Revue d'Evidence-Based Medicine
Analogues de la vitamine D dans l''insuffisance rénale chronique
Contexte
Les perturbations du métabolisme minéral osseux (hypocalcémie, hyperphosphatémie, hyperparathyroïdie) chez les patients souffrant d'insuffisance rénale chronique occasionnent non seulement des pathologies osseuses mais sont également associées à une élévation de la mortalité cardiovasculaire et globale (1). Les stérols de la vitamine D (calcitriol ou alfacalcidol) et les nouveaux analogues (oxacalcitriol, doxercalciférol, paricalcitol, falécalcitriol) sont utilisés pour traiter l'hyperparathyroïdie.
Résumé
Méthodologie
Synthèse méthodique et méta-analyse
Sources consultées
- MEDLINE (de janvier 1966 à juillet 2007), EMBASE (de janvier 1980 à juillet 2007), Cochrane Renal Group Renal Health Library et Cochrane Central Register of Controlled Trials.
Études sélectionnées
- 76 études cliniques contrôlées, randomisées ou quasi randomisées qui comparent la vitamine D à un placebo, différentes formes de vitamine D entre elles ou différentes doses ou schémas d'administration de la vitamine D
- avec des critères de jugement intermédiaires (biochimiques) ou forts (événements cliniques)
- exclusion : études incluant exclusivement des patients transplantés rénaux ou parathyroïdectomisés, études évaluant la vitamine D dans l’ostéoporose.
Population étudiée
- 3 667 patients insuffisants rénaux aux différents stades
- 6 à 266 patients par étude ; 79% des études incluent moins de 60 patients.
Mesure des résultats
Différence entre vitamine D et placebo, entre différentes formes de vitamine D et entre différentes doses ou schémas d'administration de la vitamine D pour
- paramètres biochimiques : calcémie, phosphatémie, produit calcium x phosphore, phosphatases alcalines et concentration sérique de la parathormone (PTH)
- critères de jugement liés au patient : mortalité globale et cardiovasculaire, fractures, parathyroïdectomie et douleurs osseuses
- risque relatif (RR) pour les variables dichotomiques et différence pondérée de la moyenne (DPM) pour les variables continues
- analyse en modèle d'effets aléatoires.
Résultats
- critères de jugement liés au patient : aucune différence significative entre la vitamine D et le placebo, ni pour les différentes formes de la vitamine D ni pour les différents schémas d'administration de la vitamine D (N=8 études)
- variables biologiques avec les stérols de la vitamine D versus placebo : risque majoré d'hypercalcémie (RR 2,37 ; IC à 95% de 1,6 à 4,85) et d’hyperphosphatémie (RR 1,77 ; IC à 95% de 1,15 à 2,74) ; pas de diminution de la concentration sérique de la PTH
- variables biologiques avec les nouveaux analogues de la vitamine D versus placebo : risque majoré d'hypercalcémie (RR 5,15 ; IC à 95% de 1,06 à 24,97) ; pas d'hyperphosphatémie ; chute significative des taux sériques de la PTH (DPM -10,77 pmol/l ; IC à 95% de -20,51 à -1,03)
- variables biologiques : stérols de la vitamine D versus nouveaux analogues de la vitamine D (N=5 études) : pas de différence significative
- variables biologiques : administration quotidienne versus intermittente de vitamine D : pas de différence significative
- taux sériques de PTH : diminution significativement plus élevée lors d’une administration intraveineuse de fortes doses versus administration orale de faibles doses de vitamine D : DPM -9,47 pmol/l ; IC à 95% de -18,14 à -0,80.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que la vitamine D ne fait pas baisser le taux sérique de la PTH de façon consistante et que le bénéfice en termes de critères de jugement cliniques est imprécis. La valeur d'un traitement à base de vitamine D pour les patients présentant une insuffisance rénale chronique reste incertaine.
Financement
Partiellement par le Cochrane Renal Group qui n’est intervenu à aucun des stades de l’étude.
Conflits d'intérêt
Un auteur est employé chez Diaverum ; un autre est consultant de la firme Abbott et un troisième en a reçu une indemnisation.
Discussion
Considérations méthodologiques
La recherche dans la littérature, l'extraction des données et la réalisation de la méta-analyse des résultats ont été exécutées de manière correcte. L'hétérogénéité statistique entre les études a été recherchée pour tous les critères de jugement à l'aide du test de Chi² et du testtest I² de Higgins calcule le pourcentage de variation entre les études lié à une hétérogénéité et non au hasard, donnée importante lors de la sommation des différents résultats. Ce test statistique évalue la non concordance (‘inconsistency’) dans les résultats des études. Au contraire du Test Q, le test I² dépend du nombre d’études disponibles. Un résultat de test 0 à 40% = l’hétérogénéité pourrait être peu importante ; 30 à 60% = l’hétérogénéité peut être modérée ; 50 à 90% = l’hétérogénéité peut être substantielle ; 75 à 100% = l’hétérogénéité est considérable."> I². Une analyse en méta-régression a été exécutée en cas d'hétérogénéité. Le motif de l'hétérogénéité n'a pas toujours pu être élucidé. Un biais de sélection n'a pas été recherché.
