Revue d'Evidence-Based Medicine
Prévention du trouble de stress post-traumatique lié à l’accouchement.
Minerva 2024 Volume 23 Numéro 10 Page 228 - 231
Professions de santé
Infirmier, Médecin généraliste, Psychologue, Sage-femmeContexte
Environ 10 à 20% des femmes vivent l’accouchement comme un événement traumatisant (1). On parle d’accouchement traumatique en cas de survenue d’interactions ou d’événements en rapport direct avec l’accouchement, provoquant des émotions et des réactions accablantes et pénibles ayant un impact négatif sur le bien-être de la femme (1,2). Environ 10% des femmes qui ont vécu un accouchement traumatique développent un trouble de stress post-traumatique, caractérisé par des réminiscences, des cauchemars, un comportement d’évitement, des pensées négatives et une humeur négative, une irritabilité plus prononcée et des problèmes de concentration (1). Les facteurs de risque de trouble de stress post-traumatique lié à l’accouchement comprennent les complications/interventions obstétricales (telles que la césarienne en urgence), les antécédents psychiatriques (comme une dépression) et des facteurs liés à l’accouchement (comme la perception d’un manque de soutien) (1). Non traité, ce trouble peut nuire au lien mère-enfant et affecter le développement de l’enfant (1). Par exemple, les femmes souffrant d’un trouble de stress post-traumatique lié à l’accouchement sont moins susceptibles d’allaiter et évitent souvent une autre grossesse (1). Le trouble de stress post-traumatique lié à l’accouchement étant directement lié à l’accouchement, il est possible d’intervenir de manière préventive. Cependant, les connaissances actuelles sont insuffisantes pour permettre de formuler des recommandations cliniques à l’intention des prestataires de soins de santé.
Résumé
Méthodologie
Synthèse méthodique et méta-analyse (3).
Sources consultées
- PsycInfo, PsycArticles, PubMed, ClinicalTrials.gov, CINAHL, ProQuest, Sociological Abstracts, Google Scholar, Embase, Web of Science, ScienceDirect, Scopus, le registre Cochrane des essais contrôlés (Cochrane Central Register of Controlled Trials, CENTRAL) ; jusque septembre 2023
- synthèses méthodiques portant sur la prise en charge du trouble de stress post-traumatique lié à l’accouchement
- uniquement des publications en anglais.
Études sélectionnées
- critères d’inclusion : études randomisées et non randomisées examinant l’effet de chaque intervention par rapport au contrôle (soins habituels, témoins sains, liste d’attente) pour le traitement (préventif) du trouble de stress post-traumatique lié à l’accouchement
- critères d’exclusion : rapports de cas, protocoles d’étude, études cliniques en cours, absence de critère de jugement concernant le trouble de stress post-traumatique lié à l’accouchement, études menées uniquement chez des femmes ayant accouché d’un enfant mort-né
- finalement, inclusion de 41 études, 32 randomisées et 9 non randomisées, publiées entre décembre 1988 et septembre 2023
- les études ont été classées selon
- le moment de l’intervention : interventions préventives primaires proposées pendant la grossesse (N = 3) ; interventions préventives secondaires proposées pendant le mois suivant un accouchement traumatique avant qu’un diagnostic de stress post-traumatique selon le DSM-5 ne puisse être confirmé (N = 24) ; prévention tertiaire proposée plus d’un mois après l’accouchement dans les cas (infracliniques) de trouble de stress post-traumatique lié à l’accouchement (N = 14).
- le type de traitement : 36 études ont examiné des traitements psychologiques (débriefing psychologique (N = 4) ; intervention en cas de crise (N = 1) ; traitements axés sur le traumatisme (N = 15), tels que la thérapie cognitivo-comportementale, la désensibilisation et reprogrammation par mouvements oculaires et l’écriture expressive sur l’accouchement ; blocage de la consolidation et de la reconsolidation de la mémoire (N = 3) ; conseils psychologiques (N = 5) ; traitements centrés sur la mère et le bébé concernant l’attachement et le contact peau à peau (N = 4) ; approches alternatives telles que le biofeedback visuel (N = 1), la réduction du stress basée sur la pleine conscience (N = 1) et la musicothérapie (N = 2)) ; et 4 études ont examiné des interventions éducatives (N = 4).
