Revue d'Evidence-Based Medicine



L’activité physique influence-t-elle la santé mentale des personnes présentant un trouble du neurodéveloppement ?



Minerva 2024 Volume 23 Numéro 6 Page 144 - 147

Professions de santé

Ergothérapeute, Kinésithérapeute, Médecin généraliste, Psychologue

Analyse de
Liu C, Liang X, Sit CH. Physical activity and mental health in children and adolescents with neurodevelopmental disorders: a systematic review and meta-analysis. JAMA Pediatr 2024; 178:247-57. DOI: 10.1001/jamapediatrics.2023.6251


Question clinique
Quel est l’effet de l’activité physique sur la santé mentale des enfants et des adolescents présentant un trouble du neurodéveloppement ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse, qui a été menée correctement d’un point de vue méthodologique, montre que l’activité physique peut avoir un effet positif sur la santé mentale des enfants et des adolescents présentant des troubles du neurodéveloppement. Un tiers des études incluses n’étaient pas des études randomisées, ce qui peut entraîner un biais de sélection. Elles sont en outre très hétérogènes, tant sur le plan clinique que sur le plan statistique, ce qui complique l’extrapolation des résultats.


Contexte

Les troubles neurodéveloppementaux visés au Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux DSM-5 () constituent un ensemble de pathologies différentes, parmi lesquels le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), le trouble du spectre autistique (TSA), la déficience intellectuelle, les troubles moteurs (tels que le trouble développemental de la coordination (TDC) et les troubles de l’apprentissage. De nombreux enfants et adolescents atteints de ces troubles du développement présentent des problèmes de santé mentale (1). Plusieurs études ont déjà montré que l’activité physique est bénéfique pour la santé mentale et les fonctions cognitives des enfants et des adolescents (2-4). Un commentaire publié dans Minerva a traité d’une synthèse méthodique qui montrait que l’activité physique régulière chez les enfants et les adolescents atteints de TDAH était bénéfique pour les principaux symptômes du TDAH et pour les fonctions exécutives (5,6). Minerva a également publié une analyse d’une autre synthèse méthodique qui montrait aussi que l’activité physique pouvait avoir un léger effet positif sur la communication chez les enfants et les adolescents atteints de TSA (7,8). Une nouvelle synthèse méthodique a examiné l’effet de l’activité physique sur plusieurs troubles du neurodéveloppement chez des enfants et des adolescents (9).

 

 

Résumé

Méthodologie 

Synthèse méthodique avec méta-analyse

 

Sources consultées

  • Web of Science (WoS), PsycINFO, SPORTDiscus, MEDLINE, CINAHL Complete et ERIC ; jusque mai 2023
  • listes de références des études incluses
  • uniquement des études en anglais.

 

Études sélectionnées

  • critères d’inclusion : études randomisées et non randomisées examinant l’effet de l’activité physique sur la santé mentale de jeunes de 5 à 17 ans présentant des troubles du développement
    • l’activité physique pouvait être autant une intervention à court terme (1 séance) qu’à long terme (≥ 1 séance/semaine pendant ≥ 2 semaines) 
    • les résultats en matière de santé mentale devaient se rapporter aux fonctions cognitives, au bien-être psychologique, aux problèmes d’internalisation (problèmes émotionnels tels que l’anxiété, la dépression...) ou d’externalisation (problèmes comportementaux tels que l’agressivité, la délinquance, les problèmes sociaux...), mesurés au moyen de tâches neurocognitives ou de questionnaires.
  • critères d’exclusion : études dans lesquelles les témoins étaient des enfants ou des adolescents en bonne santé
  • finalement, 76 études ont été sélectionnées (dont 52 études randomisées) ; 59 études ont été incluses dans la méta-analyse ; 54 études utilisaient l’activité physique avec des éléments cognitifs, 14 études avec des exercices en aérobie, 5 études avec une combinaison d’exercices en aérobie et d’exercices cognitifs, et 3 études utilisaient des plusieurs groupes d’intervention avec des exercices en aérobie ou des exercices cognitifs ; dans 5 études, les interventions étaient de courte durée, et dans 71 études, elles étaient de longue durée ; la durée des séances (5 à 120 minutes par séance), leur fréquence (1 à 7 fois par semaine), le nombre total de séances (1 à 144 séances) et la durée totale de l’intervention (5 à 16680 minutes) variaient considérablement d’une étude à l’autre.

 

Population étudiée

  • 3007 enfants et adolescents (12 à 145 par étude) âgés de 5 à 17 ans présentant un trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH ; N = 31), un trouble du spectre autistique (TSA ; N = 19), une déficience intellectuelle (N = 15), un trouble développemental de la coordination (TDC ; N = 6) ou un trouble de l’apprentissage (N = 5). 