Mise en perspective des résultats
Les chercheurs ont choisi à raison la mortalité comme principal critère de jugement lié au patient. La sommation des résultats n'a pas montré de bénéfice de la vitamine D pour ce critère. Seules 3 des 76 études incluses ont évalué ce critère de jugement. Les RCTs étaient de surcroît trop limitées en ce qui concerne le nombre de participants et la durée du suivi pour évaluer la mortalité. Des études d’observation incluant des patients dialysés ont pu, par contre, montrer un effet bénéfique de la vitamine D sur la mortalité (2). De même, une étude d’observation récente incluant 520 patients souffrant d’insuffisance rénale chronique a montré après 2 ans un bénéfice en termes de moindre mortalité et une chute du risque d’initiation d’une dialyse dans le groupe qui a reçu le calcitriol (n=258) (3).
Cette méta-analyse ne livre pas d'information supplémentaire concernant l'effet de la vitamine D sur le métabolisme osseux de patients souffrant d’insuffisance rénale chronique. Le recours à des critères de jugement intermédiaires biochimiques pour évaluer l'efficacité de la vitamine D sur l'os est peu pertinent. La relation entre la phosphatémie et la mortalité n'est pas linéaire. Tant l'hypo- que l'hyperphosphatémie sont associées à une mortalité plus élevée. La relation entre le métabolisme osseux et la concentration en parathormone (PTH) est également complexe. Le paradigme que la pathologie osseuse dans l'insuffisance rénale chronique est causée par une augmentation du métabolisme osseux (formation osseuse + résorption osseuse) a été réfuté à de multiples reprises dans des études bien menées (4,5). Un taux faible de PTH chez un patient présentant une insuffisance rénale chronique peut être un signe de pathologie osseuse adynamique, situation dans laquelle la résorption et la formation osseuses sont toutes deux arrêtées. Des études incluant la réalisation de biopsies osseuses ont montré que la pathologie osseuse adynamique et l'ostéomalacie (diminution de la minéralisation osseuse par déficit en vitamine D) ont une forte prévalence dans cette population (4).
L’observation principale de cette méta-analyse est que l'hypercalcémie est le principal effet indésirable de toute forme de vitamine D. L'hypercalcémie n'est pas sans danger : en plus de ses effets au niveau vasculaire, elle peut occasionner des troubles du système nerveux central et du rythme cardiaque (6,7).
Pour la pratique
A la lumière des données actuelles, le rôle de la vitamine D dans le traitement des perturbations du métabolisme minéral osseux chez des patients en insuffisance rénale chronique est limité, principalement en raison du danger d'hypercalcémie. Pour les hypocalcémies sévères par hypovitaminose D constatée par dosage de la vitamine D-25(OH), la “simple” vitamine D3 (colécalciférol) peut être administrée (8). Pour les hypocalcémies sévères après parathyroïdectomie, il vaut mieux recourir aux analogues de la vitamine D (9). Il est à noter que les formes intraveineuses de vitamine D ne sont pas disponibles en Belgique.
Conclusion
Cette méta-analyse souligne que l'usage systématique de stérols et des nouveaux analogues de la vitamine D en cas d'insuffisance rénale chronique n'apporte pas de bénéfice en termes de mortalité et s'accompagne d'un risque majoré d'hypercalcémie.
Références
- Kalantar-Zadeh K, Kuwae N, Regidor DL, et al. Survival predictability of time-varying indicators of bone disease in maintenance hemodialysis patients. Kidney Int 2006;70:771-80.
- Teng M, Wolf M, Ofsthun MN, et al. Activated injectable vitamin D and hemodialysis survival: a historical cohort study. J Am Soc Nephrol 2005;16:1115-25.
- Kovesdy CP, Ahmadzadeh S, Anderson JE, Kalantar-Zadeh K. Association of activated vitamin D treatment and mortality in chronic kidney disease. Arch Intern Med 2008;168:397-403.
- Spasovski GB, Bervoets AR, Behets GJ, et al. Spectrum of renal bone disease in end-stage renal failure patients not yet on dialysis. Nephrol Dial Transplant 2003;18:1159-66.
- Couttenye MM, D'Haese PC, Deng JT, et al. High prevalence of adynamic bone disease diagnosed by biochemical markers in a wide sample of the European CAPD population. Nephrol Dial Transplant 1997;12:2144-50.
- Bushinsky DA. Disorders of calcium and phosphorus homeostasis. In: Primer on Kidney Diseases, 4th edition. Greenberg A (editor); National Kidney Foundation, Elseviers Saunders 2005, p. 120-130.
- Drüeke TB, Lacour B. Disorders of calcium, phosphate, and magnesium metabolism. In: Comprehensive Clinical Nephrology, 3rd edition. Freehalle J, Floege J and Johnson RJ (editors); Mosby 2007, p. 123-140.
- KDOQI Clinical Practice Guidelines for Bone metabolism and Disease in Chronic Kidney Disease, guideline 7. (http://www.kidney.org/professionals/kdoqi/guidelines_bone/Guide7.htm
- KDOQI Clinical Practice Guidelines for Bone metabolism and Disease in Chronic Kidney Disease, guideline 14.3d . http://www.kidney.org/professionals/kdoqi/guidelines_bone/Guide14.htm
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