Population étudiée
- étaient exclues les femmes qui avaient des antécédents d’autres traumatismes (tels que les traumatismes de l’enfance ou la violence du partenaire).
- au total, 4934 participants ont été inclus (entre 4 et 678), l’âge moyen se situant entre 25 et 35 ans ; 46 à 100% des femmes étaient en couple.
Mesure des résultats
- critère de jugement primaire : effets sur les symptômes du trouble de stress post-traumatique lié à l’accouchement, mesurés soit au moyen de questionnaires d’auto-évaluation validés portant sur les symptômes du trouble de stress post-traumatique lié à l’accouchement (N = 36), soit au moyen d’évaluations diagnostiques effectuées par des cliniciens (N = 5) ; principalement à court ou à moyen terme (< 2 mois pour 15 études et ≥ 2 mois pour 19 études) et, dans certaines études, à long terme (> 6 mois pour 7 études).
- critères de jugement secondaires : changements dans la dépression du post-partum, l’anxiété et le lien mère-enfant
- analyses de sous-groupes selon le type d’intervention et l’intensité de l’intervention (1 séance versus plusieurs séances)
- analyses de sensibilité pour détecter un risque élevé de biais.
Résultats
- résultats pour les critères de jugement primaires :
- pas de méta-analyse possible pour les interventions de prévention primaire en raison du faible nombre d’études disponibles
- par rapport aux groupes témoins, les interventions préventives secondaires ont eu un effet modéré en termes de réduction des symptômes du trouble de stress post-traumatique (N = 24, n = 2523 ; DMS de -0,67 avec IC à 95% de -0,92 à -0,42 ; I² = 90%) ; les effets les plus importants ont été observés avec les conseils psychologiques semi-structurés dirigés par une sage-femme et basés sur le dialogue (DMS de -0,91 avec IC à 95% de -1,61 à -0,21) ainsi qu’avec les interventions brèves et structurées centrées sur le traumatisme (DMS de -0,95 avec IC à 95% de -1,50 à -0,40) ; il n’y avait pas de différence statistiquement significative entre les interventions à une seule séance et les interventions à plusieurs séances
- par rapport aux groupes témoins, l’effet des interventions de prévention tertiaire était faible (N = 14, n = 813 ; DMS de -0,37 avec IC à 95% de -0,60 à -0,14 ; I² = 45%)
- en ce qui concerne les critères de jugement secondaires, les résultats n’étaient pas présentés clairement dans les différentes études.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que les interventions psychologiques brèves, axées ou non sur les traumatismes, proposées précocement après un accouchement traumatique, offrent une possibilité importante et réalisable d’atténuer les symptômes de trouble de stress post-traumatique lié à l’accouchement. De futures recherches intégrant des mesures diagnostiques et biologiques pourraient aider à mieux comprendre le mode d’action de l’intervention et les mécanismes sous-jacents.
Financement de l’étude
Un auteur a bénéficié de bourses d’études de Eunice Kennedy Shriver National Institute of Child Health and Human Development, et d’une bourse de financement du soutien provisoire (Interim Support Funding, ISF) du comité exécutif de recherche de l’Hôpital général du Massachusetts ; un autre auteur a bénéficié d’une bourse postdoctorale du programme Mortimer B. Zuckerman STEM Leadership ; et enfin, un autre auteur a bénéficié d’un financement de Stage de service public Menschel Cornell Commitment de l’université de Cornell ; aucune organisation n’est intervenue dans la conception, la mise en œuvre et le compte-rendu de ce travail.