 

Mesure des résultats 

  • taille de l’effet de l’activité physique, par comparaison avec les témoins, exprimée en g de Hedges
  • analyse de modération du type de trouble du développement, de la conception de l’étude, du type d’activité physique, du cadre, de la durée et de l’intensité de l’intervention ainsi que de la durée, de la fréquence, du nombre et de la durée totale des séances.

 

Résultats 

  • l’activité physique est associée à un effet positif modéré à important sur la santé mentale générale ainsi que sur les fonctions cognitives, sur le bien-être psychologique et sur les problèmes d’internalisation et d’externalisation (voir tableau 1).


Tableau 1.  g de Hedges avec IC à 95%, valeur de p, nombre d’études N et I² de l’effet de l’activité physique sur la santé mentale et les sous-domaines.

 

g (avec IC à 95%)

Valeur de p

N ; I²

Santé mentale générale

0,65 (0,50 à 0,85)

< 0,001

N = 59 ; I² = 78,50%

Fonctions cognitives

0,74 (0,48 à 0,99)

< 0,001

N = 44 ; I² = 83,86%

Bien-être psychologique

0,56 (0,16 à 0,96)

0,01

N = 9 ; I² = 60,39%

Troubles d’internalisation 

0,72 (0,34 à 1,10)

< 0,001

N = 5 ; I² = 75,35%

Troubles d’externalisation 

0,58 (0,28 à 0,89)

< 0,001

N = 14 ; I² = 60,38%

  

  • l’activité physique était associée à un effet positif modéré à important sur des fonctions cognitives spécifiques, l’anxiété et la dépression (sous-domaine des troubles d’internalisation) et les troubles du comportement (sous-domaine des troubles d’externalisation) (voir tableau 2) ; aucun effet statistiquement significatif n’a été trouvé pour la qualité de vie (sous-domaine du bien-être psychologique), les plaintes somatiques (sous-domaine des troubles d’internalisation) et le trouble oppositionnel avec provocation (TOP ; sous-domaine des troubles d’externalisation).


Tableau 2. g de Hedges avec IC à 95%, valeur de p de l’effet de l’activité physique sur les sous-domaines. 

 

g (avec IC à 95%)

Valeur de p

Flexibilité cognitive

0,49 (0,31 à 0,66)

< 0,001

Contrôle des impulsions

0,54 (0,18 à 0,91)

0,006

Mémoire de travail

0,40 (0,14 à 0,67)

0,007

Fonctions exécutives supérieures

0,83 (0,25 à 1,41)

0,01

Attention complexe

1,47 (0,66 à 2,27)

0,002

Fonctions exécutives comportementales

0,40 (0,14 à 0,65)

0,006

Anxiété et dépression

0,81 (0,31 à 1,32)

0,003

Troubles du comportement

0,61 (0,19 à 1,04)

0,008


    

  • l’effet de l’activité physique sur la santé mentale générale était modéré par la fréquence des séances, le nombre et la durée totale des séances 
  • l’effet sur les problèmes d’internalisation était modéré par le type d’activité physique 
  • l’effet sur les fonctions cognitives était modéré par le nombre et la durée totale des séances 
  • l’effet sur le bien-être psychologique était modéré par la fréquence et la durée des séances 
  • l’effet sur les problèmes d’externalisation était modéré par la durée des séances. 

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les enfants et les adolescents souffrant de différents types de troubles neurodéveloppementaux peuvent être regroupés pour mettre en œuvre des interventions axées sur l’activité physique. L’étude confirme que, dans cette population de patients chez qui le diagnostic a été posé récemment, l’activité physique est bénéfique pour la santé mentale en général, ainsi que pour des domaines particuliers de la santé mentale. Les interventions axées sur l’activité physique doivent être adaptées lorsqu’elles visent certains domaines de la santé mentale.  

 

Financement de l’étude

Aucun financement spécifique n’est signalé. 

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Les auteurs ne mentionnent pas de conflits d’intérêt.

