentiel prescripteur :
- Comme dit plus haut, tous les adolescents obèses ne deviennent pas des adultes obèses (7) : comment identifier les adolescents dont l’obésité pourrait être qualifiée de chronique ?
- L’ampleur de l’amaigrissement observé permet de douter de la qualité de cet amaigrissement. S’agit-il bien de masse grasse ? (12)
- La reprise immédiate de poids à l’arrêt de la médication est ce qui est habituellement observé après traitement par tous les anorexigènes centraux testés en clinique ; le sémaglutide semble agir ici comme un anorexigène central (13). Cela suggère aussi qu’il faudrait le prescrire de manière chronique, hors l’effet à long terme à cette dose n’est absolument pas connu.
- L’étude est trop courte en durée que pour observer des changements sur des critères de jugement cliniquement fort (diabète, cardiovasculaire, polymorbidité liée à l’obésité). Cela semble pourtant indispensable pour expliquer à un adolescent l’intérêt d’une telle prise en charge.
- On peut regretter de ne disposer d’aucune donnée relative à la qualité de vie
- Quelle est l’autonomie décisionnelle d’un adolescent ? Comment lui expliquer les pour et les contre d’une telle décision ? (14)
- L’étude ici analysée est entièrement financée, organisée, rédigée et publiée sous la responsabilité du fabriquant.
Que disent les guides de pratique clinique ?
L’EMA a autorisé fin mars 2023 l’utilisation du sémaglutide dans l’indication « obésité de l’adolescent », ajoutant aux modalités restrictives une « règle d’arrêt » après 12 semaines si le patient n’a pas perdu au moins 5% de son poids à ce moment (15). Le « National Institute for Health Care and Excellence » (NICE) n’a pas encore émis d’avis pour l’utilisation du sémaglutide chez l’adolescent obèse (16).
Pour le CBIP, au stade actuel des preuves, même si le sémaglutide a un effet spectaculaire sur le poids, nous n’avons aucun argument en faveur d’un effet à long terme favorable du sémaglutide, particulièrement chez l’adolescent ; la balance bénéfice-risque ne peut être évaluée sur un si petit nombre de patients traités (17). Le sémaglutide n’est pas autorisé en Belgique dans l’indication « traitement du poids ». Un premier guide de pratique nord-américain publié en 2017 réserve le traitement pharmacologique aux patients inclus dans des essais cliniques (18). Un second, publié en 2023, autorise la pharmacothérapie, avec prise en charge par des groupes multidisciplinaires structurés et expérimentés (19).
Conclusion de Minerva
Cette RCT d’excellente qualité méthodologique montre une perte de poids significative chez la majorité d’un petit groupe d’adolescents obèses traités par sémaglutide, avec modifications concomitantes du mode de vie, en comparaison à un placebo et modifications concomitantes du mode de vie seules. Au vu de la trop grande incertitude actuelle sur le maintien de l’effet après un an, vu la grande variabilité de la réponse individuelle, et en absence d’une balance bénéfice-risque bien évaluable, il faut réserver l’utilisation du sémaglutide chez l’adolescent à des patients pris en charge par des groupes multidisciplinaires structurés et expérimentés et inclure ces patients dans des études bien conduites, et donc approuvées par des comités d’éthique, ou à tout le moins dans des registres.
- Goderis G. Une meilleure régulation de la glycémie et une perte de poids plus importante avec le sémaglutide administré une fois par semaine au lieu de l’empagliflozine une fois par jour chez les patients atteints de diabète de type 2 ? Minerva Analyse 18/03/2022.
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Auteurs
Vanhaeverbeek M.
Laboratoire de Médecine Factuelle, Faculté de Médecine, ULB
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
Glossaire
régression vers la moyenneCode
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