Revue d'Evidence-Based Medicine



Pas d’administration systématique de vitamine D (ou analogue) en cas d’insuffisance rénale chronique



Minerva 2024 Volume 23 Numéro 3 Page 57 - 59

Professions de santé

Diététicien, Infirmier, Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Yeung WC, Palmer SC, Strippoli GF, et al. Vitamin D therapy in adults with CKD: a systematic review and meta-analysis. Am J Kidney Dis 2023;82:543‑58. DOI: 10.1053/j.ajkd.2023.04.003


Question clinique
Quels sont, selon une revue systématique avec méta-analyse, les effets d’un traitement par vitamine D ou analogue par rapport à un placebo sur la mortalité et les résultats cardiovasculaires, osseux et rénaux chez les adultes atteints d’insuffisance rénale chronique ?


Conclusion
Cette revue systématique avec méta-analyse montre qu’il n'existe aucune preuve que le traitement à la vitamine D prévienne les décès toutes causes confondues, les décès cardiovasculaires ou les fractures chez les adultes atteints d'IRC de stade 3 à 5. Un traitement à la vitamine D active pourrait améliorer les troubles du métabolisme minéral osseux, mais l'effet est incertain. La thérapie à la vitamine D réduit la PTH et les phosphatases alcalines sériques chez les patients atteints d'IRC, mais les composés actifs augmentent le risque d'hypercalcémie. Un risque significatif d’hypercalcémie a été mis en évidence. Cette revue systématique avec méta-analyse, avec ses biais et la faiblesse des études contrôlées disponibles, n’apporte pas en fait d’élément probant nouveau en faveur de traitement plus systématique à la vitamine D en cas d’IRC.


Contexte

En 2009, Minerva analysa une synthèse méthodique sur la prescription d’analogues de la vitamine D dans l’insuffisance rénale chronique (IRC) (1,2). En effet, on considère que les perturbations du métabolisme minéral osseux (hypocalcémie, hyperphosphatémie, hyperparathyroïdie) dans cette maladie occasionnent des pathologies osseuses mais aussi une élévation de la mortalité cardiovasculaire et globale. Les auteurs de la méta-analyse avaient conclu que la vitamine D ne fait pas baisser le taux sérique de la PTH de façon consistante et que le bénéfice en termes de critères de jugement cliniques est imprécis. La valeur d’un traitement à base de vitamine D pour les patients présentant une insuffisance rénale chronique restait donc incertaine. Le même groupe australien a publié en 2023 une mise à jour de sa méta-analyse (3). 

 

 

Résumé

Méthodologie

Revue systématique avec méta-analyses. 

 

Sources consultées

  • MEDLINE
  • Embase
  • Cochrane Central Register of Controlled Trials database (CENTRAL)
  • publications jusqu’au 25 février 2023.

 

Etudes sélectionnées

  • critères d’inclusion :
    • études randomisées contrôlées
    • langue anglaise
    • intervention : vit D ou analogues
  • critères d’exclusion : durées de traitement et de suivi inférieures à 3 mois
  • au total, 128 essais contrôlés randomisés impliquant 11270 participants se sont révélés éligibles, avec une taille médiane de 50 participants (intervalle : 13-976), une période médiane de suivi de 24 semaines (intervalle : 12-260) et un âge moyen de 57,7 ans ; 84 essais ont été menés chez 7242 participants atteints d'insuffisance rénale traitée par dialyse, et 44 essais auprès de 4028 participants atteints d'IRC de stade 3 à 5 non traitée par dialyse. 

 

Population étudiée

  • critères d’inclusion : patients adultes atteints d'IRC de stade 3, 4 ou 5, y compris l’IRC de stade 5D (insuffisance rénale traitée par dialyse)
  • critères d’exclusion :  transplantation rénale, études incluant des enfants.