 

 

Discussion


Considérations sur la méthodologie

Le rapport de cette synthèse méthodique avec méta-analyse est conforme aux recommandations PRISMA. Le protocole a été enregistré dans PROSPERO. La recherche bibliographique s’est appuyée sur plusieurs bases de données et a utilisé des termes de recherche appropriés. L’inclusion et l’exclusion des articles ont été effectuées par deux chercheurs indépendants, de même que l’évaluation de la qualité méthodologique des études sélectionnées. En ce qui concerne la qualité méthodologique des études incluses, il convient de noter qu’environ un tiers d’entre elles (24 sur 76) n’étaient pas des études randomisées. On ne peut donc exclure un biais de sélection, l’intervention étant allouée à certains participants préférentiellement. Par ailleurs, les échantillons étaient souvent de petite taille.
Les études incluses étaient très hétérogènes sur le plan clinique (voir plus loin). Cette importante hétérogénéité clinique peut s’être traduite par une importante hétérogénéité statistique dans les résultats. Dans le cadre de cette hétérogénéité statistique, notons également que certains échantillons étaient de très petite taille. Toutefois, sur la base des funnel plots, aucun biais de publication n’a pu être mis en évidence, et, après élimination des valeurs aberrantes dans les analyses de sensibilité, les tailles d’effet sont restées pratiquement inchangées. 

 

Évaluation des résultats

Pour l’évaluation des résultats, il faut tenir compte de l’importante hétérogénéité clinique des études incluses. Bien que les « troubles du neurodéveloppement » soient regroupés dans le DSM-5 et que les auteurs signalent l’existence d’un nombre important de chevauchements entre les différents troubles du développement, ceux-ci peuvent néanmoins présenter des différences dans certains domaines. En outre, près de la moitié des cas concernaient une population atteinte de TDAH, tandis que seuls 9% (N = 6) concernaient des troubles développementaux de la coordination et 7% (N = 5) des troubles de l’apprentissage. On peut donc se demander si ces résultats sont extrapolables à tous les troubles du neurodéveloppement. Cependant, les analyses de modération concernant le type de trouble du développement n’ont pas montré de différences statistiquement significatives, ce qui implique indirectement que l’activité physique peut être bénéfique dans chacun de ces troubles. 
La tranche d’âge était très large (5-17 ans), et les pourcentages de participants de sexe masculin et de sexe féminin ne sont pas communiqués. Les exigences concernant les efforts cognitifs, le fait de rester assis, etc. sont différentes dans l’enseignement primaire et dans l’enseignement secondaire. Cela peut également compliquer l’extrapolation des résultats à certains groupes d’âge et on n’a aucune vue claire sur d’éventuelles différences entre les sexes. 
En outre, le contenu de l’intervention physique était également très variable. Il s’agissait d’aérobic, de yoga, de fitness, d’exercices d’équilibre, de danse, de natation, de karaté, de judo, de taekwondo, de sports de raquette, d’équitation et d’« exercices corps-esprit » chinois. Les groupes témoins ne sont pas non plus clairement décrits dans l’étude. 
Quoi qu’il en soit, les effets positifs de l’activité physique sur la santé mentale des enfants présentant des troubles du neurodéveloppement sont modérés à importants d’après les résultats obtenus. Le fait d’observer les mêmes effets positifs dans plusieurs domaines rend également les résultats plus robustes. Les analyses de modération montrent une augmentation de la taille de l’effet lorsque les séances sont plus fréquentes et régulières.
Les auteurs ne se prononcent pas sur la question de savoir si les activités physiques sont conseillées comme alternative ou comme complément à d’autres traitements en cas de trouble du neurodéveloppement. 

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Ni les guides de pratique clinique sur les TSA (10), sur la déficience intellectuelle (11) et sur la dyslexie (12), ni le protocole pour la dyscalculie (13) ne mentionnent explicitement l’activité physique. Les guides de pratique clinique sur les problèmes moteurs tels que les troubles développementaux de la coordination (14,15) mentionnent l’importance de tenir compte à la fois des aspects moteurs et non moteurs du fonctionnement de l’enfant. Dans le cas du TDAH, on préconise également l’information, le conseil aux parents et aux enseignants et éventuellement une thérapie comportementale (16,17), mais on propose aussi de « veiller au mouvement », c’est-à-dire de faire faire à l’enfant des tâches où il peut bouger, de lui trouver un sport ou une activité physique adaptés. Pourtant, récemment, une lettre ouverte (18) et un webinaire (19) mettaient en garde contre une prolifération de traitements utilisant des exercices moteurs ; on y trouve des informations trompeuses concernant les troubles du développement, y compris les troubles développementaux de la coordination (20). 

 

 

Conclusion de Minerva 

Cette synthèse méthodique avec méta-analyse, qui a été menée correctement d’un point de vue méthodologique, montre que l’activité physique peut avoir un effet positif sur la santé mentale des enfants et des adolescents présentant des troubles du neurodéveloppement. Un tiers des études incluses n’étaient pas des études randomisées, ce qui peut entraîner un biais de sélection. Elles sont en outre très hétérogènes, tant sur le plan clinique que sur le plan statistique, ce qui complique l’extrapolation des résultats.