Conflits d’intérêt des auteurs
Les auteurs n’ont pas mentionné de conflits d’intérêt.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
Il s’agit d’une synthèse méthodique avec méta-analyse qui a été correctement menée sur le plan méthodologique. Les auteurs ont suivi les directives PRISMA pour la présentation des résultats. Pour évaluer la qualité des études et le risque de biais, ils ont eu recours à deux outils couramment utilisés (la liste de contrôle de Downs et Black et les outils Cochrane « Risque de biais »). La plupart des études présentaient un risque élevé de biais en raison de l’insuffisance de la mise en aveugle des participants et des prestataires de soins. Bien que l’effet ait été mesuré à l’aide de questionnaires validés, l’autodéclaration peut avoir entraîné un biais important dans l’effet des interventions psychologiques. En outre, pour quelques études, il a été difficile d’évaluer la qualité en raison d’informations insuffisantes sur les caractéristiques de l’échantillon ou le moment de l’évaluation de l’intervention. Les analyses de sensibilité sur la base du risque de biais ont cependant montré des effets similaires. Il n’y avait pas de preuve de biais de publication.
Dans l’ensemble, le nombre d’études randomisées contrôlées évaluant les interventions préventives primaires (N = 2) et tertiaires (N = 9) était faible. De plus, il y avait une grande hétérogénéité statistique entre les études, surtout en ce qui concerne les interventions préventives secondaires (I² = 90%). Les auteurs ont effectué des analyses de sous-groupes pour mieux comprendre l’influence du type d’intervention sur les résultats, mais cela n’a pas toujours été possible en raison du nombre limité d’études par type d’intervention.
Évaluation des résultats
L’étude porte sur un thème très pertinent qui répond à un besoin majeur en matière de soins obstétricaux. Cette étude est pertinente compte tenu de l’attention croissante portée à la santé mentale et au bien-être psychosocial également en Belgique (4) et surtout eu égard à l’actualité de la promotion de soins respectueux entourant la naissance (5-7). Ont été incluses tant des études menées chez des femmes présentant un risque élevé de trouble de stress post-traumatique que des études menées dans la population générale. De plus, les caractéristiques des populations incluses ne sont décrites que sommairement. Il n’est donc pas possible d’opérer de distinction entre les interventions qui sont plus efficaces ou moins efficaces pour certains groupes (comme la différence entre les mères d’un premier enfant et les mères ayant accouché de plusieurs enfants, l’âge...). Les auteurs font une distinction entre interventions primaires, secondaires et tertiaires. C’est une approche intéressante, mais l’hétérogénéité clinique des interventions incluses reste importante. Il est donc difficile de formuler des recommandations ciblées pour la pratique sur la base des résultats d’interventions spécifiques. Les auteurs eux-mêmes ne décrivent pas clairement les mesures des résultats primaires et secondaires et rapportent les résultats en utilisant les différences moyennes standardisées (DMS). Sur cette base, l’effet de la prévention tertiaire était petit et l’intervention secondaire avait un effet modéré. Il est cependant difficile d’évaluer concrètement la pertinence clinique de ces résultats (8). En outre, la revue ne donne aucune information sur les effets indésirables des interventions.
Malgré les grandes différences dans les soins à la naissance entre les différentes régions du monde, l’extrapolation au contexte belge est possible étant donné l’inclusion d’un grand nombre d’études d’Europe, d’Australie et d’Amérique. De plus, les interventions décrites qui ont des effets significatifs, à savoir le conseil psychologique et les interventions structurées axées sur les traumatismes, sont réalisables et pertinentes dans le contexte des soins de santé en Belgique.
Que disent les guides de pratique clinique ?
La Société néerlandaise d’obstétrique et de gynécologie (Nederlandse Vereniging voor Obstetrie en Gynaecologie, NVOG) a publié en 2019 un guide pour la pratique clinique sur le syndrome de stress post-traumatique lié à l’accouchement (1). On y trouve des recommandations claires sur les interventions avant, pendant et après l’accouchement, pendant la première semaine du post-partum, lors des contrôles de suivi (dans notre cas, 6 semaines après l’accouchement) et en cas de nouvelle grossesse. Ces recommandations cadrent avec la conclusion des auteurs en ce qui concerne les interventions psychologiques brèves. Cependant, ce guide pour la pratique clinique préconise également des interventions dont l’efficacité n’a pas été démontrée ou qui, selon cette étude, n’ont pas fait l’objet de recherches (par exemple, l’importance de préparer un plan de naissance, l’entretien lors d’une nouvelle grossesse).