 

Mesure des résultats

  • les critères de jugement primaires sont les décès toutes causes confondues, décès cardiovasculaires et fractures, tels que définis par les investigateurs de l’essai
  • les critères de jugement secondaires sont les événements cardiovasculaires indésirables majeurs, hospitalisation, densité minérale osseuse, parathyroïdectomie, insuffisance rénale nécessitant une dialyse, protéinurie, clairance de la créatinine, pression artérielle systolique, pression artérielle diastolique, vitesse de l'onde de pouls, masse ventriculaire gauche, peptide natriurétique cérébral, hypercalcémie, hyperphosphatémie, marqueurs biochimiques du métabolisme minéral osseux et taux de vitamine D.

 

Résultats 

  • objectifs primaires de la revue (par rapport à un placebo)
    • mortalité globale : pas d’effet significatif (26 essais, 3045 patients, RR de 1,04 avec IC à 95% de 0,84 à 1,24), quelle que soit la forme de vitamine D
    • mortalité cardiovasculaire : pas d’effet significatif (5 essais, 1400 patients, RR de 0,73 avec IC à 95% de 0,31 à 1,71, quelle que soit la forme de vitamine D
    • fractures : pas d’effet significatif (8 essais, 1612 patients, RR de 0,68 avec IC à 95% de 0,37 à 1,23, quelle que soit la forme de vitamine D
  • objectifs secondaires (par rapport à un placebo) : rien de significatif si ce n’est sur des paramètres biochimiques, à savoir réduction de la parathormone sérique et des phosphatases alcalines, mais augmentation de la calcémie
  • effets indésirables : risque accru d’hypercalcémie (28 essais, 3561 patients, RR de 1,75 avec IC à 95% de 1,13 à 2,72) mais non d’hyperphosphatémie (8 essais, 1241 patients, RR de 0,96 avec IC à 95% de 0,75 à 1,22).

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que le traitement à la vitamine D n’a pas réduit le risque de décès toutes causes confondues chez les personnes atteintes d’IRC. Les effets sur les fractures et les résultats cardiovasculaires et rénaux sont incertains. 

 

Financement de l’étude

Aucun.

 

Conflit d’intérêts des auteurs

Les auteurs déclarent qu'ils n'ont aucun intérêt financier pertinent.

 

 

Discussion

Évaluation de la méthodologie

La revue a été réalisée selon les recommandations PRISMA (Preferred Reporting Items for Systematic Reviews and Meta-analyses) pour les revues systématiques avec un protocole enregistré dans le registre PROSPERO. Deux des auteurs ont indépendamment sélectionné les articles avec un troisième requis en cas de désaccord. Trois auteurs ont extrait les données et évalué les risques de biais. Les auteurs ont tenu compte du type de vitamine administrée, nutritionnelle ou active (alfacalcidol, calcitriol ou analogue). L'hétérogénéité des estimations de traitement a été exprimée sous forme de statistiques I² et d'IC à 95%. 
La plupart des données probantes de cette revue sont associées à un niveau de certitude faible à moyen, évaluée par la méthode GRADE (Grading of recommendations Assessment, Development and Evaluation). Ce faible niveau est lié à un risque élevé de biais évalué à l'aide de l'outil Cochrane d'évaluation du risque de biais (RoB), déterminé indépendamment par au moins deux chercheurs. La majorité des essais inclus présentaient un risque de biais peu clair ou élevé dans plus d'un domaine, avec des échantillons relativement petits et des durées de suivi courtes. Sur les 128 études incluses, 22 (18,3%) ont été considérées comme présentant un risque élevé en raison de l'absence de données sur les résultats. Le processus de randomisation de 74 études (61,7%) et la mesure des résultats de 51 études (41,7%) posaient certains problèmes (risque moyen). Le taux d'attrition élevé (> 20%) observé dans certaines études peut avoir réduit la capacité d'évaluer les effets réels du traitement. La restriction à la littérature publiée en langue anglaise est aussi une source potentielle de biais.