 

 


Références 

  1. American Psychiatric Association. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders. 5th ed. American Psychiatric Association 2013.
  2. Biddle SJ, Asare M. Physical activity and mental health in children and adolescents: a review of reviews. BR J Sports Med 2011;45:886-95. DOI: 10.1136/bjsports-2011-090185
  3. Best JR. Effects of physical activity on children’s executive function: contributions of experimental research on aerobic exercise. Dev Rev 2010;30;331-551. DOI: 10.1016/j.dr.2010.08.001
  4. Larun L, Nordheim LV, Ekeland E, et al. Exercise in prevention and treatment of anxiety and depression among children and young people. Cochrane Database Syst Rev 2006, Issue 3. DOI: 10.1002/14651858.CD004691.pub2
  5. Blause S, Léonard F, Durieux N. Les exercices physiques réguliers ont-ils un effet bénéfique dans le TDAH chez l’enfant et l’adolescent ? MinervaF 2023;22(7);161-4
  6. Huan H, Zhijuan J, Changshuang He, et al. Chronic exercise for core symptoms and executive functions in ADHD: a meta-analysis. Pediatrics 2023;151:e2022057745. DOI: 10.1542/peds.2022-057745
  7. Warreyn P. L’activité physique influence-t-elle la communication et le fonctionnement social des enfants et adolescents autistes ? MinervaF 2021;20(10);128-31
  8. Chan JS, Deng K, Yan JH. The effectiveness of physical activity interventions on communication and social functioning in autistic children and adolescents: a meta-analysis of controlled trials. Autism 2020;25:874-86. DOI: 10.1177/1362361320977645
  9. Liu C, Liang X, Sit CH. Physical activity and mental health in children and adolescents with neurodevelopmental disorders: a systematic review and meta-analysis. JAMA Pediatr 2024, 178:247-57. DOI: 10.1001/jamapediatrics.2023.6251
  10. Veereman G, Holdt Henningsen K, Eyssen M, et al.  Prise en charge de l’autisme chez les enfants et les adolescents: un guide de pratique clinique. Good Clinical Practice (GCP) Brussels: Belgian Health Care Knowledge Centre (KCE), 2014. KCE Reports 233B. DOI: 10.57598/R233BS.
  11. De Wit M, Moonen X, Douma J.  Richtlijn Effectieve interventies LVB. Aanbevelingen voor het aanpassen, uitvoeren en ontwikkelen van gedragsveranderende interventies voor personen met een licht verstandelijke beperking. Herziene versie, 2023. URL : http://www.kenniscentrumlvb.nl/wp-content/uploads/2023/09/Richtlijn-effectieve-interventies-LVB-herziene-versie-2023.pdf 
  12. Dyslexie. Laatst gewijzigd: 18/06/2024. Richtlijnen Jeugdhulp en jeugdbescherming. 
  13. Van Groenenstijn M, Borghouts C, Janssen C. Protocol ernstige reken-wiskundeproblemen en dyscalculie. Van Gorcum 2011. URL: https://erwd.nl/protocol
  14. Developmental Coordination Disorder (DCD). Richtlijnendatabank. Federatie Medisch Specialisten 2019. URL: 
    https://richtlijnendatabase.nl/richtlijn/developmental_coordination_disorder_dcd/startpagina_-_developmental_coordination_disorder_dcd.html
  15. Vereniging van Revalidatieartsen (VRA). Nederlandse richting voor diagnostiek en behandeling van kinderen, adolescenten en volwassenen met DCD 2019. URL: https://richtlijnendatabase.nl/gerelateerde_documenten/f/19283/DCD%20richtlijn.pdf
  16. JGZ-richtlijn ADHD. Signalering, begeleiding en toeleiding naar diagnostiek. Nederlands Centrum Jeugdgezondheid (NCJ) 2015. URL: https://www.jgzrichtlijnen.nl/alle-richtlijnen/richtlijn/?richtlijn=54&rlpag=2928
  17. Nederlands Huisartsen Genootschap (NHG). NHG-Standaard. ADHD bij kinderen (M104).
  18. Open brief 14 november 2023. URL:
    https://modulas.sig-net.be/uploads/downloads_vorming/open_brief.pdf
  19. Lenoir M, Ghesquière P, Van Waelvelde. From Science to practice. Webinar. Het stimuleren van motorische activiteiten bij jonge kinderen. Toelichting omtrent de open brief over  pseudowetenschap in scholen in de behandeling van kinderen met ontwikkelings- en leerstoornissen.  Nova Academie 2014. 
  20. Blank R, Barnett AL, Cairney J, et al. International clinical practice recommendations on the definition, diagnosis, assessment, intervention, and psychosocial aspects of developmental coordination disorder. Dev Med Child Neurol 2019;61:242-85. DOI: 10.1111/dmcn.14132




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