Le guide pour la pratique clinique de la NVOG porte essentiellement sur la continuité des soins, la prévention par l’attention portée à la santé mentale, la détection précoce des symptômes d’altération du bien-être mental et le traitement. Cela cadre avec les recommandations du « Guide de pratique multidisciplinaire : Soins du post-partum en première ligne de soins » (4) qui aborde dans un chapitre distinct le suivi des patientes en maternité afin de garantir la santé mentale et le bien-être psychosocial pendant la période du post-partum.
Conclusion de Minerva
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse montre que de brèves interventions psychologiques de prévention secondaire (mises en œuvre peu après un accouchement traumatique) axées ou non sur les traumatismes réduisent modérément la gravité du trouble de stress post-traumatique lié à l’accouchement. Toutefois, les résultats de cette synthèse méthodique doivent être interprétés avec prudence en raison du petit nombre d’études sur les interventions préventives primaires (pendant la grossesse) et tertiaires (bien après la grossesse, lorsque les symptômes sont déjà présents) et de l’importante hétérogénéité statistique concernant les interventions préventives secondaires. Dans l’ensemble, la plupart des études présentaient également un risque élevé de biais en raison de l’insuffisance de la mise en aveugle des participants et des prestataires de soins. Étant donné l’importance croissante accordée aux « soins respectueux entourant la naissance », il est nécessaire de mener davantage de recherches sur le bien-être mental périnatal et sur la prévention du trouble de stress post-traumatique lié à l’accouchement.
- Nederlandse Vereniging voor Obstetrie & Gynaecologie. Richtlijn Bevallingsgerelateerde posttraumatische-stressstoornis (PTSS) en posttraumatische-stressstoornisklachten (PTSS- klachten). NVOG, 2019. (Site consulté le 11/10/2024.) URL:
https://www.nvog.nl/wp-content/uploads/2019/11/Bevallingsgerelateerde-posttraumatische-stressstoornis-PTSS-en-posttraumatische-stressstoornisklachten-PTSS-klachten-okt-2019.pdf - Leinweber J, Fonstein-Kuipers Y, Thomson G, et al. Developing a woman-centred, inclusive definition of traumatic childbirth experiences. A discussion paper. Birth 2022;49:687-96. DOI: 10.1111/birt.12634. In: 21st International Normal Labour and Birth Research Conference Denmark–Aarhus 2022. September 12th to 14th 2022;2022:1.
- Dekel S, Papadakis JE, Quagliarini B, et al. Preventing posttraumatic stress disorder following childbirth: a systematic review and meta-analysis. Am J Obstet Gynecol 2024;230:610-41.e14. DOI: 10.1016/j.ajog.2023.12.013
- Tency I, Vercoutere A, D’Haenens F, et al. Soins du postpartum en première ligne de soins (Partie 2). Groupe de Travail Développement de Guides de Pratique de Première Ligne, 2024. (Site consulté le 11/10/2024.) Ebpracticenet. URL: https://www.worel.be
- Vlaamse Vereniging voor Obstetrie en Gynaecologie. Respectvolle geboortezorg: standpunt, aanbevelingen en engagement, 2024. (Site consulté le 11/10/2024.) URL: https://www.vvog.be/sites/default/files/standpunt_aanbevelingen_en_engagement_voor_respectvolle_geboortezorg.pdf
- Vlaamse Beroepsorganisatie van Vroedvrouwen. Reactie VBOV vzw op senaatsrapport obstetrisch geweld. VBOV 3/04/2024. (Site consulté le 11/10/2024.) URL: https://www.vroedvrouwen.be/nieuws/reactie-vbov-vzw-op-senaatsrapport-obstetrisch-geweld
- Rapport d'information concernant le droit à l'autodétermination corporelle et la lutte contre les violences obstétricales. Sénate de Belgique, 2/02/2024. (Site consulté le 11/10/2024) URL: https://www.senate.be/www/?MIval=index_senate&MENUID=51000&LANG=fr
- Poelman T. Comment interpréter une différence moyenne standardisée (DMS) ? MinervaF 2014;13(4):51.
Auteurs
Embo M.
vroedvrouw, UGent en Arteveldehogeschool
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
Glossaire
liste de contrôle de Downs et BlackCode
F43
P82, W78
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