 

Évaluation des résultats

Les critères d'évaluation principaux dans la plupart des essais éligibles étaient les critères d'évaluation biochimiques, ce qui n’est pas cliniquement très pertinent. La sélection des patients dans les essais individuels peut poser des problèmes pour généraliser les résultats : 70 essais (6339 participants) avaient un critère d'éligibilité d'hyperparathyroïdie secondaire tel que défini par les enquêteurs, et 26 essais (3237 participants) incluaient uniquement ceux présentant un déficit en 25(OH)D au départ. 
Cette revue a le mérite d’être la première à stratifier systématiquement l'analyse des essais avec placebo entre la vitamine D nutritionnelle et la vitamine D active, en démontrant une nette différence dans les effets biochimiques. Les composés actifs de la vitamine D pourraient avoir un effet plus important sur la mortalité. Néanmoins, à part pour l’hypercalcémie avec les formes actives de la vitamine, ni les méta-analyses, ni les essais individuels n’ont pu montrer d’effet de compléments de vitamine D.

 

Que disent les guides pour la pratique clinique ?

Il existe des recommandations publiées par le KDIGO (Kidney Disease: Improving Global Outcomes), un groupe de travail international issu du monde néphrologique et supporté par une fondation américaine. En 2017, il a publié des recommandations pour les troubles du métabolisme minéral osseux liés à l’IRC (4). Le KDIGO suggère que chez les patients atteints d'IRC G3a-G5D, la carence et l'insuffisance en vitamine D soient corrigées à l'aide des stratégies de traitement recommandées pour la population générale. Chez les patients adultes atteints d'IRC G3a-G5 non dialysés, il est suggéré de ne pas utiliser systématiquement le calcitriol et les analogues de la vitamine D. Il propose de réserver l'utilisation du calcitriol et des analogues de la vitamine D aux patients atteints d'IRC G4-G5 présentant une hyperparathyroïdie sévère et progressive.

 

 

Conclusion de Minerva

Cette revue systématique avec méta-analyse montre qu’il n'existe aucune preuve que le traitement à la vitamine D prévienne les décès toutes causes confondues, les décès cardiovasculaires ou les fractures chez les adultes atteints d'IRC de stade 3 à 5. Un traitement à la vitamine D active pourrait améliorer les troubles du métabolisme minéral osseux, mais l'effet est incertain. La thérapie à la vitamine D réduit la PTH et les phosphatases alcalines sériques chez les patients atteints d'IRC, mais les composés actifs augmentent le risque d'hypercalcémie. Un risque significatif d’hypercalcémie a été mis en évidence. Cette revue systématique avec méta-analyse, avec ses biais et la faiblesse des études contrôlées disponibles, n’apporte pas en fait d’élément probant nouveau en faveur de traitement plus systématique à la vitamine D en cas d’IRC. 

 

 


Références 

  1. Verpooten GA. Analogues de la vitamine D dans l’’insuffisance rénale chronique. MinervaF 2009;8(6):78‑9.
  2. Palmer SC, McGregor DO, Macaskill P, et al. Meta-analysis: vitamin D compounds in chronic kidney disease. Ann Intern Med 2007;147:840-53. DOI: 10.7326/0003-4819-147-12-200712180-00004
  3. Yeung WC, Palmer SC, Strippoli GF, et al. Vitamin D therapy in adults with CKD: a systematic review and meta-analysis. Am J Kidney Dis 2023;82:543‑58. DOI: 10.1053/j.ajkd.2023.04.003
  4. Kidney Disease: Improving Global Outcomes (KDIGO) CKD-MBD Update Work Group. KDIGO 2017 clinical practice guideline update for the diagnosis, evaluation, prevention, and treatment of chronic kidney disease-mineral and bone disorder (CKD-MBD). Kidney Int Suppl 2017;7:1‑59. DOI: 10.1016/j.kisu.2017.04.001


Auteurs

Sculier J.P.
Institut Jules Bordet; Laboratoire de Médecine Factuelle, Faculté de Médecine, ULB
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

Glossaire

Code


E55, N18
T91, U99


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